Interview de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale, à RTL le 24 février 2011, sur le climat politique et la décision de M. de Villepin de quitter l'UMP, la construction de mosquées et l'islam en France.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

 
 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, M.-A. Montchamp.
 
Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
 
Vous avez partagé jusqu’à l’automne dernier les combats de l’ancien Premier ministre, D. de Villepin, et vos chemins divergent aujourd’hui. Vous êtes entrée au Gouvernement, il y a trois mois, alors que D. de Villepin a annoncé hier qu’il quittait l’UMP. "J’estime", a-t-il dit, "qu’il y a un décalage croissant entre les idées qui sont défendues par l’UMP et les Français". Comprenez-vous, M.-A. Montchamp, sans forcément l’approuver ce que veut dire D. de Villepin quand il parle de décalage croissant ?
 
Moi ce que j’observe c’est qu’il y a un décalage, en effet, entre un courant que D. de Villepin a voulu porter et le fonctionnement d’une Majorité.
 
Qu’est-ce que c’est ce décalage ?
 
Ce décalage, il est sans doute justifié par une analyse récente des sondages.
 
Ah uniquement ça !
 
C’est vrai que quand on est au-dessous de la barre des cinq points et qu’on est, par ailleurs, un homme d’État, c’est difficile d’imaginer que les idées d’une république des solidarités puissent être cantonnées sur 2% à 5% dans les sondages. Le décalage, il est là parce qu’au bout du compte, dans la famille majoritaire, cette idée des solidarités, elle est présente. Elle doit vivre de la même manière que doit vivre de manière, je dirais, très, très volontariste, le courant important des gaullistes sociaux.
 
En fait, D. de Villepin, si on décrypte ce que vous dites M.-A. Montchamp, camoufle son échec en quittant l’UMP à grand fracas ?
 
En tout cas, moi j’y vois la mise en place d’une forme de bouclier, d’une forme de protection.
 
Il a échoué D. de Villepin, dans son parcours ?
 
Les idées n’ont pas échoué...
 
... Non, mais lui ?
 
Non, il n’y a pas de chemin pour ces idées-là hors de la Majorité présidentielle. Elles en sont une des constituantes importantes. Elles ne peuvent pas prospérer dans un centre bizarre, improbable, qui n’a rien à voir avec l’engagement de D. de Villepin qui a été l’homme de l’ONU.
 
C’est la haine de N. Sarkozy qui lui fait claquer la porte de l’UMP, aujourd’hui ?
 
Je crois qu’il y a une hésitation tactique à ce moment-là pour République Solidaire...
 
... Je reprends ma question, excusez-moi : est-ce que c’est la haine de N. Sarkozy qui lui fait quitter l’UMP aujourd’hui ? Est-ce que c’est quelque chose de très personnel ?
 
Je ne veux pas l’imaginer. Ça n’est pas du niveau des idées que l’on peut porter, surtout dans la période qui est celle que nous vivons aujourd’hui avec la situation internationale qui interpelle tous les Français.
 
Vous pensez qu’il prépare sa candidature pour 2012 en faisant ça ?
 
Personnellement, je ne vois pas comment cela peut préparer la candidature de 2012 ! C’est plutôt un éloignement de mon point de vue.
 
De votre point de vue !"Décalage croissant", donc disait D. de Villepin. Vous-même, vous avez exprimé un décalage avec le discours de N. Sarkozy, voire avec ce qui est le coeur du discours de N. Sarkozy. Le 31 juillet à Grenoble, le président de la République avait prononcé un discours assez dur sur l’immigration établissant un lien entre immigration et insécurité, prônant une déchéance de nationalité pour les naturalisés de fraîche date qui se seraient rendus coupables d’un meurtre d’un représentant des Forces de l’ordre. Cela, vous l’avez violemment critiqué à l’époque. Depuis, évidemment, les critiques n’existent plus puisque vous êtes au Gouvernement. Et maintenant, le président de la République veut lancer un peu dans cette lignée-là, de problèmes que peut poser l’immigration un débat sur l’Islam ? Quel est votre point de vue sur le fait qu’aujourd’hui, le président de la République veuille qu’en France on débatte de la place de l’Islam en France ?
 
Le débat est indispensable dans la république, indispensable pour la démocratie...
 
... Le débat, en général, ou ce débat-là en particulier ?
 
Le débat en général ...
 
Non, non, je vous interroge sur ce débat-là, en particulier ?
Et celui-là fait partie des débats indispensables. Quand on a...
 
C’est quoi le débat ? De quoi doit-on débattre ?
 
On doit parler de la capacité d’une république laïque, à comprendre ce qu’est la deuxième religion de France.
 
Parce qu’il vous semble qu’on ne la comprend pas ?
 
En tout cas, il me semble que quand on laisse le silence s’installer, c’est l’intégrisme que l’on entend.
 
Soyons précis.
 
Et ça, c’est une mauvaise chose, c’est un mauvais coup porté à nos compatriotes.
 
Vous ne comprenez pas l’Islam, aujourd’hui, vous, M.-A. Montchamp ?
 
