Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à France Info le 10 mars 2001et LCI le 15, sur le refus de la France et de la communauté internationale d'accepter l'atteinte à l'intégrité territoriale de la Macédoine et leur soutien à la stabilité de ce pays, l'intervention de la KFOR pour le maintien de la sécurité dans cette région et la nécessité du dialogue politique entre les communautés.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine en Macédoine le 10 mars 2001

Média : France Info - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Interview à France Info le 10 mars 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, que pensez-vous des terroristes qui opèrent à la frontière de la Macédoine et qui déclarent que rien ne pourra les déloger ? Comment la communauté internationale compte réagir ?
R - Face aux événements provoqués par quelques groupes terroristes dans la vallée de Presevo et à la frontière de la Macédoine, la communauté internationale a réagi d'une façon rapide, homogène et ferme. Tous les gouvernements de l'Alliance atlantique, tous les gouvernements d'Europe, tous les gouvernements de la région, estiment que les frontières doivent être absolument préservées ; qu'en particulier, la stabilité et l'intégrité de la Macédoine sont un élément clé de l'équilibre dans l'ensemble de la région, et que par conséquent, il n'est pas acceptable de laisser agir de tels groupes par de tels procédés.
S'il y a des problèmes qui se posent encore ici ou là, ils doivent être traités par des moyens modernes, par des moyens démocratiques, par le dialogue politique. Mais certainement pas par des procédés de terrorisme. La situation doit donc être rétablie, le contrôle de ces zones doit être effectué et à cet égard, vous savez qu'à la suite des concertations entre les différents gouvernements responsables, la KFOR prend ses responsabilités, notamment à la frontière entre le Kosovo et la Macédoine. Je trouve que la réaction est forte et nette et je suis venu à Skopje redire, en particulier, l'engagement et le soutien de la France pour la stabilité et l'intégrité territoriale de la Macédoine.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2001)
____________________________________________________________________________________
Interview à LCI le 15 mars 2001 :
Q - Vous étiez vous-même en Macédoine, il y a quelques jours, vous avez assuré les autorités de votre soutien, vous condamnez ces attaques et vous êtes attaché à l'intégrité, à la stabilité du pays. Est-ce que l'on n'a pas peut-être trop aidé, trop armé l'UCK, l'armée albanaise pendant la guerre au Kosovo il y a deux ans et est-ce que l'on en paye pas le prix aujourd'hui ?
R - Je ne sais pas qui est "on", en tous cas ce n'est pas la France. A l'époque, l'engagement de la France a été très fort, d'abord par les procédés politico-diplomatiques et ensuite par la participation à l'action militaire au Kosovo pour faire cesser l'insupportable politique serbe de Milosevic au Kosovo.
En ce qui concerne la France et plusieurs autres pays, dont l'Italie, nous avons toujours été extrêmement prudents en ce qui concerne l'aide à l'UCK et d'ailleurs, je vous rappelle qu'à l'époque les résolutions du Conseil de sécurité qui condamnaient la politique de Milosevic en Serbie condamnaient également les actes de terrorisme commis par l'UCK au Kosovo.
Après il y a eu l'action au Kosovo de la KFOR et du représentant des Nations unies qui devait passer, entre autre, par une étape de désarmement de l'UCK. L'UCK à l'époque était supposée se dissoudre, puisqu'elle n'avait plus lieu d'être, elle devait poursuivre son action sous une forme politique et les armes étaient sensées être rendues. Malheureusement, on sait qu'elles n'ont pas toutes été rendues et on a vu depuis quelques jours, quelques semaines, selon les endroits, un ensemble de groupes, dont je ne sais pas si c'est le maintien de l'ex-UCK ou d'autres groupes, et qui essaient de provoquer un engrenage de type provocations, répressions à partir d'actions violentes et d'actions de terrorisme que nous ne pouvons pas admettre dans deux zones : cette vallée de Presevo qui est en Serbie, juste après la limite entre le Kosovo et la Serbie et d'autre part la frontière macédonienne. C'est cela que la communauté internationale est décidée à ne pas laisser se développer.
Q - Est-ce que vous êtes très inquiet, est-ce que vous craignez qu'on se retrouve dans une situation à la bosniaque en Macédoine ; deux communautés qui ne pourraient plus vivre ensemble ?
R - Non, personne ne compare tout à fait la situation et ce n'est pas ce degré d'inquiétude. Cela dit, la situation est suffisamment grave pour que l'ensemble des gouvernements de l'Union européenne, de l'OTAN, des pays de la région y compris - je le souligne - le gouvernement albanais de Tirana et je cite le gouvernement de Belgrade, de la Bulgarie et d'autres pays encore, pour que l'ensemble des responsables politiques aient dit tout de suite que l'action de ces petits groupes - pas très nombreux en réalité - qui en fait deviennent terroristes ne pouvaient pas être acceptée.
Q - Combien de personnes d'après vous ?
R - Je ne peux pas dire, cela dépend. C'est peut-être quelques centaines, je ne sais pas. En réalité, je n'ai pas d'éléments d'appréciation technique.
Je sais, comme l'a dit aujourd'hui même M. Robertson, que ce ne sont pas des groupes très importants, en fait. Mais on ne peut pas accepter cette volonté par la force de modifier les frontières entre la Yougoslavie et la Macédoine et notamment entre le Kosovo et la Macédoine et ni même les limites internes entre le Kosovo et la Serbie.
C'est donc la mission qui a été confiée à la KFOR, il faut reprendre le contrôle du terrain, ce qui a commencé de se produire. La KFOR s'est placée sur la frontière macédonienne et l'OTAN a autorisé l'armée yougoslave à commencer à revenir dans certaines zones de la vallée de Presevo, qui jusqu'à maintenant lui avait été interdite.
Q - Si la situation dégénérait encore, une intervention de l'OTAN serait-elle envisageable, y compris en Macédoine même ?
R - L'action de la KFOR, c'est déjà une action de l'OTAN sous mandat international, parce que tout cela se fait à partir de la résolution 1244 du Conseil de sécurité, en tous cas en ce qui concerne le Kosovo. Donc, c'est déjà une action de l'OTAN. Mais je voudrais souligner qu'il y a ce volet de sécurité et je pense que nous allons réussir à reprendre le contrôle de ces frontières sensibles que nous venons de citer.
Il y a également un volet politique. Il faut que les Albanais du Kosovo, les Albanais d'Albanie, les Albanais de Macédoine, les Albanais de ces petites régions de Presevo aient des perspectives politiques, qui ne sont pas les mêmes selon les endroits, mais passent par le dialogue ; il n'y a pas que le volet sécurité, naturellement.
Alors au Kosovo, il faut rassembler des conditions de sécurité dans la perspective d'élections générales ; dans la vallée de Presevo, cela relève d'un dialogue avec Belgrade et des habitants - je ne parle pas des terroristes venus exprès - mais je parle des habitants habituels de cette région. Là il y a un dialogue à mener et au sein de la Macédoine, il y a certainement des choses à faire pour que les Albanais de Macédoine se sentent plus à l'aise en Macédoine et qu'ils occupent une part plus grande de la vie nationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2001)