Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à "Radio classique" le 14 décembre 2010, sur la reconduction ou le remplacement d'Anne Lauvergeon à la tête d'Areva, sur la "taxe google" des entreprises, sur la situation de la filière automobile.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

N. Pierron.- Avec nous, ce matin, sur Radio Classique, le ministre de l'Industrie, de l'Énergie et de l'Économie numérique, bonjour, É. Besson. Bonjour. A. de Juniac, directeur de cabinet de C. Lagarde, est officiellement candidat pour succéder à A. Lauvergeon à la tête du groupe nucléaire Areva. Ca veut dire qu'il a l'aval de Bercy et de l'Elysée a priori ?

Je ne sais pas. Je ne le dirais pas comme ça, c'est quelqu'un incontestablement de grande qualité, il a donc le droit de postuler dans un univers qui est que vous connaissez, c'est-à-dire qu'il y a une commission qui va être créée, pour étudier le renouvellement d'A. Lauvergeon ou le choix d'un successeur. J'ai noté la réaction de l'Elysée hier soir, en disant, que c'était une démarche personnelle, qui n'engageait que lui. J'en conclus donc que ça n'a pas nécessairement été avalisé.

Effectivement, A. de Juniac a saisi la commission de déontologie. Il n'y a pas un problème flagrant, là ? C'est quand même lui qui a piloté le dossier de recapitalisation d'Areva ?

Écoutez, c'est pour ça qu'il existe une commission de déontologie, c'est à elle de s'exprimer dans ces cas-là, puisqu'elle a été saisie et si je comprends, puisqu'elle a été saisie, je dirais spontanément, par le directeur de cabinet de C. Lagarde qui a souhaité préventivement poser cette question. Ca serait quand même le comble que ce soit moi, qui y réponde alors qu'il a posé la question à la Commission afférente.

En tout cas, il a le bon profil a priori ? Il a des qualités incontestablement, d'autres aussi, je n'irai pas plus loin sur le sujet.

Ce n'est pas un peu tôt quand même, pour parler de la succession de A. Lauvergeon, ce n'est pas un peu indécent, c'est dans 6 mois, plus de 6 mois ?

Oui. Oh ! Vous savez, ces choses-là, ça se prépare de longue date. Mais le point sur lequel je vous rejoins, je vous dirai très clairement, que pour ce qui me concerne, ce n'est pas ma priorité. Ma priorité, c'est l'organisation de la filière nucléaire française. Nous avons en France des champions qui ont des atouts, EDF, AREVA, on vient d'en citer l'un des deux protagonistes, mais il faut ajouter, GDF SUEZ, TOTAL, le CEA, nous avons 5 grands champions dans le secteur de l'énergie et du nucléaire. Il nous appartient, en tout cas pour ce qui concerne l'Etat actionnaire, pour la partie qui relève de lui, d'organiser cela, pour ce qu'on a appelé l'équipe de France de l'énergie, l'équipe de France du nucléaire, soit plus performante qu'elle ne l'est. A un moment où nous allons en France devoir prolonger la durée de vie de nos centrales nucléaires et où de toute évidence, à l'international il y a des opportunités très importantes sur le sujet.

Autre actualité, E. Besson, le Parlement qui a adopté hier, via la commission mixte parlementaire une taxe baptisée « taxe Google » qui consiste à prélever 1 % des investissements en pub, sur le Net. Taxe dénoncée par les entrepreneurs du Web, qui disent : c'est contreproductif, on va taxer les petites entreprises, on va tuer dans l'oeuf la croissance du Net en France ?

Alors petit préambule : l'exécutif en France est lié au législatif, donc la loi de finance s'applique et le Gouvernement doit appliquer ce qu'a voté le Parlement. Donc ce préambule est important, cela étant, je ne suis pas sûr que ce soit, effectivement, la taxe la plus appropriée à l'objectif assigné. Quel était l'objectif ? C'est visiblement de dire, dans la nouvelle économie, finalement, il n'y a pas d'assiette pour une taxation et cette nouvelle économie n'apporte pas sa contribution alors qu'elle génère des richesses. Le constat est vrai. Est-ce que l'outil qui est choisi, qui n'est pas du tout une « taxe google » finalement, parce que Google va y échapper totalement, c'est ça le paradoxe, c'est une taxe au fond sur la publicité en ligne, des entreprises françaises. Et c'est là, je crois que le bât blesse, parce que a minima il aurait fallu que ce soit coordonné, européen, voire international. Moi, il me semble que c'est une vraie question, c'est-à-dire comment ces entreprises qui pour la plupart sont implantées aux Etats-Unis gagnent beaucoup d'argent, paient des impôts aux Etats-Unis, mais rien sur la base française. C'est une vraie question, je pense qu'il existe des outils, il faudra qu'on en reparle dans les semaines et dans les mois qui viennent, à mon avis plus appropriés pour prélever, mais autrement que ce qui a été décidé là.

Vous accompagnez, ce matin, le chef de l'État à Vernon, dans l'Eure, pour visiter un site du motoriste aéronautique et spatial Safran Snecma. On parlait de politique industrielle, domaine dans lequel la crise a quand même plutôt empiré les choses, en France. Un seul chiffre, le nombre de voitures achetées en France qui sont construites dans l'Hexagone a été divisé par deux en l'espace de sept ans. Qu'est-ce qu'on peut faire ?

