Texte intégral
Q - Nous sommes ravis d'accueillir Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères et européennes.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les crises ne manquent pas, la Côte d'Ivoire, les otages, l'Afghanistan, ce qui se passe dans le monde arabe qui prend un tournant historique, la situation politique en France. Bref, nous allons essayer de prendre cela dans l'ordre.
Peut-être ce qui est le moins «chaud», la situation en Côte d'Ivoire où rien ne bouge. Pourtant, le président français avait fixé un ultimatum à Laurent Gbagbo et pour l'instant, la situation est un défi à la communauté internationale. Que fait-on, que faites-vous ?
R - Nous appuyons les institutions africaines, c'est-à-dire les institutions de l'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine dans son ensemble. Elles sont les premières, à la manoeuvre sur le devant de la scène. Avec l'ONU elles ont reconnu l'élection présidentielle et M. Alassane Ouattara comme le président de la Côte d'Ivoire et, ensuite, ont fait pression sur le président Gbagbo.
Q - Il vous nargue ?
R - Il est vrai qu'il essaie de se maintenir contre tous les principes démocratiques. Il y a une menace - selon les pays de la CEDEAO - d'intervention militaire.
Q - Est-ce qu'on la soutient ?
R - Nous ne soutenons pas l'opération militaire : nous disons que cela ne peut être qu'un dernier recours que nous voudrions absolument éviter parce qu'il existe des risques de morts. C'est la raison pour laquelle nous essayons d'agir par le biais des pressions sur tous ceux qui refusent, autour de M. Gbagbo et M. Gbagbo lui-même bien entendu, d'accepter les résultats des élections où les Ivoiriens se sont très clairement prononcés.
Nous l'avons fait, dans un premier temps, avec l'Union européenne et les Américains en leur interdisant de venir sur le territoire. Nous le faisons maintenant de plus en plus avec des pressions financières.
Q - C'est la seule chose qu'il va comprendre ?
R - C'est probablement la seule chose qu'il va comprendre. C'est extrêmement difficile parce qu'il avait placé des hommes à lui au sein d'un certain nombre d'institutions. Ils sont remplacés au fur et à mesure et c'est ainsi que la semaine dernière les chefs d'Etat...
Q - Y a-t-il un calendrier où l'on peut se dire que les résultats des élections présidentielles en Côte d'Ivoire et donc les répercutions internationales vont être respectées ? Gbagbo dehors, c'est pour quand ?
R - Je ne peux pas vous le dire au jour près mais encore une fois, ce que nous tentons de faire, c'est de le couper de ses sources financières qui lui permettent notamment de payer l'armée. C'est par ce biais qu'il tient aujourd'hui. Il tient par la force, par l'intimidation avec sa Garde présidentielle et un certain nombre de brigades autour de lui. Nous pensons que le jour où les gens se rendront compte qu'il n'a pas de quoi les payer, ils cesseront de le soutenir.
Q - Mais cela peut prendre des mois et pendant ce temps-là, on est ridicule puisque toute la communauté internationale a demandé son départ, le président français bien évidemment. Il ne part pas, semble-t-il, il se fiche complètement des arguments psychologiques. C'est tout de même une sorte de kyste pour la communauté internationale !
R - C'est quelque chose qui en effet choque beaucoup, à la fois la communauté internationale et particulièrement les Africains. Dimanche, ce sera certainement redit par les pays africains qui se réunissent et où seront présents le président de la République et moi-même.
Il y a probablement des mesures supplémentaires qui seront prises à cette occasion. Cette situation a perduré pendant des mois au Zimbabwe, nous ne voulons pas que la Côte d'Ivoire qui a été en quelque sorte un modèle soit un contre-modèle aujourd'hui.
Q - Peut-être avons-nous été imprudents ? Lorsque le président a écrit un ultimatum, était-ce risqué ?
R - Je crois qu'il a justement essayé de le dire à M. Gbagbo ; il a tenté de lui offrir une porte de sortie. A partir de là, la communauté internationale a donc décidé d'appliquer des sanctions. Il y a donc une progression de la pression exercée sur M. Gbagbo. Ce que nous souhaiterions, c'est que cette pression suffise et qu'il n'y ait pas d'intervention militaire car une intervention militaire, c'est du sang qui coule et nous ne le voulons pas dans un pays qui est ami de la France.
