Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "Itélé" le 11 mai 2010, sur le plan de sauvetage de l'euro.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Itélé

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Notre invité sur BFM TV et RMC ce matin est l'homme de la situation, F. Baroin, ministre du Budget, bonjour.

Bonjour.

Merci d'être avec nous. Décision de la nuit : mise en place de ce plan de secours. Il s'agissait de sauver l'euro, F. Baroin ?

Il s'agissait de sauver l'euro, c'était une crise...

L'euro était en danger grave ?

De mort, de mort. Une spéculation aujourd'hui sur une annonce des Européens qui n'aurait pas été comprise par les marchés, c'était une attaque qui pouvait être mortelle sur notre monnaie. C'est dire si la décision des chefs d'Etat de vendredi était importante, au regard de la réalité économique de notre pays et de notre zone économique. C'est dire si la décision technique des ministres des Finances hier était essentielle et c'est dire si le plan de 750 milliards est un plan massif, avec la décision de la Banque Centrale Européenne de jouer son rôle de stabilisateur. Pour donner une image, c'est un peu l'équivalent de ce qu'ont fait les Etats-Unis pour sauver leur modèle il y a 2 ans, au moment de l'immense crise financière mondiale.

D'ailleurs puisqu'on parle des Etats-Unis, B. Obama a influé, il a appelé plusieurs fois A. Merkel, N. Sarkozy, il a influé pour que l'Europe prenne des décisions rapides, urgentes donc et massives !

Mais c'est une situation extraordinairement instable, d'une certaine manière, la crise grecque est très loin derrière nous. Ça part de la crise grecque un peu comme le cheval de Troie et ça se développe avec un effet contagion très menaçant, un peu comme aux Etats-Unis il y a 2 ans où c'est Lehman Brothers qui n'est pas sauvé par l'administration américaine et qui entraîne dans sa chute l'ensemble du dispositif bancaire. C'était donc la deuxième vague du tsunami financier dans un système mondial, dans un système financier où tout est entremêlé. Et il était assez logique au fond que les Etats-Unis s'interrogent sur le risque pour la monnaie européenne.

Alors les Anglais, qui ne font pas partie de la zone euro, ne veulent pas aider l'euro, ils se mettent à part. Mais si la livre est attaquée, est-ce que nous irons aider les Anglais ?

Les Britanniques ont dit deux choses...

Les Britanniques oui.

...Ils ont dit : « On ne veut pas rentrer dans le plan de soutien à l'euro mais on ne veut pas le bloquer », puisque vous savez qu'on a une zone euro à 16 membres et on a une zone européenne à 27 membres. Donc la solidarité autour de la monnaie c'est une chose, la solidarité au sein de nos partenaires européens, c'en est une autre. La difficulté pour les Britanniques est une difficulté aussi pour l'ensemble de la zone européenne, cette instabilité institutionnelle, le fait qu'il n'y ait pas de Premier ministre et pas de majorité ne permet pas non plus de prendre des décisions suffisamment affirmées, nettes et définitives.

Bien. Si la livre est attaquée, est-ce que nous irons au secours des Britanniques ?

Aujourd'hui, elle ne l'est pas, ils ont fait un choix, les Anglais ont fait un choix, ils considèrent qu'ils sont encore une île, ils ne le sont plus depuis longtemps mais ils vivent encore sur cette idée. C'est pour ça qu'ils ont conservé leur monnaie, c'est pour ça qu'ils s'accrochent à leurs prérogatives, je dirais nationales, respectables mais de mon point de vue un peu dépassées. Si la livre est attaquée, il faudra voir les conséquences, la situation en matière d'endettement public notamment des Britanniques et d'endettement privé également est une situation difficilement tenable.

Mais ces 750 milliards d'euros serviraient-ils...

Non.

Si la livre est attaquée, non ?

Ah non ! On est sur la zone euro, on défend... ce sont des pays de la zone euro...

Donc il n'est pas question, il n'est pas question d'aller au secours des Anglais, si la livre était attaquée ?

En tout cas, cette question ne se pose pas.

La question ne se pose pas ?

La Grèce a été attaquée, l'Espagne, le Portugal, chaque chose en son temps.

Eh bien ! Chaque chose en son temps. F. Baroin, il va falloir réduire notre endettement, on s'est engagés d'une manière ou d'une autre là, en s'engageant dans ce plan...

On s'est engagés d'une seule manière, pas d'une autre.

D'une seule manière : réduire notre endettement, on est bien d'accord ?

Réduire notre endettement, réduire nos déficits, réduire nos dépenses et augmenter nos recettes... Augmenter nos recettes par la croissance.

Donc appliquer une politique rigoureuse, F. Baroin ?

La rigueur ce n'est pas un gros mot...

Non parce que ce mot a l'air de faire peur à tout le monde, est-ce qu'il vous fait peur ce mot « rigueur » ?

Ce n'est pas un gros mot mais ce n'est pas le bon mot. La rigueur c'est quoi ? C'est ce qu'on demande aux Grecs : baisser les pensions, baisser les salaires, augmenter la TVA, augmenter les impôts directs, ça c'est la rigueur. La rigueur c'est ce que la France a vécu en 83, par exemple, au moment du virage avec Mitterrand. C'est pour ça que ce terme-là, il n'est pas adapté à la situation et il fait peur à la fois. Quand on a augmenté les prélèvements obligatoires, quand on a bloqué les salaires...

Mais il fait peur à qui, aux politiques ou aux citoyens ?

...Ce n'est pas le bon mot, c'est...

Alors quel est le bon mot ?

L'idée c'est de ralentir la croissance des dépenses publiques, ça n'est pas de les baisser. On ne peut pas parler de rigueur quand on a encore plus de 1.000 milliards de dépenses publiques dont plus de la moitié en dépenses sociales. On ne peut pas parler de rigueur quand l'objectif est de passer de 8 % de déficit public cette année à 6 % l'année prochaine et à 3 % en 2013...

Mais on parle de quoi alors : d'économies ?

C'est-à-dire de revenir au niveau d'avant la crise. La réalité c'est quoi ? C'est que la crise a fait exploser le montant des déficits publics, en France comme ailleurs et que c'est évidemment une question de responsabilité. Donc vous me dites « rigueur », je vous dis « responsabilité », vous me dites « c'est un mot qui fait peur », je vous dis « non, ce n'est pas un gros mot mais ce n'est pas le bon mot », et vous me dites « c'est un plan d'exemplarité », alors là je vous réponds « oui ». (.../...)

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 mai 2010