Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la place de l'Union européenne dans l'OSCE, à Vienne le 20 mai 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement en autriche les 20 et 21 mai-réunion du conseil permanent de l'OSCE, à Vienne le 20 mai 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je vous remercie chaleureusement de la possibilité qui m'est offerte de m'adresser, à l'occasion de cette réunion du Conseil permanent, aux représentants des 56 Etats participants à l'OSCE et aussi à ceux des Etats partenaires méditerranéens et asiatiques. Sachez-le, c'est pour moi un grand honneur.
Je vous remercie tout particulièrement, Monsieur le Président pour votre accueil chaleureux et saisis cette occasion pour saluer la présidence kazakhstanaise de l'OSCE qui guide notre organisation avec efficacité, beaucoup de dévouement et d'enthousiasme. Je veux aussi dire combien nous devons au Kazakhstan, en particulier à son président, pour sa contribution à la lutte contre la prolifération nucléaire.
Permettez-moi également de rendre hommage au travail accompli depuis plusieurs années à la tête du Secrétariat de l'OSCE par mon ami Marc Perrin de Brichambaut. La France est heureuse que l'un des siens contribue d'une manière aussi remarquable au développement de cette organisation.
A travers le Secrétaire général, je souhaite exprimer ma reconnaissance et mon admiration à tous les personnels de l'OSCE, notamment ceux qui servent dans les missions de terrain, de façon exposée, dans des conditions souvent difficiles. Ils nous rendent à tous un service sans prix. Je ne dis pas cela sous la forme d'un compliment diplomatique, car j'ai eu l'occasion de voir des missions de terrain, de participer à des observations électorales.
En tant que membre du gouvernement français responsable des Affaires européennes, je suis également heureux d'être présent au sein d'une organisation dans laquelle l'Union européenne est fortement présente et visible, par le nombre de ses Etats membres et de ceux qui choisissent de s'aligner sur ses positions ; par sa contribution majoritaire, à hauteur des deux tiers au budget et au personnel de l'organisation ; par sa voix unie au sein de notre Conseil permanent. C'est une originalité par rapport à beaucoup d'autres organisations internationales et il s'agit d'un modèle d'expression de la politique étrangère européenne.
C'est aujourd'hui à la Présidence espagnole que revient l'important travail de coordination et de représentation que cela suppose. Ce sera dès que possible, c'est ce que souhaite la France, à la délégation de l'Union européenne de le faire en vertu du Traité de Lisbonne. Car, vous le savez, l'Union possède désormais, avec une présidence stable, un vrai ministre des Affaires étrangères, que l'on appelle Haute représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité également vice-présidente de la Commission, et bientôt le Service européen pour l'action extérieure, tous les outils nécessaires à une action internationale responsable et plus efficace. Tout cela est affaire de volonté et je peux reconfirmer que la France travaille activement à la mise en oeuvre rapide du Traité de Lisbonne.
La coopération politique européenne, l'ancêtre de la Politique étrangère et de sécurité commune européenne, a précisément pris son essor dans le passé en relation avec l'ancienne CSCE.
Aujourd'hui, la politique extérieure de l'Union européenne mesure toute l'importance de l'OSCE pour la poursuite de ses objectifs. Et c'est parce que nous mesurons en France cette importance que nous avons évoquée entre la France et l'Allemagne l'idée d'une candidature future à la présidence conjointe de l'OSCE.
L'histoire de l'Europe a été marquée par un mouvement vers la démocratie et vers l'unité. La France a pris une part singulière à ce mouvement depuis longtemps :
- Nous venons de célébrer, le 9 mai dernier, le soixantième anniversaire de l'appel de Robert Schuman, de cette main tendue de la France à l'Allemagne et à ses autres voisins européens qui a été à l'origine de la réconciliation et de la construction européenne.
- Il y a 35 ans, en contribuant à l'Acte final d'Helsinki qui a permis de s'accorder sur la formulation des principes régissant les relations entre les Etats dans notre espace et en affirmant que tous les Etats étaient intéressés au respect des droits de l'Homme dans chaque autre Etat. Là aussi, un pas très important a été fait pour la réconciliation de toute l'Europe.
- Il y a 20 ans, lorsque la fin de la division artificielle de ce continent conduisit, avec la Charte de Paris, à de nouveaux engagements et de nouvelles institutions formés dans le cadre de la CSCE puis de l'OSCE. Tout cela montre que l'action de l'OSCE dans bien des pays européens contribua de manière concrète à l'élargissement de l'espace de stabilité constitué par l'Union européenne. C'est dans l'intérêt de tous et pas seulement en Europe de l'Ouest.
