Texte intégral
La 3ème conférence des Nations unies sur les PMA se tiendra à Bruxelles du 14 au 18 mai 2001. Cette conférence est accueillie par l'Union européenne et la France entend y prendre une part active. Le fait que les deux premières éditions aient eu lieu en France nous donne à cet égard des devoirs particuliers.
Les PMA justifient des soins particuliers aussi parce que leur situation est évidemment plus difficile que celle des pays en développement. Ils sont aujourd'hui 49 à être classés "Pays moins avancés". Le Sénégal est le dernier pays à entrer dans ce club singulier où les handicaps se conjuguent et s'additionnent : faibles revenus, vulnérabilité économique, insuffisance de valorisation des ressources humaines (je renvoie là à l'accès à la santé ou à l'éducation ou simplement à l'alphabétisation). Ajoutons que ce sont des pays qui sont évidemment très sensibles aux chocs exogènes, et ils sont nombreux. Sur un continent comme l'Afrique où les conflits se multiplient, on observe que l'écart entre les PMA et PVD se creuse. La croissance moyenne des PMA pour la période 1990/1998 est de 0,9 % par an, donc très en deçà de la moyenne nationale. J'observe également que sur les 22 PMA en régression économique, sur cette même période, la moitié d'entre eux ont été le théâtre de conflits armés ou d'instabilité interne.
Je voudrais très brièvement rappeler les quelques instruments sur lesquels nous pouvons compter, ceux qui existent déjà ou ceux qui se mettent en place. Il y a d'abord l'Aide publique au développement. L'objectif affiché au niveau international de 0,7 % du PIB est loin d'être atteint. La nouvelle statistique qui intègre la sortie des moyens consacrés aux Territoires d'Outre-mer, situe désormais la part de la France à 0,34 % du PIB. C'est encore 5,5 milliards d'euros, ce n'est pas rien. La France demeure en pourcentage de son PIB le pays le plus généreux des pays du G7, mais nous sommes conscients que les besoins d'un accroissement de l'aide publique est vérifié et nous appelons à un meilleur partage du fardeau. Aujourd'hui, seule une poignée de pays nordiques atteignent, et quelques-uns uns dépassent, l'objectif. Mais les grands pays industrialisés sont loin du compte surtout les Etats-Unis qui restent avec 0,10 % en queue du peloton des grands pays industrialisés.
L'Aide publique au développement donc est un moyen de venir en appui aux PMA, le désendettement va représenter un moyen nouveau et qui peut avoir des effets très importants. L'allégement de la dette concerne en effet au premier chef les PMA. Sur un total de 41 pays identifiés par le FMI comme éligibles à cette initiative, 30 sont des PMA et sur les 22 pays qui ont atteint le point de décision, les spécialistes que vous êtes savent que c'est le début du processus du désendettement avant d'atteindre ce qu'on appelle le point d'achèvement, 17 sont des PMA, et pour ces 17 pays, l'effacement des dettes. Cela représente 13 milliards de dollars en valeur actuelle nette. La part que la France a pris dans cette initiative de désendettement, en plus des 2 milliards d'euros qui correspondent à l'initiative multilatérale, l'effort bilatéral pèse 4,7 milliards d'euros. Pour les pays éligibles, outre les créances d'APD, la France annule la totalité des créances commerciales éligibles en club de Paris. On ne sait pas assez que la France va être probablement le pays qui fera le plus gros effort dans le cas de ce désendettement. Nous allons mettre en place des contrats de désendettement-développement. J'en avais lancé l'idée à la réunion des ministres de la zone franc à Malabo en l'an 2000.
Autre bonne nouvelle : le déliement de l'aide qui était une vieille revendication de la société civile et qui, dans le cadre de la réunion du CAD de l'OCDE il y a quelques jours, a abouti à un accord qui prévoit un déliement de l'aide pour les PMA vis-à-vis de tous les membres du CAD (l'ensemble des grands pays industrialisés) avec une entrée en application effective dès le 1er janvier 2002.
Et puis il y a l'initiative fortement portée par le commissaire européen Pascal Lamy du "tout sauf les armes" : l'ouverture du marché européen aux produits en provenance des PMA sans exception sauf les armes. J'ai essayé à Washington de faire passer ce message car il faudrait que les autres pays industrialisés aient la même attitude vis-à-vis de l'importation des produits des PMA. J'insiste sur cette ouverture du marché européen car je suis convaincu que le développement passe par une bonne articulation entre aide publique, commerce et développement. Mais encore faut-il que les PMA en particulier soient en mesure de profiter de l'ouverture des marchés et non pas d'en être à nouveau victimes. Ceux qui prônent la primauté du commerce comme clef du développement doivent se soucier de continuer à apporter une aide publique pour mettre ces pays en mesure de profiter vraiment de l'ouverture des marchés. Çà c'est un élément très important et nous le rappellerons à Bruxelles, le président de la République ne manquera pas dans son discours d'ouverture de le faire. J'essaierai moi-même en co-présidant une table ronde sur le thème de la mise en valeur des ressources humaines de parler évidemment de cette bataille spécifique qui est l'accès à l'éducation et à l'accès à la santé.
