Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien brésilien "O Globo" le 7 mai 2010, sur le voyage du président brésilien en Iran et la préparation de nouvelles sanctions contre ce pays liées à la poursuite de son programme nucléaire.

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Média : O Globo

Texte intégral

Q - Qu'espérez-vous de la visite du président Lula en Iran ?
R - Je pense que le président Lula fait fausse route, mais je suis persuadé de sa sincérité. Nous espérons qu'il nous dira ce qui s'est passé. J'espère qu'il ne commettra pas trop d'erreurs pour le bien de son image parce que les Iraniens vont l'embrouiller. Cela fait trois ans que je discute quotidiennement avec les Iraniens. Je ne suis pas sûr, mais je crains qu'ils disent à Lula : "Oui, nous allons répondre aux questions". Ce n'est pas vrai !
Q - Et cette idée de déposer l'uranium iranien en Turquie et au Brésil ?
R - Pourquoi pas ? Le problème est que ce n'est pas la vérité. Il a été dit que cela se ferait en Russie et, après que le matériel serait enrichi en France. Ahmadinejad a parlé de 200 kilos, puis de 300 kilos et aujourd'hui, il va dire 1 000 kilos. J'espère que cette initiative pacifique du président Lula sera un succès.
Q - Lula est naïf, alors ?
R - Non, il est très sincère. Mais celui qui est en face de lui n'est pas sincère.
Q - Nous préparons alors l'application de nouvelles sanctions ?
R - Oui, nous aurons des sanctions. Cela est nécessaire pour la cohésion de la communauté internationale. Mais la véritable sanction est celle qui vient du peuple iranien, et du Mouvement Vert, qui conteste le résultat des élections et qui est descendu de manière héroïque dans la rue contre la répression. Cela est la véritable sanction, et non pas les nôtres ! Nous ne souhaitons pas la guerre au Moyen-Orient, dans une région extrêmement difficile. Le développement éventuel d'une bombe iranienne signifie également le développement d'une bombe saoudienne, égyptienne, etc....
Q - Où en sont les discussions sur le projet de sanctions ?
R - Nous sommes en train de discuter depuis plusieurs mois et nous allons arriver à un texte. La Chine et la Russie n'ont pas les mêmes intentions que nous sur les questions d'énergie et de commerce. Mais c'est toujours comme cela : nous avons déjà fait trois résolutions au Conseil de sécurité de l'ONU avec la Chine et la Russie. Nous allons en faire une quatrième. C'est notre manière de nous opposer pacifiquement. L'Iran a signé le Traité de non-prolifération.
Q - Vous utilisez une stratégie de dialogue ?
R - Cela fait quarante ans que je dialogue ! J'ai entendu des mensonges. Ce n'est pas la vérité ! Nous avons essayé vingt-cinq fois. Il est clair qu'ils nous ont fait des promesses. Nous ne pouvons pas discuter des véritables problèmes avec les Iraniens.
Q - Mais même ainsi, vous dites espérer un résultat de la visite de Lula en Iran ?
R - Nous, les Français, nous l'espérons politiquement. Mais surtout affectueusement. Il est difficile d'imaginer deux pays en train de s'aimer. Mais le Brésil et la France s'aiment.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2010