Q - Je voudrais vous poser une question qui n'est pas vraiment de fond avant d'entrer dans le détail de ce qui se passe dans le monde arabe. Les Occidentaux et plus particulièrement la France, le président et donc vous bien sûr, n'est-on pas en train de passer totalement à côté de ce qui se passe dans le monde arabe ? C'est ce que l'on a reproché à François Mitterrand lors de la réunification de l'Allemagne.
R - C'est exactement ce que j'allais vous dire. Il y a quelques années, la présidence de la République avec M. Mitterrand et ceux qui l'entouraient sont complètement passés à côté de ce qui se passait en Europe de l'Est.
Q - Et vous aujourd'hui, par rapport à l'Egypte, au Yémen, à la Jordanie, ce qui se passe en Tunisie, êtes-vous en train de vous «planter» totalement en donnant l'impression que vous ne soutenez pas l'Union démocratique ?
R - Je crois qu'il faut faire très attention à un certain nombre de choses. Il faut à la fois être capable d'analyser ce que sont les situations et c'est la raison pour laquelle je veux renforcer les capacités d'analyse du Quai d'Orsay.
Q - En effet, il s'est «planté».
R - Je ne peux pas dire cela.
Q - Les télégrammes diplomatiques de l'ambassadeur qui a été rappelé l'ont montré, notamment concernant justement le dernier discours de Ben Ali, en pensant qu'il devait reprendre la situation en main et cela a dégénéré le lendemain. Ensuite, l'ambassadeur a été remplacé par Boris Boillon.
R - Cessons de faire sans arrêt notre autocritique sans regarder ce qui se passe. La situation à échappé à tout le monde y compris au Département d'Etat dont quelques jours après, l'on vantait la clairvoyance. Le 12 janvier, le Département d'Etat a regretté l'attitude des manifestants tunisiens, c'était pas mal.
Q - La mission principale dans cette affaire et dans tous les dossiers que l'on évoque, c'est l'influence de la France. Je prends l'exemple de votre voyage en Israël. Vous allez en Israël avant que l'on ne parle de l'équipée de Gaza mais vous vous y rendez en disant que vous cherchez des positions d'écoute mais sans avoir de proposition à faire. Comment influer sur un processus lorsque l'on vient en disant : «j'écoute», sachant qu'il y a une évolution qui est en train de se jouer en ce moment à l'ONU.
R - Je suis allée en Israël avec une position d'écoute, ce qui me paraît normal. Il y a moins de deux mois que je suis au ministère des Affaires étrangères, il est normal que j'écoute mes interlocuteurs. En revanche, ce que j'ai également dit, aussi bien à Jérusalem qu'à tous mes interlocuteurs, le président, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Défense, le chef de l'opposition, qu'à Gaza lorsque je m'y suis rendue ou à Mahmoud Abbas lorsque je l'ai rencontré, je leur ai dit que la position de la France était très claire. La France veut qu'il y ait un Etat palestinien, viable.
Q - Mais, il y a des années que nous répétons cela !
R - Mais vous me dites que j'y suis allée sans rien dire et sans faire de proposition. Si j'ai fait des propositions et si vous me laissez 30 secondes, je vais vous les décrire.
J'ai rappelé la position de la France : nous voulons un Etat palestinien ; nous voulons que la sécurité d'Israël soit garantie et nous voulons que Jérusalem soit la capitale des deux Etats avec la possibilité d'accès à tous ceux qui sont représentés dans les religions à Jérusalem. Ce que j'ai dit aussi, aux Israéliens comme à Gaza, c'est que nous souhaitons que le blocus sur Gaza soit levé notamment concernant les matériaux de construction, en ce qui concerne les exportations de Gaza vers l'extérieur et la circulation des personnes.
