Interview de Mme Nadine Morano, ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, à RMC le 9 décembre 2010, sur le développement de l'apprentissage, les aides aux chefs d'entreprise et l'orientation scolaire et professionnelle.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin- N. Morano, j'ai une question directe : est-ce que la semaine de quatre jours est un échec, à l'école ?
 
Vous savez, la réflexion sur la semaine de quatre jours elle s'est faite à la fois à partir, c'est vrai, du rythme scolaire de l'enfant, ça a beaucoup bougé en plusieurs décennies, on a beaucoup bougé.
 
Mais enfin là, ça été mis en place il y deux ans.
 
Oui, mais elle s'est faite aussi parce que les familles ont évolué, et vous avez de plus en plus d'enfants qui vivent dans des familles recomposées, qui ont besoin aussi de pouvoir vivre leurs parents, et ça a contribué aussi à une réflexion sur l'organisation familiale.
 
Mais est-ce qu'il faut garder la semaine de quatre jours ? J'ai vu quinze députés, la mission parlementaire, vous avez vu comme moi les conclusions de cette mission. Quinze députés de droite comme de gauche, UMP, PS ou autres, qui disent il faut absolument revenir à une semaine de quatre jours et demi, soit on travaille le mercredi matin, soit le samedi matin. On laisse chacun libre...enfin, chaque établissement libre de fixer les règles.
 
J'entends les remarques des uns et des autres. L. Chatel, le ministre de l'Education nationale, a mis en place, vous le savez, un groupe de travail de réflexion sur les rythmes scolaires.
 
Tout à fait.
 
Donc, je pense qu'il vaut mieux attendre les conclusions de ce groupe de travail...
 
... oui, mais vous, vous ?
 
...d'une manière globale...
 
Vous, vous êtes mère de famille.
 
Oui, je suis mère de famille mais moi, justement, au-delà de la semaine de quatre jours je trouve que les journées de nos enfants sont trop lourdes, et je le dis, et je le pense. Mais, là, c'est au-delà de la ministre, c'est la mère de famille qui parle.
 
Bon alors, c'est à la mère de famille que je m'adresse, N. Morano.
 
Eh ben oui, mais, oui mais je ne suis pas que mère de famille.
 
Alors, la mère de famille elle est favorable ou pas ?
 
Je suis ministre aussi.
 
Elle est favorable à la semaine des quatre jours ou pas ?
 
Non mais, alors la mère de famille...
 
...parce qu'on trimballe les enfants quand même, on change les réformes...attendez, les rythmes scolaires on a changé et on change sans cesse. Dès qu'un ministre arrive, il y a une nouvelle réforme, dans l'Education nationale, vous le savez bien, N. Morano.
 
Non, non, non, non !
 
Non ?
 
Non, non, je pense que...
 
Non ?
 
Non, ce n'est pas la question de il y a une réforme ou pas. Je crois que de toute manière si... qu'est-ce que vous croyez, qu'un système il est figé et qu'on ne bouge jamais ?
 
On est d'accord.
 
Bon, alors la société évolue, les réformes bougent aussi, c'est normal.
 
Alors, la semaine de quatre jours, c'est un échec ou pas ?
 
Mais, moi, je ne vous dirais pas que la semaine de quatre jours est un échec, monsieur Bourdin.
 
Bon !
 
Je vous dirais que la réflexion elle doit se faire de manière plus globale : pourquoi est-ce que dans d'autres pays il y a de meilleures réussites à l'école qu'en France qu'alors que les moyens financiers et tous les moyens qu'on y met sont supérieurs en France que dans d'autres pays ? Moi, je crois...
 
...ou moins égaux.
 
Non mais, je crois qu'il faut... non, supérieurs.
 
Oui, enfin...
 
Je le dis, supérieurs, c'est près de 60 milliards d'euros en France.
 
Oui, oui.
 
C'est le premier budget de l'Etat.
 
Légèrement supérieurs...
 
...non mais, il faut le dire.
 
... vous avez bien lu comme moi le rapport PISA.
 
Monsieur Bourdin, la question que chacun des parents se posent toujours, c'est la réalité de lourdeur de leur journée à nos enfants, d'ailleurs lorsqu'ils sont... je ne parle pas que du primaire, je parle aussi du collège, quand ils commencent tôt le matin et qu'ils rentrent, qu'ils finissent à 17 h 30, et que après le retour à la maison ils ont encore beaucoup, beaucoup, beaucoup de devoirs.
 
