Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les axes de développement de la DCN, Paris le 11 juin 2001.

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Circonstance : Convention des cadres de la DCN (Direction des constructions navales), Paris le 11 juin 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de participer à votre convention des cadres, qui vous permet de faire ensemble le point de l'évolution de DCN et de réfléchir à son avenir, au plan national comme sur la scène internationale.
C'est pour moi une occasion de redire à quel point il est important de renforcer la capacité de DCN à répondre durablement aux besoins de la marine nationale, dans les meilleures conditions de coût, de délai et de performance. Je souhaite également vous faire part de ma confiance dans la capacité de DCN à relever les défis exigeants auxquels elle fait face en vue de cette mission : défi de la compétitivité industrielle ; défi du partenariat stratégique avec d'autres acteurs de l'industrie de défense ; défi du développement commercial international.
[l'environnement stratégique de DCN]
Pour bien appréhender la démarche qui prépare le mieux l'avenir de DCN, il faut commencer par rappeler son environnement stratégique et donc souligner les changements profonds concernant à la fois, la demande des Etats et l'offre industrielle.
[1- la demande des Etats]
La demande des Etats tout d'abord. Pour s'adapter au nouveau contexte stratégique, les marines ont engagé depuis une dizaine d'années une profonde réforme de leur format, de leur organisation, de leurs moyens et de leurs concepts opérationnels.
Ce processus est désormais bien engagé, particulièrement en France : la marine nationale atteindra ainsi, dès la fin de cette année, son nouveau format, tant en termes d'effectifs que de nombre de navires et d'aéronefs. Elle doit toutefois poursuivre la modernisation et le renouvellement d'un volume très important de ses moyens, qu'il s'agisse des bâtiments de surface, des sous-marins, des moyens aéronautiques ou des systèmes d'armes et de commandement.
Cet effort important de modernisation s'inscrit pour l'avenir dans le cadre de l'Europe de la défense. Vous savez en effet, que les Etats européens ont décidé de se doter des moyens militaires afin d'être en mesure d'exercer leurs responsabilités politiques et de défendre de manière autonome leurs intérêts et valeurs communs. L'objectif est d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer en 60 jours, pour une durée au moins égale à un an et hors du territoire de l'Union européenne, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée.
Les capacités navales tiennent une place importante dans ce projet : pour disposer d'une véritable capacité d'action ou d'influence dans la prévention et la gestion des crises et des missions dites de Petersberg, les Européens doivent disposer d'une autonomie d'action navale les rendant capables d'agir loin et dans la durée pour maîtriser le milieu aéro-maritime, disposer de la capacité de frappe dans la profondeur et assurer un soutien efficace aux opérations terrestres.
La réalisation de ces missions appelle de nouvelles exigences technico-opérationnelles : un nouvel équilibre entre la polyvalence et la spécialisation des navires ; un nombre supérieur de moyens d'observation, de communication et de commandement ; de nouveaux systèmes d'armes ; des exigences d'interopérabilité omniprésentes pour être en mesure d'agir efficacement au sein de coalitions, en exploitant l'ensemble des informations fournies par les différentes composantes de forces engagées ; la nécessité, enfin, d'assurer la cohérence entre des navires et systèmes d'armes modernes et d'autres plus anciens, tout en maîtrisant le coût de leur maintien en condition opérationnelle.
Les budgets des marines, après avoir sensiblement baissé, ont commencé à se stabiliser afin de répondre à ce besoin de modernisation. Ces budgets demeureront toutefois extrêmement contraints, notamment en raison du renouvellement simultané de nombreuses composantes navales : notre marine nationale doit ainsi, dans les prochaines années, poursuivre parallèlement la fabrication du 4ème SNLE de nouvelle génération, celle des 2 NTCD, de l'avion Rafale et engager la fabrication de la composante frégates.
Enfin, en cohérence avec les progrès de l'Europe de la défense et avec la constitution d'industries de défense transnationales, les Etats renforcent leur dialogue sur la préparation de l'avenir, la recherche et la technologie et les programmes, afin de pouvoir partager les coûts d'acquisition des nouvelles capacités opérationnelles. Le volume d'activités et le nombre de programmes en coopération seront donc croissants dans les prochaines années.
[2- l'offre industrielle]
Parallèlement à cette évolution importante de la demande des Etats, l'offre industrielle a également profondément changé : la volonté commune des Etats et des sociétés de défense de renforcer durablement les capacités de l'industrie européenne a permis la constitution de sociétés transnationales - EADS, Thalès, Bae systems - disposant de la taille suffisante pour rehausser la compétitivité européenne dans la gamme des armements de haut niveau technologique face en particulier aux groupes américains.
Cette consolidation industrielle porte certes principalement sur les secteurs aéronautique, électronique, missilier et spatial et pas encore directement sur le secteur naval, mais la part croissante des systèmes d'armes et des moyens de commandement dans les navires a une incidence de plus en plus forte sur le travail des maîtres d'uvre navals.