De plus, j'ai également fait une proposition, celle que j'avais faite à M. Mitchell que j'avais rencontré quelques semaines auparavant. C'est de dire : M. Mitchell n'a pas réussi dans sa médiation, ce que nous proposons car cela me paraît absolument indispensable, c'est que le cercle de ceux qui interviennent soit élargi à la France, à l'Union européenne et également à un certain nombre de pays arabes.
Q - Une fois de plus, c'est une analyse globale, vous allez à Gaza où l'on demande une réunion sur l'Iran où la France a été très dure sur les sanctions iraniennes. Le Hamas qui est présent à Gaza et qui est une extension de l'Iran vous accueille comme nous l'avons accueilli, c'est normal. Comment peut-on valider un déplacement à Gaza sachant ce qui s'est passé la veille entre la France et l'Iran ?
R - Il est indispensable d'aller à Gaza pour montrer à la population gazaouie qui, je le signale, m'a accueillie extrêmement chaleureusement et je ne peux que regretter que l'on n'ait pas montré les images avec les lycéens, la société civile, les médecins de l'hôpital où j'allais inaugurer un service financé par la France. Il est indispensable de dire que la France peut aller n'importe où. Et ce n'est pas parce qu'il y a 40 personnes qui m'accueillent d'une façon un peu sportive, que cela va me troubler en quoi que ce soit.
Je ne regrette pas d'être allé à Gaza. J'y retournerai car il faut aussi montrer à la population qu'elle a le soutien, pour la construction d'une situation de paix et de développement, de la communauté internationale. La France est l'un des pays les plus présents dans cette zone et qui permet effectivement à ces jeunes de la population civile d'avoir une respiration. Oui, je suis très fière de ce qui s'est passé. Contrairement à l'impression qu'a pu donné une image qui représente 10 minutes dans un voyage de 4 jours, j'ai été très bien accueillie et je pense que ce fut un très bon voyage.
Q - Concernant ce qui se passe en Tunisie et en Egypte. D'abord, on a dit que le président de la République avait été mieux informé par la femme d'Eric Besson qui est tunisienne que par l'ensemble du Quai d'Orsay et de l'ensemble du Quai d'Orsay et des services secrets. Est-ce vrai ?
R - Je n'en sais rien, posez donc la question au président.
Q - C'est vrai, c'est pathétique, c'est-à-dire que les services de l'Etat sont moins compétents ?
R - Vous ne savez pas si cela est vrai, vous partez là-dessus. Ce que je dis, c'est que les services du Quai d'Orsay, comme d'ailleurs beaucoup de personnes, savaient depuis quelques années qu'il y avait un certain nombre de mécontentements qui montaient, notamment depuis quelques mois. La Tunisie, qui est quand même un pays avec une économie relativement saine par rapport à son environnement, avec une bourgeoisie, avait, depuis la crise, un certain nombre de difficultés portant en particulier sur les jeunes diplômés, très nombreux en Tunisie, qui ne trouvent pas d'emploi.
Par ailleurs, il y avait une grogne qui montait du fait de la captation par une famille, essentiellement celle de la femme de M. Ben Ali, de la répartition de la richesse.
Q - Mais nous l'avons toléré pendant des années !
R - Je voudrais revenir aux principes qui sont ceux de la diplomatie française. C'est le respect de l'Etat de droit, c'est-à-dire que lorsque vous avez un pays avec un gouvernement qui est reconnu par la communauté internationale, il est notre interlocuteur. Nous ne faisons pas d'ingérence dans les affaires intérieures du pays
Q - Mais prenons le cas de l'Egypte avec Moubarak : Alain Juppé a dit que ce régime avait maintenant un peu les aspects d'une dictature, la crise tunisienne est passée.
R - Ne faites pas dire à Alain Juppé ce qu'il n'a pas dit. Il n'a pas employé ce mot.
Q - Il a parlé d'un régime autoritaire pour employer le mot exact. Mais tout le monde le sait et depuis des années. J'avais fait une interview dans les années 1990, 1998 et 1999 à Assouan où la ville avait été bloquée, des militaires étaient partout et on l'avait vidée de ses habitants. Comment ne pas dire que ce régime n'est pas une dictature depuis des années et on dialogue avec lui parce que c'est un Etat !