La question de l'accès aux soins venant de connaître un éclairage particulier puisque Abuja, à l'occasion de la réunion des chefs d'Etat, la question du SIDA a été évidemment au centre de cette rencontre. Le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a plaidé pour la mise en place d'un fonds spécifique qu'il a chiffré à un niveau important puisqu'il a parlé de 7 à 10 milliards de dollars. Laurent Fabius avait avancé lui aussi, à Prague, le chiffre de 10 milliards de dollars. On est bien dans l'ordre de grandeur de ce qu'il faudrait faire si on veut prendre en compte à la fois les questions de recherche, les questions d'accès aux traitements mais surtout la mise en place de systèmes de santé sans lesquels il n'y aura pas de résultat, sachant la complexité des soins qu'il s'agit de donner.
Il faut enfin que nous aidions les PMA à jouer leur rôle dans les enceintes où les grandes questions commerciales sont débattues - et on pense à l'OMC. Je rappelle que la France participe à un certain nombre de programmes que ce soit par l'intermédiaire de la CNUCED, voire de l'OMC, qui ont tous pour objectif d'aider les pays en développement et singulièrement les PMA à être plus efficaces dans ces négociations internationales qui les concernent au premier chef.
La prochaine réunion sur les PMA à Bruxelles offre une occasion privilégiée de mobiliser la communauté internationale en faveur du développement, de rappeler les succès - même encore insuffisants mais néanmoins réels - que la coopération internationale est en train de permettre et je pense à ces accords aussi bien sur le déliement de l'aide que l'ouverture des marchés qui me paraissent importants.
Je suis à votre disposition pour les questions que vous voudriez me poser.
Q - Monsieur le Ministre, quand on nous a annoncé cette conférence de presse je me suis dit la France qui a accueilli par le passé deux conférences internationales sur les PMA se prépare sans doute à annoncer une initiative gouvernementale particulière à la veille de la troisième conférence. Or visiblement vous vous en remettez aux initiatives prises au niveau multilatéral le déliement de l'aide, au CAD, et au " tous sauf les armes " au niveau de l'Union européenne. Est-ce que cela veut dire que la France ne va rien faire au niveau bilatéral ? Evidemment vous avez parlé de votre Aide publique au développement et du désendettement, ça ce sont les deux choses sur lesquelles vous pouvez agir au niveau bilatéral, c'est vrai, mais on se serait attendu à une initiative un peu plus spectaculaire.
R - Au risque de vous surprendre j'aime bien quand le multilatéral s'intéresse aux questions de développement, parce qu'il est arrivé souvent à la France d'être un peu seule. Je n'aimerais pas non plus qu'on fasse comme si le multilatéral nous était étranger. La France est un des acteurs de ce multilatéral. Faut-il rappeler que dans le cadre européen c'est la France qui paie le plus dans le cas du Fonds européen de développement, à nous seuls nous faisons le quart. Mais va-t-on nous reprocher d'essayer de convaincre nos partenaires européens d'être à nos côtés pour aider au développement des PMA et en particulier africains. C'est quand même un comble. De la même manière, puisqu'aussi bien nous sommes actionnaires de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international, il est de notre responsabilité de faire en sorte que ce à quoi nous croyons en terme de développement puisse interpeller les responsables de ces institutions et faire en sorte que les moyens bien plus considérables que ceux que la France peut mobiliser servent justement le développement. On parlait d'initiative de la dette tout à l'heure, c'est vrai que c'est le G7 qui est à l'origine de cette initiative de désendettement, mais j'observe que c'est la France qui va faire l'effort le plus important.
J'ai, hier et avant-hier à Washington, fait la preuve une fois de plus que la France est aussi l'avocat dans ces instances multilatérales des pays auxquels nous lie une relation historique un peu particulière. On a par exemple pas mal parlé de la Côte d'Ivoire à Washington, c'est pour dire que loin d'opposer le multilatéral et le bilatéral, je crois qu'il faut au contraire coordonner désormais bien mieux ce que nous faisons dans une relation bilatérale avec ce qui peut se faire dans un cadre multilatéral qui offre évidemment davantage de moyens et qui est dans lequel peut-être aussi nos amis africains retrouvent une part de liberté plus grande. On ne va pas le leur refuser.