D'abord si on réduit un peu la focale, depuis 2 ans, le marché de l'automobile se porte bien. 2009 a été une très bonne année, grâce notamment à la prime à la casse, et au plan de soutien du Gouvernement. 2010 est une bonne année.0

Mais ça ne profite pas à l'emploi en France ?

Ah ! Ca profite quand même à l'emploi en France, l'emploi direct et l'emploi indirect. Vous savez, c'est tout le paradoxe de l'industrie. Quand vous comptabilisez les emplois directs vous dites : finalement l'industrie n'a pas le même poids, ce qui est vrai. Lorsque vous regardez les exportations par exemple, et Dieu sait qu'on en a besoin d'exporter, c'est 80 % des exportations. Si vous regardez la recherche et développement, c'est 90 %, le secteur industriel. Les emplois dits « indirects » sont très, très importants. Parce qu'au fond, il y a tout le secteur de ce qu'on appelle les services à l'industrie. Et puis vous savez ce qu'a été le choix de l'industrie, elle a beaucoup externalisé et au fond, dans l'industrie, il faut maintenant agglomérer avec toutes les petites et moyennes entreprises qui sont autour de l'industrie. Ca reste très important, on est sur une tendance qui est très acceptable. Si on fait abstraction du coût direct des grèves, d'il y a un mois et demi à peu près, raffinerie etc. la production industrielle se porte à peu près bien.

Elle se porte beaucoup moins bien qu'en Allemagne tout de même ?

C'est ce que j'allais vous dire, nous avons une compétitivité dégradée par rapport à l'Allemagne. C'est certain, il nous faut étudier, c'est l'objet d'ailleurs de la Commission nationale de l'Industrie que je réunis cet après-midi. Elle tourne autour de concepts clairs. Nous avons déterminé, c'est mon prédécesseur qui l'avait fait, C. Estrosi, 11 filières, dans lesquelles il faut qu'on s'organise. Je citais tout à l'heure la filière nucléaire ou plus largement de l'énergie. Il y a celle de l'automobile, où de toute évidence, il faut que les constructeurs travaillent mieux avec leurs sous-traitants et un certain nombre de PME. Je pourrais multiplier les exemples. Ce que l'on peut faire de mieux maintenant, il existe des outils importants, le crédit impôt recherche, l'investissement par le grand emprunt, les investissements d'avenir, c'est probablement du côté de l'organisation des filières qu'on peut avoir le plus d'impact. On va s'y employer dès cet après-midi.

Ça suffira à freiner les délocalisations qui sont une réalité aujourd'hui ?

Alors les délocalisations sont une réalité, elles peuvent être un outil de compétitivité y compris pour les entreprises françaises. On a cité beaucoup ces derniers jours, l'exemple de Dacia, en disant : voilà un exemple d'erreur stratégique majeure. Finalement, Renault, comment dire, se concurrence lui-même par une de ses filiales roumaines. Moi, je n'y crois pas, il y a une gamme de produits, il y a un marché en Europe, ce qu'on appelle « la voiture low cost » entre guillemets, la voiture entrée de gamme, elle est fabriquée en Roumanie, tant mieux pour Renault et tant mieux pour les consommateurs européens. Mais Renault garde des perspectives intéressantes dans la moyenne et haut de gamme, et c'est probablement là que se fait la valeur ajoutée.

E. Besson, quel candidat socialiste vous semblerait le plus compétent sur les dossiers économiques pour 2012 ?

Je ne sais pas. Je n'ai plus de légitimité en plus pour en parler, c'est aux militants socialistes et puis les sympathisants, puisque j'ai compris qu'il allait y avoir une procédure ouverte, d'en décider.

Vous êtes très proche de F. Hollande ?

Je fus ! J'ai voté D. Strauss-Kahn en 2006, quand la question m'était posée.

Ah ! Donc plutôt DSK pour 2012 ?

Je ne sais pas, D. Strauss-Kahn a des atouts incontestablement, mais il y en a d'autres. Ça me paraît très ouvert, S. Royal a pris un risque calculé, qui m'a paru bien joué, dans la période d'incertitude dans laquelle se trouvaient ses principaux concurrents et tuant l'idée d'un entre guillemets « pacte » qui courait. Elle a fait preuve, là, de culot et puis de cohérence. Parce que je n'ai... il y a une chose à laquelle je n'ai jamais cru, c'est l'idée que l'on puisse dissocier le vote sur des idées, le projet et ensuite, ensuite seulement choisir le candidat ou la candidate quel que soit le talent de ces candidats, ou de ces candidates. Il me paraît logique, pour un parti, de voter en même temps pour un homme ou une femme, et les idées qu'ils portent, c'est ça l'incarnation de la politique. Illustration récente, comme dans tous les partis sociaux-démocrates ou socialistes en Europe, ce qui vient de se passer chez les travaillistes britanniques, les deux frères Miliband se sont présentés devant les militants du Parti travailliste en incarnant deux lignes politiques. C'en est une, celle dite plus à gauche, qui a été retenue et du coup les choses se font dans la clarté. Si les travaillistes reviennent au pouvoir, vous savez déjà qui sera le Premier ministre britannique.

Merci, E. Besson.

Merci, à vous.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 décembre 2010