Interview de Mme Nadine Morano, ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, à France 2 le 2 mars 2011, sur le développement de l'apprentissage et le chômage des jeunes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
R. Sicard.- Bonjour N. Morano.
 
Bonjour.
 
Avant de parler des mesures que le gouvernement va prendre en faveur de l’apprentissage, je voudrais qu’on revienne sur l’augmentation du prix du gaz - et là, je m’adresse à l’ancienne ministre de la famille. Le gaz va augmenter de 5 % au 1er avril ; au même moment on a appris qu’au mois de janvier 10 % des Français ont eu du mal à se chauffer. Est-ce qu’il ne faut pas adapter ces prix par exemple en baissant la fiscalité sur le gaz ?
 
Alors, comme vous le savez, dans notre pays il y a un tarif social du gaz et par rapport à cette augmentation, rappelez-vous, on avait annoncé - j’avais entendu dans les médias 20 %, elle sera se 5 %. C’est une augmentation mécanique mais il va y avoir des aides pour aider les familles les plus modestes. Avec ce tarif social, nous allons l’augmenter de 20 %, c’est-à-dire qu’un ménage de quatre personnes avec des revenus modestes, éligible au tarif social du gaz, l’aide pourra passer de 118 euros à 142 euros annuels d’aide en moyenne. Donc nous augmentons de 20 % cette aide au tarif social. J’ajoute que parce qu’il faut aussi avoir des appareils qui sont en bon état de fonctionnement pour moins consommer, eh bien il y aura une prime à la casse pour les chaudières qui sera de 250 euros. Il faut aussi renouveler là l’équipement des ménages et donc nous allons faire un effort sur ce sujet.
 
Mais baisser la fiscalité, il n’en est pas question.
 
Mais pour l’instant, nous ne sommes pas sur ce dispositif ; nous sommes vraiment sur une aide ciblée aux familles qui en ont le plus besoin et encore une fois, le gouvernement va faire un effort envers ces familles.
 
Sur l’apprentissage, le gouvernement a donc décidé de mettre le paquet. Le chômage des jeunes, c’est un des gros problèmes. 24 % des jeunes sont au chômage en France. Qu’est-ce que l’apprentissage peut apporter pour ces jeunes ?
 
C’est un des leviers puissants pour entrer sur le marché de l’emploi. Regardez en Allemagne : deux tiers des jeunes sont formés par l’alternance, seulement un tiers chez nous en France. Donc le président de la République a annoncé des mesures massives d’aide, à la fois de simplification pour les entreprises. Nous allons mettre en place un portefeuille - pardon ! Un portail de l’alternance qui pourra...
 
Sur Internet.
 
Sur Internet, qui permettra aux jeunes de pouvoir avoir toutes les informations nécessaires pour entrer en communication avec les entreprises et pour les entreprises de pouvoir remplir en direct en ligne leur contrat d’apprentissage. Nous allons mettre aussi des dispositifs d’aide en termes de charges sociales - le 0 charges - pour les entreprises de moins de 250 salariés, pour vraiment les inciter à avoir recours à l’alternance. Nous allons aussi simplifier, je dirais, ce qu’on appelle la surtaxe dans notre pays parce que vous savez que les entreprises de plus de 250 salariés ont l’obligation d’avoir 3 % d’apprentis dans leur entreprise, sinon elles payent une surtaxe.
 
Donc il va y avoir un bonus malus ; c’est ça l’idée ?
 
Voilà, exactement. Nous allons passer ce quota à 4 % mais en contrepartie, nous allons améliorer le dispositif de la surtaxe, c’est-à-dire que toutes celles qui feront des efforts auront une surtaxe calculée en fonction des efforts qu’elles feront. Donc ça c’est important, c’est des mesures d’incitation. C’est des mesures aussi de simplification parce que pour être maître d’apprentissage par exemple, il faut cinq ans d’expérience. Nous allons passer cette mesure à trois ans - trois ans pour être maître d’apprentissage - et là je m rends tout à l’heure à Woippy, à l’invitation du député-maire F. Grosdidier...
 
Dans l’est de la France.
 
Dans une entreprise en Moselle, une miroiterie, Jean Talmon (phon), petite entreprise, moins de 250 salariés, qui est déjà à 5 % d’apprentis dans son entreprise et donc qui va pouvoir bénéficier des mesures 0 charges dès lors qu’elle va avoir recours à un nouvel apprenti. Donc ce sont des mesures très incitatives pour elle et vous savez, c’est vraiment quelque chose d’important parce que ce levier de l’apprentissage va permettre aussi de casser dans nos têtes ces vieilles idées reçues qu’il nous faut 80 % d’une classe d’âge au bac alors qu’il nous faut 100 % de jeunes...
 
C’est une idée qui n’a plus de valeur selon vous ?
 
Non, mais je ne tiendrai pas le discours inverse qui consiste à dire aux jeunes « ne passez pas votre bac ». Je pense qu’il faut 100 % de jeunes formés dans notre pays. Je pense qu’on a trop souvent méprisé aussi l’intelligence de la main. Je pense qu’il faut revaloriser tous ces métiers.
 
