Texte intégral
C'est un plaisir pour moi de me trouver aujourd'hui parmi vous pour aborder et débattre d'une conséquence possible mais néanmoins très importante de l'allongement de la durée de la vie : la Dépendance.
L'Etat et les collectivités territoriales de la République doivent aujourd'hui relever ensemble un formidable défi démographique qui va dans les années à venir, avec le vieillissement de la population française, bouleverser les grands équilibres de notre société.
Ce phénomène démographique doit aujourd'hui être appréhendé comme une inflexion considérable des trajectoires qui ont été suivies jusqu'à présent, à partir des grands équilibres de notre population qui demeurèrent relativement stables depuis la sortie du deuxième conflit mondial.
C'est à partir de ces équilibres historiques que la plupart des modèles économiques et sociaux, dont la France peut légitimement s'enorgueillir, ont été bâtis.
Les paramètres fondateurs de nos modèles économiques et sociaux sont aujourd'hui en pleine mutation : avec la mondialisation de l'économie naturellement, mais aussi, pour ce qui nous concerne comme de nombreux autres pays, avec cette bonne nouvelle qu'est l'allongement continu de l'espérance de vie.
Il est vain de vouloir s'insurger contre ces deux mouvements contemporains, de les ignorer ou de les nier : c'est l'évolution de notre Monde, et il nous faut non seulement nous y adapter mais surtout en anticiper ses effets.
Les valeurs de Liberté d'Egalité et de Fraternité qui sont le ciment de notre Nation doivent naturellement demeurer au coeur de notre inspiration pour bâtir les modèles qui seront le mieux à même d'affirmer notre foi dans une France solidaire où il fait bon vivre.
Dans notre monde en mouvement, il n'y a pas de place pour la Nostalgie des systèmes anciens qui ont incontestablement contribué au confort de vie de générations de Français.
Personne ne doit aujourd'hui rester de manière intransigeante, le regard figé sur un passé éternel en se crispant sur le postulat erroné d'un monde immobile.
Réformer, c'est s'inscrire avec réalisme dans un mouvement dynamique d'adaptation aux réalités de notre Monde.
Réformer, c'est avoir le courage de bousculer, s'il le faut, certaines confortables certitudes dépassées qui sont ancrées dans l'histoire. Réformer, c'est ne rien céder des valeurs qui fondent notre société, c'est maintenir sans faiblesse les objectifs d'équité, de justice et de bien-être pour nos concitoyens. Mais c'est aussi adapter et faire évoluer les moyens et modalités pour parvenir à ces objectifs. Réformer, c'est refuser l'immobilisme et la fatalité des trajectoires vouées à l'échec.
Réformer, ce n'est pas réduire l'intérêt général à la somme des intérêts particuliers ou catégoriels, mais confronter la responsabilité institutionnelle et collective à la conscience individuelle.
Réformer, enfin, c'est accepter avec courage de troubler dans l'instant, et de n'être reconnu que plus tard. Les réformes conduites par ce Gouvernement sous l'autorité du Président de la République depuis le début du quinquennat, le sont dans cet esprit. La Réforme des retraites qui s'achève est une illustration parfaite de cette volonté de faire face avec détermination aux évolutions de notre Monde en préservant notre avenir et celui des générations les plus jeunes de manière rationnelle, juste et équitable.
La Réforme de la prise en charge de la dépendance, annoncée par le Président de la République, sera bientôt lancée, elle sera inspirée de ce même esprit de responsabilité et d'équité.
Mesdames et Messieurs les Présidents de Conseils Généraux, je voudrais à présent et avant nos débats vous livrer ma vision de ce que devrait être cette réforme.
Si j'utilise le conditionnel, c'est que cette réforme, au vu de ses enjeux, doit faire l'objet, non seulement de consultations et de concertations, mais d'un véritable débat préalable avec l'ensemble des français.
N'attendez donc pas de moi aujourd'hui, que je vous livre 'clé en main' un scénario de réforme en développant une solution préconstruite ou préorientée d'ailleurs inexistante.
Avant de développer ensemble ce que nous allons faire, et comment nous allons le faire, nous devons nous poser des questions fondamentales au préalable : quels sont les objectifs de cette réforme ? Quels en sont ses desseins ? Quels en sont ses enjeux ?