De travail à faire, oui.
 
Et de travail à faire, leurs journées sont extrêmement lourdes.
 
Donc, on allège les journées.
 
Je dis que le groupe de travail mis en place par L. Chatel a toute son importance pour une réflexion globale sur le rythme de travail de l'enfant.
 
Alors, N. Morano, la mère de famille pense-t-elle que les vacances scolaires d'été sont trop longues ?
 
Eh bien, là aussi je sais que le ministre de l'Education nationale...
 
... vous n'avez pas d'avis ?
 
Non mais, le ministre de l'Education nationale a engagé, parce que je ne peux pas m'exprimer qu'en tant que mère de famille, vous le comprenez bien, monsieur Bourdin.
 
Non mais...
 
Vous ne m'invitez pas ici en tant que simple citoyenne.
 
Non mais, vous avez quand même un avis. Vous avez quand même un avis.
 
Vous m'invitez en tant que responsable politique.
 
Mais N. Morano, vous avez quand même un avis sur la question.
 
Mais évidemment que j'ai un avis sur la question.
 
Ben alors, donnez-le !
 
Mais vous savez que les deux mois...
 
... mais qu'est-ce qui vous empêche de le donner ?
 
Les deux mois de vacances, il faut remonter très loin dans l'histoire. Vous me parlez de réformes à chaque fois, il faut remonter très loin dans l'histoire. Vous savez que les deux mois de vacances...
 
... ce n'est pas moi qui parle de réforme, c'est le président de la République, pardon, N. Morano.
 
...avaient été mis en place pour justement répondre à l'activité saisonnière de l'agriculture. C'était ça, c'était pour aider à l'activité dans les champs.
 
Mais vous, vous avez un avis sur la question, est-ce que ces vacances... moi, j'ai un avis, je trouve qu'elles sont trop longues, je le dis. Alors vous, est-ce que vous avez un avis ? Est-ce qu'elles sont trop longues ?
 
Mais moi aussi j'ai toujours trouvé que les vacances d'été étaient trop longues.
 
Bon.
 
Donc, ça, c'est une réalité.
 
Alors, donc, on va trouver une solution.
 
Donc, ce qui est important, et encore une fois, c'est de regarder de manière globale comment regarder le rythme de l'enfant, et à travers le groupe de travail qu'en a fait L. Chatel. Ca demande des discussions, ça demande des réflexions, ça demande un constat partagé et ça demande aussi une envie d'y aller ensemble. Après, d'un côté, on va vous répondre que les responsables du tourisme ont organisé leur saison touristique juillet et août, et ça va poser des problèmes ; ensuite après vous avez les parents ou les enseignants qui vont dire, nous sommes attachés à nos deux mois de vacances. Vous avez même peut-être aussi les élèves qui vont vous dire, dans la rue, on est attachés à nos deux mois de vacances. Moi, je crois qu'il faudrait qu'on arrive à faire un constat partagé. Ca, ça relève encore une fois de la compétence de L. Chatel, donc invitez-le, il sera en mesure de vous répondre.
 
Mais il est invité, hier il a commencé à m'en parler, il est invité, il vient quand il veut, évidemment. N. Morano, changer, vous dites il faut changer le regard sur l'apprentissage. Je voudrais quand même qu'on parle de l'apprentissage. Vous vous êtes fixée un objectif : 800 000 apprentis en 2015, contre 600 000 aujourd'hui. Changer le regard sur l'apprentissage, d'accord. Changer le regard sur l'apprentissage chez les parents, hein, notamment. Comment ?
 
Oui, chez les parents. Ca a déjà changé, le regard a déjà changé en post-bac, après bac.
 
Après bac, c'est vrai.
 
C'est-à-dire que dans l'enseignement supérieur les BTS par apprentissage, les formations par alternance...
 
... ça marche très bien.
 
Ça marche beaucoup mieux parce que les parents et les jeunes ont pris conscience que ces formations professionnalisantes avaient de meilleures chances à aboutir à un emploi, à trouver un emploi rapidement. Et c'est le cas puisque 70 % des jeunes qui sont passés par une formation par apprentissage trouvent un emploi vite. Et en revanche, dans les formations avant le bac, on voit qu'il y a encore, vous savez, au moment de l'orientation, parce que c'est quand même le noeud gordien l'orientation, c'est à ce moment-là que les choses se passent, et on sait très bien qu'il y a une dévalorisation encore trop forte dans notre pays de l'apprentissage, qui est une grave erreur. C'est culturel dans notre pays.
 
