Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Depuis ma première intervention devant votre Assemblée, sur le conflit du Kosovo, le 26 mars dernier, j'ai eu l'occasion de revenir à plusieurs reprises sur le sens et la portée de notre participation à l'action militaire contre les forces serbes. Je m'en suis aussi régulièrement entretenu avec vos présidents de groupe et ceux des commissions compétentes. Mais après cinq semaines d'opérations aériennes, il paraît une nouvelle fois utile que nous nous retrouvions pour faire le point. Il est en effet légitime, face à une crise aussi dramatique, que des questions se posent, et je souhaite y répondre.
D'emblée, je tiens à souligner que les buts qui sont les nôtres dans ce conflit demeurent inchangés. Car ils fondent le sens de notre intervention. Ils orientent le choix des moyens retenus. Ils nous guident dans la recherche d'une issue politique.
Quels sont ces buts ?
Nous voulons que cesse la campagne de répression et d'épuration ethnique déclenchée par les autorités serbes au Kosovo.
Nous voulons que les forces de police, militaires, paramilitaires quittent la province où elles commettent leurs exactions.
Nous voulons que les réfugiés, les déplacés retrouvent leurs terres et leurs foyers ; que les Kosovars puissent vivre en paix, chez eux, au Kosovo.
Nous voulons que la population albanophone dispose d'un statut d'autonomie reconnaissant la plénitude de ses droit et qui garantisse la sécurité de tous les habitants.
M. MILOSEVIC et les autorités serbes portent l'entière responsabilité de la confrontation actuelle.
Par leur intransigeance dans la négociation tentée depuis un an.
Par leur refus obstiné d'accorder à tous les habitants du Kosovo les droits politiques culturels et sociaux qui sont au coeur des démocraties.
Par leur acharnement à mettre en oeuvre un plan préparé de longue date pour vider le Kosovo de ses habitants albanophones.
C'est pourquoi nous avons assigné pour mission aux forces alliées de briser la capacité de l'appareil répressif serbe, de frapper des objectifs stratégiques pour forcer la voie à une issue politique.
Fallait-il pour cela déclarer la guerre à la Serbie ? Nous ne faisons pas la guerre à la Serbie. Exercer une domination sur la Serbie, conquérir tout ou partie de son territoire, combattre le peuple serbe : rien de cela ne guide notre action. Mais nous ne devions pas rester sans réaction face aux violations incessantes, par Belgrade, des engagements et obligations établis par le Conseil de sécurité, face aux atteintes graves et répétées portées aux droits de l'homme, face à la perspective de nouveaux massacres.
Pouvions-nous faire usage d'autres moyens de pression ? Pouvait-on, en réalité, éviter les frappes ? Personne n'a été jusqu'ici en mesure de proposer une alternative convaincante. Dès lors que M. MILOSEVIC refusait obstinément tout débouché à la négociation -comme nous l'avons constaté pour la dernière fois à Rambouillet, puis à Paris- renoncer aux frappes qui avaient été clairement annoncées, c'était garantir aux autorités serbes l'impunité dans la poursuite de leurs agissements et nous résigner à l'impuissance.
M. MILOSEVIC assume aujourd'hui les conséquences de son obstination, au prix de très lourdes destructions pour son pays déjà épuisé, de l'opprobre jeté sur lui par la communauté internationale. Il est révélateur que, sur la scène mondiale, même parmi ceux qui n'approuvent pas les opérations militaires, il n'est pas un pays pour défendre son action, pas un démocrate pour soutenir son régime.
Fallait-il à l'inverse, recourir à une intervention terrestre ? Outre que notre intention n'était pas de faire la guerre à la Serbie, cela aurait été un pari à haut risque. Compte tenu des moyens mis en place par la Serbie, au Kosovo et alentour, en violation des accords d'octobre 1998, une telle décision nous aurait entraînés d'emblée dans des opérations de guerre de grande ampleur, aux conséquences imprévisibles.
Cette option n'aurait pas permis d'empêcher des massacres. Les délais nécessaires aux préparatifs, le déroulement même des opérations aéroterrestres auraient laissé trop longtemps le champ libre aux forces serbes. Les forces prépositionnées en Macédoine, destinées à garantir un accord de paix, n'étaient en effet ni prêtes, ni équipées pour une opération de cette nature.
Intervenir au sol dans l'urgence, c'était donc prendre des risques considérables pour nos forces sans parvenir pour autant à sauver les réfugiés. Or nous ne pouvions pas attendre : nous savions que le dispositif militaire de M.MILOSEVIC allait entrer en action, dès lors que l'échec des négociations serait acquis.
La stratégie des frappes est-elle efficace ? Les frappes n'ont certes pas empêché l'épuration ethnique de se poursuivre. Mais quelle autre stratégie était en mesure de l'interdire ?
L'épuration ethnique était programmée, décidée, et avait commencé. Aucune stratégie ne pouvait garantir qu'elle soit arrêtée. Pas plus une intervention terrestre à haut risque, qui aurait vu s'étendre la pratique des boucliers humains ; pas plus le renoncement à toute action, qui aurait laissé libre cours à ces activités criminelles. A vouloir la paix, sans les frappes, on aurait eu l'épuration ethnique, sans les bombes, c'est à dire sans que le régime serbe n'en paie le prix.