Justement, ça c’est une question importante parce que l’apprentissage n’a pas toujours une très bonne image.
 
Oui.
 
Souvent les familles préfèrent que leurs enfants suivent des filières traditionnelles.
 
Oui.
 
Qu’est-ce que vous pouvez faire justement pour changer cette image ?
 
Nous ferons d’une part des campagnes de communication à destination des jeunes et des familles. J’ai aussi constitué un club de porte-parole d’apprentissage de toutes ces personnalités qui ont réussi. Je pense à F. Provost, je pense aussi à M. Roth qui est grand chef cuisinier au Ritz. Je pense à R. Mahler qui a été le président d’Alstom. Toutes ces personnalités ont commencé par l’apprentissage, sont devenues chefs d’entreprise. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’on peut commencer par un CAP en apprentissage mais on peut après gravir tous les échelons, même devenir ingénieur, ouvrir son entreprise et donc c’est gage de réussite aussi et c’est gage de facilité d’entrée sur le marché de l’emploi.
 
Ça va coûter combien à l’État ?
 
Nous allons investir là massivement, investir massivement 500 millions d’euros avec le grand emprunt parce que nous allons moderniser nos CFA, nous allons en créer d’autres et nous allons créer 15 000 places d’hébergement pour les apprentis parce que nous n’en avons pas suffisamment sur le territoire.
 
Ils vont gagner combien, ces apprentis ?
 
Les apprentis sont déjà rémunérés en fonction de leur âge, en moyenne jusqu’à 800-900 euros, et nous allons leur permettre d’avoir le même statut que les étudiants. Alors ils ont leur salaire puisqu’ils ont un contrat de travail - ils sont en contrat d’apprentissage ou en contrat de professionnalisation - eh bien nous leur permettrons d’avoir accès au Crous comme les étudiants, d’avoir des tarifs pour entrer dans les milieux culturels, d’avoir accès moins cher aux transports et ils auront le même statut que les étudiants et pour nous c’est très important parce que c’est aussi une démarche de valorisation.
 
C’est une forme d’emploi aidé et la droite a souvent été hostile aux emplois aidés.
 
Non, alors là non.
 
Elle a changé d’avis ?
 
Non, ne dites pas que c’est une forme d’emploi aidé. C’est, je dirais, un - comment dirais-je ? - une forme d’apprentissage par le travail. C’est ce qu’on appelle en Allemagne la formation duale, donc l’entreprise...
 
On donne de l’argent aux entreprises, on exonère de charges : d’une certaine façon, c’est des emplois aidés.
 
Oui mais là on aide, on incite. N’oubliez pas aussi que nous sommes en période de crise économique et financière, donc nous devons actionner tous les leviers pour permettre aux jeunes de rentrer dans ces formations parce que c’est important. Vous savez, en moyenne un jeune qui est passé par l’apprentissage a 70 % de chances de rentrer sur le marché de l’emploi quelques mois après sa sortie de formation et ça, c’est important de le dire aux familles.
 
Sur le plan politique, l’UMP est très divisée sur le débat sur l’islam. Est-ce que le président de la République a eu raison de lancer ce débat à ce moment-là ?
 
Mais ce n’est pas un débat sur l’islam. Nous n’allons pas faire un débat non plus sur la religion catholique ni sur la religion juive. En revanche, il se pose une vraie question : c’est comment exercer son culte en respectant nos règles de la République ?
 
Il y a une loi qui existe, celle de 1905.
 
Oui, il y a la loi sur la laïcité.
 
Il faut la changer ?
 
Il faut réfléchir s’il y a besoin d’adaptation ou pas. C’est d’ailleurs pour ça que nous lançons un débat. Si je vous répondais ce matin, ça voudrait dire que ce n’est même pas la peine d’ouvrir un débat. Donc il y a la loi sur la laïcité ; regardons comment elle est compatible avec l’exercice des cultes. Il n’est pas normal et je le dis, il n’est pas même acceptable d’avoir des prières dans la rue, donc nous devons remédier à cette situation, et à partir de ce moment-là posons la question de l’exercice des cultes et du respect de nos règles républicaines dans notre pays.
 
Mais par exemple C. Estrosi disait que ce débat tombait mal au moment où se développent toutes les révolutions dans le monde arabe. Vous n’avez pas cet avis ?
 
Non, je crois qu’au contraire, à partir du moment où nous portons sur la place publique un débat sur lequel il est normal de réfléchir, sans stigmatiser - au contraire, parce que nous avons le devoir de les protéger. Vous savez, 99 % de ceux qui pratiquent la religion musulmane sont parfaitement intégrés dans la société et quelques-uns qui exacerbent par leur fanatisme la pratique de leur culte eh bien nuisent à tous ceux qui sont parfaitement intégrés. Et nous, nous ne voulons pas que ces quelques personnes puissent porter atteinte à ceux qui vivent correctement dans notre pays.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 3 mars 2011