R - C'est un Etat reconnu par la communauté internationale. Dans le même temps, le troisième principe de notre diplomatie - je vous ai rappelé les deux premiers - c'est d'appeler toujours à plus de démocraties et à plus de liberté.
Q - Mais M. El Baradeï par exemple...
R - Arrêtez de vouloir faire de l'ingérence dans un Etat. Ce n'est pas nous qui allons dire au peuple égyptien que nous soutenons l'un des candidats à l'élection présidentielle. Que diriez-vous si un autre Etat, les Etats-Unis ou la chine venait dire qu'ils soutiennent «M. un tel» ou «Mme une telle». Quelle est cette conception des relations internationales ? Je suis ministre des Affaires étrangères.
Q - Souvent en coulisse, il ne faut pas non plus être naïf, il y a des choses qui se font dans la diplomatie secrète...
R - Il y a aussi des messages qui peuvent d'autant mieux passer et avoir d'autant plus de résultats s'ils se font discrètement et non pas avec une arrogance que l'on reproche trop souvent aux Français dans un certain nombre de domaines. Il faut que nous gardions cela à l'esprit, tous les pays n'ont pas la même conception de la démocratie que nous, ni les mêmes critères.
Q - Bien sûr, mais ce que je veux dire c'est que si l'on est face à un mouvement historique de démocratisation du monde arabe, peut-être faut-il lui donner un signe. Un exemple précis : la France, dans le cas précis, peut-elle avoir un mandat international à l'égard de Ben Ali ? Voilà un geste qui serait perçu par le monde arabe aujourd'hui comme un geste qui nous rapprocherait de la démocratie.
R - Vous savez sans doute qu'il y a un certain nombre de procédures, lesquelles partent de la justice du pays concerné. Là, vous me dites que nous devons indiquer à la justice de la Tunisie qu'elle doit entrer dans la procédure. Vous vous trouvez dans le système de l'ingérence.
Q - M. Kouchner a été ministre des Affaires étrangères avant vous, c'est lui qui a inventé le droit d'ingérence et il était le ministre des Affaires étrangères du président de la République.
R - C'est lui qui l'a inventé, avec parfois une certaine limitation. Il faut faire extrêmement attention à cela si vous ne voulez pas avoir aussi un rejet de notre pays. Je vous l'ai dit, la France défend partout - et c'est l'un de ses principes - la démocratie, les libertés. Elle incite les gouvernements à aller vers davantage.
Aujourd'hui nous avons une situation dans le monde arabe, mais pas simplement, qui est très différente selon les pays et c'est aussi cela qu'il faut regarder. La situation en Tunisie est celle d'une situation économique relativement prospère, avec une classe moyenne. En Egypte, la situation est celle d'une économie en grande difficulté, et avec de très gros problèmes sociaux. Au Yémen, c'est encore d'autres données. Et c'est ce que mon voyage au Moyen-Orient et mon écoute de mes interlocuteurs m'a fait percevoir, il y a aujourd'hui la montée d'une crainte extrêmement importante et une tension extrêmement importante entre les chiites et les sunnites. C'est aussi un contexte général qui touche aussi bien les mouvements sociaux, comme en Egypte où les frères musulmans sont très présents, que la situation au Liban et dans l'ensemble de la zone, y compris en Iran.
Q - Nous avions prévu de parler de politique intérieure nous n'avons pas vraiment le temps. Mais un problème préoccupe beaucoup les Français, c'est le dossier des otages. Depuis les menaces de Ben Laden, avez-vous la moindre nouvelle ? S'ils sont surveillés par satellites, les a-t-on localisés ?
R - Premièrement, le dossier que j'ai tous les matins sur mon bureau, c'est l'état de la situation. Soyez assuré que le président de la République, le gouvernement et moi-même, personnellement, nous suivons cela de très près et nous essayons de faire tout ce qui est possible pour les libérer. Sur ce genre de dossier, nous ne pouvons pas en parler publiquement, ne serait-ce que parce que les preneurs d'otages savent exactement tout ce que l'on dit. Je ne m'exprimerai pas plus longuement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2011
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les crises ne manquent pas, la Côte d'Ivoire, les otages, l'Afghanistan, ce qui se passe dans le monde arabe qui prend un tournant historique, la situation politique en France. Bref, nous allons essayer de prendre cela dans l'ordre.