L'efficacité de la stratégie arrêtée ne pourra s'apprécier qu'avec le temps. Vous savez que notre détermination est entière. M. MILOSEVIC devra céder.
La disproportion des forces entre Serbes et Kosovars - troupes militaires et paramilitaires surarmées d'un côté, populations civiles sans défense ou groupes faiblement armés de l'autre -était criante. L'intervention de l'Alliance a bouleversé ce rapport de forces.
Nous progressons dans la réalisation de nos objectifs militaires, malgré la retenue que nous nous imposons pour épargner le plus possible la population. La campagne aérienne a pour but de détruire les systèmes sol-air serbes pour s'assurer la maîtrise de l'espace aérien. Elle vise à réduire les capacités militaires et répressives serbes, et tout ce qui concourt à leurs mouvements, à leur commandement et à leur contrôle. Désormais, les avions alliés dominent le ciel yougoslave lors de leurs raids au dessus de la Serbie et du Kosovo. Les forces serbes au Kosovo ont perdu leur mobilité. Leur logistique peine sous les coups. Les instruments de la propagande serbe sont défaillants. Gardons-nous de calculs trop précis du nombre de chars, avions, radars, postes de commandement détruits ou endommagés. La véritable évaluation militaire doit concerner la cohésion de l'outil de guerre serbe. Celle-ci s'affaiblit jour après jour ; pas assez vite, sans doute, mais elle décline. Les renforts aériens que les Alliés vont déployer contribueront à accélérer ce déclin.
Les effets recherchés sont ainsi d'une double nature : militaire - réduire le pouvoir de destruction des forces serbes - et politique - abattre les piliers sur lesquels repose ce régime.
Il faut donc avoir la ténacité et le sang-froid d'appliquer cette stratégie jusqu'à faire ployer ce régime, et reculer ses milices. D'autant que les bombardements peuvent cesser, du jour où M. MILOSEVIC acceptera les conditions posées par la communauté internationale et notamment le Secrétaire Général des Nations Unies.
D'ici là, comment faisons-nous face aux problèmes humanitaires ? La politique brutale des forces militaires et répressives serbes au Kosovo a jeté sur les routes, d'abord des milliers, puis des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Des hommes sont arrêtés arbitrairement ou exécutés sommairement, des femmes, en nombre encore inconnu, sont une nouvelle fois victimes de viols, des familles entières sont déportées après que leurs maisons ou leurs villages aient été pillés, ravagés, incendiés.
Il y aurait, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés, près de 700 000 réfugiés, dont 365.000 en Albanie, 135.000 en Macédoine et 65.000 au Monténégro. Plus de 80.000 autres en Bosnie-Herzégovine et en Serbie. Plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées se trouvent encore en situation très précaire au Kosovo même, fuyant la répression militaire, cherchant à se protéger des exactions des milices, s'efforçant simplement de survivre. On sait que sévissent de nouveau les hommes d'ARKAN, le bourreau des Bosniaques, et d'autres criminels, inculpés comme lui par le Tribunal pénal international.
En Macédoine, le gouvernement a finalement accepté d'ouvrir de nouveaux sites d'accueil, tout en continuant à encourager le départ des réfugiés vers l'Albanie et vers d'autres pays, -principalement l'Union européenne et la Turquie. Désormais, le HCR et les ONG peuvent pleinement remplir leur mission auprès des réfugiés. En Albanie, le gouvernement, qui ne souhaite pas le départ des réfugiés vers d'autres pays, a demandé à l'Alliance d'organiser les secours. A cette fin, un accord a été signé il y a quelques jours par l'OTAN et le HCR.
Cette situation dramatique, plusieurs d'entre vous ont pu en prendre la mesure, en allant sur place avec l'appui de nos ambassades et de nos forces armées. Je me rendrai moi-même en Macédoine et en Albanie à la fin de cette semaine.
Notre pays prend toute sa part de l'effort international de solidarité. En Macédoine et en Albanie, la France met à disposition des personnels militaires, déploie les centaines de spécialistes de la Cellule d'urgence, de la Sécurité civile et du SAMU. Elle achemine sur place, depuis son territoire, des milliers de tonnes de fret humanitaire - nourriture, médicaments, tentes, produits de première nécessité. En Macédoine, prenant le relais de nos soldats, l'Action humanitaire française gère maintenant, avec des ONG, le camp de Stenkovec, où séjournent plus de 11.000 personnes. En Albanie, la France administre plusieurs camps ; nos médecins assurent la couverture épidémiologique du pays et s'apprêtent à réhabiliter un hôpital à Tirana.
Le gouvernement a en outre décidé d'apporter une aide directe aux familles albanaises et macédoniennes qui accueillent des réfugiés. Plusieurs d'entre vous le demandaient : nous en étudions actuellement le montant et les modalités, afin notamment de choisir la voie, bilatérale ou multilatérale, la mieux appropriée pour soulager effectivement les familles d'accueil et les Etats.
