Tribune de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 1er juin 2001, intitulée "Pour un nouvel humanisme en politique".

Prononcé le 1er juin 2001

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

La politique est mal aimée. Sa remise en cause est absurde, mais sa critique est fondée. Le déficit de vérité, la montée de l'inefficacité, le manque d'ouverture les raisons de la colère sont multiples, les causes du désenchantement sont complexes.
L'actualité événementielle, qui pourrait renforcer le sens et la force du politique, révèle davantage son impuissance. Les tempêtes d'hier, les inondations d'aujourd'hui affichent les lourdeurs et les pesanteurs de nos "mammouths" administratifs. La naïveté de Claude Allègre, face à son inutilité quand il nous dit "j'avais annoncé ces catastrophes, il y a 10 ans" est désarmante. L'agitation, plus musculaire que cérébrale, des parlementaires socialistes pour faire semblant de s'opposer aux plans sociaux est, elle, plus navrante.
Le discrédit de la politique s'explique, il ne se justifie pas.
Pour échapper au néant, dont l'abstention est l'expression, le politique doit inventer la "nouvelle" politique que les citoyens attendent. Comment redonner sens et force à la promesse politique ?
Dans les périodes récentes les promesses ont dérivé vers l'aval de la pensée politique, vers la technique au lieu de remonter vers les sources, vers les valeurs et les convictions. La course à la technicité, l'obsession de "la" mesure, le goût des procédures ont creusé un fossé entre l'offre du politique et la demande du citoyen.
Michel Serres nous indique le chemin du réenchantement : "l'honnête homme du XXIème siècle sera celui qui jardinera ses convictions jusqu'à la clarté". En revenant sur le terrain de la pensée, la politique se ressourcera notamment en fertilisant le débat entre les possibles " clartés". Après la déforestation intellectuelle, née de l'hypertrophie technocratique, il est urgent de reboiser la pensée. La "Clarté" pour le responsable politique est une exigence, non pas pour "théoriser", "idéologiser" ou "doctriniser" les idées mais parce que le retour à la crédibilité, voire à la confiance, réside dans la cohérence entre la pensée et l'action, entre le projet et le programme. L'eau trouble en amont a peu de chances d'être claire en aval. La "Clarté", c'est l'unité entre la pensée et l'action. Ainsi toute équipe politique doit-elle apporter une double mais cohérente réponse à l'attente des citoyens : quelles sont les idées qui fondent notre pensée et quel est le système de gouvernance qui transforme ces idées en actions ?
"Le nouvel humanisme"
La tradition humaniste est celle du centre droit français. Elle a connu son accomplissement avec "le siècle des lumières" et son essoufflement avec "le siècle des ténèbres". La Shoah, la 9ème Symphonie de Beethoven dans les camps de la mort, la multiplication des goulags ont porté un coup fatal à ce vieil humanisme, sans forme et sans force qui, en appartenant à tous ne sauve personne. Les réponses idéologiques du siècle qui s'achève ne satisfont pas les questions d'aujourd'hui. Ce n'est cependant pas "la fin de l'histoire". De nombreuses tentatives cherchent à replacer l'homme au cur d'une pensée d'avenir. Il s'agit, le plus souvent, de "déniaiser" l'humanisme en le débarrassant des platitudes qui avaient comblé les espaces dévastés par les erreurs et les horreurs du XXème siècle. Les recherches pour inventer un "nouvel humanisme" sont nombreuses, les qualificatifs sont multiples : "intégral" (E. Borne) "transcendal" (L. Ferry), "dialogique" (E.Morin), "moderne" (A.Kahn), "critique" (T.Torodov), "paradoxal" (J.C Guillebaud)
Ces différentes approches structurent une pensée moderne autour de trois questions "clivantes" : la liberté de l'Homme, la vérité de l'utopie, l'avenir de la République.
Les progrès, inouïs, de la science changent-ils vraiment la nature du débat entre l'humanisme et le déterminisme ? Nietzsche, Marx, Freud et maintenant "les nouveaux biologistes" ont-ils fini par nous convaincre que nous devions rester "innocents" de nous-mêmes ? Mésestimer la responsabilité, sous-estimer le mérite, refuser la transcendance de la liberté, n'est-ce pas douter du "libre arbitre", valeur première de l'humanisme ?
La seconde question est celle de l'utopie. Après les drames du communisme, l'utopie reste-t-elle innocente ? Peut-on sincèrement suivre J. Attali sur les traces de sa nouvelle utopie, "Fraternités" ? Ayant compris le caractère inséparable du bien et du mal, les humanistes renoncent à l'idée d'une solution globale et définitive des difficultés humaines. A l'utopie du "projet de société", le nouvel humanisme peut opposer une "société de projets".