Peut-être ce qui est le moins «chaud», la situation en Côte d'Ivoire où rien ne bouge. Pourtant, le président français avait fixé un ultimatum à Laurent Gbagbo et pour l'instant, la situation est un défi à la communauté internationale. Que fait-on, que faites-vous ?
R - Nous appuyons les institutions africaines, c'est-à-dire les institutions de l'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine dans son ensemble. Elles sont les premières, à la manoeuvre sur le devant de la scène. Avec l'ONU elles ont reconnu l'élection présidentielle et M. Alassane Ouattara comme le président de la Côte d'Ivoire et, ensuite, ont fait pression sur le président Gbagbo.
Q - Il vous nargue ?
R - Il est vrai qu'il essaie de se maintenir contre tous les principes démocratiques. Il y a une menace - selon les pays de la CEDEAO - d'intervention militaire.
Q - Est-ce qu'on la soutient ?
R - Nous ne soutenons pas l'opération militaire : nous disons que cela ne peut être qu'un dernier recours que nous voudrions absolument éviter parce qu'il existe des risques de morts. C'est la raison pour laquelle nous essayons d'agir par le biais des pressions sur tous ceux qui refusent, autour de M. Gbagbo et M. Gbagbo lui-même bien entendu, d'accepter les résultats des élections où les Ivoiriens se sont très clairement prononcés.
Nous l'avons fait, dans un premier temps, avec l'Union européenne et les Américains en leur interdisant de venir sur le territoire. Nous le faisons maintenant de plus en plus avec des pressions financières.
Q - C'est la seule chose qu'il va comprendre ?
R - C'est probablement la seule chose qu'il va comprendre. C'est extrêmement difficile parce qu'il avait placé des hommes à lui au sein d'un certain nombre d'institutions. Ils sont remplacés au fur et à mesure et c'est ainsi que la semaine dernière les chefs d'Etat...
Q - Y a-t-il un calendrier où l'on peut se dire que les résultats des élections présidentielles en Côte d'Ivoire et donc les répercutions internationales vont être respectées ? Gbagbo dehors, c'est pour quand ?
R - Je ne peux pas vous le dire au jour près mais encore une fois, ce que nous tentons de faire, c'est de le couper de ses sources financières qui lui permettent notamment de payer l'armée. C'est par ce biais qu'il tient aujourd'hui. Il tient par la force, par l'intimidation avec sa Garde présidentielle et un certain nombre de brigades autour de lui. Nous pensons que le jour où les gens se rendront compte qu'il n'a pas de quoi les payer, ils cesseront de le soutenir.
Q - Mais cela peut prendre des mois et pendant ce temps-là, on est ridicule puisque toute la communauté internationale a demandé son départ, le président français bien évidemment. Il ne part pas, semble-t-il, il se fiche complètement des arguments psychologiques. C'est tout de même une sorte de kyste pour la communauté internationale !
R - C'est quelque chose qui en effet choque beaucoup, à la fois la communauté internationale et particulièrement les Africains. Dimanche, ce sera certainement redit par les pays africains qui se réunissent et où seront présents le président de la République et moi-même.
Il y a probablement des mesures supplémentaires qui seront prises à cette occasion. Cette situation a perduré pendant des mois au Zimbabwe, nous ne voulons pas que la Côte d'Ivoire qui a été en quelque sorte un modèle soit un contre-modèle aujourd'hui.
Q - Peut-être avons-nous été imprudents ? Lorsque le président a écrit un ultimatum, était-ce risqué ?
R - Je crois qu'il a justement essayé de le dire à M. Gbagbo ; il a tenté de lui offrir une porte de sortie. A partir de là, la communauté internationale a donc décidé d'appliquer des sanctions. Il y a donc une progression de la pression exercée sur M. Gbagbo. Ce que nous souhaiterions, c'est que cette pression suffise et qu'il n'y ait pas d'intervention militaire car une intervention militaire, c'est du sang qui coule et nous ne le voulons pas dans un pays qui est ami de la France.