Dans le même esprit, la France a décidé d'accorder une aide économique et financière aux pays touchés : des missions d'experts se rendent à Tirana et à Skopje, pour déterminer, en concertation avec les gouvernements, les projets à financer d'urgence. Le Président de la République et moi-même pourront d'ailleurs aborder ces questions avec le président albanais, M. MEIDANI, qui est reçu en France aujourd'hui.
Nous avons enfin saisi le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale, pour que créanciers et donateurs se mobilisent de façon cohérente. Le " groupe Balkans " du FMI se réunit aujourd'hui même, en présence de notre Ministre de l'Economie et des Finances. Une réunion spéciale de la Banque Mondiale se tiendra le 5 mai. Nous prendrons, avec l'Union européenne, nos responsabilités, pour apporter à l'Albanie, à la Macédoine, comme aux autres voisins du Kosovo, l'aide que réclament leurs économies durement touchées par le conflit.
En France même, la population s'est mobilisée en un élan exceptionnel, que j'ai eu, déjà, l'occasion de saluer. Grâce à nos compatriotes, plus de 10.000 tonnes d'aide humanitaire d'urgence ont été collectées, qui sont acheminées par les moyens de l'Etat.
Pour accueillir des réfugiés dans notre pays, plus de 10.000 familles se sont portées volontaires. Fidèle à notre volonté de permettre le séjour temporaire de familles qui le désirent - ce point devant être constaté par le HCR - nous avons organisé, à ce jour, l'accueil de plus d'un millier de personnes, dans des centres d'hébergement collectif. Une partie d'entre elles rejoindront des familles françaises. Ce mouvement va se poursuivre. Nous ferons tout pour les aider à oublier, le temps de leur séjour, l'épreuve qui les frappe. Le jour venu - et ce jour viendra - nous les aiderons à retrouver leur foyer au Kosovo.
Pour atteindre ce but, certains pensent qu'une intervention terrestre, par une entrée en force au Kosovo, est nécessaire. A l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique, qui vient de se tenir à Washington, il a été clairement indiqué que cette question n'était pas à l'ordre du jour. Je veux dire devant vous toutes les réserves qu'inspirent à mon gouvernement, et aussi - je crois pouvoir le dire - au Président de la République, les scénarios qui postulent l'échec des frappes aériennes et débouchent sur une offensive terrestre au Kosovo.
Cette option reste, aujourd'hui comme il y a un mois, lourde de risques. Passer de la logique de coercition d'une campagne aérienne à un engagement militaire terrestre, c'est accepter le principe d'affrontements meurtriers pour les populations et pour nos soldats.
C'est admettre la logique d'une guerre qui pourrait ne pas s'arrêter à Pristina, mais à Belgrade.
C'est risquer de voir s'embraser les Balkans.
C'est compromettre nos relations avec la Russie, et mettre à l'écart un partenaire indispensable au règlement politique de cette crise.
En tout état de cause, l'hypothèse d'un engagement militaire au sol de cette nature ne pourrait être envisagée sans que la question vous soit soumise. Vous seriez consultés de façon formelle pour autoriser (ou non) une telle intervention.
Cela ne veut pas dire qu'aucune présence militaire au Kosovo ne saurait s'envisager. Nous savons bien que quand nous parviendrons -comme c'est notre objectif-, à une solution politique, un tel déploiement sera nécessaire pour la mettre en oeuvre et la garantir. Il devra être décidé par une résolution du Conseil de sécurité, prise en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cette force devra bien sûr disposer des moyens nécessaires en termes de puissance déployée, d'unicité de la chaîne de commandement et d'efficacité des règles d'engagement.
Puisque nous savons que, dans cette force, l'OTAN devra tenir sa place, je souhaite évoquer maintenant le rôle de cette organisation dans le conflit en cours et, au delà, nos relations avec elle.
L'histoire de ces relations, vous la connaissez. Après les décisions prises par le Général de GAULLE en 1966, la France, a continué, hors du commandement intégré, à collaborer activement avec ses partenaires de l'Alliance. L'accord AILLERET-LEMNITZER, en 1967, fixe les conditions de l'engagement français aux côtés de l'Alliance. A partir de 1991, la France envisagea de faire évoluer sa relation à l'OTAN. Le rapprochement avec l'organisation intégrée devait être le préalable nécessaire au développement d'une politique européenne de défense. Dans son second septennat, le Président François MITTERRAND avait choisi un processus diplomatique graduel, qui impliquait autant de changements du côté français que d'évolutions du côté de l'OTAN. François MITTERRAND disait : "Nous bougeons quand l'OTAN change".
Cherchant à influencer l'organisation de la sécurité européenne, notre pays affirma, entre 1991 et 1995, la nécessité d'une OTAN plus équilibrée. La recherche, à l'initiative du président Jacques CHIRAC, d'une nouvelle attitude de la France à l'égard de l'OTAN n'a pas mis fin à ce débat.
Dans le conflit du Kosovo, la France occupe toute sa place : celle d'un membre respecté de l'Alliance. Elle n'a pas été entraînée dans les opérations militaires menées par l'OTAN : elle en a partagé avec ses alliés la décision, après en avoir évalué les risques et considéré qu'il n'y avait plus d'alternative possible.
