Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RMC le 13 avril 1999, sur les résultats des bombardements en Serbie, la difficulté de l'aide aux personnes déplacées au Kosovo et sur la responsabilité politique de M. Milosevic.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

PHILIPPE LAPOUSTERLE
Aujourdhui commence la quatrième semaine de bombardements des forces serbes, ce qui est un délai suffisant pour dresser un bilan militaire. LOTAN a-t-elle porté ce matin des coups en mesure dempêcher monsieur Milosevic de continuer ses entreprises de massacres au Kosovo ?
ALAIN RICHARD
Pas encore. Lensemble des frappes aériennes garde pour objectif de paralyser lappareil militaire et répressif de la Yougoslavie. Nous navons pas atteint la totalité de cet objectif, mais la plus grande partie. Ces forces ne peuvent plus être soutenues par leurs avions, car il ny a plus davions yougoslaves qui volent. Elles ne pourront bientôt plus être soutenues par leurs hélicoptères, qui ne se déplacent pratiquement plus. Elles ne peuvent plus être renforcées par les forces terrestres yougoslaves des autres régions qui se déplacent de moins en moins et ne peuvent plus renouveler le matériel ou les munitions quelles ont employés. De sorte quaujourdhui, nous sommes pratiquement en situation de zone dinterdiction aérienne : seuls les avions de lAlliance survolent ces forces. Elles se déplacent de moins en moins parce quelles savent que, dès linstant où elles apparaissent à découvert, elles risquent, avec un fort niveau de risque, dêtre détruites. Il reste les policiers et les miliciens qui, le pistolet sur la tempe, disent encore à des villageois ou à des habitants des quartiers des villes du Kosovo, de partir. Cela durera encore quelques semaines.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Quelques semaines ?
ALAIN RICHARD
Quand ils savent quils nont plus la protection des chars derrière eux, ils deviennent beaucoup moins courageux.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Les massacres continuent aujourdhui au Kosovo et monsieur Milosevic nest toujours pas à la table des négociations.
ALAIN RICHARD
Oui. Je ne sais pas quelle est votre échelle de temps dans le règlement des problèmes historiques, mais trois semaines cest peu. La première épreuve que rencontre une démocratie comme la nôtre qui est baignée à chaque instant dinformations, de réflexions et de polémiques, est sa capacité à tenir ses objectifs et ses déterminations dans la durée.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Mais y a-t-il des signaux qui permettent despérer ?
ALAIN RICHARD
Notre démocratie, comme dailleurs la plupart de nos partenaires européens, fait preuve de lucidité et de détermination. Les Français se rendent compte avec leurs moyens dinformations quun problème comme celui-là ne se règle pas en trois semaines. Cest normal que vous soyez du côté de ceux qui manifestent de limpatience mais la réalité est ainsi.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Ne pouvez-vous pas changer les moyens, par exemple ?
ALAIN RICHARD
Par rapport à la situation dans laquelle lon était lorsque les diplomates ont constaté que les pourparlers de Rambouillet naboutissaient pas à cause du refus obstiné de lautorité yougoslave, cela veut dire que cette autorité yougoslave a déjà perdu une grande partie des moyens dopprimer son propre peuple.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Mais ne faut-il pas aller plus loin ?
ALAIN RICHARD
Nous allons aller plus loin en réduisant de plus en plus les capacités daction de ces forces.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Une intervention terrestre ?
ALAIN RICHARD
Depuis le premier jour, des gens ont dit quil fallait faire une opération terrestre. Si quelquun essaie dimaginer ce quaurait donné lentrée en force de 150 000 hommes au Kosovo - à supposer dêtre préparés pendant les négociations, ce qui aurait été paradoxal - alors que les habitants y étaient encore avec les forces yougoslaves, le résultat obtenu en trois semaines serait beaucoup plus tragique en nombre de morts civils et beaucoup moins efficace en terme de réduction de la capacité militaire de la Yougoslavie. Pour lavenir, rien nest fermé mais ce qui compte, cest dabord de limiter et de paralyser la possibilité daction des forces répressives : nous en sommes assez loin. Par ailleurs, il est vrai que lon a aussi attaqué le cerveau du système répressif en tirant sur les ministères et sur des états-majors, et que ceci est un autre élément de pression sur lautorité yougoslave qui ne peut vivre politiquement quavec un système répressif. Nous savons depuis le début que lélément essentiel pour monsieur Milosevic est le maintien de son propre pouvoir, maintenant menacé.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Madame Albright, qui est à la tête de la diplomatie américaine, a dit hier que 700 000 réfugiés kosovars erraient dans leur propre pays et étaient au bord de la famine.