Le troisième débat est celui de la République. Comment redonner du souffle à ses valeurs ? Deux modèles peuvent se confronter : l'un protecteur, "l'Etat républicain", l'autre créateur, "la République des proximités". L'humanisme libéral et le socialisme matérialiste se sont longtemps opposés sur ces sujets : Etat garant - Etat gérant, Etat de droit - état de Droit Aujourd'hui le débat sur la place de l'Etat s'élargit à la démocratie locale mais aussi à la démocratie sociale. Etatisation, humanisation, les routes se séparent
La liberté de la personne, la société de projets et la République des proximités sont les trois piliers fondateurs d'un nouvel humanisme.
Une nouvelle gouvernance
Des exemples concrets peuvent être réunis, au sein d'une nouvelle "gouvernance" pour qu'une politique humaniste s'enracine dans la réalité quotidienne.
Cette nouvelle gouvernance conjuguera cohérence et transparence, efficacité et créativité.
Deux exemples peuvent donner chair au principe de liberté, dans les domaines de l'Education et de la Sécurité.
D'évidence aujourd'hui l'expression des jeunes semble en voie d'appauvrissement (exemple des dialogues de " Loftstory " !), pourtant l'expression de "ses" idées est le préalable au "libre arbitre", à "l'autonomie". Ainsi la dissertation pour l'organisation des idées et la maîtrise de l'écrit, le dessin pour la projection d'une vision et l'expression de la main, l'exposé pour le génie du plan et la force des convictions, l'Internet pour le langage numérique, toutes les disciplines de l'expression culturelle doivent figurer en première ligne de l'éducation humaniste.
En matière de sécurité et quant au principe de liberté personnelle il est incohérent de manifester de l'indulgence pour les primo-délinquants. En effet, pour la personne libre le franchissement de la première "ligne jaune" doit rester un acte de conscience, de responsabilité, le principe d'"impunité zéro" serait plus efficace et moins brutal que cette croissance de l'inhumanité avec laquelle sont traités les multirécidivistes.
Afin de promouvoir l'idée de "société de projets" plusieurs initiatives seraient utiles. Dans notre société, la position des créateurs est trop marginale. La création d'entreprises est un parcours du combattant, la création culturelle relève de la mendicité, la création associative devient vite bureaucratique Pour que la société soit espace de fertilité, il nous faut inventer "un droit à la création". C'est le sens de "l'Ecole Régionale des Projets", expérimentation concrète de cette idée en Poitou-Charentes.
La gouvernance humaniste doit aussi privilégier les structures à taille humaine, celles qui sont le mieux adaptées à l'épanouissement des projets. Le XXème siècle nous a menti sur la qualité des très grandes structures, produits du gigantisme et de la concentration (mégalopoles, grandes entreprises, grandes surfaces, grands hôpitaux) Pour l'humanisme, il convient d'assurer l'avenir des espaces de convivialité qui protègent de la solitude : Famille, PME, petite ville, association, la convivialité et sa mise en réseau est une condition de "l'humanisation de la mondialisation".
Enfin l'organisation de notre République doit être remodelée pour plus de vérité, d'efficacité et d'ouverture et donc moins de cohabitation. La constitution européenne, proposée par Jacques CHIRAC au Bundestag, devrait participer à la clarification des pouvoirs en définissant le code du "qui fait quoi". Dans la perspective de modernisation de nos institutions, un système unifié de décentralisation, rapprochant Départements et Régions, et incluant un nouveau transfert de compétences (culture, environnement, formation, santé, entreprises, tourisme) permettrait de libérer les énergies de "La République d'en bas". Evidemment la réforme de l'Etat sera au cur de cette nouvelle "République des proximités" avec de multiples initiatives telles que la suppression d'une dizaine de ministères, l'ouverture de la politique à la société civile, la séparation, à Bercy, des finances et de l'économie, le plafonnement des prélèvements obligatoires, le choix du contrat mieux que la loi,
Tous ces projets et quelques autres, seront déclinés à l'occasion des échéances démocratiques de 2002. Ce travail collectif est développé dans de multiples structures. L'unité n'est pas dans le cumul de l'expertise mais dans la clarté du projet : une République des proximités pour un nouvel humanisme.
(source http://www.demlib.com, le 29 juin 2001)