De plus, la consolidation de l'industrie navale est maintenant clairement engagée, notamment à l'initiative de l'industrie allemande, qui affiche clairement son ambition d'impulser la démarche européenne. Le regroupement entre HDW et le suédois Kockums constitue une première concrétisation de cette ambition à la fois politique et industrielle ; il renforce les capacités de l'industrie allemande du sous-marin qui domine déjà cette partie du marché international. J'ajouterai que les Etats-Unis, aujourd'hui moins présents sur le marché naval qu'ils ne le sont sur d'autres secteurs, peuvent néanmoins prendre des initiatives rapides et potentiellement porteuses de bouleversements, comme ils l'ont fait dans le secteur terrestre lorsque General Dynamics a racheté Santa Barbara.
Enfin, la relation entre les secteurs civils et militaires a été largement modifiée au cours des dernières années : un nombre croissant de secteurs d'activité et de technologies sont dorénavant tirés par le secteur civil, animé par des marchés plus importants et plus évolutifs. Cette évolution impose qu'une nouvelle relation de dualité soit construite pour combiner les pôles d'excellence et conserver un niveau de performance technique adapté.
[les réponses à cette nouvelle donne]
Pour répondre à cette nouvelle donne, l'industrie navale militaire, sur la base d'évolutions engagées dès les années 90 avec la constitution de partenariats et de sociétés communes par métiers ou par produits, auxquelles DCN a pris part, va poursuivre son adaptation selon 3 axes directeurs.
Le premier est le développement de la capacité de " premier contractant " fédérant différents industriels et sociétés afin d'apporter aux Etats acheteurs des solutions clés en main compétitives. Plus encore que par le passé, et comme le montrent les compétitions commerciales dans lesquelles vous êtes engagés, les offres comprendront certes, toujours des systèmes et des matériels navals, mais aussi des services (formation, transfert de technologie, soutien logistique) et d'autres volets plus éloignés des métiers traditionnels de la construction navale : aspects financiers (préfinancement, leasing), compensations industrielles.
Le deuxième axe directeur est le développement de partenariats entre sociétés, permettant de faire jouer les synergies industrielles ou commerciales et de partager les coûts d'acquisition de nouvelles technologies ou de nouveaux équipements de pointe.
Enfin, l'industrie européenne devra maintenir ou développer sa présence à l'exportation, qui outre l'innovation qu'elle nourrit grâce à la confrontation avec les compétiteurs, apporte des compléments d'activité et doit permettre de prendre en charge une part des coûts de structure et de R D. Il ne faut pas, pour autant, oublier que le premier marché est celui de l'Europe de la défense, en particulier celui de nos partenaires qui n'ont pas d'industrie navale nationale. De même, il faut rappeler que les marchés à l'exportation requièrent en général des produits moins complexes que ceux destinés aux marines européennes. L'industrie doit donc mettre en uvre une politique industrielle et une politique de produits permettant de développer les synergies entre les marchés nationaux et de coopération d'une part, et ceux à l'exportation, d'autre part.
[positionnement de DCN dans son environnement stratégique]
Chacun connaît bien les défis que DCN doit relever dans ce contexte stratégique pour continuer à répondre aux besoins de la marine nationale dans les meilleures conditions. Ces défis sont d'ailleurs liés, les uns aux autres.
Le premier est celui de la compétitivité industrielle, c'est-à-dire la capacité à concevoir, réaliser et maintenir en condition opérationnelle des produits compétitifs sur un plan technique tout autant que sur un plan financier. C'est d'abord au sein même de DCN que vous relevez et continuerez à relever ce défi, en développant la culture d'entreprise, en adaptant en permanence les méthodes et les capacités industrielles, en développant la maîtrise et la qualité des métiers, des services et des fonctions stratégiques qui font qu'un maître d'uvre naval est capable de se positionner correctement dans les coopérations européennes et de gagner des parts de marché à l'exportation. C'est aussi en rendant plus compétitifs les achats, qui représentent les deux tiers de votre chiffre d'affaires, dans toutes les dimensions concernées : procédures internes de spécification, cadre réglementaire, fournisseurs et partenaires.
Le deuxième défi est celui du développement des partenariats et des alliances, dont l'importance a été clairement démontrée dans le courant de la dernière décennie avec la constitution de sociétés comme UDS International, Eurotorp, la société commune DCN - Thalès pour la réalisation du système de combat des frégates Sawari 2 ou encore le partenariat industriel et commercial avec l'espagnol Bazan qui vous a permis de remporter la compétition au Chili avec le Scorpène. C'est au moyen de partenariats et d'alliances que vous parviendrez à consolider la capacité de DCN à être premier contractant et à redresser sa compétitivité.
Le troisième défi est celui du développement à l'exportation, sous réserve bien sûr que cette activité soit financièrement valable. La part de l'exportation dans l'activité de DCN est croissante ; elle est, pour les prochaines années, un complément indispensable à l'équilibre global de DCN. Or, vous avez pu constater, à l'occasion des dernières compétitions, le niveau d'exigence en termes de performances techniques, de prix, de qualité de services, la difficulté de la compétition commerciale internationale qui impose d'être au meilleur niveau, face à des concurrents qui, comme vous, s'améliorent en permanence.