Bien sûr !
 
Lorsqu'on regarde en Allemagne, notre voisin, quand on voit le taux de chômage faible des jeunes qu'il y a en Allemagne, et depuis des décennies ils ont développé l'apprentissage et les formations par alternance, il faut arrêter de croire que l'apprentissage c'est pas « apte à » alors on va en apprentissage. C'est le contraire. Moi, j'ai beaucoup apprécié toujours la réflexion qu'avait fait C. Allègre, dans chaque enfant il y a un talent. Si tout le monde prenait conscience de ça et reconnaissait toutes les formes d'intelligence, on a besoin de tous les métiers dans notre pays, et c'est l'objectif du président de la République, c'est de se dire chaque jeune a du talent, on doit pouvoir mieux l'orienter, mieux le guider. Et vous savez qu'en passant par l'apprentissage vous pouvez devenir ingénieur, vous pouvez devenir chef d'entreprise, vous pouvez avoir une carrière vraiment axée sur la progression sociale. On ne le dit jamais suffisamment.
 
Ben, vous avez raison de le dire.
 
Nous allons y mettre les moyens financiers, monsieur Bourdin, il faut le dire aussi.
 
Oui, bon.
 
Avec le grand emprunt, c'est 500 millions d'euros sur la table.
 
500 millions d'euros, oui, j'ai vu. Mais comment allez-vous inciter les entreprises à accueillir davantage d'apprentis, parce qu'il y a le petit chef d'entreprise qui lui n'hésite pas à prendre un apprenti ?
 
Si, celui qui hésite un peu plus...
 
... mais les entreprises un peu plus...oui.
 
...à prendre un apprenti, oui, parce que, écoutez, ce qui est important, vous savez... comment est-ce que les entreprises vont décider soit de recruter, soit de prendre un jeune en apprentissage ? C'est d'abord aussi au regard de son carnet de commandes, il faut le dire.
 
Bien sûr.
 
Donc, nous devons nous donner les moyens de la croissance dans notre pays, et puis par ailleurs il faut des formations en adéquation avec les emplois qu'il y a sur le bassin...
 
Mais il faut l'encourager peut-être le chef d'entreprise.
 
Oui, il faut l'encourager, mais pour l'encourager il faut qu'il y ait des formations qui correspondent à ses attentes. C'est pour ça que les 500 millions d'euros sont importants, parce que nous allons créer à travers les appels d'offres que nous avons lancés cinquante projets avec des CFA multi-plateaux, c'est ce que nous avons lancé avec X. Bertrand, des CFA multi-plateaux qui permettent su une branche professionnelle d'y avoir tous les métiers, parce que ça, ça correspond vraiment à une attente. Il y a un autre problème aussi à régler qui est l'hébergement des apprentis. Et là aussi nous allons créer dans un premier temps 15 000 places, donc 250 millions d'euros spécifiquement dédiés à l'hébergement des apprentis. C'est tout ça aussi, c'est-à-dire mettre les moyens de renouveler, adapter plutôt, notre système de formation, d'accueil, pour avoir évidemment le nombre d'apprentis. Alors, j'ajoute que pour inciter les chefs d'entreprise à prendre des apprentis, je vais mettre en place des mesures de simplification, parce que c'est très complexe. Pour recruter un apprenti, c'est très complexe, quelques fois la formation est trop longue, donc, voilà, c'est tout cela que nous allons mettre sur la table très très vite.
 
Eh bien, N. Morano, on va écouter les auditeurs de RMC, et puis j'ai une ou deux questions politiquement concrètes.
 
M. Belliard (de RMC) : Bonjour. Avec une question de Thierry qui est dans le Loiret, ou la Nièvre, en fait il est quelque part sur la route, on l'a entendu sur RMC, ce matin. Alors, il vous dit, « Qu'il faille bloquer la circulation, admettons, mais pourquoi le faire après les stations de péage alors qu'il y a des aires de repos avant ? Entre le péage, l'essence qu'on brûle pour se chauffer, est-ce que l'Etat, les compagnies d'assurance et les stations services ne sont pas un peu en train de nous escroquer ? ».
 
Difficile de répondre, mais c'est vrai !
 