Q - Les contrats de désendettement-développement, est-ce que c'est la même chose que les conversions de créances en projets sociaux qui avaient été expérimentées ces dernières années ?
R - C'est en tout cas sur les mêmes priorités, que je peux rappeler - Education, Santé, Développement durable et Aménagement local. Les conversions de créances auxquelles vous faisiez allusion étaient quantifiées et ne pouvaient servir qu'à des investissements. Dans le cas d'espèces, l'argent dont il est question pourrait et pourra servir aussi à des dépenses de fonctionnement, ce qui est très important car faire des écoles ce n'est pas toujours facile, mais recruter des enseignants et les payer est parfois encore plus difficile.
Q - On négocie l'utilisation de cette remise de dette ?
R - On peut parler de négociations, mais en tout cas moi je crois que les choses devraient se passer sans trop de difficultés parce qu'il s'agit bien de répondre aux besoins prioritaires exprimés par le pays en question. Mais il faut qu'on puisse bien évidemment convertir cela en programme et c'est l'Agence française de Développement ou la DGCID qui seront les opérateurs dans la mise en oeuvre de ces programmes. La condition c'est d'être parmi les pays éligibles à la fameuse initiative PPTE. Je le disais à l'instant, 22 ont déjà atteint le point de décision et parmi eux 17 PMA et parmi les 17 PMA beaucoup de la ZSP et de pays francophones, puisque la moitié sont des pays francophones que nous connaissons bien : Cameroun, Bénin, Mali et j'espère que la Côte d'Ivoire pourra, peut-être à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, figurer sur la liste des pays susceptibles de bénéficier de cette facilité. Là où nous allons incontestablement être attendus c'est de voir comment ce désendettement, cet abandon de créance va être additionné à l'Aide publique au développement. Je pense que les choses sont bien parties. De la même manière, nous avons déjà commencé à réfléchir à l'articulation possible entre ces crédits là et ceux pouvant provenir du Fonds européen de développement parce qu'il s'agit là aussi de faire masse compte tenu de l'ampleur des besoins qui sont demandés.
Q - Lors de la présentation du rapport de l'AFD vous avez dit que deux pays étaient dans le "tuyau" : le Cameroun et le Mozambique ?
R - Exact, c'est confirmé. Ce sont ces pays qui vont être les premiers exemples qui vont servir en quelque sorte d'expérimentation à cette procédure.
Q - Parmi les 49 PMA, quels sont donc les pays producteurs d'armes dont la production peut espérer envahir les marchés européens
R - Je vais vous dire, s'il y a bien un produit aujourd'hui qui est capable de franchir les frontières et de changer d'étiquette hélas ce sont les armes. Il est vrai que la question de l'origine des produits va justifier la mise en place aussi de procédure de moyens techniques et de personnels.
Q - Puisque cela va se passer à Bruxelles, est-ce qu'il y a une position européenne déjà définie ?
R - S'agissant de l'accès aux marchés, c'est une position européenne qui vient d'être adoptée. S'agissant de la politique en matière de développement, il y a cette déclaration commune que nous avons adoptée sous présidence française le 10 novembre 2000 à Bruxelles et qui devrait être complétée par un plan d'action qui sera discuté et j'espère adopté sous présidence suédoise dans quelques jours. Au prochain conseil-développement, il y a un plan d'action à l'ordre du jour qui devrait là aussi illustrer la volonté des Européens de coordonner leurs efforts et surtout de donner plus d'efficacité aux politiques européennes en matière de développement. Quand je dis plus d'efficacité, je pense aux actions que la Commission européenne mène de son côté avec les moyens importants que le FED notamment lui donne. Et quand je dis gagner en efficacité c'est au raccourcissement des délais que je pense. Cela veut dire délégation de pouvoirs et coordination sur le terrain y compris avec les agences des Nations unies, de la Banque Mondiale ou du Fonds monétaire. On ne peut pas se satisfaire de cette situation, parce que ce qui nous choque le plus c'est d'avoir de l'argent et de ne pas le dépenser.