Vous avez, afin de relever ces trois défis majeurs et de valoriser vos atouts, engagé depuis plusieurs années des chantiers très importants.
Depuis 1999 en particulier, dans le cadre d'un service à compétence nationale qui est directement rattaché au ministère, les relations avec la DGA ont été clarifiées grâce à la contractualisation des projets. Vous conduisez un ambitieux programme de réduction des coûts de 5 MdF sur 5 ans. Simultanément, des investissements industriels complémentaires et des recrutements, dans les activités et les métiers stratégiques, ont été décidés et sont actuellement en cours de réalisation. Vous avez mené à bien le processus de certification ISO 9001 de vos activités. Vous déployez progressivement le nouveau système de gestion au sein des établissements de DCN. Des mesures visant à adapter le cadre de gestion et des achats ont également été décidées par le Gouvernement.
Plusieurs succès ont été remportés à l'exportation et des programmes majeurs en coopération ont été lancés, les principaux étant respectivement la vente de frégates à Singapour et le programme franco-italien de frégates anti-aériennes Horizon. Le renforcement des partenariats se poursuit, notamment avec Bazan, dans le domaine des sous-marins et avec Thalès, dans le but d'accroître vos atouts à l'exportation et en coopération.
Vous avez su, en ce qui concerne le projet de nouveaux transports de chalands de débarquement NTCD, définir les termes d'une collaboration industrielle équilibrée avec les Chantiers de l'Atlantique et mener avec votre partenaire et votre client le dialogue correspondant. Cette collaboration, sous la maîtrise d'uvre de DCN, vous permet ainsi, en pleine conformité avec votre stratégie industrielle et commerciale, de répondre au besoin de la marine nationale, dans des conditions vraiment satisfaisantes et de disposer d'un produit compétitif à l'exportation, sur un marché qui devrait se développer.
De nombreuses étapes ont ainsi été franchies ; d'importants résultats ont été obtenus. Je tiens à vous rendre hommage pour le travail accompli, dans des conditions particulièrement exigeantes, puisqu'il s'agit simultanément de développer de nouveaux savoir-faire, de définir et de mettre en uvre de nouveaux modes de fonctionnement, de mener de nouvelles tâches, d'en expliquer le bien-fondé à toutes les catégories de personnels et à vos partenaires industriels sous-traitants, tout en réalisant l'activité prévue au profit de vos clients.
Cependant, si beaucoup a déjà été fait pour améliorer la compétitivité et la réactivité de DCN, il faudra continuer les efforts pour atteindre la nouvelle organisation nécessaire à la satisfaction des objectifs que nous nous sommes fixés. En outre, comme je l'ai indiqué il y a quelques instants, la consolidation de l'industrie navale européenne s'accélère.
C'est dans ce contexte que Jean-Marie Poimboeuf a engagé une réflexion ouverte sur les meilleurs moyens d'assurer le développement de DCN dans le concert européen. Cette réflexion a conduit à examiner les bénéfices que pourrait apporter l'acquisition par DCN d'une personnalité juridique, notamment en ce qui concerne le développement des alliances et des partenariats avec d'autres industriels nationaux ou européens ainsi que l'amélioration de la compétitivité des achats.
Je soutiens pleinement cette démarche de réflexion, à laquelle votre convention des cadres contribue de façon dynamique.
Je souligne que, bien évidemment, l'acquisition d'une personnalité juridique, si elle est décidée par le Gouvernement, ne sera pas une fin en soi mais un instrument supplémentaire mis au service de la stratégie que le management de DCN poursuit depuis plusieurs années, afin d'assurer sa compétitivité et son développement.
[l'importance du dialogue social]
J'attache une importance particulière à ce que les salariés et leurs représentants soient pleinement associés à ces réflexions et aux évolutions de DCN.
C'est dans cet esprit que DCN a déjà mis en place avec succès, début 2000, une démarche d'aménagement et de réduction du temps de travail adaptée à ses missions industrielles, à l'issue d'un processus de consultation des organisations syndicales et de l'ensemble des personnels.
C'est pour cela que le processus de concertation interne à DCN sur le plan " Azur " vu comme un choix d'évolution concrète est souhaitable, afin que l'entreprise prépare efficacement en son sein les moyens de satisfaire l'ambition industrielle que nous partageons tous.
Je suis convaincu que cette participation de tous est la clé de la réussite des évolutions qui sont nécessaires.
[conclusion]
Pour conclure cette intervention, je voudrais vous redire ma reconnaissance pour le travail qui a été accompli et ma confiance dans votre capacité à relever les défis à venir.
Demain comme hier, vous aurez à faire la preuve de votre compétence, de votre capacité de réaction et d'adaptation au service de notre défense. Je sais pouvoir compter sur chacun de vous et de ceux que vous représentez pour poursuivre la modernisation indispensable de DCN et ainsi, répondre de façon efficiente au besoin d'équipement naval de notre pays.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 20 juin 2001)