Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, à France 2 le 24 février 2011, sur le climat politique, le débat sur l'islam, l'encadrement des élèves et la formation des enseignants.

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Média : France 2

Texte intégral


  
A. Kara.- Bonjour L. Chatel, merci d’être avec nous ce matin. Bonjour A. Kara. Alors avant d’attaquer le dossier principal l’Éducation, j’aimerais brosser avec vous un peu l’actualité et notamment la situation en Libye. Aujourd’hui, on a vu que le pays est divisé, que la répression est toujours aussi sanglante. On parle maintenant de chiffres qui vont jusqu’à 1.000 morts. Est-ce que la diplomatie française doit encore hausser le ton ? Est-ce qu’elle doit aller plus loin ?
 
Le président de la République l’a fait hier au Conseil des ministres puisqu’il a eu l’occasion de dire que la situation en Libye était absolument inacceptable. Et il a appelé l’Union européenne à travailler sur des sanctions vis-à-vis de la Libye. Ce qui se passe est absolument inacceptable, inadmissible, intolérable vis-à-vis du peuple libyen, vis-à-vis de l’ensemble de la communauté internationale : donc nous nous devons de réagir face à ça.
 
Quand on parle de crime contre l’humanité, vous pensez que tout ça peut aller finalement au bout du compte devant la justice internationale ?
 
Nous verrons exactement. Malheureusement nous ne savons pas exactement ce qui se passe en Libye. Nous avons quelques images, nous avons quelques témoignages, mais nous ne savons pas encore ce qui se passe dans le détail. Nous savons qu’il y a un mouvement populaire, l’aspiration d’un peuple à la liberté, et puis qu’en face nous avons une répression absolument sanglante. De quelle nature est-elle exactement ? Malheureusement, c’est l’avenir qui nous le dira.
 
D. de Villepin doit voir aujourd’hui le président de la République. Hier, il a annoncé qu’il ne renouvellerait pas son adhésion à l’UMP. Est-ce que c’est la suite logique des choses, est-ce que vous le regrettez ?
 
Je n’ai pas à commenter particulièrement le non renouvellement de l’adhésion de D. de Villepin à l’UMP. Finalement c’est un petit peu l’aboutissement d’une démarche personnelle et c’est peut-être une mise en cohérence avec ce à quoi on a constaté, ce à quoi on a assisté depuis quelques mois. D. de Villepin a fondé son mouvement. Il a expliqué depuis quelques mois qu’il n’était pas vraiment en phase avec les prises de position de l’UMP, il en tire les conséquences. Je n’ai pas de commentaire particulier à en tirer.
 
Deux sondages très récents, là au cours des deux derniers jours, prospective sur la présidentielle, donnent un écart assez faible au premier tour entre M. Le Pen et N. Sarkozy. C’est de l’ordre de 4 ou 5 points, c’est-à-dire c’est la zone de danger, qu’est-ce qu’il faut faire pour contrer M. Le Pen aujourd’hui ?
 
Je ne connais pas une élection présidentielle où un an avant l’élection on ait connu le résultat de l’élection. Pire. Le favori des sondages n’a jamais été celui qui a été élu un an après, donc il faut rester calme par rapport à cela. Nous avons une situation actuelle qui est difficile, parce que la crise économique n’est pas tout à fait derrière nous, les conséquences de la crise économique sont encore présentes vis à vis des Français et donc on sait très bien que les gouvernements partout en Europe, on l’a vu en Allemagne avec les élections partielles, même s’ils ont des résultats en matière économique, vis-à-vis de l’opinion, ils sont parfois dans des situations difficiles. Maintenant lorsque la campagne va démarrer, je crois que les cartes seront complètement rebattues et je pense que N. Sarkozy, la majorité, ont des atouts à faire valoir par rapport à la situation actuelle.
 
Un débat sur l’Islam, c’est vraiment opportun maintenant ?
 
Je pense qu’un débat sur les valeurs de la République, c’est important. La façon dont nous devons nous positionner aujourd’hui dans une République laïque et moderne vis-à-vis des mouvements religieux, c’est un vrai débat de société.
 
Alors pour revenir sur le dossier qui nous intéresse, l’Éducation, un rapport du CAS, un organisme rattaché à Matignon, est assez alarmiste. Il vient de déclarer que la France est bonne dernière de l’OCDE pour l’encadrement des élèves, avec un encadrement de 6,1 professeurs pour 100 élèves, c’est dramatique, non ?
 
Non, mais je conteste cette analyse et cette étude parce que ça ne veut absolument rien dire de comparer un taux d’encadrement à la maternelle et à l’université et d’avoir une moyenne globale. Je vous prends un exemple : en France, nous avons dans l’enseignement primaire une spécificité, c’est que l’Éducation nationale se charge de la pédagogie, donc des enseignants, et les collectivités territoriales se chargent du personnel d’accompagnement, ce qu’on appelle les ATSEM et apportent un certain nombre de ressources humaines complémentaires qui ne sont absolument pas calculées et intégrées dans cette étude. Donc cette étude ne veut pas dire grand-chose, et les moyennes générales ne veulent pas dire grand-chose. Ce qui est important et il faut bien le dire aux Français au moment où on parle beaucoup de la préparation de la rentrée scolaire, c’est qu’à la rentrée prochaine, la rentrée de septembre 2011, il y aura plus de professeurs dans le système éducatif qu’il y en avait il y a 15 ou 20 ans. Donc les moyens, ils sont là. La question des moyens aujourd’hui à l’Éducation nationale, je vais peut-être vous surprendre, n’est pas forcément la question la plus importante, les moyens ils sont là. Nous consacrons 21 % du budget de la nation à l’Éducation nationale, c’est l’un des seuls budgets qui augmente et la France continue à investir plus que ses voisins en matière éducative. Le problème, c’est la capacité du système éducatif à répartir les moyens au bon endroit et à faire plus pour les élèves qui ont plus de difficultés et c’est ce que nous faisons dans la politique que j’engage aujourd’hui dans ce ministère.
 