Nous parlions tout à l'heure de la baisse de l'APD française : il y a au moins deux explications - ce n'est pas suffisant pour nous ôter toute responsabilité -, tout d'abord les programmes d'ajustement structurel et la dévaluation du Franc CFA. Il y a eu un PIC au niveau des appuis financiers qui correspondait à ces années 1994/95 où là on a tutoyé les 0,70 %, on est allé à 0,64 %. Mais ces appuis structurels destinés à aider au passage de la dévaluation se sont révélés ensuite sans objet, précisément parce qu'un certain nombre de pays qui avaient bénéficier de ces aides, ont profité à leur tour de la dévaluation et l'appui structurel de ce type est par définition temporaire. Le fait qu'on ait réduit ces aides signifie que les finances publiques de ces pays là à ce moment là se sont améliorées. Mais il y a aussi une autre raison, c'est qu'un certain nombre de ces pays se sont retrouvés en situation de conflit, d'instabilité interne, ce qui a bloqué le développement de nombreux projets : les deux Congo, les à-coups de la vie politique au Niger, en Côte d'Ivoire... Il y a donc eu des raisons objectives qui ont fait qu'on n'a pas pu réaliser dans ces pays les projets de développement qui étaient prévus. C'est la capacité d'absorption par les pays partenaires des programmes qui est en cause. Mais il y a aussi les blocages qui viennent des procédures et je le redis, ce qui est choquant, c'est de découvrir pour le FED un reliquat de 9 milliards. Mais il est vrai que si nous voulons gagner en efficacité, il faut que nous sachions faire preuve aussi d'innovation, il faut s'adapter à quelques réalités. La question aujourd'hui du SIDA pose des problèmes spécifiques auxquels il faut être capable de répondre. L'éducation doit intégrer aujourd'hui des technologies dont on n'imaginait pas qu'elles soient possibles.
Q - Est-ce que l'on peut revenir sur le déliement. Est-ce que c'est vraiment une bonne nouvelle ? Et est-ce que vous avez des données sur l'aide publique qui va être déliée parce qu'il y a énormément d'annexes et d'aide qui sortent de l'accord qui va être visé par le CAD ?
R - Je peux vous donner quelques précisions. Je vous ai parlé de l'accord obtenu, et cela a été long avec les réserves du Japon qui a demandé que cela soit, comme on dit "ad référendum". Le Japon était de ceux qui ont beaucoup freiné, les Américains aussi, et qui était attentif notamment à la question de l'aide alimentaire. Donc entré en application au 1er janvier 2002, le déliement sera optionnel en ce qui concerne l'assistance technique et l'aide alimentaire et là la pression a été très forte de ce point de vue, et on prend compte des seuils pour les investissements matériels : 700 000 DTS et 300 000 dollars pour la coopération technique liée aux investissements. Il y a en effet quelques conditions qui viennent restreindre la portée de la mesure, mais pour autant c'était attendu et ceci a été salué par les pays bénéficiaires de cette aide et en particulier notre société civile qui voulait que des progrès soient fait dans ce domaine, considérant que jusqu'à présent on donnait et on retenait un peu et c'est cela que le déliement doit permettre de changer
Q - Est-ce qu'il n'y a pas des pays qui risquent de réduire leur aide ? Comme le Japon.
R - Malheureusement le Japon avait commencé à réduire son aide bien avant que le déliement soit décidé. Cela renvoie aux difficultés particulières que connaît le Japon qui est aujourd'hui encore le premier donneur d'aide en valeur absolue, sensiblement devant les Etats-Unis et dont la situation budgétaire pourrait en effet l'inviter à réduire l'ensemble de ses dépenses et celle-là aussi. Mais enfin je ne pense pas que ceux-ci atteignent des proportions trop graves. Certains prétendaient par contre que le fait que cela ne soit plus une présidence japonaise au HCR puisse entraîner une baisse relative des crédits. Mais j'espère que cela ne sera pas vérifié parce que le HCR n'a pas besoin de baisse de ses moyens bien au contraire, et la France, lors de la visite de M. Lubbers, à dû reconnaître qu'elle n'est pas parmi les plus généreuses, en ce qui concerne le Haut Commissariat aux réfugiés mais que nous essaierions. Nous sommes en train de regarder cela, notamment si la France ne pourrait pas augmenter ses contributions volontaires, parce que le fait d'être située au 14ème ou 15ème rang ne nous autorise pas à parler aussi haut et fort qu'on le voudrait parfois.
Q - A partir de quelle date le déliement de l'aide aux PMA sera-t-il effectif ?
