Déclaration de M. Alain Juppé, ministre de la défense et des anciens combattants, sur la réforme de l'OTAN, la Défense européenne, les coopérations militaires franco-anglaise et franco-allemande et sur les opérations extérieures de l'armée française, à l'Assemblée nationale le 21 décembre 2010.

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Circonstance : Audition devant la Commission de la Défense et des Forces armées, à l'Assemblée nationale le 21 décembre 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Avant toute chose, permettez-moi de saluer la mémoire du commandant Benoît DUPIN, du 2e régiment étranger de génie, tombé au champ d'honneur le 17 décembre au cours d'une mission de reconnaissance en vallée d'Alasay, et du maître Jonathan LEFORT, du commando Trépel, mort au combat le même jour en vallée de Bedraou au cours d'une opération conduite avec les forces de sécurité afghanes. Au moment où je vous parle, j'ai également une pensée pour leurs proches et pour tous leurs compagnons d'armes.
Permettez-moi aussi de vous remercier de votre invitation, qui me permet de faire avec vous un premier tour d'horizon des grands sujets d'actualité en matière de défense, comme nous aurons l'occasion de le faire régulièrement au cours des prochains mois.
Ce tour d'horizon sera aujourd'hui placé sous le signe de l'international et des opérations extérieures, car vous le savez, ces dernières semaines ont été particulièrement riches dans ces deux domaines.
Aujourd'hui plus que jamais, la France est en effet en initiative sur tous les grands enjeux de défense et de sécurité.
Elle est d'abord en initiative depuis plusieurs mois pour moderniser l'Alliance atlantique. Nous avons joué un rôle décisif pour engager le processus de transformation de l'OTAN lors du sommet de Lisbonne, les 19 et 20 novembre, notamment dans deux domaines essentiels.
Le premier, c'est la réforme des structures et de la gouvernance budgétaire de l'Alliance, pour répondre aux besoins militaires actuels et gagner en efficacité. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons tous, l'OTAN ne pouvait s'exonérer de cet effort et je voudrais saluer l'esprit de responsabilité et la pugnacité du Secrétaire général de l'Alliance dans cette démarche.
En dépit du poids des conservatismes, nous avons réussi à obtenir de vraies décisions :
- La réduction de la structure de commandement d'environ un tiers pour ne conserver que les états-majors réellement utiles ou déployables, soit une diminution de 13 000 personnels environ à 8 950, avec un objectif de réduction supplémentaire à 8 500 personnels ;
- Le regroupement des 14 agences de l'OTAN en trois entités, permettant des économies de personnel et de coûts de fonctionnement ;
- Et la stabilisation des budgets après l'alerte de 2009-2010.
Cette réforme doit être menée à son terme dans les échéances prévues. Nous devrons pour cela surmonter des résistances et maintenir une forte pression, notamment lors de la difficile discussion à venir sur la localisation géographique des états-majors. Ce sera l'une de mes priorités pour le premier semestre 2011.
Le second résultat satisfaisant, c'est l'adoption d'un nouveau concept stratégique qui répond à nos attentes. Il s'agit en effet d'un texte équilibré et lisible, adapté aux évolutions de notre environnement de sécurité car il prend en compte les nouvelles menaces, en matière de terrorisme, de prolifération ou de cyber-défense. Il préserve le coeur militaire de l'Alliance et réaffirme sa responsabilité première, qui est de protéger et de défendre le territoire et la population de ses pays membres, conformément à l'article 5 du Traité de Washington. Pour cela, le nouveau concept souligne notre détermination à veiller à ce que le l'OTAN dispose de tout l'éventail des capacités nécessaires, et notamment celle de la défense anti-missile balistique, qui vient en complément de la dissuasion et la renforce. Le rôle central de la dissuasion nucléaire est donc préservé et réaffirmé.
Ce nouveau concept affirme également le caractère stratégique de deux partenariats majeurs de l'Alliance.
- Le partenariat avec la Russie, d'abord : grâce à l'impulsion de l'Allemagne et de la France, notamment lors du sommet de Deauville des 18 et 19 octobre derniers, nous avons donné un nouveau départ à la relation OTAN-Russie, avec notamment la décision de coopérer sur la défense anti-missile face à une menace commune. Les modalités concrètes de cette coopération devront être étudiées au cours des prochains mois.
- Le partenariat avec l'Union européenne, ensuite, même si cette entreprise se heurte à des blocages politiques encore difficiles à lever. (NB : Ankara refuse de développer la relation OTAN-Union européenne au-delà du cadre agréé de Berlin + qui exclut Chypre, ce qui interdit notamment tout échange d'informations classifiées entre les deux organisations).
Outre notre mobilisation en faveur de la transformation de l'Alliance, nous sommes également en initiative sur le dossier de la défense européenne.
