Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à "France 2" le 21 février 2011, sur l'éventuelle candidature de Dominique Strauss-Kahn à l'élection présidentielle 2012 et sur l'organisation de la filière nucléaire française.

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Média : France 2

Texte intégral

A. Kara.- Bonjour à tous, bonjour E. Besson.

Bonjour A. Kara.

Alors, ça ne vous a pas échappé, D. Strauss-Kahn était hier soir sur notre antenne. Alors, comment vous avez trouvé le patron du FMI ?

D’abord, j’ai trouvé qu’il avait fait un grand pas vers la candidature. J’entends les commentaires ce matin, disant : « Il a maintenu le suspens. Il a exprimé un certain nombre de réserves », etc. Personnellement, ça n’engage que moi, j’ai vu un acte de déclaration et une déclaration à la candidature, ça m’a paru assez évident.

Pour vous, c’est une évidence, vous qui connaissez bien le Parti socialiste, vous qui connaissez bien également D. Strauss-Kahn, c’est une évidence, il sera candidat ?

Lorsque je l’ai écouté hier soir, ça m’a paru une évidence, d’autant qu’on avait bien compris avec le plan de communication, remarquable, convenons-en, qui avait été conçu, que tout avait été organisé pour que son passage ici, sur votre antenne, soit le point d’orgue d’un week-end très préparé. Lorsqu’on écoute bien ce qu’ont été ses différents arguments, personnellement j’en ai conclu qu’il serait candidat.

En tant que Directeur général du FMI, théoriquement, il a un devoir de réserve. Est-ce que vous avez trouvé qu’il respectait hier soir ce devoir de réserve, E. Besson ?

Respecté ou qu’il mordait un peu la ligne. Lorsqu’il dit : « Les gouvernements en Europe feraient mieux de faire leur travail, de faire ce pourquoi ils ont été élus plutôt que de se préoccuper des élections à venir », j’ai cru sentir d’ailleurs qu’il parlait en creux, un peu, de la France, j’ai trouvé qu’il mordait la ligne, mais c’était aussi parce que France 2 lui avait montré un extrait de C. Jacob, critiquant son passé, l’idée qu’il ne représenterait peut-être pas bien la France ; donc on sentait qu’il était un peu mordant, là, oui.

Vous voulez dire qu’hier il a franchi la ligne jaune, il est rentré dans le débat politique intérieur français, vous l’avez senti critiquant N. Sarkozy ?

Comme je veux être bienveillant, je trouve qu’il l’a frôlée ou qu’il l’a légèrement mordue, voyez, je laisse encore une place au doute.

Alors, E. Besson, est-ce que D. Strauss-Kahn fait peur à la droite ? Il n’est pas encore candidat, même pas aux primaires du Parti socialiste et pourtant, depuis à peu près une dizaine de jours, on a un peu le sentiment qu’il y a des tirs croisés sur lui venant de toute part, en tout cas de la droite.

Ecoutez, les tirs croisés que je vois et que je constate depuis deux ans, personnellement, je considère qu’ils sont à l’égard de N. Sarkozy. Il y a des propos hallucinants qui ont été tenus, y compris la première secrétaire du Parti socialiste qui s’était permis de comparer le chef de l’État à l’escroc Madoff, et c’est passé relativement inaperçu. Maintenant, je vais vous dire, moi, à titre personnel, si D. Strauss-Kahn revient, s’il confirme ce que j’ai pressenti hier soir, c’est-à-dire sa candidature à la présidentielle, personnellement je trouverai ça comme une... je pendrai ça comme une bonne nouvelle, pour le pays. On a besoin de candidats de qualité et l’idée d’un match Sarkozy - Strauss-Kahn, si vous me permettez, si les deux confirment, me paraîtrait une bonne nouvelle. J’aime bien le football, certains sur le plateau aussi, si j’ai bien compris, c’est une espèce de Barça - Arsenal, si vous voulez, comme match, ce serait une très bonne nouvelle pour la France.

Mais, est-ce que toutes ces critiques, ça ne veut pas dire que quelque part, D. Strauss-Kahn fait peur aujourd’hui à la droite ?