Dans la conduite des frappes aériennes, vous le savez, la France est associée. Notre avis est suivi lorsque nous nous opposons à une opération. Je n'ai aucune raison de douter que nos partenaires en fassent de même.
Les circonstances ont voulu que le 50ème anniversaire de l'Alliance atlantique se tienne en pleine crise du Kosovo. Samedi, à Washington, les Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Alliance atlantique ont adopté une déclaration sur le conflit. Elle réaffirme notre détermination à l'emporter, face au défi lancé à nos valeurs fondatrices : la démocratie, les droits de l'homme, la primauté du droit. Le débat a été à la fois aisé - parce qu'aucune divergence ne sépare les alliés sur les points que je viens d'évoquer - et difficile, parce que bien entendu la crise au Kosovo a pesé sur la définition du nouveau " concept stratégique " de l'Alliance.
En matière de maintien de la paix, nous avons toujours considéré qu'il appartient au Conseil de sécurité, conformément à la Charte des Nations Unies, d'autoriser le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale. Si l'urgence au Kosovo a imposé de déroger au principe -bien qu'il y ait eu trois résolutions-, celui-ci ne saurait être remis en cause par une exception. Rien ne saurait diminuer la portée des engagements contenus dans la Charte des Nations Unies, engagements pris par des pays redevenus libres au terme du dernier conflit mondial.
Nous reconnaissons, comme la Charte elle-même, l'importance des Organisations de sécurité collective régionale - au premier rang desquelles l'OTAN. Nous mesurons l'apport essentiel de l'Alliance à la sécurité européenne. Mais nous ne souhaitons pas que l'OTAN se transforme en une organisation mondiale, qui s'émanciperait des règles universelles des Nations Unies, pour intervenir quand elle le souhaite et où elle le décide.
C'est cette conviction que le Président de la République, avec les ministres des affaires étrangères et de la Défense, et selon la position élaborée en commun avec le gouvernement, a défendue à Washington. Elle se traduit par le rappel, dans le nouveau concept stratégique, que l'Alliance est constituée de " nations engagées par le Traité de Washington et la Charte des Nations Unies ".
Dans ce contexte, peut-on avoir une défense européenne ? La crise du Kosovo repose de manière évidente cette question. Je me réjouis de voir combien l'épreuve des faits suscite chez nous d'adhésions à cette idée.
La voie pragmatique explorée à Saint-Malo, que décrit la déclaration franco-britannique, doit être approfondie avec nos partenaires. Une approche progressive et concrète doit accompagner dans toutes ses étapes le développement de la PESC. L'Union doit être capable de prendre, dans le cadre intergouvernemental, des décisions en matière de défense et de gestion de crise. Cela suppose qu'elle se dote, sans redondances, et en relation avec l'OTAN, de moyens propres : pour évaluer les situations ; pour planifier de façon autonome des moyens ; pour disposer librement de capacités d'action.
Le conflit que nous affrontons ensemble renforce notre conviction collective. Dans la recherche d'une solution négociée pour le Kosovo, comme dans l'intervention militaire, les Quinze élaborent et tiennent un langage commun. Ceci est apparu clairement au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles le 14 avril, comme au sommet de Washington. Nous nous appuierons sur cette solidarité dans le conflit et dans la recherche de la paix pour relancer le projet d'une défense commune.
Pour l'heure, l'urgence est de mettre un terme au drame du Kosovo.
Si nous restons déterminés à prolonger l'usage nécessaire de la force, nous réaffirmons clairement, avec nos partenaires, notre volonté de trouver une issue diplomatique au conflit en cours. Parce que nous sommes des démocraties et que les démocraties ne recourent qu'à contrecoeur à la force. Parce que nous nous sommes engagés pour que la paix règne au Kosovo. Parce qu'une paix durable ne peut être fondée que sur un accord politique permettant la coexistence des peuples et des Etats des Balkans.
Sur la base des principes de Rambouillet, nous continuons de plaider pour une solution fondée sur l'autonomie substantielle du Kosovo, à l'intérieur des frontières de la République fédérale yougoslave. Nous souhaitons qu'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies fonde ce règlement politique, et prévoie une administration intérimaire garantie par le déploiement d'une force de sécurité internationale. Nous y travaillons déjà, avec nos partenaires du Groupe de contact, sur la base de la déclaration du Secrétaire général des Nations-Unies du 8 avril dernier, qui a reçu le soutien immédiat de la France et de l'Union européenne. C'est également l'objet des discussions que nous poursuivons avec la Russie, qui doit jouer un rôle majeur dans la recherche d'un accord comme dans sa mise en oeuvre.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,
J'évoquais au début de mon intervention les fondements et les buts de notre action. La force armée des pays européens et nord-américains est aujourd'hui unie et mise au service, non pas d'intérêts nationaux, ou d'une " volonté d'empire ", mais de la justice et des droits de l'homme.