La lettre que Michèle ALLIOT-MARIE et moi-même venons d'adresser, avec nos homologues allemands et polonais, à Catherine ASHTON, Haute Représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité, constitue à cet égard un signal politique fort. A un moment où les Européens doivent faire des choix décisifs pour l'avenir de leur défense, nos trois pays rappellent l'importance d'une Europe de la défense crédible aux plans politique et militaire, et capable d'entretenir des liens de complémentarité efficaces avec l'Alliance. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à la Haute Représentante de s'investir personnellement en ce sens en lui proposant une feuille de route concrète pour les mois qui viennent :
- Le renforcement de la coopération Union européenne / Alliance atlantique, au plan opérationnel comme au plan capacitaire ;
- L'amélioration des capacités de planification et de conduite européennes et le développement des groupements tactiques inter-armés de réaction rapide ;
- Le renforcement des capacités militaires européennes, en recherchant des formules nouvelles de mutualisation ou de partage (« pooling and sharing ») permettant d'optimiser l'utilisation de nos ressources. L'Agence européenne de défense a tout son rôle à jouer pour nous aider à relever ce défi.
La France veut en effet orienter la politique européenne de défense vers la production de capacités militaires réelles. Depuis la Présidence française de l'Union européenne de 2008, notre pays est à la pointe de cette ambition et nous poursuivrons nos efforts en ce sens dans les mois prochains. En dépit de contraintes budgétaires fortes, nous ne pouvons pas baisser la garde dans un monde qui demeure imprévisible.
Pour relever ces défis, notre pays donne l'exemple.
Nous donnons l'exemple au plan national, à travers les réformes courageuses que nous avons entreprises pour rationaliser et moderniser notre outil de défense. Je n'y reviendrai pas.
Nous donnons aussi l'exemple à travers nos coopérations bilatérales.
Je pense bien sûr à la coopération sans précédent que nous avons engagée avec les Britanniques dans le cadre du traité signé le 2 novembre dernier.
Notre premier objectif, c'est l'action. Nous voulons développer la coopération entre nos forces armées pour favoriser leur déploiement conjoint. Nos deux pays devront être en mesure de mettre en oeuvre une force interarmées, disponible sous faible préavis et adaptée à différents scénarios, y compris pour les opérations de haute intensité. Cette force, qui comprendra trois composantes, terrestre, maritime et aérienne, pourra être engagée dans le cadre de l'OTAN comme de l'Union européenne, comme le prévoit explicitement le Traité.
Notre deuxième objectif, c'est d'optimiser nos ressources et de préserver nos capacités industrielles. A cet effet, nous organiserons, dans une logique de dépendance mutuelle acceptée et dans la durée, un partage et une mutualisation des équipements ou des installations. Dès que cela est possible et utile, nous recourrons également à des procédures d'acquisition concertées permettant des économies d'échelle. Cela pourrait par exemple être le cas pour des systèmes de guerre des mines ou pour des drones de future génération.
Vous le savez, cette coopération s'étendra également au domaine de la dissuasion nucléaire, dans le respect de la souveraineté de nos deux pays.
Notre intention est de mettre en oeuvre rapidement cette feuille de route. C'est la raison pour laquelle les premiers contacts ont d'ores et déjà été pris entre les différents groupes de travail dans les domaines juridique, militaire ou industriel.
Permettez-moi d'insister sur un point : cette initiative franco-britannique a reçu un accueil positif et intéressé de la part de l'ensemble de nos partenaires.
- Les pays européens, d'abord, qui ont tous compris qu'elle ne pouvait que renforcer le potentiel de défense européen.
- Nos alliés américains, également, qui voient dans cette coopération une volonté européenne de ne pas baisser les bras malgré un contexte économique difficile et le souhaite de rester interopérable avec les propres forces armées.
Au-delà du dialogue franco-britannique, nous avons également donné un nouveau souffle à la coopération franco-allemande, notamment grâce à la modernisation de la brigade franco-allemande.
Je me suis rendu il y a 10 jours à Strasbourg avec mon homologue, Karl-Theodor zu GUTTENBERG, à l'occasion de la création d'un nouveau bataillon, le 291e bataillon de chasseurs, qui sera installé à Illkirch. Cette évolution, qui nous permet de mieux équilibrer l'implantation des unités de la brigade, jusqu'alors exclusivement stationnées en Allemagne, s'accompagne d'une importante montée en puissance capacitaire. Elle donnera tous les atouts aux soldats de la brigade franco-allemande pour réussir leur mission au Kosovo où ils seront déployés au printemps prochain.
Vous l'avez compris, toutes les réformes que nous mettons en oeuvre, que ce soit dans le cadre de l'Alliance, de l'Union européenne, de nos relations bilatérales ou sur le plan national, n'ont en effet qu'un seul objectif : permettre à nos forces déployées en opérations de remplir leur mission.
Parmi ces opérations, je voudrais évoquer 4 théâtres qui font actuellement l'objet d'une attention toute particulière.
Le premier d'entre eux, c'est le Liban, où la France conserve un haut niveau d'engagement au sein de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). La France soutient également le renforcement des Forces armées libanaises (FAL), afin que ces dernières puissent prendre en compte la sécurité du pays, conformément aux résolutions 1701 et 1937 du Conseil de sécurité (cession en cours de 100 missiles HOT et d'un simulateur de tir pour équiper les hélicoptères GAZELLE de l'armée libanaise).