Ma question n’est pas de savoir si je comprends l’Islam ou pas. Ma question est de savoir comment dans une république laïque faite de diversités, on arrive à organiser la place de chacun pour la cohésion sociale.
 
Mais c’est un problème aujourd’hui, puisque l’Islam est devenue la 2ème religion de France. Ça fait cinquante ans que l’Islam est présent en France.
 
Moi j’ai entendu, J.-M. Aphatie j’ai entendu comme beaucoup de Français et comme beaucoup de nos auditeurs, énormément de questions, énormément d’angoisses...
 
Lesquelles ?
 
Ce sont celles que M. Le Pen aujourd’hui relaient, ça n’est pas possible de rester sur ce terrain-là. Moi j’observe que quand on parle de l’euthanasie, par exemple, quand on parle du bébé médicament, quand on parle des cellules souches embryonnaires, on sait questionner la religion catholique. Je ne vois pas, au nom de quoi, au nom de quelle peur, au nom de quel débat qu’on ne voudrait pas conduire, on renoncerait à porter ce débat-là, on peut le faire avec l’apaisement de la laïcité.
 
Ce que l’on ne comprend pas puisque vous êtes chargée de la cohésion sociale et que certains, P. Devedjian ou bien encore hier et elle est présente, aujourd’hui dans le Figaro, C. Boutin, pensent que ceci peut attenter à la cohésion sociale. Ce que l’on ne comprend pas, ce sont les questions que vous, vous posez à propos de l’Islam ? Et si vous pouviez vous en formuler une ou deux, on serait heureux de le comprendre.
 
Ce n’est pas les questions à propos de l’Islam, c’est des questions à propos de la place des religions dans une république laïque.
 
Je suis désolé, le débat c’est l’Islam en France.
 
La question des lieux de culte, pour nos compatriotes est une question qu’en France, on a résolu depuis très longtemps pour les catholiques avec un certain nombre d’hésitations et d’errements. Ça n’a pas toujours été simple. Il faut remonter pour ça à la période révolutionnaire. Ne refaisons pas l’histoire mais ça n’a pas toujours été facile. Aujourd’hui, la question se pose pour la pratique cultuelle de nos compatriotes musulmans, deuxième religion de France.
 
Ah, il n’y a pas assez de mosquées, il faut en construire.
 
Abordons les choses de manière apaisée ; mais débattons de ces sujets parce qu’il semble, naturellement, qu’ils intéressent nos compatriotes.
 
Il faut courir après le Front national parce que M. Le Pen vous fait peur, c’est ça ?
 
Certainement pas courir après lui ! Certainement pas laisser le Front national dicter les termes du débat !
 
C’est ce qui se passe.
 
Nous avons dans notre Majorité la possibilité de.
 
Vous l’avez dit tout à l’heure.
 
De faire sortir ces éléments du débat. C’est ce que nous faisons au sein de la famille majoritaire et pour ma part, en portant l’idée d’une république des solidarités, je souscris à ce besoin de débat. Il y a trop de pays, aujourd’hui, qui pour avoir renoncé au débat, se retrouvent dans des situations de souffrance indicibles. On les constate dans l’actualité.
 
"On va stigmatiser", dit P. Devedjian, des Français qui sont Musulmans". Vous ne pensez pas que ça peut porter atteinte à la cohésion sociale ?
 
Quelle drôle d’intention ! Quelle drôle d’idée ! Certainement pas, la deuxième religion de France, on peut en parler de manière apaisée depuis la république laïque.
 
Un autre dossier semble avoir décider D. de Villepin à claquer la porte de l’UMP, c’est le naufrage de la diplomatie française devant les crises arabes. Partout dans les journaux aujourd’hui, ce matin, est évoqué le remplacement de M. Alliot-Marie. Y a-t-il un problème M. Alliot-Marie, au gouvernement, M.-A. Montchamp ?
 
Il ne m’appartient pas de parler de ça. Moi je suis dans ce Gouvernement, je suis donc solidaire de l’ensemble de ses membres. C’est une question qui ne relève que du Président de la république et que du Premier ministre ; mais je dirais qu’au moment où les temps sont difficiles, où la question de la diplomatie intéresse tous les pays européens qui doivent trouver un chemin : celui du soutien à ses économies fragilisées, celui de la compréhension, de la souffrance des peuples, ça n’est pas le moment de balancer les cartes à la figure des uns et des autres, c’est le moment de se rassembler. Ca, c’est notre gaullisme qui nous le dit. C’est le rassemblement dans les moments difficiles, il n’y a que ce chemin-là.
 
On vous entend M.-A. Montchamp. Mais rassemblement, c’est un peu un mot langue de bois, on dira !
 
Personnellement, moi je ne le crois pas. Je ne crois qu’à la coopération. Je crois qu’on ne réussit et c’est souvent le drame des hommes et femmes politiques que l’isolement, on ne réussit qu’ensemble, on ne réussit que par le rassemblement et la coopération des hommes et femmes de bonne volonté.
 
D. de Villepin est isolé ?
 
Je ne voudrais pas qu’il le reste trop longtemps.
 
Donc, s’il ne faut pas qu’il le reste, c’est qu’il l’est.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 4 mars 2011