Imposer, conformément à ces principes, une issue diplomatique assurant, non seulement le retour des Kosovars dans leur pays, un Kosovo autonome et démocratique mais la coexistence pacifique et la prospérité des peuples des Balkans, qui sont les premières victimes de ce conflit, ce sera apporter la preuve que nous savons définir et faire prévaloir une solution digne de l'Europe d'aujourd'hui.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 avril 1999)
Mesdames et Messieurs les députés,
Depuis ma première intervention devant votre Assemblée, sur le conflit du Kosovo, le 26 mars dernier, j'ai eu l'occasion de revenir à plusieurs reprises sur le sens et la portée de notre participation à l'action militaire contre les forces serbes. Je m'en suis aussi régulièrement entretenu avec vos présidents de groupe et ceux des commissions compétentes. Mais après cinq semaines d'opérations aériennes, il paraît une nouvelle fois utile que nous nous retrouvions pour faire le point. Il est en effet légitime, face à une crise aussi dramatique, que des questions se posent, et je souhaite y répondre.
D'emblée, je tiens à souligner que les buts qui sont les nôtres dans ce conflit demeurent inchangés. Car ils fondent le sens de notre intervention. Ils orientent le choix des moyens retenus. Ils nous guident dans la recherche d'une issue politique.
Quels sont ces buts ?
Nous voulons que cesse la campagne de répression et d'épuration ethnique déclenchée par les autorités serbes au Kosovo.
Nous voulons que les forces de police, militaires, paramilitaires quittent la province où elles commettent leurs exactions.
Nous voulons que les réfugiés, les déplacés retrouvent leurs terres et leurs foyers ; que les Kosovars puissent vivre en paix, chez eux, au Kosovo.
Nous voulons que la population albanophone dispose d'un statut d'autonomie reconnaissant la plénitude de ses droit et qui garantisse la sécurité de tous les habitants.
M. MILOSEVIC et les autorités serbes portent l'entière responsabilité de la confrontation actuelle.
Par leur intransigeance dans la négociation tentée depuis un an.
Par leur refus obstiné d'accorder à tous les habitants du Kosovo les droits politiques culturels et sociaux qui sont au coeur des démocraties.
Par leur acharnement à mettre en oeuvre un plan préparé de longue date pour vider le Kosovo de ses habitants albanophones.
C'est pourquoi nous avons assigné pour mission aux forces alliées de briser la capacité de l'appareil répressif serbe, de frapper des objectifs stratégiques pour forcer la voie à une issue politique.
Fallait-il pour cela déclarer la guerre à la Serbie ? Nous ne faisons pas la guerre à la Serbie. Exercer une domination sur la Serbie, conquérir tout ou partie de son territoire, combattre le peuple serbe : rien de cela ne guide notre action. Mais nous ne devions pas rester sans réaction face aux violations incessantes, par Belgrade, des engagements et obligations établis par le Conseil de sécurité, face aux atteintes graves et répétées portées aux droits de l'homme, face à la perspective de nouveaux massacres.
Pouvions-nous faire usage d'autres moyens de pression ? Pouvait-on, en réalité, éviter les frappes ? Personne n'a été jusqu'ici en mesure de proposer une alternative convaincante. Dès lors que M. MILOSEVIC refusait obstinément tout débouché à la négociation -comme nous l'avons constaté pour la dernière fois à Rambouillet, puis à Paris- renoncer aux frappes qui avaient été clairement annoncées, c'était garantir aux autorités serbes l'impunité dans la poursuite de leurs agissements et nous résigner à l'impuissance.
M. MILOSEVIC assume aujourd'hui les conséquences de son obstination, au prix de très lourdes destructions pour son pays déjà épuisé, de l'opprobre jeté sur lui par la communauté internationale. Il est révélateur que, sur la scène mondiale, même parmi ceux qui n'approuvent pas les opérations militaires, il n'est pas un pays pour défendre son action, pas un démocrate pour soutenir son régime.
Fallait-il à l'inverse, recourir à une intervention terrestre ? Outre que notre intention n'était pas de faire la guerre à la Serbie, cela aurait été un pari à haut risque. Compte tenu des moyens mis en place par la Serbie, au Kosovo et alentour, en violation des accords d'octobre 1998, une telle décision nous aurait entraînés d'emblée dans des opérations de guerre de grande ampleur, aux conséquences imprévisibles.
Cette option n'aurait pas permis d'empêcher des massacres. Les délais nécessaires aux préparatifs, le déroulement même des opérations aéroterrestres auraient laissé trop longtemps le champ libre aux forces serbes. Les forces prépositionnées en Macédoine, destinées à garantir un accord de paix, n'étaient en effet ni prêtes, ni équipées pour une opération de cette nature.
Intervenir au sol dans l'urgence, c'était donc prendre des risques considérables pour nos forces sans parvenir pour autant à sauver les réfugiés. Or nous ne pouvions pas attendre : nous savions que le dispositif militaire de M.MILOSEVIC allait entrer en action, dès lors que l'échec des négociations serait acquis.
La stratégie des frappes est-elle efficace ? Les frappes n'ont certes pas empêché l'épuration ethnique de se poursuivre. Mais quelle autre stratégie était en mesure de l'interdire ?
L'épuration ethnique était programmée, décidée, et avait commencé. Aucune stratégie ne pouvait garantir qu'elle soit arrêtée. Pas plus une intervention terrestre à haut risque, qui aurait vu s'étendre la pratique des boucliers humains ; pas plus le renoncement à toute action, qui aurait laissé libre cours à ces activités criminelles. A vouloir la paix, sans les frappes, on aurait eu l'épuration ethnique, sans les bombes, c'est à dire sans que le régime serbe n'en paie le prix.
