Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, sur les investissements étrangers agricoles dans les pays en développement, Paris le 28 juin 2010.

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Circonstance : Remise du rapport du Centre d'analyse stratégique sur "Les cessions d'actifs agricoles à des investisseurs étrangers dans les pays en développement" à Paris le 28 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le Directeur général
Mesdames et messieurs,
J'ai grand plaisir à venir ce matin au centre d'analyse stratégique où j'ai pris depuis quelques semaines mes habitudes. Je crois bien en effet que c'est la quatrième fois depuis le début du mois de juin que je me au 18 rue de Martignac. C'est dire si je vous fais travailler ! Cela montre aussi combien les activités du CAS sont nombreuses et intenses.
Avant toute chose, je tiens à saluer l'ensemble des personnes ayant contribué à l'élaboration de ce rapport.
Merci tout d'abord à Michel CLAVÉ qui a bien voulu prendre la direction du groupe de travail malgré ses graves problèmes de santé. Un groupe particulièrement vaste puisque il comporte plus de 70 membres. Des experts, des chercheurs, des ingénieurs agronomes, des responsables de l'agro alimentaire, des hauts fonctionnaires mais aussi des responsables d'ONG et des diplomates ont accepté de prêter leur concours à cette étude ambitieuse. Qu'ils en soient tous remerciés. Et qu'ils me pardonnent si je ne cite pas le nom de chacun de ces nombreux contributeurs.
Je remercie en même ceux qui ont supervisé ce rapport, le directeur général, Vincent Chriqui, son adjoint Pierre-François Mourier sans oublier Dominique Auverlot qui dirige le Département de la Recherche, des Technologies et du Développement Durable.
Et je n'oublie pas bien évidemment l'ensemble des rapporteurs : Blandine BARREAU, Patrick BROUCHET, Johanne BUBA et Caroline HALFEN.
Il y a deux semaines, s'est tenu ici même un séminaire sur la lutte contre la déforestation. Le rapport qui nous réunit ce matin aborde un problème directement lié puisqu'il traite de l'ensemble des investissements agricoles dans les pays du Sud.
Face à ce phénomène qui va prendre une ampleur considérable dans les années à venir, je voulais que le Centre d'analyse stratégique réfléchisse aux moyens de l'encadrer, de le réguler.
Car à l'évidence la façon dont les investisseurs étrangers envisagent leurs implantations agricoles dans les pays en développement d'Afrique, d'Amérique latine ou d'Asie, est loin de profiter toujours aux populations.
Faute d'un encadrement suffisant, trop d'achats de terres agricoles dans les pays en développement aboutissent à des effets déplorables.
Dans certains cas, comme en Afrique subsaharienne, les paysans sont exposés à des risques de spoliation.
Dans d'autres cas, le prix des denrées augmente sur les marchés locaux lorsque ce ne sont pas les surfaces dédiées aux cultures vivrières qui se réduisent comme peau de chagrin.
N'oublions pas non plus les fortes tensions sociales qui peuvent advenir entre les élites possédantes et les petits exploitants qui se retrouvent lésés.
Et lorsque des implantations sont avant tout motivées par un retour rapide sur investissement, les dommages sur l'environnement sont légion qu'il s'agisse de déforestation massive, de la diminution des ressources en eau ou de la pollution des nappes phréatiques par des produits chimiques.
Doit-on pour autant empêcher les investissements agricoles dans les pays du Sud ? Certainement pas.
Nous avons besoin d'une forte augmentation de la production agricole pour faire face à l'explosion des besoins alimentaires qui s'annonce.
Les indications fournies par la FAO sont on ne peut plus explicites : pour parvenir à nourrir 8 milliards d'habitants d'ici 2030, il faudra, chaque année, pas moins de 83 milliards de dollars d'investissements dans l'agriculture.
L'aide publique internationale ne saurait suffire, d'autant que la part de l'agriculture dans l'aide au développement a fortement diminué depuis une vingtaine d'années : 17 % En 1980 ; à peine 4 % en 2006 !
Les émeutes de la faim qui ont eu lieu dans plusieurs pays début 2008, nous ont montré les effets de ce sous- investissement.
Aujourd'hui, après des décennies de progrès dans la lutte contre la faim, ce fléau progresse à nouveau : plus d'un milliard de personnes dans le monde sont aujourd'hui sous-alimentées. C'est dire si les investissements agricoles sont une nécessité. Mais de toute évidence, pas dans n'importe quelles conditions.
Nous devons trouver les moyens de faire de ces investissements une vraie chance pour les populations des pays qui les accueillent.
Le grand défi en la matière est sans doute de concilier l'agriculture industrielle, que pratiquent les investisseurs, avec le développement de l'agriculture familiale traditionnelle.
Le modèle de l'agriculture contractuelle qui repose sur de petites exploitations offre de vraies perspectives en ce sens. C'est notamment ce modèle qui a été mis en place au Kenya par la Fondation de l'Agha Khan dans le cas de la culture des haricots verts.
Pour qu'un tel modèle puisse se développer avec succès, il est évident que certaines conditions doivent être réunies.
Des relations de confiance doivent être nouées avec les communautés locales. D'un autre côté, il importe que les investisseurs se sentent en sécurité dans le pays où ils s'implantent. Trop souvent ces conditions ne sont pas réunies. C'est pourquoi ce rapport nous livre des pistes particulièrement intéressantes pour les développer qu'il s'agisse de la promotion d'une politique foncière adaptée, de la sécurisation des investissements, mais aussi de l'engagement des investisseurs dans une démarche responsable.
La France est concernée à plusieurs titres. D'abord parce que nous ne saurions nous tenir à l'écart de ce défi crucial de la sécurité alimentaire dans le monde.
Ensuite parce que les investisseurs qui achètent, louent et exploitent des terres agricoles dans le Sud ne sont pas uniquement des pays qui manquent de ressources agricoles.
Il est vrai que la plupart des acheteurs sont aujourd'hui coréens, chinois, japonais ou issus des pays du Golfe.
Mais demain d'autres pays prévoient de développer leurs acquisitions de terres agricoles dans le monde, à commencer par la France.
Notre devoir est donc de réfléchir aux moyens de réguler ces investissements. Quand je dis « notre » je parle de nous, Français, mais aussi de l'Union européenne dans son ensemble.
Il est sans doute illusoire d'envisager une règle internationale qui s'imposerait à tous. Mais nous pouvons en revanche développer des partenariats avec les pays hôtes, pour les aider à élaborer des politiques foncières et agricoles appropriées aux besoins des populations.
Il nous appartient aussi, me semble t-il de promouvoir les formes d'investissement responsable, comparables au modèle de l'agriculture contractuelle que je viens d'évoquer à l'instant.
L'idée de crée un label européen en ce sens me semble particulièrement intéressante.
D'autres pistes d'actions sont envisageables : l'aide au développement de la formation, l'encouragement à l'innovation agricole comme à la constitution d'activités agro-alimentaires en aval de la production des denrées.
Cependant, face à cet immense défi de la sécurité alimentaire, peut-être faut-il aller plus loin en envisageant une modification des règles du commerce international.
Nous avons mis en place une politique agricole commune dans l'Union européenne qui déroge à l'évidence au principe de la liberté des échanges.
Il n'est sans doute pas aberrant d'envisager un mode de régulation comparable, si cela peut aider les pays les plus pauvres du monde à développer leur production agricole et à nourrir ainsi leurs populations. Le débat est ouvert.
Je laisse maintenant la parole au président du groupe de travail, Michel Clavé, qui va exposer plus en détails le contenu de ce rapport.
Je vous remercie.Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 30 juin 2010