R - En ce qui nous concerne, la France s'engage à compter du 1er janvier 2002 à délier son Aide publique au développement en direction des PMA de la manière suivante : balance des paiements et aide à l'ajustement structurel, ce qui est vrai était déjà assez largement délié par nature, annulation de la dette je l'ai dit, aide-programme sectoriel, projet d'investissements, aide aux importations, contrats de services commerciaux et aide aux ONG lorsque ces dernières agissent comme opérateurs sur appels d'offre. C'est l'ensemble de ces rubriques qui à compter du 1er janvier 2002 va être délié par la France.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
Les PMA justifient des soins particuliers aussi parce que leur situation est évidemment plus difficile que celle des pays en développement. Ils sont aujourd'hui 49 à être classés "Pays moins avancés". Le Sénégal est le dernier pays à entrer dans ce club singulier où les handicaps se conjuguent et s'additionnent : faibles revenus, vulnérabilité économique, insuffisance de valorisation des ressources humaines (je renvoie là à l'accès à la santé ou à l'éducation ou simplement à l'alphabétisation). Ajoutons que ce sont des pays qui sont évidemment très sensibles aux chocs exogènes, et ils sont nombreux. Sur un continent comme l'Afrique où les conflits se multiplient, on observe que l'écart entre les PMA et PVD se creuse. La croissance moyenne des PMA pour la période 1990/1998 est de 0,9 % par an, donc très en deçà de la moyenne nationale. J'observe également que sur les 22 PMA en régression économique, sur cette même période, la moitié d'entre eux ont été le théâtre de conflits armés ou d'instabilité interne.
Je voudrais très brièvement rappeler les quelques instruments sur lesquels nous pouvons compter, ceux qui existent déjà ou ceux qui se mettent en place. Il y a d'abord l'Aide publique au développement. L'objectif affiché au niveau international de 0,7 % du PIB est loin d'être atteint. La nouvelle statistique qui intègre la sortie des moyens consacrés aux Territoires d'Outre-mer, situe désormais la part de la France à 0,34 % du PIB. C'est encore 5,5 milliards d'euros, ce n'est pas rien. La France demeure en pourcentage de son PIB le pays le plus généreux des pays du G7, mais nous sommes conscients que les besoins d'un accroissement de l'aide publique est vérifié et nous appelons à un meilleur partage du fardeau. Aujourd'hui, seule une poignée de pays nordiques atteignent, et quelques-uns uns dépassent, l'objectif. Mais les grands pays industrialisés sont loin du compte surtout les Etats-Unis qui restent avec 0,10 % en queue du peloton des grands pays industrialisés.
L'Aide publique au développement donc est un moyen de venir en appui aux PMA, le désendettement va représenter un moyen nouveau et qui peut avoir des effets très importants. L'allégement de la dette concerne en effet au premier chef les PMA. Sur un total de 41 pays identifiés par le FMI comme éligibles à cette initiative, 30 sont des PMA et sur les 22 pays qui ont atteint le point de décision, les spécialistes que vous êtes savent que c'est le début du processus du désendettement avant d'atteindre ce qu'on appelle le point d'achèvement, 17 sont des PMA, et pour ces 17 pays, l'effacement des dettes. Cela représente 13 milliards de dollars en valeur actuelle nette. La part que la France a pris dans cette initiative de désendettement, en plus des 2 milliards d'euros qui correspondent à l'initiative multilatérale, l'effort bilatéral pèse 4,7 milliards d'euros. Pour les pays éligibles, outre les créances d'APD, la France annule la totalité des créances commerciales éligibles en club de Paris. On ne sait pas assez que la France va être probablement le pays qui fera le plus gros effort dans le cas de ce désendettement. Nous allons mettre en place des contrats de désendettement-développement. J'en avais lancé l'idée à la réunion des ministres de la zone franc à Malabo en l'an 2000.
Autre bonne nouvelle : le déliement de l'aide qui était une vieille revendication de la société civile et qui, dans le cadre de la réunion du CAD de l'OCDE il y a quelques jours, a abouti à un accord qui prévoit un déliement de l'aide pour les PMA vis-à-vis de tous les membres du CAD (l'ensemble des grands pays industrialisés) avec une entrée en application effective dès le 1er janvier 2002.
Et puis il y a l'initiative fortement portée par le commissaire européen Pascal Lamy du "tout sauf les armes" : l'ouverture du marché européen aux produits en provenance des PMA sans exception sauf les armes. J'ai essayé à Washington de faire passer ce message car il faudrait que les autres pays industrialisés aient la même attitude vis-à-vis de l'importation des produits des PMA. J'insiste sur cette ouverture du marché européen car je suis convaincu que le développement passe par une bonne articulation entre aide publique, commerce et développement. Mais encore faut-il que les PMA en particulier soient en mesure de profiter de l'ouverture des marchés et non pas d'en être à nouveau victimes. Ceux qui prônent la primauté du commerce comme clef du développement doivent se soucier de continuer à apporter une aide publique pour mettre ces pays en mesure de profiter vraiment de l'ouverture des marchés. Çà c'est un élément très important et nous le rappellerons à Bruxelles, le président de la République ne manquera pas dans son discours d'ouverture de le faire. J'essaierai moi-même en co-présidant une table ronde sur le thème de la mise en valeur des ressources humaines de parler évidemment de cette bataille spécifique qui est l'accès à l'éducation et à l'accès à la santé.