L'efficacité de la stratégie arrêtée ne pourra s'apprécier qu'avec le temps. Vous savez que notre détermination est entière. M. MILOSEVIC devra céder.
La disproportion des forces entre Serbes et Kosovars - troupes militaires et paramilitaires surarmées d'un côté, populations civiles sans défense ou groupes faiblement armés de l'autre -était criante. L'intervention de l'Alliance a bouleversé ce rapport de forces.
Nous progressons dans la réalisation de nos objectifs militaires, malgré la retenue que nous nous imposons pour épargner le plus possible la population. La campagne aérienne a pour but de détruire les systèmes sol-air serbes pour s'assurer la maîtrise de l'espace aérien. Elle vise à réduire les capacités militaires et répressives serbes, et tout ce qui concourt à leurs mouvements, à leur commandement et à leur contrôle. Désormais, les avions alliés dominent le ciel yougoslave lors de leurs raids au dessus de la Serbie et du Kosovo. Les forces serbes au Kosovo ont perdu leur mobilité. Leur logistique peine sous les coups. Les instruments de la propagande serbe sont défaillants. Gardons-nous de calculs trop précis du nombre de chars, avions, radars, postes de commandement détruits ou endommagés. La véritable évaluation militaire doit concerner la cohésion de l'outil de guerre serbe. Celle-ci s'affaiblit jour après jour ; pas assez vite, sans doute, mais elle décline. Les renforts aériens que les Alliés vont déployer contribueront à accélérer ce déclin.
Les effets recherchés sont ainsi d'une double nature : militaire - réduire le pouvoir de destruction des forces serbes - et politique - abattre les piliers sur lesquels repose ce régime.
Il faut donc avoir la ténacité et le sang-froid d'appliquer cette stratégie jusqu'à faire ployer ce régime, et reculer ses milices. D'autant que les bombardements peuvent cesser, du jour où M. MILOSEVIC acceptera les conditions posées par la communauté internationale et notamment le Secrétaire Général des Nations Unies.
D'ici là, comment faisons-nous face aux problèmes humanitaires ? La politique brutale des forces militaires et répressives serbes au Kosovo a jeté sur les routes, d'abord des milliers, puis des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Des hommes sont arrêtés arbitrairement ou exécutés sommairement, des femmes, en nombre encore inconnu, sont une nouvelle fois victimes de viols, des familles entières sont déportées après que leurs maisons ou leurs villages aient été pillés, ravagés, incendiés.
Il y aurait, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés, près de 700 000 réfugiés, dont 365.000 en Albanie, 135.000 en Macédoine et 65.000 au Monténégro. Plus de 80.000 autres en Bosnie-Herzégovine et en Serbie. Plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées se trouvent encore en situation très précaire au Kosovo même, fuyant la répression militaire, cherchant à se protéger des exactions des milices, s'efforçant simplement de survivre. On sait que sévissent de nouveau les hommes d'ARKAN, le bourreau des Bosniaques, et d'autres criminels, inculpés comme lui par le Tribunal pénal international.
En Macédoine, le gouvernement a finalement accepté d'ouvrir de nouveaux sites d'accueil, tout en continuant à encourager le départ des réfugiés vers l'Albanie et vers d'autres pays, -principalement l'Union européenne et la Turquie. Désormais, le HCR et les ONG peuvent pleinement remplir leur mission auprès des réfugiés. En Albanie, le gouvernement, qui ne souhaite pas le départ des réfugiés vers d'autres pays, a demandé à l'Alliance d'organiser les secours. A cette fin, un accord a été signé il y a quelques jours par l'OTAN et le HCR.
Cette situation dramatique, plusieurs d'entre vous ont pu en prendre la mesure, en allant sur place avec l'appui de nos ambassades et de nos forces armées. Je me rendrai moi-même en Macédoine et en Albanie à la fin de cette semaine.
Notre pays prend toute sa part de l'effort international de solidarité. En Macédoine et en Albanie, la France met à disposition des personnels militaires, déploie les centaines de spécialistes de la Cellule d'urgence, de la Sécurité civile et du SAMU. Elle achemine sur place, depuis son territoire, des milliers de tonnes de fret humanitaire - nourriture, médicaments, tentes, produits de première nécessité. En Macédoine, prenant le relais de nos soldats, l'Action humanitaire française gère maintenant, avec des ONG, le camp de Stenkovec, où séjournent plus de 11.000 personnes. En Albanie, la France administre plusieurs camps ; nos médecins assurent la couverture épidémiologique du pays et s'apprêtent à réhabiliter un hôpital à Tirana.
Le gouvernement a en outre décidé d'apporter une aide directe aux familles albanaises et macédoniennes qui accueillent des réfugiés. Plusieurs d'entre vous le demandaient : nous en étudions actuellement le montant et les modalités, afin notamment de choisir la voie, bilatérale ou multilatérale, la mieux appropriée pour soulager effectivement les familles d'accueil et les Etats.
