Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "Radio Orient" le 16 mai 2001, sur l'élection de M. Amr Moussa à la tête de la Ligue arabe et sur la situation au Proche Orient.

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Média : Radio Orient

Texte intégral

Q - Vous avez travaillé pendant longtemps avec M. Amr Moussa qui vient de prendre ses fonctions à la Ligue arabe. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué chez lui, et pensez-vous qu'il va réactiver la Ligue arabe ?
R - J'ai surtout travaillé avec Amr Moussa depuis 1997 depuis que je suis moi-même ministre des Affaires étrangères et je l'ai trouvé remarquable : remarquable sur le plan humain d'abord, c'est un homme très chaleureux, très dynamique, très organisé qui a toujours une idée précise de là où il veut parvenir et de la façon dont on peut utiliser un entretien, une réunion ou une rencontre et tout cela d'une façon agréable et gaie, alors que souvent nous avons à parler de choses difficiles et pénibles puisque la paix n'est toujours pas là au Proche-Orient et c'est un des éléments permanents de la concertation franco-égyptienne.
Par ailleurs, c'est un homme inventif, imaginatif. Il n'est pas du tout routinier, il n'est pas du tout diplomatique au mauvais sens ancien du terme. Il incarne vraiment ce que j'aime : une approche très moderne de la diplomatie et la recherche de résultats sans détours. C'est clair, c'est net et très actif, c'est donc un homme qui a des qualités tout à fait remarquables. Il donne la meilleure image de son pays, il défend les intérêts de son pays remarquablement et en même temps, et cela fait la transition avec ses activités nouvelles, ses responsabilités nouvelles, il a toujours intégré dans son approche une vision plus large, il a une vision arabe. Mais en même temps c'est quelqu'un qui a une extraordinaire expérience du dialogue avec les autres : le dialogue avec les Africains, le dialogue avec les Européens, avec les Russes, les Américains, donc le dialogue avec les Occidentaux aussi globalement.
Il maîtrise complètement la dialectique qui part d'une approche égyptienne ou arabe et puis finalement la compréhension de l'approche des autres pour chercher des synthèses pour chercher à progresser. Donc au total un des plus remarquables ministre des Affaires étrangères qu'il y ait eu ces dernières années et je souhaite naturellement que ces très grandes qualités puissent être employées pour donner à la Ligue arabe un nouveau souffle, mais aussi je le souhaite, de la même façon, avec les Européens et avec les Occidentaux.
Q - La situation au Proche-Orient se dégrade, il y a plus de morts, de blessés. La France a déjà invité Sharon et Arafat qui vont bientôt venir. Le président Chirac n'a pas cessé d'appeler à la voix de la raison. Y a-t-il encore une place et une possibilité pour la voix de la raison ?
R - Il ne faut jamais baisser les bras. La situation actuelle est très mauvaise. L'engrenage de l'affrontement se poursuit, la confiance mutuelle a été ruinée. Ceux qui défendent la paix, le dialogue et une solution équitable de part et d'autre sont pour le moment écartés, discrédités, réduits au silence.
C'est extrêmement dangereux pour maintenant, on le voit déjà, mais pour l'avenir cela pourrait être encore plus. Ce que nous avons à faire c'est d'agir sans relâche pour arrêter cet engrenage, ce sont tous les pays de bonne volonté, des pays de la région comme l'Egypte, la Jordanie et d'autres, et d'autre part les Européens, les Américains et les autres. Il faut qu'on agisse sans relâche parce que de toute façon il n'y a pas d'autres solutions que la reprise un jour, le plus tôt possible j'espère, d'une vraie discussion politique. Il n'y a pas d'alternative à une recherche de la cohabitation, de la coexistence la plus paisible possible entre les Israéliens et les Palestiniens qui de part et d'autre, ont droit à la sécurité, ont droit à une existence digne et à se développer.
Il n'y a pas d'alternative et les choses ne peuvent pas être réglées par la force, simplement il peut y avoir à certains moments des groupes ou même des gouvernements qui ont une tentation de la suprématie militaire ou de la force. Cela bloque les choses, cela empêche la relance de la discussion politique, cela ne résout rien. Donc notre action c'est de raccourcir le délai au terme duquel inévitablement la discussion politique reprendra.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2001)