ALAIN RICHARD
Cest la constatation de deux éléments : il y a les personnes qui sont encore à leur domicile dans leur village ou dans leur ville, privées dun certain nombre de moyens dexistence et qui nont pas été évincés, et un nombre de déplacés à lintérieur même du Kosovo que nous évaluons plutôt aux environs de 150 à 200 000 personnes. Les uns et les autres sont en situation de précarité, pas au même niveau. Il ny a pas 700 000 personnes dans les bois mais il y en a en effet entre 100 et 200 000 personnes. Nous travaillons darrache-pied avec nos alliés à toutes les solutions qui permettent de leur apporter un secours.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Les parachutages, par exemple, sont-ils possibles ?
ALAIN RICHARD
Nous examinons toutes les possibilités : elles ne sont pas encore définies compte tenu de la difficulté. Je rappelle que lautorité yougoslave en annonçant la semaine dernière un prétendu cessez-le-feu a indiqué que les organisations non gouvernementales, notamment les organisations humanitaires, pourraient revenir. Il peut y avoir une mise au défi mais en tout cas il est vrai quaujourdhui les personnes, qui sont soit restées à leur domicile au Kosovo, soit déplacées à lintérieur du Kosovo, sont sans doute en situation plus précaire que les réfugiés maintenant accueillis et soutenus.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Est-ce quil ne faut pas changer les buts de la guerre en fonction des situations nouvelles ?
ALAIN RICHARD
Sûrement pas. Le but de la guerre depuis le début est de permettre à tous les habitants du Kosovo de vivre au Kosovo.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Parce que vous croyez quils vont vivre de nouveau ensemble ?
ALAIN RICHARD
Bien sûr, je le crois. La volonté politique de tous les Européens est fondée sur les valeurs qui sont à la base de lengagement et de la construction européenne : nous tiendrons ces objectifs. Et si les Français nous suivent, comme les Allemands, les Britanniques et les Italiens suivent laction, cest parce quils sont profondément convaincus de cela. Nous nallons pas les décevoir.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
En ce qui concerne la personnalité de monsieur Milosevic qui est présentée par les autorités françaises et le secrétaire général des Nations-Unies comme un criminel de guerre...
ALAIN RICHARD
Absolument pas. Le statut de criminel de guerre est décidé par un tribunal.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
Alors, comme quelquun qui sera passible dun tribunal international, vous avez raison.
ALAIN RICHARD
Les autorités françaises nont jamais employé ce terme : on a dit que les actions seraient passibles dêtre jugées.
PHILIPPE LAPOUSTERLE
On négocie certes avec un adversaire, mais faut-il négocier avec quelquun dont on dit officiellement quil sera un jour passible des tribunaux internationaux ?
ALAIN RICHARD
On ne dit pas cela pour la bonne raison que ce nest pas aux autorités politiques exécutives de dire qui remplit telle ou telle condition pénale : cela revient à un tribunal indépendant. Nous cherchons une solution politique qui permette à tous les Kosovars de vivre au Kosovo. On la négociera avec lautorité compétente pour négocier au nom de la Yougoslavie quil ne sagit pas de démanteler. Parmi les gens qui, sur un mode littéraire, évoquent la possibilité de changer de force lautorité yougoslave, je pense quils ne voient pas toutes les conséquences de ce quils disent. Ensuite, il revient aux concitoyens de monsieur Milosevic de juger politiquement ses actions. Je pense quils le feront, malgré ce que lon dit de façon superficielle sur ladhésion de lopinion yougoslave. Les Yougoslaves comprennent très bien que ce dictateur les a emmenés dans une impasse. Quant à lappréciation pénale, elle est le fait du Tribunal Pénal International qui rassemblera ces éléments, mènera son action de mise en accusation et choisira à la fin sil condamne.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 26 avril 1999)