Je refuse pour ma part d'aborder dès à présent la construction de cette réforme, même si, comme vous, j'en connais intimement tous les paramètres.
Gardons-nous, Mesdames et Messieurs, d'aborder un peu trop facilement les solutions et de focaliser les débats sur des modalités de mise en oeuvre avant même d'avoir fixé les objectifs de cette indispensable évolution qui est aujourd'hui voulue, à juste titre, par le Président de la République avec une écrasante majorité des français.
Notre démarche doit avant tout, et au delà de toute autre considération, répondre aux besoins et aspirations de nos concitoyens. Elle doit ensuite intégrer, en aval, des données objectives et indiscutables de nature démographique et économique ; elle doit aussi prendre en compte les équilibres inter-générationnels à long terme.
Ce n'est qu'à partir de ce constat objectif et partagé, et d'un certain consensus sur les buts à atteindre que les solutions devront être discutées, concertées, et finalement arrêtées en pleine responsabilité par le Gouvernement avant d'être soumises au Parlement.
Nous sommes donc à la veille d'ouvrir un débat essentiel de société pour poser les fondements de cette réforme et la bâtir ensemble.
C'est donc dans une approche globale que nous allons nous engager sous l'impulsion du Président de la République, approche qui ne peut en aucun cas se limiter à l'évocation du seul financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et à son évolution dans le temps, même si cette dernière constitue une pierre angulaire de l'édifice à construire.
Ce n'est pas un problème auquel nous avons à faire face, ce n'est pas plus une fatalité à laquelle nous sommes confrontés, Il s'agit pour nous tous de bâtir un projet essentiel et ambitieux pour les grands équilibres de notre société et de lui apporter nos énergies, nos imaginations, nos forces et nos moyens.
« Faut-il passer de l'APA au 5ème risque ? » tel est le titre que vous avez souhaité donner à la table ronde qui va s'ouvrir.
C'est une question très importante qu'il nous faudra naturellement trancher le moment venu et dont on doit pouvoir débattre sans tabous et avec réalisme.
Le financement de l'APA, sa forme, son évolution sont autant de sujets que nous ne pouvons ni ne devons esquiver, mais ce ne sont pas les seuls. Ils sont sans doute perçus aujourd'hui -et je le regrette- comme l'unique enjeu supérieur, et même l'objet central de la réforme que nous devons conduire.
Permettez moi de contester cette approche réductrice au regard du fait de civilisation qui s'impose à nous.
Les financements très importants qui à l'évidence seront nécessaires ne constituent pas l'enjeu de la réforme que nous allons conduire prochainement avec les français, ils n'en sont que les moyens indispensables.
Les sources de financement et leur mode d'affectation selon le niveau de dépendance ou de revenus, n'en sont que les modalités.
Il y a dans la réforme que nous devons conduire d'autres pierres angulaires, d'autres volets tout aussi importants qui ne doivent en aucun cas être abordés de manière accessoire et qui, comme l'APA balisent le chemin critique que nous aurons à parcourir.
Je voudrais évoquer ces autres volets qui, comme l'APA, sont à mes yeux, les plus importants :
* La solvabilisation des Français face au reste à charge : il s'agit, vous le savez d'un problème qui devient presque insurmontable pour de nombreux français entrés en dépendance et leurs familles. Ils doivent faire face à un prix de journée pour l'hébergement qui est, nous le savons, très sensiblement supérieur à leurs revenus. Si la solidarité nationale n'a pas vocation évidemment à prendre en charge les frais d'hébergement par exemple, elle doit en revanche se préoccuper de cette situation et se porter garante pour chaque français d'un système nouveau à imaginer et à créer. Il nous faudra inévitablement innover pour atténuer ce reste à charge en bâtissant une nouvelle approche de la politique immobilière des établissements pour personnes âgées. Il faudra également réfléchir à l'adaptation de certaines normes, dans le respect de la qualité de l'accueil.
* Les politiques de prévention qu'il nous faudra développer à une bonne échelle de manière systématique. Ces politiques doivent s'adresser en priorité aux personnes âgées les plus fragiles pour éviter qu'elles ne tombent en dépendance. La prévention porte en elle tous les espoirs des français pour 'bien vivre longtemps' en prévenant la dépendance ou en en reculant l'échéance.