Grâce à ces étapes, notre sécurité n'est plus assurée seulement par l'effort militaire et de défense de chaque Etat, ou par des alliances et des organisations au sein de notre espace commun. Elle l'est également par un cadre de coopération à l'échelle de l'espace euro-atlantique et euro-asiatique tout entier, une conception large de la sécurité, politico-militaire certes, mais aussi humaine et économique, dans le respect des préoccupations et des intérêts légitimes de tous mais aussi du libre choix des alliances de chacun et l'attachement à l'indivisibilité de la sécurité en Europe.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous sommes dans un moment de changement systémique accéléré à l'échelle mondiale. Nous vivons un mouvement rapide de changement de la hiérarchie des puissances. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de notre histoire : après la réconciliation de l'après-guerre, après la réunification dans la paix de l'ensemble du continent européen, celle des nouveaux rapports de forces mondiaux, où nos nations, confrontées à la question de leur avenir dans la mondialisation, vont devoir agir ensemble pour défendre leurs intérêts communs et façonner le monde de demain.
Telle est notre vision en France. Nous sommes en train de changer de monde. Après le 11 septembre, après l'Irak et l'Afghanistan, la prise de conscience de la mondialisation au travers du choc de la crise financière a agi véritablement comme un catalyseur. Ces chocs nous rappellent qu'aucun de nos Etats, même parmi les plus grands, ne peut espérer y faire face seul et que seule la résolution des problèmes qui subsistent entre nous nous permettra ensemble de contribuer à la nouvelle organisation du monde.
Face à de tels défis, les difficultés parfois rencontrées ne peuvent être un prétexte pour minimiser l'utilité de l'OSCE ou mettre en doute sa pertinence. Je dirais : bien au contraire ! La récente crise au Kirghizstan nous a rappelé qu'elle est capable de réagir vite et bien à de telles crises. Le travail de ses institutions et de ses missions est souvent discret, mais il contribue réellement à l'unité de notre espace commun.
Cette unité doit être renforcée dans notre organisation, mais aussi dans les esprits. La confiance ne se décrète pas, elle se construit par le travail au service d'un dépassement des divisions héritées du passé et d'une détermination partagée à poursuivre une vision commune au service de nos intérêts communs et des valeurs qui fondent nos sociétés. Il s'agit à la fois d'agir pour la sécurité en Europe et pour la sécurité de l'Europe. Et je veux le redire ici ce que j'ai dit aux ambassadeurs de l'Union européenne ce matin : ce forum est sans égal pour l'expertise qu'il représente et pour le dialogue qu'il permet avec tous les acteurs de ce continent. Il est irremplaçable.
C'est sur la définition de cette vision commune que doit déboucher le dialogue sur la sécurité européenne engagé depuis 2008 à l'OSCE.
La France s'est engagée pleinement en faveur de ce dialogue afin d'éviter que notre continent ne connaisse à nouveau la guerre, comme il y a deux ans en Géorgie. Elle a souhaité que ce dialogue se tienne à l'OSCE, parce que celle-ci réunit tous les Etats intéressés autour d'une conception large de la sécurité conformément à la vision précisée à l'automne 2008 à Evian par le président de la République française.
Cette vision inclut la création d'un espace économique et humain et de sécurité commun entre tous les acteurs du continent, entre l'Union européenne et la Russie, comme elle inclut le renforcement des relations de l'Union européenne avec ses partenaires continentaux dans le cadre du Partenariat oriental, avec ses voisins du Sud dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée.
L'OSCE a jusqu'à présent répondu à nos attentes grâce au lancement du Processus de Corfou. La Présidence présentera en juin une synthèse des propositions. La France souhaite que la réunion ministérielle informelle à Almaty en juillet qui doit débattre de la suite à donner au processus puisse s'accorder sur la tenue d'un sommet en fin d'année autour d'un projet mobilisateur pour nous tous.
Nous ne pouvons en effet fonder notre unité que sur un projet qui réponde à nos besoins, qui reflète nos aspirations, qui soit à la hauteur de nos idéaux, qui offre des bénéfices à tous.
Nous avancerons si nous nous fixons une ambition : celle de franchir une nouvelle étape dans le mouvement historique de nos pays vers une véritable communauté de sécurité euro-atlantique et euro-asiatique au XXIème siècle. Je veux le dire ici clairement : pour nous Français, la page de la guerre froide doit être définitivement tournée. Je vous invite à vous tourner définitivement vers la construction d'une zone de prospérité, de sécurité et d'échanges communs. Je vous invite à regarder l'avenir avec d'autres lunettes que celles de la guerre froide.
Cette communauté devrait reposer sur l'acquis des engagements et principes qui nous réunissent, en particulier ceux de l'Acte final d'Helsinki et de la Charte de Paris.
Cette communauté devrait donner corps à la notion d'indivisibilité de la sécurité et permettre de prendre en compte les intérêts légitimes de tous sans remettre en cause le droit de chaque Etat de choisir librement ses alliances, mais en gardant toujours à l'esprit que ces alliances ont profondément changé de signification. Regardons ces alliances à la lumière des enjeux du XXIème siècle.