Moi, je ne le crois pas, la majorité a beaucoup d’atouts, y compris de ce que je ne vous ai pas dit dans le match, c’est que, pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, moi je suis persuadé que si ce match a lieu, on sait que ce n’est pas le pronostic le plus établi aujourd’hui. Personnellement je suis persuadé que si ce match a lieu, c’est N. Sarkozy qui l’emportera. Donc, voyez, je n’ai peur de rien, mais je dis simplement que ça serait quelque chose, un match de qualité. Alors, ce qui me confirme, moi, dans l’idée qu’il est candidat, c’est la façon dont il s’est déclaré hier soir, très social, il a abondamment parlé de questions sociales, au point qu’une amie m’a envoyé un SMS que j’ai trouvé amusant et finalement résumant bien, elle m’a dit : « Au fond, je n’avais pas compris que le FMI c’était les Restos du coeur ».

Ça veut dire quoi ? Vous pensez, comme P. Lellouche, que D. Strauss-Kahn serait un excellent candidat de droite ?

Non, ça n’est pas ce que je suggère, c’est un réformiste, ce serait dans la tradition socialiste plutôt un rocardien, si je peux dire, et j’ai d’ailleurs moi-même appartenu à cette mouvance, pour que les choses soient claires, mais la gauche est très clivée de ce point de vue là, et de toute évidence, D. Strauss-Kahn a voulu dire hier soir : « Je suis resté très à gauche et je suis quelqu’un de profondément social », le message était explicite.

E. Besson, sur un tout autre sujet, la révolte populaire s’intensifie au Proche et Moyen Orient, au Maghreb, aujourd’hui au Maroc, votre pays natal, est-ce que vous pensez que la situation est dangereuse aujourd’hui ?

J’ai été impressionné par les images hier, d’autant que vous connaissez la caractéristique particulière du Maroc, en général il n’y a jamais de mise en cause du roi, parce que le roi c’est à la fois le chef de l’État et le commandeur des croyants, et les Marocains sont très très attachés à ce statut. J’ai été impressionné, je le dis sincèrement par la taille des manifestations, je n’en tire pas de leçon particulière, mais globalement, le Maghreb, le monde arabo-musulman, quand on regarde la situation, on est partagé entre espoir, espoir que naissent et se développent de vraies démocraties et de vraies démocraties sociales, et en même temps, inquiétude sur le devenir d’un certain nombre de révolutions d’une part ou évènements d’autre part.

Le nouvel ambassadeur, qui défraie la chronique en Tunisie, B. Boillon, c’était une erreur de casting ?

Non, c’est quelqu’un de très grande qualité, il a commis une maladresse, n’ergotons pas, il a commis une maladresse, mais il a eu l’intelligence de s’en rendre compte tout de suite et d’aller à la télévision, exprimer ses excuses, et comme en plus il est parfaitement arabophone, de l’exprimer en arabe, je pense que les Tunisiens y ont été sensibles.

Ce matin, à l’Élysée, il y a une réunion sur la filière nucléaire. Est-ce qu’on peut attendre des décisions ? Est-ce qu’A. Lauvergeon est en passe d’avoir un troisième mandat ou est-ce qu’elle est poussée vers la porte de sortie définitivement ?

Accessoirement, c’est cet après midi, mais ça n’a pas grande importance. Je ne vous en parlerai pas, parce que ces réunions ne font pas l’objet de publicité avant. La seule chose que je puisse vous dire, c’est qu’elle porte sur l’organisation de la filière nucléaire française, qu’on a appelée l’équipe de France du nucléaire, elle doit s’organiser et c’est ce que...

Autour d’EDF ?

EDF joue un rôle important, c’est le premier producteur d’électricité nucléaire dans le monde, donc, comment pourrait-il ne pas jouer un rôle majeur dans la filière ? Mais il y a d’autres acteurs très importants : Alstom, Areva au premier chef, GDF SUEZ qui est un grand producteur d’électricité au niveau mondial et qui voudrait l’être davantage en France dans le nucléaire. Donc, tout ça doit être organisé, nous devons en plus nous mettre en situation de répondre à de grands appels d’offres internationaux, parce que le monde a décidé de se doter davantage de nucléaire civil.

Merci E. Besson...

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 3 mars 2011