Q - Je voudrais vous poser une question qui n'est pas vraiment de fond avant d'entrer dans le détail de ce qui se passe dans le monde arabe. Les Occidentaux et plus particulièrement la France, le président et donc vous bien sûr, n'est-on pas en train de passer totalement à côté de ce qui se passe dans le monde arabe ? C'est ce que l'on a reproché à François Mitterrand lors de la réunification de l'Allemagne.
R - C'est exactement ce que j'allais vous dire. Il y a quelques années, la présidence de la République avec M. Mitterrand et ceux qui l'entouraient sont complètement passés à côté de ce qui se passait en Europe de l'Est.
Q - Et vous aujourd'hui, par rapport à l'Egypte, au Yémen, à la Jordanie, ce qui se passe en Tunisie, êtes-vous en train de vous «planter» totalement en donnant l'impression que vous ne soutenez pas l'Union démocratique ?
R - Je crois qu'il faut faire très attention à un certain nombre de choses. Il faut à la fois être capable d'analyser ce que sont les situations et c'est la raison pour laquelle je veux renforcer les capacités d'analyse du Quai d'Orsay.
Q - En effet, il s'est «planté».
R - Je ne peux pas dire cela.
Q - Les télégrammes diplomatiques de l'ambassadeur qui a été rappelé l'ont montré, notamment concernant justement le dernier discours de Ben Ali, en pensant qu'il devait reprendre la situation en main et cela a dégénéré le lendemain. Ensuite, l'ambassadeur a été remplacé par Boris Boillon.
R - Cessons de faire sans arrêt notre autocritique sans regarder ce qui se passe. La situation à échappé à tout le monde y compris au Département d'Etat dont quelques jours après, l'on vantait la clairvoyance. Le 12 janvier, le Département d'Etat a regretté l'attitude des manifestants tunisiens, c'était pas mal.
Q - La mission principale dans cette affaire et dans tous les dossiers que l'on évoque, c'est l'influence de la France. Je prends l'exemple de votre voyage en Israël. Vous allez en Israël avant que l'on ne parle de l'équipée de Gaza mais vous vous y rendez en disant que vous cherchez des positions d'écoute mais sans avoir de proposition à faire. Comment influer sur un processus lorsque l'on vient en disant : «j'écoute», sachant qu'il y a une évolution qui est en train de se jouer en ce moment à l'ONU.
R - Je suis allée en Israël avec une position d'écoute, ce qui me paraît normal. Il y a moins de deux mois que je suis au ministère des Affaires étrangères, il est normal que j'écoute mes interlocuteurs. En revanche, ce que j'ai également dit, aussi bien à Jérusalem qu'à tous mes interlocuteurs, le président, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Défense, le chef de l'opposition, qu'à Gaza lorsque je m'y suis rendue ou à Mahmoud Abbas lorsque je l'ai rencontré, je leur ai dit que la position de la France était très claire. La France veut qu'il y ait un Etat palestinien, viable.
Q - Mais, il y a des années que nous répétons cela !
R - Mais vous me dites que j'y suis allée sans rien dire et sans faire de proposition. Si j'ai fait des propositions et si vous me laissez 30 secondes, je vais vous les décrire.
J'ai rappelé la position de la France : nous voulons un Etat palestinien ; nous voulons que la sécurité d'Israël soit garantie et nous voulons que Jérusalem soit la capitale des deux Etats avec la possibilité d'accès à tous ceux qui sont représentés dans les religions à Jérusalem. Ce que j'ai dit aussi, aux Israéliens comme à Gaza, c'est que nous souhaitons que le blocus sur Gaza soit levé notamment concernant les matériaux de construction, en ce qui concerne les exportations de Gaza vers l'extérieur et la circulation des personnes.