La question de l'accès aux soins venant de connaître un éclairage particulier puisque Abuja, à l'occasion de la réunion des chefs d'Etat, la question du SIDA a été évidemment au centre de cette rencontre. Le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a plaidé pour la mise en place d'un fonds spécifique qu'il a chiffré à un niveau important puisqu'il a parlé de 7 à 10 milliards de dollars. Laurent Fabius avait avancé lui aussi, à Prague, le chiffre de 10 milliards de dollars. On est bien dans l'ordre de grandeur de ce qu'il faudrait faire si on veut prendre en compte à la fois les questions de recherche, les questions d'accès aux traitements mais surtout la mise en place de systèmes de santé sans lesquels il n'y aura pas de résultat, sachant la complexité des soins qu'il s'agit de donner.
Il faut enfin que nous aidions les PMA à jouer leur rôle dans les enceintes où les grandes questions commerciales sont débattues - et on pense à l'OMC. Je rappelle que la France participe à un certain nombre de programmes que ce soit par l'intermédiaire de la CNUCED, voire de l'OMC, qui ont tous pour objectif d'aider les pays en développement et singulièrement les PMA à être plus efficaces dans ces négociations internationales qui les concernent au premier chef.
La prochaine réunion sur les PMA à Bruxelles offre une occasion privilégiée de mobiliser la communauté internationale en faveur du développement, de rappeler les succès - même encore insuffisants mais néanmoins réels - que la coopération internationale est en train de permettre et je pense à ces accords aussi bien sur le déliement de l'aide que l'ouverture des marchés qui me paraissent importants.
Je suis à votre disposition pour les questions que vous voudriez me poser.
Q - Monsieur le Ministre, quand on nous a annoncé cette conférence de presse je me suis dit la France qui a accueilli par le passé deux conférences internationales sur les PMA se prépare sans doute à annoncer une initiative gouvernementale particulière à la veille de la troisième conférence. Or visiblement vous vous en remettez aux initiatives prises au niveau multilatéral le déliement de l'aide, au CAD, et au " tous sauf les armes " au niveau de l'Union européenne. Est-ce que cela veut dire que la France ne va rien faire au niveau bilatéral ? Evidemment vous avez parlé de votre Aide publique au développement et du désendettement, ça ce sont les deux choses sur lesquelles vous pouvez agir au niveau bilatéral, c'est vrai, mais on se serait attendu à une initiative un peu plus spectaculaire.
R - Au risque de vous surprendre j'aime bien quand le multilatéral s'intéresse aux questions de développement, parce qu'il est arrivé souvent à la France d'être un peu seule. Je n'aimerais pas non plus qu'on fasse comme si le multilatéral nous était étranger. La France est un des acteurs de ce multilatéral. Faut-il rappeler que dans le cadre européen c'est la France qui paie le plus dans le cas du Fonds européen de développement, à nous seuls nous faisons le quart. Mais va-t-on nous reprocher d'essayer de convaincre nos partenaires européens d'être à nos côtés pour aider au développement des PMA et en particulier africains. C'est quand même un comble. De la même manière, puisqu'aussi bien nous sommes actionnaires de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international, il est de notre responsabilité de faire en sorte que ce à quoi nous croyons en terme de développement puisse interpeller les responsables de ces institutions et faire en sorte que les moyens bien plus considérables que ceux que la France peut mobiliser servent justement le développement. On parlait d'initiative de la dette tout à l'heure, c'est vrai que c'est le G7 qui est à l'origine de cette initiative de désendettement, mais j'observe que c'est la France qui va faire l'effort le plus important.
J'ai, hier et avant-hier à Washington, fait la preuve une fois de plus que la France est aussi l'avocat dans ces instances multilatérales des pays auxquels nous lie une relation historique un peu particulière. On a par exemple pas mal parlé de la Côte d'Ivoire à Washington, c'est pour dire que loin d'opposer le multilatéral et le bilatéral, je crois qu'il faut au contraire coordonner désormais bien mieux ce que nous faisons dans une relation bilatérale avec ce qui peut se faire dans un cadre multilatéral qui offre évidemment davantage de moyens et qui est dans lequel peut-être aussi nos amis africains retrouvent une part de liberté plus grande. On ne va pas le leur refuser.
