Extraits de l'entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 2 juin 2010, sur le sommet Afrique-France, l'action militaire israélienne contre la "flotille de la paix" à destination de Gaza et la question des sanctions.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Bernard Kouchner.
R - Bonjour.
Q - Vous souhaitez réagir à la chronique d'Alain Duhamel sur les rapports entre la France et les pays africains ?
R - Je souhaiterais ajouter quelque chose à cette excellente vision du Sommet Afrique-France, ou plus précisément trois choses. Des décisions ont été prises, premièrement concernant les financements innovants. C'est capital, c'est ce que la France propose depuis 20 ans. Il y a eu précisément une proposition française pour que l'Afrique fasse partie des grands forums en particulier du Conseil de sécurité des Nations unies, du FMI, grands forums où ils ne sont pas représentés. Enfin, il y a eu des chiffres à propos du changement climatique et des efforts consacrés. Le mot amour a été prononcé plusieurs fois, il y avait du sentiment dans cette rencontre réussie.
Q - Il a été prononcé plusieurs fois à Nice lors du Sommet franco-africain.
R - Absolument.
Q - Il ne l'a pas été dans la chronique d'Alain Duhamel.
R - Je regrette.
Q - Israël a mené lundi matin dans les eaux internationales, c'est-à-dire en toute illégalité, une action militaire qui a coûté la vie à neuf personnes. La France souhaite-t-elle que des sanctions soient prises contre Israël ?
(...)
R - On a demandé qu'une enquête crédible soit menée, il faut le faire très vite. C'est au Secrétaire général des Nations unies de choisir la forme. La dernière fois que la France l'a demandée, c'était à la suite de ce qui s'était passé en Guinée, le Secrétaire général M. Ban Ki-moon a réagi efficacement. Qu'il choisisse la Croix Rouge ou une autre forme, c'est à lui de décider au plus vite.
Q - Je reprends ma question, Bernard Kouchner, un Etat peut intervenir militairement dans les eaux internationales et ne subir aucune sanction ?
R - Non, mais c'est en effet après enquête qu'il faudra décider. Dans les eaux internationales, nous n'avons pas, personne n'a le droit d'intervenir, ce fut fait de façon extrêmement dommageable pour l'image même d'Israël.
Q - Peut-on envisager des sanctions alors dans ces cas-là ?
R - Quelles sanctions et pourquoi ? Il faut que l'on connaisse les faits, nous allons les connaître, c'est ce que la France a réclamé tout de suite. Ne pensez pas par là que je réduise à peu de choses ce qui s'est passé. Au contraire, je pense que c'est une très grave erreur, sinon une faute, aussi bien pour l'idée que l'on a de l'humanitaire - même si l'humanitaire était discutable en cette occasion- mais surtout pour l'idée que l'on a de la nécessaire poursuite du Processus de paix. Heureusement, M. Abou Mazen, le Secrétaire général de l'OLP a dit que les pourparlers continuaient, ce qui est vraiment capital.
Q - Mais personne n'y croit, Bernard Kouchner. Dans ce contexte aucun pourparler ne peut exister.
R - Ils existent, maintenons-les parce que l'on a toujours dit cela de crise en crise, or il n'y a pas d'autres solutions. Vous connaissez la position de la France sur la question de Gaza. Jamais nous avons approuvé ni l'intrusion de l'armée israélienne dans Gaza, ni le blocus et nous pensons que c'est une situation insupportable. Mais pour que cette situation disparaisse, pour que les habitants de Gaza vivent normalement, il faut que le Processus de paix s'amorce, il faut un Etat palestinien. C'est le plus important, pour le reste nous avons exprimé énergiquement ce que nous pensons de cette opération.
Q - M. Netanyahu, Premier ministre israélien qui est à l'origine de cette opération, demeure-t-il un interlocuteur valable pour vous ?
R - Il est élu démocratiquement par les Israéliens. Interlocuteur valable ou pas, je ne pense pas que ce soit lui qui ait dirigé l'opération.
Q - C'est lui qui l'a ordonné, bien sûr.
R - Il a ordonné probablement que les bateaux n'arrivent pas jusqu'à Gaza. Je ne connais pas les détails, il n'était pas en Israël à ce moment-là. Il y a une démocratie israélienne, et évidemment dans de telles circonstances tout le monde fait bloc derrière l'armée israélienne.''. Heureusement encore une fois, les pourparlers - ce que l'on appelle les "proximity talks"- doivent se poursuivre. C'est en ayant une détermination particulière vers cette solution que nous arriverons à ce que ces actes ne se reproduisent plus. Il ne faut pas qu'ils se reproduisent, je déplore tout cela et nous l'avons condamné.
Q - Vos réponses Bernard Kouchner - il n'y a aucun grief dans ma remarque mais simplement un constat - ne dessinent-elles pas l'impuissance des pays occidentaux notamment à peser sur la situation au Proche-Orient ?
R - Vous pourriez faire cette remarque depuis 62 ans, parce que cela fait 62 ans que cela dure.
Q - On la fait ce matin parce que la situation est grave.
R - Nous n'avons pas inventé encore les moyens d'être plus actifs que nous ne le sommes. La France est en permanence présente pour les pays arabes, pour la Palestine, pour Israël. Nous avons consacré des efforts considérables, ce n'est jamais assez ; la preuve, cela ne marche pas. Néanmoins, c'est trop facile d'accuser les politiques.
Q - N'y a-t-il pas une forme d'impunité pour Israël ?
R - Il y a une forme très particulière d'Etat dont on ne doit pas oublier comment cet Etat a été constitué. Mais il ne doit certainement pas y avoir d'impunité.
Q - De fait, n'y en a-t-il pas une ?
R - De fait, on verra. Est-ce que "oui" ou "non" cette enquête crédible, ouverte aura lieu ?
Q - Et vous y croyez ?
R - Oui, j'y crois. Le dernier exemple, que je vous ai donné, c'est la Guinée. A la surprise générale, sous pression de la France, il y aura des élections en Guinée où il y a eu un massacre considérable, beaucoup plus considérable que celui dont on parle, ce n'est pas pour les excuser.
Q - Non, mais comme le conflit proche oriental pèse beaucoup dans la balance.
R - Mais si vous êtes négatif tout de suite, vous participez de cette impuissance.
Q - Vous le disiez vous-même Bernard Kouchner, l'ONU n'a même pas été capable de prendre une résolution après cette affaire.
R - Il faut souligner le fait que c'est particulièrement rare qu'il y ait une déclaration du président à l'unanimité et qu'elle soit forte, c'est déjà cela.
Q - Toujours optimiste.
R - Mais si on n'est pas optimiste, que fait-on ? Il faut être optimiste. Je serai optimiste jusqu'au bout. Nous y parviendrons, il faut un Etat palestinien indépendant, il faut que les Palestiniens se réconcilient et il faut que le blocus de Gaza cesse.
Q - D'un mot si l'on a bien compris, les ressortissants français rentreront très vite maintenant ?
R - Oui, vous l'avez très bien compris. Certains ressortissants étrangers sont déjà partis hier soir et ce matin, théoriquement cela se déroulera dans les 48h. Nous leur avons rendu visite, ils sont dans des conditions acceptables. Le consul de France a déjeuné avec eux hier, ils vont sortir rapidement.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juin 2010