Texte intégral
Le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie raconte sa mission dévaluation des besoins : « 2 avril. Frontière de la Macédoine. Terrifiant » :
Jeudi ler avril
10h00 : Arrivée à laéroport de Tirana et départ pour le camp de réfugiés de Maninas. La souffrance des Kosovars et la générosité des Albanais qui sont venus chercher des réfugiés démunis pour partager une même pauvreté. Premiers témoignages sur la brutalité des sbires de Milosevic. Une évidence : il y a là des femmes, beaucoup denfants et de vieillards, peu dhommes adultes.
11h45 : Complexe Dynamo. Centre de Tirana. Cest un ancien camping. Immense village de toile où sentassent déjà 4000 réfugiés. Au bord de la piscine vide, une animatrice dune ONG italienne fait jouer des enfants. Pas facile ! Un poste de secours médical nous dit ses besoins. Mais cest la nourriture qui est attendue. Des adolescents dun lycée voisin apportent les vêtements quils ont collectés.
12h45 : Gymnase Tirana. La foule sentasse sur les gradins. Les visages sont creusés, les regards éteints, les larmes coulent dès que les questions ravivent les souvenirs. Le silence règne malgré le millier denfants présents. Pas de cris, pas de jeux. Je suggère quon aménage des écrans pour y projeter des dessins animés. Une télé française ne retiendra que cela de mon voyage ! Bah... mais je confirme : laccompagnement psychologique de ces enfants traumatisés sera essentiel.
15h00 : Chez le président de la République. Dans un français impeccable, il fait le point. Souligne la solidarité de la population, mais aussi les risques de tensions. Anticipe déjà une Albanie à la démographie bouleversée. Il a la volonté dagir mais aucun moyen. Il me parle darmes pour lUCK. Brève image de Blum refusant des avions aux républicains espagnols, vite chassée par celle des Mirage français engagés dans lAlliance. Joppose un refus ferme pour les armes. Explication difficile. Allons-nous faire la guerre à la place des combattants « légitimes » refoulés dans une Albanie transformée en camp de réfugiés ?
16h00 : Au siège du gouvernement. Longue discussion avec le très jeune (31 ans) Premier ministre. Il est accompagné de Mme Mekri, ministre de lEconomie chargée de coordonner laccueil des Kosovars. Même diagnostic que le président et demande dun déploiement des troupes au sol. Je lui donne la position officielle. Surtout sinterdire de parler de la « phase 3 », et de la suite... Il insiste pour que nous aidions les Kosovars au Kosovo même (lexode coupe lUCK de sa base) et sur les difficultés économiques et budgétaires de lAlbanie.
17h00 : Résidence de lambassadeur, M. Chrismant. Rencontre avec la Cellule durgence du Quai dOrsay et les ONG françaises. Tous dénoncent lincapacité du HCR et se plaignent dêtre marginalisés.
18h00 : Point de presse à lhôtel. Je rappelle le double objectif de mon voyage : humanitaire (trois heures plus tôt, nos Transall ont débarqué quarante tonnes de matériel et de nourriture) et politique (rappeler les objectifs et les conditions de lintervention française au sein de lOTAN). Peu de questions, sauf celle, incontournable, de lintervention terrestre. Elle nest pas à lordre du jour, mais lAlliance a une obligation de résultat. Milosevic devra plier.
19h30 : Télévision locale. La voiture manque de sembourber pour y arriver. Je redis mon message.
20h30 : Dîner chez lambassadeur. Il a réuni ses collègues des Balkans. Question dactualité : la rencontre entre Milosevic et Rugova. Pour le secrétaire dEtat albanais Rakmori, le leader kosovar est désormais disqualifié. La plupart des convives pensent quil est « sous influence ».
23h00 : Retour à lhôtel. Les « urgentistes » français et allemands se concertent autour dune carte de la frontière nord de lAlbanie. Les officiers de la protection civile sont aussi au travail. Je les ai déjà vus à loeuvre au Nicaragua et au Honduras.
Vendredi 2 avril
Arrivée à Skopje. Après un long détour par la Grèce. Accueil de J. Huntzinger, notre ambassadeur. Aggravation sérieuse de la situation à la frontière avec le Kosovo. Nous nous y rendrons.
