Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à LCI le 15 juillet 2010, notamment sur la coopération militaire franco-africaine, la présence militaire française en Afghanistan et sur la vie politique en France.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Hervé MORIN, bonjour.
HERVÉ MORIN
Bonjour Christophe BARBIER.
CHRISTOPHE BARBIER
Faire défiler les troupes des anciennes possessions françaises en Afrique sur les Champs Elysées, le 14 Juillet d'hier n'avait-il pas tout de même un côté post-colonial ?
HERVE MORIN
Non, très franchement, ce 14 Juillet c'est d'une part un homme au lien qui nous unit à l'Afrique. Je vous rappelle que les forces noires, les troupes noires ont participé à la libération de la France, ont permis à la France de retrouver son honneur en 1944. Bref. Il s'agit à la fois de rendre hommage et surtout, d'inscrire et de symboliser la transformation des relations que nous avons avec les pays africains.
CHRISTOPHE BARBIER
Elle s'amoindrit. On n'a plus que deux bases. On n'a plus que deux bases et de moins en moins de soldats.
HERVE MORIN
Non, non, non. La rénovation de nos accords de défense, qui sont désormais des accords de défense dans lesquels il n'y a plus de clause secrète, dans lesquels nous avons supprimé tout ce qui relève des clauses de sécurité intérieure de participation aux problèmes de troubles à l'ordre public...
CHRISTOPHE BARBIER
Il reste le symbolique.
HERVE MORIN
Le fait que nous engagions une transformation de notre relation pour que ce soit désormais une relation de coopération, d'entraînement, de formation des forces africaines pour construire l'architecture de paix et de sécurité en Afrique, pour que les Africains puissent assurer par eux-mêmes des opérations de stabilisation, de maintien de la paix, c'est cela le symbole de la participation des forces et des armées africaines. C'est la rénovation d'un accord et la transformation d'une relation qui est désormais - d'une relation qui est entre pays qui participent ensemble à des opérations de maintien de la paix ou d'interposition.
CHRISTOPHE BARBIER
L'opinion française ne soutient plus la présence de nos soldats dans le conflit afghan. Quand commencerons-nous le désengagement de nos troupes ?
HERVE MORIN
C'est très difficile d'expliquer à nos compatriotes qu'à sept mille kilomètres, dans une zone qui n'est pas une zone d'influence traditionnelle de la France, une partie de notre sécurité s'y joue. Pourtant, une partie de la sécurité et de la paix se joue en Afghanistan.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais pour combien de temps ?
HERVE MORIN
Ce que je demandais à l'Alliance atlantique depuis des années et qui a été inscrit dans le plan McCRYSTAL, c'est-à-dire le fait que désormais nous ayons des points de rendez-vous, que nous ayons des étapes avec la possibilité de dire à l'opinion publique : « voyez, nous sommes à cette étape et nous sommes en mesure de pouvoir répondre à l'objectif que nous nous étions fixé ». Par exemple, nous nous sommes fixés comme objectif qu'à partir du début de l'année prochaine, nous soyons en mesure de transférer aux Afghans un certain nombre de districts et de zones qui seront sous leur entière responsabilité parce que l'armée nationale afghane augmente, parce que la police afghane monte en puissance et parce que les institutions afghanes prennent leur place. Donc le rendez-vous que je vous donne, c'est l'année 2011. Si au cours de l'année 2011, nous ne sommes pas en mesure de tenir les objectifs que nous nous sommes fixés, vous aurez le droit de me dire : « mais que faisons-nous en Afghanistan ? Est-ce que nous avons échoué ou pas ? ». Mais moi, j'ai l'espoir profond qu'au cours de l'année 2011, notamment en Surobi qui est une zone qui s'est considérablement calmée, stabilisée, ou le développement se met en place, j'espère bien que nous serons en mesure de pouvoir au moins engager le transfert de responsabilités.
CHRISTOPHE BARBIER
Toujours pas de commande ferme pour l'avion Rafale. Reconnaissez-vous que la France est leurrée par le Brésil ?
HERVE MORIN
Non. Le Brésil est un partenaire stratégique absolument majeur. Le Brésil a décidé de refaire son armée avec notamment l'industrie française.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais ce n'est pas signé.
HERVE MORIN
Je vous rappelle que nous avons vendu aux Brésiliens cinquante et un hélicoptères. C'est le deuxième plus grand contrat de vente d'hélicoptères que n'avait jamais signé EUROCOPTER. Je vous rappelle que nous avons signé pour la construction de sous-marins. Là aussi, c'est un accord stratégique majeur.
