Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Le Nouvel Observateur" du 1er avril 1999, sur les objectifs de l'OTAN dans le conflit du Kosovo, notamment la volonté d'arrêter la purification ethnique, sur la nécessité de construire une Europe de la défense et sur le rôle de la Russie face à M. Milosevic.

Prononcé le 1er avril 1999

Intervenant(s) : 

Média : Le Nouvel Observateur

Texte intégral

Le Nouvel Observateur :
Lobjectif des frappes de lOtan était de « casser lappareil de répression serbe » avec des frappes aériennes. LOtan ne sest-elle pas trompée de guerre ?
Alain Richard :
Dire que la France et ses alliés se trompent de guerre, ce serait oublier que la guerre est déjà au Kosovo, que cest Milosevic qui la fait, contre son propre peuple, au nom dune démarche délimination ethnique. Nous devons en combattre et les principes et les méthodes. Cest Milosevic qui sest trompé de siècle. Nous nous tromperions si nous le laissions faire. Notre objectif est de le priver, au maximum, de ses moyens de répression, et de lorganisation militaire-policière qui est la base de son pouvoir. Nous attaquons la structure même : les moyens de commandement, les systèmes de communication, mais également toutes les forces employées. Cest long, cest difficile, car nous avons fait le choix, nous, dagir en veillant au sort des populations civiles. Eviter les atteintes aux civils, cela nécessite du temps et une grosse prise de risques pour nos pilotes. Mais cest la réponse réaliste aux exactions organisées et protégées par larmée serbe, qui tente déliminer les albanophones du Kosovo.
N. O. :
Aujourdhui, le but de la guerre est-il toujours le même ? Un Tomahawk peut-il empêcher une entreprise de purification ethnique ?
A. Richard :
Le but de notre action ne change pas. Il est de faire du Kosovo un espace pluricommunautaire vivant en sécurité au sein de la Yougoslavie. Lattitude de Milosevic nous conforte au contraire dans nos convictions. Tout montre quil sapprêtait, une fois encore, à une vaste opération militaire et policière contre sa population. La concentration depuis plusieurs semaines de forces de répression au Kosovo et à proximité en témoignait, tout comme, malheureusement, la multiplication des exactions commises par les unités paramilitaires. Cest donc au passage une erreur de raisonnement de penser que ce sont les frappes qui ont déclenché loffensive du pouvoir serbe. Elle se serait produite tout autant si, après le blocage des pourparlers, nous étions restés inactifs. Je répondrai à votre question sur le Tomahawk par une autre : croyez-vous vraiment que le travail de la police à Pristina est plus facile maintenant que son quartier général a été entièrement détruit par laviation de lOtan ? Notre non-intervention aurait-elle empêché Milosevic de mettre le Kosovo à feu et à sang et aurait-elle, par miracle, ouvert un boulevard aux démocrates serbes ? Quant à lintervention au sol, pour exercer une pression suffisante sur les moyens militaires yougoslaves, elle demanderait au moins un mois et demi pour la mise en place de la force nécessaire. Ce nest pas un moyen plus rapide que les opérations aériennes pour démanteler le potentiel agressif serbe.
N. O. :
LOtan peut-elle être le seul fer de lance de lUnion européenne ? Lheure dune véritable Europe de la défense nest-elle pas venue ?
A. Richard :
Au-delà de la résolution de cette crise qui est notre objectif immédiat, cest lavenir de lEurope de la défense qui se joue actuellement. Cest maintenant que les Européens sont en mesure de démontrer quils savent aller au-delà des déclarations dintention. La grande force des Etats-Unis dans les conflits, cest quils décident et quils agissent. LEurope ne peut être partie prenante sur les enjeux réels que si elle satisfait à ce double impératif, et cela en respectant lautonomie de décision des Etats-membres. Nous sommes au travail avec les Britanniques et avec tous les autres Européens, pour donner à lEurope les moyens dagir de façon plus autonome, dabord sur les situations qui les concernent directement. Cest en prenant leurs responsabilités aujourdhui au Kosovo que les Européens rendront cette démarche pleinement crédible. Cest un enjeu fondamental de cette crise, et il me tient particulièrement à coeur : nos démocraties font face à lépreuve de la volonté collective contre la violence brute. Nous diviser, tergiverser, cest renforcer un leadership américain sans contrepoids. Et il vaut mieux gérer notre engagement collectif avec les moyens techniques de lOtan, qui sont disponibles aujourdhui, que dimproviser. Quand notre volonté politique commune sera confirmée, il sera possible de proposer des outils sous maîtrise européenne.
N. O. :
Quelles sont les conditions dun retour à une solution politique ? Croyez-vous à une médiation russe ?
A. Richard :
Les objectifs que nous poursuivons sont larrêt immédiat des actions violentes contre la population kosovar et ladhésion de Belgrade à un règlement politique équitable permettant aux communautés du Kosovo dexercer les droits collectifs qui leurs sont refusés depuis dix ans. Nous encouragerons toute initiative, notamment russe, qui pourra permettre une acceptation par Belgrade dun règlement politique garanti. Pour linstant, on doit constater quà chacun de nos appels, quà chacune des initiatives diplomatiques internationales M. Milosevic sabstient dapporter une réponse constructive. Nos partenaires russes, qui sefforcent depuis dix ans de trouver un nouveau rôle international fondé sur la coopération ils jouent un rôle très positif à nos côtés en Bosnie par exemple , ne vont pas sacrifier tout ce travail pour complaire aux dirigeants yougoslaves, dont ils pensent la même chose que nous. Mais leurs liens spécifiques et leur volonté politique peuvent favoriser un déblocage. Ce serait utile pour eux, pour la communauté internationale, et surtout pour les victimes du drame au Kosovo.
Propos recueillis par JEAN-GABRIEL FREDET
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 12 avril 1999)