10h40 : Réunion de travail. Avec Boris Trajkovski, vice-ministre des Affaires étrangères, qui coordonne laccueil. Il me parle un peu des réfugiés, beaucoup de la situation de la Macédoine qui dépend à 60 % de léconomie yougoslave.
12h00 : Entretien avec L. Georgievski. Le Premier ministre est plus quinquiet. Il craint une crise politique. La discussion est dure. Les Albanais demandaient hier de laide pour les réfugiés, les Macédoniens réclament aujourdhui, de laide pour les faire repartir. Ils ne les veulent plus chez eux. « Combien en prenez-vous ? « Ici, « léquilibre ethnique » est précaire. Jévoque lidée dun comité Balkans en marge de la prochaine réunion du FMI.
13h15 : Retour à laéroport. Pour accueillir les Transall qui apportent laide française. Enfin du concret. Un premier avion décharge déjà sa cargaison. Un autre atterrit. Les militaires français sinterrogent déjà sur la distribution de cette aide. Rien na été prévu par les autorités locales.
14h00 : Déjeuner à la résidence de lambassadeur. Atmosphère tendue. Lhomme du HCR prétend maîtriser la situation ; le responsable de lUE assure le contraire.
15h30 : Frontière nord de la Macédoine. Terrifiant. En contrebas, dans une vallée, une foule innombrable que les trains de la honte remplis par Milosevic continuent de grossir. Aucun arbre, pas dabri, de maigres buissons. Plus de vingt mille personnes survivent, depuis trois jours pour certains. Entre les deux lignes frontières. Déportés par les Serbes, pas encore accueillis par les Macédoniens qui les filtrent au compte-gouttes. Spectacle effrayant dun cortège long de plusieurs kilomètres. Nous nous approchons, malgré les policiers macédoniens qui voudraient nous en dissuader. Nouveaux témoignages. Je dis notre compassion, mais aussi notre volonté de les aider à revenir au Kosovo pacifié. Ils applaudissent et pleurent.
17h00 : Aéroport. Je prends à part le directeur macédonien des Affaires politiques pour lui dire que nous aiderons son pays mais que le blocage de la frontière est inacceptable. Il me promet den parler dès ce soir au ministre de lIntérieur.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)
Jeudi ler avril
10h00 : Arrivée à laéroport de Tirana et départ pour le camp de réfugiés de Maninas. La souffrance des Kosovars et la générosité des Albanais qui sont venus chercher des réfugiés démunis pour partager une même pauvreté. Premiers témoignages sur la brutalité des sbires de Milosevic. Une évidence : il y a là des femmes, beaucoup denfants et de vieillards, peu dhommes adultes.
11h45 : Complexe Dynamo. Centre de Tirana. Cest un ancien camping. Immense village de toile où sentassent déjà 4000 réfugiés. Au bord de la piscine vide, une animatrice dune ONG italienne fait jouer des enfants. Pas facile ! Un poste de secours médical nous dit ses besoins. Mais cest la nourriture qui est attendue. Des adolescents dun lycée voisin apportent les vêtements quils ont collectés.
12h45 : Gymnase Tirana. La foule sentasse sur les gradins. Les visages sont creusés, les regards éteints, les larmes coulent dès que les questions ravivent les souvenirs. Le silence règne malgré le millier denfants présents. Pas de cris, pas de jeux. Je suggère quon aménage des écrans pour y projeter des dessins animés. Une télé française ne retiendra que cela de mon voyage ! Bah... mais je confirme : laccompagnement psychologique de ces enfants traumatisés sera essentiel.
15h00 : Chez le président de la République. Dans un français impeccable, il fait le point. Souligne la solidarité de la population, mais aussi les risques de tensions. Anticipe déjà une Albanie à la démographie bouleversée. Il a la volonté dagir mais aucun moyen. Il me parle darmes pour lUCK. Brève image de Blum refusant des avions aux républicains espagnols, vite chassée par celle des Mirage français engagés dans lAlliance. Joppose un refus ferme pour les armes. Explication difficile. Allons-nous faire la guerre à la place des combattants « légitimes » refoulés dans une Albanie transformée en camp de réfugiés ?