Q - Les contrats de désendettement-développement, est-ce que c'est la même chose que les conversions de créances en projets sociaux qui avaient été expérimentées ces dernières années ?
R - C'est en tout cas sur les mêmes priorités, que je peux rappeler - Education, Santé, Développement durable et Aménagement local. Les conversions de créances auxquelles vous faisiez allusion étaient quantifiées et ne pouvaient servir qu'à des investissements. Dans le cas d'espèces, l'argent dont il est question pourrait et pourra servir aussi à des dépenses de fonctionnement, ce qui est très important car faire des écoles ce n'est pas toujours facile, mais recruter des enseignants et les payer est parfois encore plus difficile.
Q - On négocie l'utilisation de cette remise de dette ?
R - On peut parler de négociations, mais en tout cas moi je crois que les choses devraient se passer sans trop de difficultés parce qu'il s'agit bien de répondre aux besoins prioritaires exprimés par le pays en question. Mais il faut qu'on puisse bien évidemment convertir cela en programme et c'est l'Agence française de Développement ou la DGCID qui seront les opérateurs dans la mise en oeuvre de ces programmes. La condition c'est d'être parmi les pays éligibles à la fameuse initiative PPTE. Je le disais à l'instant, 22 ont déjà atteint le point de décision et parmi eux 17 PMA et parmi les 17 PMA beaucoup de la ZSP et de pays francophones, puisque la moitié sont des pays francophones que nous connaissons bien : Cameroun, Bénin, Mali et j'espère que la Côte d'Ivoire pourra, peut-être à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, figurer sur la liste des pays susceptibles de bénéficier de cette facilité. Là où nous allons incontestablement être attendus c'est de voir comment ce désendettement, cet abandon de créance va être additionné à l'Aide publique au développement. Je pense que les choses sont bien parties. De la même manière, nous avons déjà commencé à réfléchir à l'articulation possible entre ces crédits là et ceux pouvant provenir du Fonds européen de développement parce qu'il s'agit là aussi de faire masse compte tenu de l'ampleur des besoins qui sont demandés.
Q - Lors de la présentation du rapport de l'AFD vous avez dit que deux pays étaient dans le "tuyau" : le Cameroun et le Mozambique ?
R - Exact, c'est confirmé. Ce sont ces pays qui vont être les premiers exemples qui vont servir en quelque sorte d'expérimentation à cette procédure.
Q - Parmi les 49 PMA, quels sont donc les pays producteurs d'armes dont la production peut espérer envahir les marchés européens
R - Je vais vous dire, s'il y a bien un produit aujourd'hui qui est capable de franchir les frontières et de changer d'étiquette hélas ce sont les armes. Il est vrai que la question de l'origine des produits va justifier la mise en place aussi de procédure de moyens techniques et de personnels.
Q - Puisque cela va se passer à Bruxelles, est-ce qu'il y a une position européenne déjà définie ?
R - S'agissant de l'accès aux marchés, c'est une position européenne qui vient d'être adoptée. S'agissant de la politique en matière de développement, il y a cette déclaration commune que nous avons adoptée sous présidence française le 10 novembre 2000 à Bruxelles et qui devrait être complétée par un plan d'action qui sera discuté et j'espère adopté sous présidence suédoise dans quelques jours. Au prochain conseil-développement, il y a un plan d'action à l'ordre du jour qui devrait là aussi illustrer la volonté des Européens de coordonner leurs efforts et surtout de donner plus d'efficacité aux politiques européennes en matière de développement. Quand je dis plus d'efficacité, je pense aux actions que la Commission européenne mène de son côté avec les moyens importants que le FED notamment lui donne. Et quand je dis gagner en efficacité c'est au raccourcissement des délais que je pense. Cela veut dire délégation de pouvoirs et coordination sur le terrain y compris avec les agences des Nations unies, de la Banque Mondiale ou du Fonds monétaire. On ne peut pas se satisfaire de cette situation, parce que ce qui nous choque le plus c'est d'avoir de l'argent et de ne pas le dépenser.