Oui, parce que vous répondez sur un point...
 
...un cas précis, oui.
 
...un cas précis d'un secteur, donc je ne serais pas en mesure de vous répondre. Non, je crois que il faut toujours...
 
...mais dites-moi, j'élargis.
 
Oui.
 
Alors, j'élargis. Est-ce que les classes moyennes quand même aujourd'hui, est-ce qu'on pense vraiment aux classes moyennes dans ce pays ? Est-ce que ce ne sont pas les classes moyennes, moyennes entre guillemets, qui trinquent ? Vous le regrettez ?
 
Mais vous me parlez de quoi là ?
 
Je parle globalement.
 
Par rapport aux péages, par rapport à tout ça ?
 
Je parle globalement de toutes les taxes, de tout ce que paie un Français moyen.
 
Non, non, je sais que c'est votre obsession de faire croire...
 
Ce n'est pas mon obsession !
 
Non, non, mais...
 
... ce n'est pas mon obsession, N. Morano, c'est celle des auditeurs que j'entends.
 
Monsieur Bourdin, vous savez, quand on vit une crise économique et financière comme on la traverse, ce qui est important, et la première préoccupation des Français, trois sur quatre, 67 % nous demandent à ce que le gouvernement soit mobilisé sur l'emploi, la création d'emplois, la lutte contre chômage.
 
On est d'accord.
 
Parce que le premier des pouvoirs d'achat c'est d'avoir un travail, monsieur Bourdin.
 
Mais ça, on est bien d'accord.
 
Et c'est vrai que lorsque vous voyez pour la première fois le recul du chômage, plus de 20 000 personnes, 20 300 personnes qui ont retrouvé un emploi, c'est les derniers chiffres du chômage qui viennent...
 
... sur un mois, oui.
 
...sur un mois. Donc, nous commençons malgré la crise économique et financière que nous venons de traverser d'enregistrer des résultats qui sont encourageants, je ne dis pas qu'ils sont bons, je dis qu'ils sont encourageants, et qu'il faut continuer ; que ça été très difficile et que les mesures que nous avons mis en place pour lutter contre la crise portent leurs fruits, que les réformes nécessaires avec la réforme des retraites qui a été difficile, vous avez vu un peu comme ce n'était pas facile de la mettre en place. Sauf que, regardez la situation dans les autres pays, en Espagne...
 
...oui, enfin, bon, on va pas parler de la crise financière, de la dette, de l'endettement.
 
Non, non, non, mais, attendez, attendez...
 
N. Morano, il y a des quantités de questions...
 
...arrêtez de me faire, classe moyenne à parti de quel niveau, jusqu'à quel niveau ?
 
Mais ce n'est pas ça...
 
On est concentrés sur les classes moyennes.
 
Bon.
 
On est concentrés sur ceux qui ont des difficultés.
 
Bon, ben tant mieux, nous verrons !
 
On est concentrés à servir la France...
 
Eh bien, nous regarderons les résultats, N. Morano.
 
... dans la globalité, monsieur Bourdin.
 
Mais nous regarderons les résultats.
 
Oui, nous regarderons !
 
Alors, questions politiquement concrètes. Est-ce que vous êtes d'accord avec M. Drucker qui ne veut pas inviter M. Le Pen dans son émission ?
 
Moi, je n'ai pas à me substituer à M. Drucker sur le choix de ses invités.
 
Non, mais vous avez une idée sur la question.
 
Comme à vous. Vous, vous invitez des gens, je n'ai pas à choisir... voilà. En même temps, moi, je pense normal...
 
... bon, alors, est-il logique qu'on n'invite pas M. Le Pen ?
 
Moi, j'ai vu M. Le Pen chez monsieur Durand, chez G. Durand sur France 2, où elle a participé à une très longue émission. Je trouve que c'est normal d'inviter des responsables politiques. Le Front national est un parti politique qui est autorisé dans notre pays, donc il est normal qu'elle puisse s'exprimer à ce titre. C'est ma conviction personnelle. Et je crois qu'il faut combattre les idées en pouvant répondre à des idées exprimées.
 
Donc, on invite tout le monde.
 
Moi, je suis plutôt favorable à ce qu'on invite tout le monde, évidemment.
 
Bien. Eh bien, merci N. Morano.
 
Ben voilà !
 
Ben merci d'être venue nous voir. (.../...)
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2010