Dans le même esprit, la France a décidé d'accorder une aide économique et financière aux pays touchés : des missions d'experts se rendent à Tirana et à Skopje, pour déterminer, en concertation avec les gouvernements, les projets à financer d'urgence. Le Président de la République et moi-même pourront d'ailleurs aborder ces questions avec le président albanais, M. MEIDANI, qui est reçu en France aujourd'hui.
Nous avons enfin saisi le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale, pour que créanciers et donateurs se mobilisent de façon cohérente. Le " groupe Balkans " du FMI se réunit aujourd'hui même, en présence de notre Ministre de l'Economie et des Finances. Une réunion spéciale de la Banque Mondiale se tiendra le 5 mai. Nous prendrons, avec l'Union européenne, nos responsabilités, pour apporter à l'Albanie, à la Macédoine, comme aux autres voisins du Kosovo, l'aide que réclament leurs économies durement touchées par le conflit.
En France même, la population s'est mobilisée en un élan exceptionnel, que j'ai eu, déjà, l'occasion de saluer. Grâce à nos compatriotes, plus de 10.000 tonnes d'aide humanitaire d'urgence ont été collectées, qui sont acheminées par les moyens de l'Etat.
Pour accueillir des réfugiés dans notre pays, plus de 10.000 familles se sont portées volontaires. Fidèle à notre volonté de permettre le séjour temporaire de familles qui le désirent - ce point devant être constaté par le HCR - nous avons organisé, à ce jour, l'accueil de plus d'un millier de personnes, dans des centres d'hébergement collectif. Une partie d'entre elles rejoindront des familles françaises. Ce mouvement va se poursuivre. Nous ferons tout pour les aider à oublier, le temps de leur séjour, l'épreuve qui les frappe. Le jour venu - et ce jour viendra - nous les aiderons à retrouver leur foyer au Kosovo.
Pour atteindre ce but, certains pensent qu'une intervention terrestre, par une entrée en force au Kosovo, est nécessaire. A l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique, qui vient de se tenir à Washington, il a été clairement indiqué que cette question n'était pas à l'ordre du jour. Je veux dire devant vous toutes les réserves qu'inspirent à mon gouvernement, et aussi - je crois pouvoir le dire - au Président de la République, les scénarios qui postulent l'échec des frappes aériennes et débouchent sur une offensive terrestre au Kosovo.
Cette option reste, aujourd'hui comme il y a un mois, lourde de risques. Passer de la logique de coercition d'une campagne aérienne à un engagement militaire terrestre, c'est accepter le principe d'affrontements meurtriers pour les populations et pour nos soldats.
C'est admettre la logique d'une guerre qui pourrait ne pas s'arrêter à Pristina, mais à Belgrade.
C'est risquer de voir s'embraser les Balkans.
C'est compromettre nos relations avec la Russie, et mettre à l'écart un partenaire indispensable au règlement politique de cette crise.
En tout état de cause, l'hypothèse d'un engagement militaire au sol de cette nature ne pourrait être envisagée sans que la question vous soit soumise. Vous seriez consultés de façon formelle pour autoriser (ou non) une telle intervention.
Cela ne veut pas dire qu'aucune présence militaire au Kosovo ne saurait s'envisager. Nous savons bien que quand nous parviendrons -comme c'est notre objectif-, à une solution politique, un tel déploiement sera nécessaire pour la mettre en oeuvre et la garantir. Il devra être décidé par une résolution du Conseil de sécurité, prise en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cette force devra bien sûr disposer des moyens nécessaires en termes de puissance déployée, d'unicité de la chaîne de commandement et d'efficacité des règles d'engagement.
Puisque nous savons que, dans cette force, l'OTAN devra tenir sa place, je souhaite évoquer maintenant le rôle de cette organisation dans le conflit en cours et, au delà, nos relations avec elle.
L'histoire de ces relations, vous la connaissez. Après les décisions prises par le Général de GAULLE en 1966, la France, a continué, hors du commandement intégré, à collaborer activement avec ses partenaires de l'Alliance. L'accord AILLERET-LEMNITZER, en 1967, fixe les conditions de l'engagement français aux côtés de l'Alliance. A partir de 1991, la France envisagea de faire évoluer sa relation à l'OTAN. Le rapprochement avec l'organisation intégrée devait être le préalable nécessaire au développement d'une politique européenne de défense. Dans son second septennat, le Président François MITTERRAND avait choisi un processus diplomatique graduel, qui impliquait autant de changements du côté français que d'évolutions du côté de l'OTAN. François MITTERRAND disait : "Nous bougeons quand l'OTAN change".
Cherchant à influencer l'organisation de la sécurité européenne, notre pays affirma, entre 1991 et 1995, la nécessité d'une OTAN plus équilibrée. La recherche, à l'initiative du président Jacques CHIRAC, d'une nouvelle attitude de la France à l'égard de l'OTAN n'a pas mis fin à ce débat.
Dans le conflit du Kosovo, la France occupe toute sa place : celle d'un membre respecté de l'Alliance. Elle n'a pas été entraînée dans les opérations militaires menées par l'OTAN : elle en a partagé avec ses alliés la décision, après en avoir évalué les risques et considéré qu'il n'y avait plus d'alternative possible.