Les enjeux des politiques de prévention sont considérables pour les personnes elles mêmes, ils le sont aussi pour les finances publics !! Ces politiques de prévention sont aujourd'hui balbutiantes, elles devront demain couvrir un large spectre allant de consultations systématiques à certains âges de la vie à la prévention des accidents domestiques qui aujourd'hui encore, chez les personnes âgées sont à l'origine d'un véritable 'bilan de guerre', de drames humains insoutenables et de coûts considérables pour la collectivité publique.
* Le respect du libre choix des français, qui est, vous le savez, pour une majorité de nos concitoyens de terminer leur vie chez eux. Alors que bientôt le tiers de notre population nationale sera aînée il nous faudra adapter certaines politiques publiques dans le temps à cette réalité démographique, je citerai naturellement le logement, l'urbanisme, la mobilité, l'inclusion sociale...mais aussi le développement à grande échelle des géronto-technologies selon un modèle économique pertinent qui est en cours d'élaboration.
La « Mission vivre chez soi » que j'ai lancée et dont j'ai reçu les premières conclusions en Juin dernier servira de base à cette approche essentielle qui sera aussi le cadre naturel d'application des politiques de prévention que j'évoquais tout à l'heure.
C'est dans cette approche ambitieuse qu'il nous faudra aussi inscrire l'évolution, la consolidation et la professionnalisation des services à domicile.
Ce secteur connait aujourd'hui de réelles difficultés, mais il est promis à un bel avenir ; il sera créateur d'emplois durables et non délocalisables, mais il verra aussi l'émergence de nouveaux métiers. Ce secteur essentiel et son évolution constituent aussi un enjeu majeur de la réforme annoncée.
Mesdames et Messieurs les Présidents de Conseil Généraux permettez moi à présent en conclusion de vous faire partager une conviction : Nous ne devons pas simplement nous contenter de résoudre les problèmes réels qui se posent aujourd'hui dans un système de compensation qui a atteint ses limites.
Nous ne devons surtout pas engendrer, pour les personnes dépendantes un système qui comme l'APA à sa création n'était pas solvabilisé sérieusement sur le long terme alors que la prévisibilité démographique existait pourtant.
Cette imprévoyance historique coupable a fait peser sur les départements et sur la fiscalité locale l'essentiel des accroissements de charge, elle a induit des difficultés préoccupantes dans les équilibres budgétaires de certaines collectivités mais surtout, au-delà d'une certaine iniquité territoriale globale, elle a engendré en conséquence de profondes iniquités pour les personnes dépendantes elles-mêmes ...cette rupture d'égalité du citoyen face à la dépendance sur notre territoire national doit cesser !
Nous ne devons pas concevoir la prise en charge de la dépendance seulement comme une nouvelle charge sociale inéluctable. Soyons vigilants à ne pas nier la réalité de demain : une population active réduite de 10% ne pourrait pas supporter la charge d'une population dépendante qui aura doublé.
Mesdames et Messieurs, cette réforme globale mérite d'être portée par une ambition et une véritable vision partagée.
Nous nous devons de l'envisager comme l'expression d'une solidarité nationale renouvelée et renforcée. Il nous faudra l'inscrire dans une démarche dynamique au sein d'un écosystème du vieillissement à créer, porté par une économie durable et performante que nous aurons su bâtir. Tels sont les véritables enjeux de la Réforme voulue et annoncée par le Président de la République.
Plus que la résolution d'un simple problème conjoncturel de financement et de ses modalités d'application, il s'agit là d'un véritable projet de société sur le long terme qui doit être appréhendé dans sa globalité et faire l'objet d'un débat préalable ouvert et sans tabous avec l'ensemble des français. Ce débat devra placer les besoins et les aspirations de nos aînés au coeur de nos préoccupations.
Il révèlera le champ des possibles, il révèlera aussi comment devront s'articuler la responsabilité collective, la responsabilité individuelle et la responsabilité familiale face à la dépendance.
De ce débat naîtront les solutions que le Gouvernement arrêtera et présentera au Parlement.
Permettez-moi de formuler un dernier voeu en guise de conclusion : je souhaiterais qu'en lieu et place de « 5ème risque » ou de « financement de la dépendance » on donne un titre plus conforme à l'ambition et aux perspectives de cette réforme : la réforme « Autonomie Avenir des Aînés ».
source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 22 octobre 2010