De plus, j'ai également fait une proposition, celle que j'avais faite à M. Mitchell que j'avais rencontré quelques semaines auparavant. C'est de dire : M. Mitchell n'a pas réussi dans sa médiation, ce que nous proposons car cela me paraît absolument indispensable, c'est que le cercle de ceux qui interviennent soit élargi à la France, à l'Union européenne et également à un certain nombre de pays arabes.
Q - Une fois de plus, c'est une analyse globale, vous allez à Gaza où l'on demande une réunion sur l'Iran où la France a été très dure sur les sanctions iraniennes. Le Hamas qui est présent à Gaza et qui est une extension de l'Iran vous accueille comme nous l'avons accueilli, c'est normal. Comment peut-on valider un déplacement à Gaza sachant ce qui s'est passé la veille entre la France et l'Iran ?
R - Il est indispensable d'aller à Gaza pour montrer à la population gazaouie qui, je le signale, m'a accueillie extrêmement chaleureusement et je ne peux que regretter que l'on n'ait pas montré les images avec les lycéens, la société civile, les médecins de l'hôpital où j'allais inaugurer un service financé par la France. Il est indispensable de dire que la France peut aller n'importe où. Et ce n'est pas parce qu'il y a 40 personnes qui m'accueillent d'une façon un peu sportive, que cela va me troubler en quoi que ce soit.
Je ne regrette pas d'être allé à Gaza. J'y retournerai car il faut aussi montrer à la population qu'elle a le soutien, pour la construction d'une situation de paix et de développement, de la communauté internationale. La France est l'un des pays les plus présents dans cette zone et qui permet effectivement à ces jeunes de la population civile d'avoir une respiration. Oui, je suis très fière de ce qui s'est passé. Contrairement à l'impression qu'a pu donné une image qui représente 10 minutes dans un voyage de 4 jours, j'ai été très bien accueillie et je pense que ce fut un très bon voyage.
Q - Concernant ce qui se passe en Tunisie et en Egypte. D'abord, on a dit que le président de la République avait été mieux informé par la femme d'Eric Besson qui est tunisienne que par l'ensemble du Quai d'Orsay et de l'ensemble du Quai d'Orsay et des services secrets. Est-ce vrai ?
R - Je n'en sais rien, posez donc la question au président.
Q - C'est vrai, c'est pathétique, c'est-à-dire que les services de l'Etat sont moins compétents ?
R - Vous ne savez pas si cela est vrai, vous partez là-dessus. Ce que je dis, c'est que les services du Quai d'Orsay, comme d'ailleurs beaucoup de personnes, savaient depuis quelques années qu'il y avait un certain nombre de mécontentements qui montaient, notamment depuis quelques mois. La Tunisie, qui est quand même un pays avec une économie relativement saine par rapport à son environnement, avec une bourgeoisie, avait, depuis la crise, un certain nombre de difficultés portant en particulier sur les jeunes diplômés, très nombreux en Tunisie, qui ne trouvent pas d'emploi.
Par ailleurs, il y avait une grogne qui montait du fait de la captation par une famille, essentiellement celle de la femme de M. Ben Ali, de la répartition de la richesse.
Q - Mais nous l'avons toléré pendant des années !
R - Je voudrais revenir aux principes qui sont ceux de la diplomatie française. C'est le respect de l'Etat de droit, c'est-à-dire que lorsque vous avez un pays avec un gouvernement qui est reconnu par la communauté internationale, il est notre interlocuteur. Nous ne faisons pas d'ingérence dans les affaires intérieures du pays
Q - Mais prenons le cas de l'Egypte avec Moubarak : Alain Juppé a dit que ce régime avait maintenant un peu les aspects d'une dictature, la crise tunisienne est passée.
R - Ne faites pas dire à Alain Juppé ce qu'il n'a pas dit. Il n'a pas employé ce mot.
Q - Il a parlé d'un régime autoritaire pour employer le mot exact. Mais tout le monde le sait et depuis des années. J'avais fait une interview dans les années 1990, 1998 et 1999 à Assouan où la ville avait été bloquée, des militaires étaient partout et on l'avait vidée de ses habitants. Comment ne pas dire que ce régime n'est pas une dictature depuis des années et on dialogue avec lui parce que c'est un Etat !