16h00 : Au siège du gouvernement. Longue discussion avec le très jeune (31 ans) Premier ministre. Il est accompagné de Mme Mekri, ministre de lEconomie chargée de coordonner laccueil des Kosovars. Même diagnostic que le président et demande dun déploiement des troupes au sol. Je lui donne la position officielle. Surtout sinterdire de parler de la « phase 3 », et de la suite... Il insiste pour que nous aidions les Kosovars au Kosovo même (lexode coupe lUCK de sa base) et sur les difficultés économiques et budgétaires de lAlbanie.
17h00 : Résidence de lambassadeur, M. Chrismant. Rencontre avec la Cellule durgence du Quai dOrsay et les ONG françaises. Tous dénoncent lincapacité du HCR et se plaignent dêtre marginalisés.
18h00 : Point de presse à lhôtel. Je rappelle le double objectif de mon voyage : humanitaire (trois heures plus tôt, nos Transall ont débarqué quarante tonnes de matériel et de nourriture) et politique (rappeler les objectifs et les conditions de lintervention française au sein de lOTAN). Peu de questions, sauf celle, incontournable, de lintervention terrestre. Elle nest pas à lordre du jour, mais lAlliance a une obligation de résultat. Milosevic devra plier.
19h30 : Télévision locale. La voiture manque de sembourber pour y arriver. Je redis mon message.
20h30 : Dîner chez lambassadeur. Il a réuni ses collègues des Balkans. Question dactualité : la rencontre entre Milosevic et Rugova. Pour le secrétaire dEtat albanais Rakmori, le leader kosovar est désormais disqualifié. La plupart des convives pensent quil est « sous influence ».
23h00 : Retour à lhôtel. Les « urgentistes » français et allemands se concertent autour dune carte de la frontière nord de lAlbanie. Les officiers de la protection civile sont aussi au travail. Je les ai déjà vus à loeuvre au Nicaragua et au Honduras.
Vendredi 2 avril
Arrivée à Skopje. Après un long détour par la Grèce. Accueil de J. Huntzinger, notre ambassadeur. Aggravation sérieuse de la situation à la frontière avec le Kosovo. Nous nous y rendrons.
10h40 : Réunion de travail. Avec Boris Trajkovski, vice-ministre des Affaires étrangères, qui coordonne laccueil. Il me parle un peu des réfugiés, beaucoup de la situation de la Macédoine qui dépend à 60 % de léconomie yougoslave.
12h00 : Entretien avec L. Georgievski. Le Premier ministre est plus quinquiet. Il craint une crise politique. La discussion est dure. Les Albanais demandaient hier de laide pour les réfugiés, les Macédoniens réclament aujourdhui, de laide pour les faire repartir. Ils ne les veulent plus chez eux. « Combien en prenez-vous ? « Ici, « léquilibre ethnique » est précaire. Jévoque lidée dun comité Balkans en marge de la prochaine réunion du FMI.
13h15 : Retour à laéroport. Pour accueillir les Transall qui apportent laide française. Enfin du concret. Un premier avion décharge déjà sa cargaison. Un autre atterrit. Les militaires français sinterrogent déjà sur la distribution de cette aide. Rien na été prévu par les autorités locales.
14h00 : Déjeuner à la résidence de lambassadeur. Atmosphère tendue. Lhomme du HCR prétend maîtriser la situation ; le responsable de lUE assure le contraire.
15h30 : Frontière nord de la Macédoine. Terrifiant. En contrebas, dans une vallée, une foule innombrable que les trains de la honte remplis par Milosevic continuent de grossir. Aucun arbre, pas dabri, de maigres buissons. Plus de vingt mille personnes survivent, depuis trois jours pour certains. Entre les deux lignes frontières. Déportés par les Serbes, pas encore accueillis par les Macédoniens qui les filtrent au compte-gouttes. Spectacle effrayant dun cortège long de plusieurs kilomètres. Nous nous approchons, malgré les policiers macédoniens qui voudraient nous en dissuader. Nouveaux témoignages. Je dis notre compassion, mais aussi notre volonté de les aider à revenir au Kosovo pacifié. Ils applaudissent et pleurent.
17h00 : Aéroport. Je prends à part le directeur macédonien des Affaires politiques pour lui dire que nous aiderons son pays mais que le blocage de la frontière est inacceptable. Il me promet den parler dès ce soir au ministre de lIntérieur.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)