Texte intégral
C'est un très grand honneur qui m'est fait aujourd'hui d'inaugurer, aux côtés du Président Abdou Diouf, Secrétaire Général de l'Organisation Internationale de la Francophonie, ce 33ème colloque international de l'Alliance française.
Il y a 128 ans, l'Alliance française a été créée pour promouvoir la langue française et la culture française à l'étranger : le projet de ses illustres pères fondateurs, Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Jules Verne, n'a pas pris une ride. La très belle idée de confier le fonctionnement de ces Alliances aux destinataires demeure plus que jamais exemplaire.
En s'appuyant sur ceux qui manifestaient leur affinité pour notre pays, ces visionnaires avaient compris qu'une langue et une culture ne s'imposent pas, mais qu'elle procèdent d'une relation beaucoup plus complexe entre la langue, les oeuvres et la personne, s'inscrivant dans le temps long de l'apprentissage.
Créée en 1883, issue le plus souvent d'initiatives locales et de la constitution d'associations de droit local, l'Alliance compte aujourd'hui près d'un millier d'établissements, présents dans 136 pays et qui, de surcroît, s'autofinancent à 80% en accueillant près de 500.000 étudiants - sans parler du public qui fréquente leurs activités culturelles, et qu'on évalue à 6 millions par an.
Pour ma part, je veux vous rendre hommage ainsi qu'aux milliers - car c'est bien en milliers qu'il faut parler - de salariés et de bénévoles qui, partout dans le monde, oeuvre à répondre à la demande pour notre langue et notre littérature, et qui se sont donné la transmission comme valeur et comme horizon. Vous êtes les porte-voix de notre culture ; vous êtes également des interlocuteurs souvent essentiels pour les acteurs culturels des pays partenaires.
Car l'Alliance française, c'est beaucoup plus que la dénomination d'un réseau d'établissements chargés de promouvoir et d'enseigner la langue française à travers le monde. L'Alliance n'est pas une étiquette, elle est avant tout un projet. Elle est le fruit d'une démarche qui consiste, pour des étrangers francophiles, à « s'allier » à la France - à sa langue, à sa culture - tout en restant fidèles à eux-mêmes.
Or, l'enseignement d'une langue, c'est aussi l'enseignement de la culture qui l'habite et la constitue. Enseigner et diffuser le français dans le monde, c'est aussi permettre à notre pays de conserver son influence, à travers un ensemble de valeurs, d'idées, de savoirs et d'imaginaires auxquels peuvent avoir accès tous ceux qui partagent notre langue et tous ceux qui, sans la maîtriser, peuvent y accéder par la traduction ou l'interprétation.
Quand il évoquait la langue française, Jean Dutourd, qui vient de nous quitter, parlait d'état de siège. S'il s'agit bien d'un combat, nous savons qu'il s'agit d'un combat non seulement pour la langue française, mais de manière plus globale pour la diversité culturelle, dont la diversité linguistique est l'une des dimensions essentielles. En mars dernier, le Président de la République, à l'occasion de la Journée de la Francophonie et des quarante ans de l'OIF, parlait à vos côtés, M. le Président, de la lutte contre le « monolinguisme » et son inévitable compagnon, le « prêt-à-porter culturel ». Préserver la diversité culturelle et linguistique, la promouvoir, cela passe par des engagements internationaux et des cadres juridiques ; cela passe aussi par la traduction, par l'apprentissage et la pratique des langues. Dans ce combat, vos Alliances jouent un rôle cardinal, au quotidien, sur le terrain, pour valoriser le savoir et le plaisir de la langue, dans ces lieux où souvent, pour reprendre un beau titre d'Erik Orsenna, la grammaire devient « une chanson douce ». Le Ministère de la Culture, par le biais de la Semaine de la langue française, apporte sa pierre à cet édifice en rendant disponible pour le réseau des Alliances françaises un ensemble de ressources qui, tantôt constituent un support pédagogique original aux enseignants de français, tantôt incitent le public francophone à découvrir de façon ludique tel ou tel aspect de notre langue.
Aujourd'hui, la France est engagée dans une refonte de son action culturelle extérieure. Le Ministère de la Culture et de la Communication a beaucoup oeuvré, aux côtés du Ministère des affaires étrangères et européennes, à l'élaboration des textes, et à la réflexion qui a présidé à cette grande réforme et à la création de l'Institut Français. Pour son président, Xavier Darcos comme pour moi, l'enseignement de la langue française va de pair avec la présence de cette dernière dans le paysage audiovisuel mondial et dans les débats d'idées, avec la promotion, également, des artistes et des productions françaises sur le marché des industries culturelles et sur les scènes artistiques à l'étranger.
Face à l'ampleur de cette mission, il était sans doute nécessaire de clarifier les appellations, de renforcer les complémentarités. Dans le nouveau dispositif qui est en train de voir le jour, les Alliances Françaises ont toute leur place, aux côtés des instituts et des centres culturels français à l'étranger. Et c'est justement cette structure associative qui est aussi la recette de leur succès : la fameuse « société civile », qui est sur toutes les langues, prend véritablement sens quand on voit, sur le terrain, les réalisations de ces institutions culturellement binationales que vous présidez. Votre statut associatif en font des structures particulièrement flexibles et adaptées aux publics, dans un ancrage local qui leur est inhérent, que l'on peut constater avec bonheur de l'Amérique Latine à la Chine, en passant par la Russie. Lors de l'Année croisée France-Russie, c'est dans les Alliances Françaises que le train des écrivains Blaise Cendrars a fait étape, tout au long du Transsibérien. Le bourlingueur franco-suisse qui a si bien habité notre langue s'est éteint il y a exactement cinquante ans. Pour lui, « Nous avions volé les trésors de Golconde et nous allions, grâce au Transsibérien, le cacher de l'autre côté du monde » : ce train de l'imaginaire et de la modernité, il existe grâce à vous, dans tous les pays où vous êtes présents.
Je n'évoquerais pas aujourd'hui les aspects organisationnels et financiers du débat sur la refonte de l'action culturelle extérieure de la France. Je souhaite simplement m'adresser à vous tous, présidents de comités et directeurs d'alliances du monde entier pour vous dire que vous êtes un partenaire essentiel de la diplomatie culturelle française ; votre rôle est irremplaçable. Dans le souci de cohérence des activités que nous conduisons tous pour faire vivre notre culture et notre langue, votre savoir faire doit être valorisé, votre indépendance est un atout précieux, votre sens de l'initiative et votre dynamisme doivent servir d'exemple.
Si les Alliances Françaises sont une fenêtre sur la France, elles sont aussi et surtout une fenêtre sur une langue qui nous appartient à tous, membres de la francophonie. M. le Président, votre prédécesseur Boutros Boutros-Ghali l'avait rappelé : « la Francophonie est née d'un désir ressenti hors de France ». Comme tous les désirs, il n'appartient à personne, et c'est ce qui fait toute votre force.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 janvier 2011