R - C'est un Etat reconnu par la communauté internationale. Dans le même temps, le troisième principe de notre diplomatie - je vous ai rappelé les deux premiers - c'est d'appeler toujours à plus de démocraties et à plus de liberté.
Q - Mais M. El Baradeï par exemple...
R - Arrêtez de vouloir faire de l'ingérence dans un Etat. Ce n'est pas nous qui allons dire au peuple égyptien que nous soutenons l'un des candidats à l'élection présidentielle. Que diriez-vous si un autre Etat, les Etats-Unis ou la chine venait dire qu'ils soutiennent «M. un tel» ou «Mme une telle». Quelle est cette conception des relations internationales ? Je suis ministre des Affaires étrangères.
Q - Souvent en coulisse, il ne faut pas non plus être naïf, il y a des choses qui se font dans la diplomatie secrète...
R - Il y a aussi des messages qui peuvent d'autant mieux passer et avoir d'autant plus de résultats s'ils se font discrètement et non pas avec une arrogance que l'on reproche trop souvent aux Français dans un certain nombre de domaines. Il faut que nous gardions cela à l'esprit, tous les pays n'ont pas la même conception de la démocratie que nous, ni les mêmes critères.
Q - Bien sûr, mais ce que je veux dire c'est que si l'on est face à un mouvement historique de démocratisation du monde arabe, peut-être faut-il lui donner un signe. Un exemple précis : la France, dans le cas précis, peut-elle avoir un mandat international à l'égard de Ben Ali ? Voilà un geste qui serait perçu par le monde arabe aujourd'hui comme un geste qui nous rapprocherait de la démocratie.
R - Vous savez sans doute qu'il y a un certain nombre de procédures, lesquelles partent de la justice du pays concerné. Là, vous me dites que nous devons indiquer à la justice de la Tunisie qu'elle doit entrer dans la procédure. Vous vous trouvez dans le système de l'ingérence.
Q - M. Kouchner a été ministre des Affaires étrangères avant vous, c'est lui qui a inventé le droit d'ingérence et il était le ministre des Affaires étrangères du président de la République.
R - C'est lui qui l'a inventé, avec parfois une certaine limitation. Il faut faire extrêmement attention à cela si vous ne voulez pas avoir aussi un rejet de notre pays. Je vous l'ai dit, la France défend partout - et c'est l'un de ses principes - la démocratie, les libertés. Elle incite les gouvernements à aller vers davantage.
Aujourd'hui nous avons une situation dans le monde arabe, mais pas simplement, qui est très différente selon les pays et c'est aussi cela qu'il faut regarder. La situation en Tunisie est celle d'une situation économique relativement prospère, avec une classe moyenne. En Egypte, la situation est celle d'une économie en grande difficulté, et avec de très gros problèmes sociaux. Au Yémen, c'est encore d'autres données. Et c'est ce que mon voyage au Moyen-Orient et mon écoute de mes interlocuteurs m'a fait percevoir, il y a aujourd'hui la montée d'une crainte extrêmement importante et une tension extrêmement importante entre les chiites et les sunnites. C'est aussi un contexte général qui touche aussi bien les mouvements sociaux, comme en Egypte où les frères musulmans sont très présents, que la situation au Liban et dans l'ensemble de la zone, y compris en Iran.
Q - Nous avions prévu de parler de politique intérieure nous n'avons pas vraiment le temps. Mais un problème préoccupe beaucoup les Français, c'est le dossier des otages. Depuis les menaces de Ben Laden, avez-vous la moindre nouvelle ? S'ils sont surveillés par satellites, les a-t-on localisés ?
R - Premièrement, le dossier que j'ai tous les matins sur mon bureau, c'est l'état de la situation. Soyez assuré que le président de la République, le gouvernement et moi-même, personnellement, nous suivons cela de très près et nous essayons de faire tout ce qui est possible pour les libérer. Sur ce genre de dossier, nous ne pouvons pas en parler publiquement, ne serait-ce que parce que les preneurs d'otages savent exactement tout ce que l'on dit. Je ne m'exprimerai pas plus longuement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2011