Dans le cadre de la revue des forces conduite par le secrétariat des Nations Unies, une réorganisation de notre dispositif est actuellement en cours. Cette réforme, qui vise à adapter notre contingent aux réalités de la zone d'opérations tout en modernisant nos équipements, nous conduira à fournir la force de réserve de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) à compter de mai 2011, avec un effectif de 1350 hommes.
Aujourd'hui, la première phase de cette réorganisation est achevée, avec le départ le 14 décembre des chars Leclerc et leur remplacement par des équipements plus appropriés et plus mobiles, comme le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) et le canon CAESAR.
Deuxième théâtre d'opération : la République de Côte d'Ivoire, qui se trouve depuis le 28 novembre dans une situation particulièrement préoccupante et instable.
Il revient à la Force de l'ONU en Côte d'Ivoire (ONUCI) d'agir et de s'interposer entre les Ivoiriens en cas de dérapage sécuritaire et de protéger le gouvernement légitimement élu. Le Conseil de sécurité des Nations unies vient de renouveler à l'unanimité le mandat de l'ONUCI pour 6 mois et étudie un renfort en troupes pour alléger la pression subie sur le terrain par les casques bleus.
Par ailleurs, l'Union européenne a voté hier des sanctions contre 19 personnalités, dont Laurent GBAGBO. La communauté internationale est donc pleinement mobilisée pour faire respecter le vote des Ivoiriens.
Dans ce contexte, les 950 hommes de la force Licorne, force déployée depuis septembre 2002 dans le cadre de l'ONU, garantissent la sécurité de nos 15 000 ressortissants français et apportent un soutien à l'ONUCI dans la limite de leurs capacités, conformément à la résolution 1962 du 20 décembre des Nations Unies. Jusqu'à présent, la sécurité de la communauté française est assurée. C'est pour nous une ligne rouge.
En complément de la Force Licorne, des moyens sont maintenus en alerte à partir de notre dispositif prépositionné et en métropole. Si la Force Licorne venait à être attaquée, nous appliquerions alors notre droit à la légitime défense, conformément aux règles internationales. Mais nous n'en sommes pas là.
Troisième théâtre : l'Océan indien.
Après y avoir commandé pour la première fois les forces aéromaritimes de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie, la France vient la semaine dernière de transférer ce commandement aux Espagnols.
J'ai eu l'occasion de le vérifier il y a dix jours à Bruxelles lors de mes échanges avec mes homologues : cette opération est pour nous tous un exemple de ce que nous voulons faire en matière de coopération militaire européenne.
Mais nous sommes également unanimes sur la nécessité pour la communauté internationale, et pour l'Union européenne en particulier, de s'impliquer davantage dans la résolution de la question globale de la piraterie, à laquelle l'opération Atalante n'apporte qu'une réponse militaire. Notre conviction à tous, c'est que l'amélioration du traitement judiciaire des pirates, par exemple à travers la création d'un tribunal somalien délocalisé, et la stabilisation de la région sont des conditions indispensables si nous voulons lutter efficacement contre ce fléau.
En tout état de cause, avec deux frégates et un avion de surveillance maritime, la France restera le principal contributeur de l'opération. Je veillerai à m'assurer que les autres nations européennes soient solidaires de notre effort.
Enfin, quatrième théâtre : l'Afghanistan, où nous arrivons probablement à un tournant dans les opérations en cours.
A Lisbonne, les 49 nations contributrices à la Force Internationale de Stabilisation ont donné leur accord pour un début de transfert des districts aux autorités afghanes dès 2011, avec pour objectif de transférer la totalité des districts d'ici à 2014. Cela ne signifie pas un abandon du gouvernement afghan : au-delà de cette échéance, l'OTAN a également affirmé sa volonté de s'engager dans un partenariat de longue durée avec l'Afghanistan.
En ce qui concerne les forces françaises, dont le volume atteint actuellement près de 4 000 militaires, l'objectif est d'assurer les conditions permettant le transfert aux autorités afghanes de la sécurité du district de Surobi d'ici la fin du premier semestre 2011 pour nous concentrer ensuite sur la Kapisa.
Dans le même temps, nous intensifions notre effort dans le domaine de la formation des forces afghanes de sécurité et nous travaillons, avec le ministère des Affaires Etrangères et Européennes, au renforcement du pôle stabilité-développement qui oeuvre actuellement dans la zone de responsabilité de nos forces.
En tout état de cause, je le souligne, nous sommes très vigilants à ne pas annoncer artificiellement de date de retrait de nos forces. Nous attendons d'ailleurs de nos partenaires qu'ils fassent preuve de la même patience stratégique. La crédibilité de la coalition en dépend.
Mesdames, Messieurs les Députés,
Vous le voyez, les chantiers à mener et les défis à relever sont nombreux. Vous pouvez compter sur ma détermination et sur mon engagement pour me consacrer pleinement à la tâche qui m'a été confiée par le Président de la République.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 janvier 2011