Cette communauté doit garantir la sécurité à l'intérieur de notre espace. C'est pourquoi elle doit nous conduire à progresser résolument dans le règlement des conflits qui subsistent dans notre espace, il en demeure hélas, et à prévenir la survenance de nouvelles crises :
- en Moldavie, la France soutient ainsi les efforts en faveur d'un règlement du conflit transnistrien dans le cadre des négociations 5+2 et dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Moldavie où je me suis rendu il y a peu. Elle appuie l'action de Mme Ashton dans le sens d'un concours accru de l'Union européenne à ce processus. Et laissez moi vous dire que je rêve d'un jour où, en Transnistrie, des forces d'interposition de nos pays, y compris de l'Union européenne, assureront la stabilité, l'unité et l'Etat de droit en Moldavie.
- s'agissant de la Géorgie - pays que je connais et ami de la France -, dont nous voulons le respect de l'indépendance, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté dans ses frontières internationalement reconnues, je veux saluer l'action de l'OSCE, que j'ai vue sur place, et de la co-présidence kazakhstanaise des discussions de Genève et rappeler que nous estimons indispensable le retour sur le terrain d'une présence de l'OSCE comme des Nations unies.
- en tant que co-présidente du groupe de Minsk, la France est fermement déterminée à soutenir les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan pour les aider à finaliser les principes de base pour le règlement du conflit du Haut-Karabakh. Malgré les difficultés rencontrées, il ne peut y avoir qu'une solution politique équilibrée et négociée. Et là encore, la diplomatie française s'y emploie. Je me rendrai prochainement dans le Caucase dans ce but.
Cette communauté de sécurité que nous appelons de nos voeux doit aussi assurer un régime fiable de maîtrise des armements. Il est paradoxal que nous ayons aujourd'hui, au sein d'une Europe où les divisions appartiennent au passé, un régime de maîtrise des armements conventionnels, qui soit moins efficace et moins fonctionnel qu'il y a 20 ans lorsque les tensions étaient autrement plus fortes. La France est prête à contribuer à relancer les discussions sur le Traité FCE et des mesures de confiance et de sécurité. A l'heure de la crise économique et financière, la plus grave que nous traversons depuis 80 ans, je crois en effet que nous pouvons progresser sur la voie d'un accord sur la maîtrise des armements. Les budgets vont nous contraindre à avancer dans cette voie.
Mais il faut voir encore plus loin. Il faut une meilleure coordination et cohérence de l'action des différentes organisations internationales en Europe. Pourquoi ne pas remettre à plat tout ce qui concerne la sécurité de notre continent comme le président Sarkozy l'a proposé il y a deux ans et dépasser ensemble les réflexes et les habitudes du passé ?
Nous pouvons le faire dans le cadre de l'OSCE, la seule enceinte qui rassemble sur un pied d'égalité tous les acteurs de la sécurité paneuropéenne. Mais en comprenant que notre sécurité ne repose pas seulement sur l'équilibre des forces, mais aussi sur des valeurs partagées : la démocratie tout d'abord, les droits de l'Homme qui sont des facteurs essentiels de stabilité. C'est le message consubstantiel de l'Union européenne qui est une union de démocraties.
Alors, un cadre de sécurité paneuropéen renouvelé comporterait des arrangements de sécurité, dans le domaine des armements mais aussi la réaffirmation des valeurs, des instruments et des institutions qui permettent l'expression et la protection de cette stabilité.
Aujourd'hui, la sécurité de l'Europe ne se joue plus au sein de l'Europe seule, mais aux frontières de notre espace commun face aux menaces et aux défis que nous partageons là encore. Aussi la communauté que nous pouvons bâtir doit-elle nous rassembler face aux menaces et défis auxquels nous sommes tous confrontés : c'est le terrorisme, c'est la prolifération d'armes de destruction massive, c'est la criminalité organisée. Elle doit également renforcer notre solidarité face aux menaces que représente la situation en Afghanistan, et qui sont des menaces multiformes et complexes. L'Union européenne doit pour sa part y contribuer au sein de l'OSCE en se penchant sur l'ensemble des problèmes de sécurité qui se posent et en devenant progressivement un acteur de sa propre sécurité.
Un tel objectif est-il réaliste? Le scepticisme est l'obstacle que nous devons surmonter, de même que nous avons dû le surmonter à chaque étape du mouvement de notre continent au fil des années vers la démocratie. Ma conviction est que le projet de communauté euro-atlantique et euro-asiatique est la mission historique de notre génération. Je vous le dis en tant que Français, en tant qu'Européen et en tant que représentant d'un gouvernement qui est animé par cette volonté politique de tourner une page de l'histoire et de bâtir ensemble cet espace de prospérité et de sécurité commune à laquelle aspirent nos populations.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mai 2010