Oui mais L. Chatel, est-ce que l’éducation publique est une administration comme une autre ? Est-ce qu’on peut appliquer forcément cette règle du non renouvellement d’un départ sur deux également dans l’éducation publique ?
 
N. Sarkozy avait été très clair en la matière, il s’y était engagé. Je rappelle que c’est un non remplacement d’un départ en retraite sur deux, qui a une conséquence, c’est que la moitié des économies réalisées permettent de mieux rémunérer les professeurs. Nous avons augmenté le 1er septembre dernier tous les professeurs en début de carrière de 10 %. Quel est le pays qui a augmenté ses enseignants d’un tel montant cette année ? Ça veut dire qu’un professeur certifié débutant cette année, il gagne 157 euros net par mois de plus que son prédécesseur l’année dernière. C’est un effort absolument considérable. Ensuite le rôle de l’Éducation nationale, c’est d’être capable de s’adapter, c’est d’être capable de mettre en place des politiques innovantes. Cette année par exemple nous mettons le 1er avril en place une politique de lutte contre le décrochage scolaire qui va permettre d’avoir une réponse individuelle à chaque élève qui rencontre des difficultés, c’est une vraie nouveauté. Nous sommes capables de faire plus et donc d’agir avec discernement dans un environnement budgétaire contraint.
 
N. Sarkozy, il y a quelques semaines a promis une remise à plat de la formation des enseignants, vous en êtes où ?
 
Nous avons réformé la formation des enseignants, en allongeant d’une année cette formation initiale. Aujourd’hui les enseignants sont recrutés au niveau master, c’est-à-dire bac + 5, et je pense que ça aussi c’est un signal fort que nous adressons aux enseignants, qu’ils soient mieux formés avant de se retrouver dans la classe. Nous avons un sujet qui est celui de la formation pratique, c’est-à-dire il y a la formation à l’université, la formation théorique. Il faut d’abord bien maîtriser les mathématiques pour être un professeur de mathématiques, mais il faut aussi être capable de maîtriser l’informatique en situation.
 
Oui c’est l’affaire du DVD, vous donniez des DVD pour aider les professeurs.
 
C’est une caricature le DVD, c’était un complément...
 
Mais c’est une réalité également.
 
Au stage de formation, c’est-à-dire que nous avons mis en place, et ça, ça n’existait pas auparavant. Il faut arrêter d’idolâtrer la formation initiale qui existait dans les IUFM. Je n’ai pas le sentiment que les professeurs étaient particulièrement bien préparés à cette époque. Nous avons mis en place de vraies nouveautés, par exemple un stage à la tenue de classe, pour qu’un jeune professeur débutant qui arrive dans un établissement difficile, il était préparé, il sache comment on peut tenir sa classe, l’organiser. C’est une vraie nouveauté et pour l’année prochaine nous travaillons actuellement, j’ai reçu la semaine dernière le président de la Conférence des présidents d’université pour que nous puissions regarder comment mettre en place des masters en alternance, pour qu’on regarde comment dans le premier degré, travailler sur des masters pluridisciplinaires, c’est-à-dire que les jeunes étudiants soient mieux préparés à affronter la réalité de la classe lorsqu’ils sont professeurs stagiaires.
 
Vous allez recevoir les syndicats sur ce sujet ?
 
Alors je reçois les syndicats régulièrement et c’est effectivement un sujet...
 
La concertation a commencé là ?
 
La concertation a commencé avec mes collaborateurs, et je dois voir prochainement les organisations syndicales pour évoquer cette question avec eux.
 
Très vite, dans le Calvados, il y aura désormais un système de bonus malus notamment pour les établissements qui provoquent trop de redoublements ? Est-ce que vous pensez que c’est une bonne chose et est-ce que ça va être généralisé à l’ensemble de la France ?
 
Je pense que c’est une bonne chose que nous réfléchissions à réduire le nombre de redoublements. Vous avez aujourd’hui environ 40 % des élèves qui passent le baccalauréat qui ont redoublé au moins une fois dans leur scolarité, est-ce que ça leur a apporté un plus, un bonus ? La réponse malheureusement est non. Donc nous avons commencé à réduire le nombre de redoublements. Aujourd’hui, sur 100 élèves qui entrent en Seconde, il y en a environ 30 % qui ont redoublé au moins une fois. Il y en avait 50 % il y a 20 ans, donc on a commencé à le faire. Je pense qu’il faut aller encore en améliorant ce dispositif, il ne faut pas non plus supprimer complètement le redoublement. Il y a des redoublements qui peuvent être utiles où l’élève peut mûrir, l’élève peut repartir et être accompagné et on lui donne quelque part une deuxième chance, mais le système qui a consisté à faire du redoublement la solution par rapport aux difficultés scolaires n’a pas porté ses fruits. Je crois plutôt à un soutien scolaire, à un accompagnement personnalisé tout au long de la scolarité et c’est ce que nous mettons en place.
 
Donc cette mesure a vocation à être généralisée dans l’ensemble de la France ?
 
Non, elle n’a pas vocation à être généralisée, c’est une initiative qui a été prise par l’Inspection d’académie du Calvados, mais dans le cadre d’une politique qui oui, vise à plutôt réduire le nombre de redoublants.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 4 mars 2011