CHRISTOPHE BARBIER
Et le Rafale ?
HERVE MORIN
Et le Rafale, moi j'attends tranquillement, sereinement l'annonce ou la déclaration du président LULA, qu'il avait prévue au cours du mois de juillet.
CHRISTOPHE BARBIER
Le président s'est dit très inquiet pour l'otage français retenu au Sahel. Avons-nous des nouvelles ?
HERVE MORIN
Ecoutez, les nouvelles que nous avons ne sont pas... Il n'y a rien de nouveau sur cette affaire. Voilà. Notre compatriote est entre les mains d'un réseau qui est un réseau extrêmement dur.
CHRISTOPHE BARBIER
Qui menace de l'exécuter.
HERVE MORIN
Et qui menace, en effet, de l'exécuter. Nous mettons tout en oeuvre pour essayer de faire en sorte que notre compatriote puisse revenir à nous.
CHRISTOPHE BARBIER
Et l'agent de la DGSE retenu en Somalie toujours ?
HERVE MORIN
Ecoutez, voilà, c'est très compliqué. Comme vous le savez, la Somalie est un pays...
CHRISTOPHE BARBIER
Sans ordre.
HERVE MORIN
Sans ordre, appelons ça comme ça. Et donc, là aussi nous mettons en oeuvre tout ce que nous pouvons pour que notre compatriote puisse revenir.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous avez vingt-trois membres dans votre cabinet au lieu des vingt autorisés. Les règles d'économies tombent, le président les a rappelées. Allez-vous vous mettre en règle ?
HERVE MORIN
Ecoutez, oui, progressivement. J'avais un certain nombre de collaborateurs dont le départ était déjà engagé et donc je ne les remplacerai pas. Donc, au mois de septembre je serai en règle.
CHRISTOPHE BARBIER
Certains s'occupent-ils de vos affaires du Nouveau Centre et pas de vos affaires militaires ?
HERVE MORIN
Certains s'occupent de politique, oui, en effet. Des relations avec le parlement, de la vie quotidienne d'un homme politique.
CHRISTOPHE BARBIER
Qui est chef de parti et qui est ministre.
HERVE MORIN
Un ministre, c'est aussi un responsable politique, et il est donc tout à fait logique qu'un certain nombre d'entre eux, peu nombreux, mais que quelques-uns aient une double casquette en quelque sorte.
CHRISTOPHE BARBIER
Seriez-vous prêt à rendre votre appartement de fonction si le président vous le demandait ?
HERVE MORIN
Ecoutez, moi je ne vis pas dans l'appartement de fonction du ministère de la Défense.
CHRISTOPHE BARBIER
Qui l'occupe ?
HERVE MORIN
Personne. Il m'arrive, pour tout vous dire, d'y prendre un repas quand je suis tout seul à midi, mais c'est à peu près tout ce que j'en fais dans la mesure où, vous savez, je pense que c'est bon d'avoir une vie à côté de celle des palais nationaux.
CHRISTOPHE BARBIER
On voit la vraie vie des gens.
HERVE MORIN
Non, ce n'est pas ça. Mais c'est que je pense que pour une famille, et notamment pour des enfants, c'est assez déstructurant de vivre dans un palais national et qu'il vaut mieux vivre dans un appartement, comme chacun de nos compatriotes, et de payer son loyer.
CHRISTOPHE BARBIER
Selon les sondages, le président de la République lundi soir à la télévision n'a pas convaincu au-delà de ses partisans. Vous-même avez-vous été convaincu ?
HERVE MORIN
Ecoutez, moi je pense qu'il y avait un effort de pédagogie, de mise en perspective, c'est cela. Et puis, par ailleurs, un certain nombre d'annonces et moi je trouve que l'idée d'ouvrir une nouvelle ère en terme de règles sur la démocratie, c'est bien. On a eu toute une période qui a été toute la période des années 90/2000 où la France a beaucoup progressé : les lois sur le financement des partis politiques, le contrôle des comptes de campagne, etc, etc, le début des règles sur le cumul des mandats. Je pense que cette ère-là est terminée et qu'une nouvelle s'ouvre. Et que cette nouvelle ère va enfin nous mettre dans la même situation que les autres démocraties occidentales. Je prends des sujets, des exemples. Le premier sujet, c'est celui du cumul des mandats. Je pense qu'un jour, la France se mettra au diapason des autres démocraties européennes.
CHRISTOPHE BARBIER
Un homme, un mandat.