Nous parlions tout à l'heure de la baisse de l'APD française : il y a au moins deux explications - ce n'est pas suffisant pour nous ôter toute responsabilité -, tout d'abord les programmes d'ajustement structurel et la dévaluation du Franc CFA. Il y a eu un PIC au niveau des appuis financiers qui correspondait à ces années 1994/95 où là on a tutoyé les 0,70 %, on est allé à 0,64 %. Mais ces appuis structurels destinés à aider au passage de la dévaluation se sont révélés ensuite sans objet, précisément parce qu'un certain nombre de pays qui avaient bénéficier de ces aides, ont profité à leur tour de la dévaluation et l'appui structurel de ce type est par définition temporaire. Le fait qu'on ait réduit ces aides signifie que les finances publiques de ces pays là à ce moment là se sont améliorées. Mais il y a aussi une autre raison, c'est qu'un certain nombre de ces pays se sont retrouvés en situation de conflit, d'instabilité interne, ce qui a bloqué le développement de nombreux projets : les deux Congo, les à-coups de la vie politique au Niger, en Côte d'Ivoire... Il y a donc eu des raisons objectives qui ont fait qu'on n'a pas pu réaliser dans ces pays les projets de développement qui étaient prévus. C'est la capacité d'absorption par les pays partenaires des programmes qui est en cause. Mais il y a aussi les blocages qui viennent des procédures et je le redis, ce qui est choquant, c'est de découvrir pour le FED un reliquat de 9 milliards. Mais il est vrai que si nous voulons gagner en efficacité, il faut que nous sachions faire preuve aussi d'innovation, il faut s'adapter à quelques réalités. La question aujourd'hui du SIDA pose des problèmes spécifiques auxquels il faut être capable de répondre. L'éducation doit intégrer aujourd'hui des technologies dont on n'imaginait pas qu'elles soient possibles.
Q - Est-ce que l'on peut revenir sur le déliement. Est-ce que c'est vraiment une bonne nouvelle ? Et est-ce que vous avez des données sur l'aide publique qui va être déliée parce qu'il y a énormément d'annexes et d'aide qui sortent de l'accord qui va être visé par le CAD ?
R - Je peux vous donner quelques précisions. Je vous ai parlé de l'accord obtenu, et cela a été long avec les réserves du Japon qui a demandé que cela soit, comme on dit "ad référendum". Le Japon était de ceux qui ont beaucoup freiné, les Américains aussi, et qui était attentif notamment à la question de l'aide alimentaire. Donc entré en application au 1er janvier 2002, le déliement sera optionnel en ce qui concerne l'assistance technique et l'aide alimentaire et là la pression a été très forte de ce point de vue, et on prend compte des seuils pour les investissements matériels : 700 000 DTS et 300 000 dollars pour la coopération technique liée aux investissements. Il y a en effet quelques conditions qui viennent restreindre la portée de la mesure, mais pour autant c'était attendu et ceci a été salué par les pays bénéficiaires de cette aide et en particulier notre société civile qui voulait que des progrès soient fait dans ce domaine, considérant que jusqu'à présent on donnait et on retenait un peu et c'est cela que le déliement doit permettre de changer
Q - Est-ce qu'il n'y a pas des pays qui risquent de réduire leur aide ? Comme le Japon.
R - Malheureusement le Japon avait commencé à réduire son aide bien avant que le déliement soit décidé. Cela renvoie aux difficultés particulières que connaît le Japon qui est aujourd'hui encore le premier donneur d'aide en valeur absolue, sensiblement devant les Etats-Unis et dont la situation budgétaire pourrait en effet l'inviter à réduire l'ensemble de ses dépenses et celle-là aussi. Mais enfin je ne pense pas que ceux-ci atteignent des proportions trop graves. Certains prétendaient par contre que le fait que cela ne soit plus une présidence japonaise au HCR puisse entraîner une baisse relative des crédits. Mais j'espère que cela ne sera pas vérifié parce que le HCR n'a pas besoin de baisse de ses moyens bien au contraire, et la France, lors de la visite de M. Lubbers, à dû reconnaître qu'elle n'est pas parmi les plus généreuses, en ce qui concerne le Haut Commissariat aux réfugiés mais que nous essaierions. Nous sommes en train de regarder cela, notamment si la France ne pourrait pas augmenter ses contributions volontaires, parce que le fait d'être située au 14ème ou 15ème rang ne nous autorise pas à parler aussi haut et fort qu'on le voudrait parfois.
Q - A partir de quelle date le déliement de l'aide aux PMA sera-t-il effectif ?
R - En ce qui nous concerne, la France s'engage à compter du 1er janvier 2002 à délier son Aide publique au développement en direction des PMA de la manière suivante : balance des paiements et aide à l'ajustement structurel, ce qui est vrai était déjà assez largement délié par nature, annulation de la dette je l'ai dit, aide-programme sectoriel, projet d'investissements, aide aux importations, contrats de services commerciaux et aide aux ONG lorsque ces dernières agissent comme opérateurs sur appels d'offre. C'est l'ensemble de ces rubriques qui à compter du 1er janvier 2002 va être délié par la France.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)