Dans la conduite des frappes aériennes, vous le savez, la France est associée. Notre avis est suivi lorsque nous nous opposons à une opération. Je n'ai aucune raison de douter que nos partenaires en fassent de même.
Les circonstances ont voulu que le 50ème anniversaire de l'Alliance atlantique se tienne en pleine crise du Kosovo. Samedi, à Washington, les Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Alliance atlantique ont adopté une déclaration sur le conflit. Elle réaffirme notre détermination à l'emporter, face au défi lancé à nos valeurs fondatrices : la démocratie, les droits de l'homme, la primauté du droit. Le débat a été à la fois aisé - parce qu'aucune divergence ne sépare les alliés sur les points que je viens d'évoquer - et difficile, parce que bien entendu la crise au Kosovo a pesé sur la définition du nouveau " concept stratégique " de l'Alliance.
En matière de maintien de la paix, nous avons toujours considéré qu'il appartient au Conseil de sécurité, conformément à la Charte des Nations Unies, d'autoriser le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale. Si l'urgence au Kosovo a imposé de déroger au principe -bien qu'il y ait eu trois résolutions-, celui-ci ne saurait être remis en cause par une exception. Rien ne saurait diminuer la portée des engagements contenus dans la Charte des Nations Unies, engagements pris par des pays redevenus libres au terme du dernier conflit mondial.
Nous reconnaissons, comme la Charte elle-même, l'importance des Organisations de sécurité collective régionale - au premier rang desquelles l'OTAN. Nous mesurons l'apport essentiel de l'Alliance à la sécurité européenne. Mais nous ne souhaitons pas que l'OTAN se transforme en une organisation mondiale, qui s'émanciperait des règles universelles des Nations Unies, pour intervenir quand elle le souhaite et où elle le décide.
C'est cette conviction que le Président de la République, avec les ministres des affaires étrangères et de la Défense, et selon la position élaborée en commun avec le gouvernement, a défendue à Washington. Elle se traduit par le rappel, dans le nouveau concept stratégique, que l'Alliance est constituée de " nations engagées par le Traité de Washington et la Charte des Nations Unies ".
Dans ce contexte, peut-on avoir une défense européenne ? La crise du Kosovo repose de manière évidente cette question. Je me réjouis de voir combien l'épreuve des faits suscite chez nous d'adhésions à cette idée.
La voie pragmatique explorée à Saint-Malo, que décrit la déclaration franco-britannique, doit être approfondie avec nos partenaires. Une approche progressive et concrète doit accompagner dans toutes ses étapes le développement de la PESC. L'Union doit être capable de prendre, dans le cadre intergouvernemental, des décisions en matière de défense et de gestion de crise. Cela suppose qu'elle se dote, sans redondances, et en relation avec l'OTAN, de moyens propres : pour évaluer les situations ; pour planifier de façon autonome des moyens ; pour disposer librement de capacités d'action.
Le conflit que nous affrontons ensemble renforce notre conviction collective. Dans la recherche d'une solution négociée pour le Kosovo, comme dans l'intervention militaire, les Quinze élaborent et tiennent un langage commun. Ceci est apparu clairement au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles le 14 avril, comme au sommet de Washington. Nous nous appuierons sur cette solidarité dans le conflit et dans la recherche de la paix pour relancer le projet d'une défense commune.
Pour l'heure, l'urgence est de mettre un terme au drame du Kosovo.
Si nous restons déterminés à prolonger l'usage nécessaire de la force, nous réaffirmons clairement, avec nos partenaires, notre volonté de trouver une issue diplomatique au conflit en cours. Parce que nous sommes des démocraties et que les démocraties ne recourent qu'à contrecoeur à la force. Parce que nous nous sommes engagés pour que la paix règne au Kosovo. Parce qu'une paix durable ne peut être fondée que sur un accord politique permettant la coexistence des peuples et des Etats des Balkans.
Sur la base des principes de Rambouillet, nous continuons de plaider pour une solution fondée sur l'autonomie substantielle du Kosovo, à l'intérieur des frontières de la République fédérale yougoslave. Nous souhaitons qu'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies fonde ce règlement politique, et prévoie une administration intérimaire garantie par le déploiement d'une force de sécurité internationale. Nous y travaillons déjà, avec nos partenaires du Groupe de contact, sur la base de la déclaration du Secrétaire général des Nations-Unies du 8 avril dernier, qui a reçu le soutien immédiat de la France et de l'Union européenne. C'est également l'objet des discussions que nous poursuivons avec la Russie, qui doit jouer un rôle majeur dans la recherche d'un accord comme dans sa mise en oeuvre.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,
J'évoquais au début de mon intervention les fondements et les buts de notre action. La force armée des pays européens et nord-américains est aujourd'hui unie et mise au service, non pas d'intérêts nationaux, ou d'une " volonté d'empire ", mais de la justice et des droits de l'homme.
Imposer, conformément à ces principes, une issue diplomatique assurant, non seulement le retour des Kosovars dans leur pays, un Kosovo autonome et démocratique mais la coexistence pacifique et la prospérité des peuples des Balkans, qui sont les premières victimes de ce conflit, ce sera apporter la preuve que nous savons définir et faire prévaloir une solution digne de l'Europe d'aujourd'hui.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 avril 1999)