HERVE MORIN
Et que les parlementaires n'auront qu'un seul mandat : le mandat de député ou de sénateur. Je pense par exemple aussi qu'il faudra revoir et repeigner les règles sur le cumul de fonction professionnelle et de fonction élective. Je pense qu'il peut y avoir en cela des germes de confusion des genres.
CHRISTOPHE BARBIER
Avocat d'affaire et député par exemple ?
HERVE MORIN
Avocat d'affaire et député, c'est un peu compliqué même si vous y mettez toutes les règles, même si vous êtes extrêmement scrupuleux, vous n'êtes jamais à l'abri qu'à un moment ou à un autre, on considère que votre intervention dans tel dossier ou la fonction d'après ou la fonction d'avant vous amène à... Et puis enfin, peut-être aussi, un certain nombre de règles sur le cumul de fonctions partisanes et de fonctions ministérielles. Donc je pense qu'il y a une nouvelle étape à franchir sur ce sujet.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Nouveau Centre a-t-il été financé par Liliane BETTENCOURT ?
HERVE MORIN
[rires] Non. Mais vous savez, si Liliane BETTENCOURT nous avait financé...
CHRISTOPHE BARBIER
Vous le diriez.
HERVE MORIN
Je vous le dirais et il n'y aurait aucun problème avec ça.
CHRISTOPHE BARBIER
La réforme des retraites va commencer son parcours au parlement. Ça commence par les commissions, rendez-vous en septembre dans l'hémicycle. Les députés alliés à Dominique de VILLEPIN ne voteront pas la réforme en l'état. Et vous, les députés du Nouveau Centre la voteront-ils ?
HERVE MORIN
Pour moi, il y a deux temps dans cette réforme des retraites. Il y a l'urgence et l'urgence, c'est le projet du gouvernement et il faut le faire. Et donc moi, j'inviterai les parlementaires du Nouveau Centre à voter la réforme des retraites. Et puis il y a le projet du Nouveau Centre qui est celui d'aller vers un système de retraite à la carte, le compte notionnel, ce qu'on a fait en Suède, ce qu'on a fait en Pologne ou ce qu'on a fait en Italie. C'est-à-dire aller vers un système dans lequel on uniformise et on harmonise l'ensemble des régimes de retraite, et où il y a une espèce de contrat entre la Nation et chacun des citoyens sur un nombre d'années ou d'heures de travail que nous devons faire, chacun baptisant sa retraite à son rythme, en fonction de périodes de non activité, de périodes sabbatiques, en fonction de votre propre activité professionnelle, avec cette capacité de pouvoir aller très loin, très tardivement si vous le souhaitez, et continuer à travailler au-delà de soixante, soixante-cinq ans si certains souhaitent bâtir leur retraite sur des durées beaucoup plus longues. Mais qu'on ait un système transparent, où chaque citoyen puisse savoir à chaque moment où il en est dans la construction de son régime de retraite.
CHRISTOPHE BARBIER
Nicolas SARKOZY vous a demandé à plusieurs reprises de renoncer à une ambition présidentielle personnelle ou pour le Nouveau Centre. Maintenez-vous cette ambition pour le Nouveau Centre et acceptez-vous d'être limogé du gouvernement en octobre pour cause d'ambition présidentielle ?
HERVE MORIN
La famille centriste est une famille qui vit dans l'opinion publique française. Et d'ailleurs, elle vit tellement bien qu'à chaque élection présidentielle, il y a un homme ou une femme - jusqu'alors un homme - qui a porté ce courant de famille profondément européen. Vous voyez qu'on a besoin d'Europe. On a besoin d'une Europe fédérale, on a besoin d'une Europe qui soit capable d'aller vers la convergence budgétaire, la convergence fiscale, capable de porter la croissance de demain, avec des politiques industrielles, des politiques de recherche, et que l'Europe, ça ne peut pas être simplement une zone de libre échange et une monnaie. Et donc il n'y a que les centristes qui portent cette ambition européenne.
CHRISTOPHE BARBIER
Pour porter cette ambition, êtes-vous prêt donc à vous faire limoger du gouvernement en octobre ?
HERVE MORIN
Mais écoutez, pour moi, ce n'est pas un sujet puisque ce n'est pas une question qui relève de ma compétence et de ma responsabilité.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous comprendriez qu'un gouvernement resserré, ce soit un gouvernement 100 % UMP autour du président ?
HERVE MORIN
Ecoutez, ça n'a jamais été jusqu'alors la construction des gouvernements depuis 2007.
CHRISTOPHE BARBIER
Hervé MORIN, merci. Bonne journée.
HERVE MORIN
Merci.
Source http://www.nouveaucentre.fr, le 21 juillet 2010