Texte intégral
Nous vivons un moment important. Tout dabord parce quil y a urgence : cest une question de jours, peut-être même dheures, si nous voulons arrêter loffensive meurtrière de Kadhafi contre ses populations civiles, en particulier contre Benghazi.
Cest un moment important aussi parce que ce qui est en question, cest la crédibilité, je dirais même lhonneur, de la communauté internationale. Le régime de Kadhafi a bafoué la résolution 1970. Il faut maintenant que nous fassions prévaloir la légalité internationale et que nous protégions les populations.
Un très gros travail a été fait par la Mission permanente de la France aux Nations unies, en liaison avec tous ceux qui se sont engagés à nos côtés : les Britanniques, bien sûr, les Libanais, les Américains et dautres, pour préparer ce projet de résolution. Cest un projet très ambitieux, qui prévoit des sanctions. Il prévoit la possibilité dune zone dexclusion aérienne, il prévoit surtout dautoriser les Etats membres et les organisations régionales à utiliser tous les moyens pour protéger les populations civiles, cest-à-dire la force le cas échéant.
Je pense que ladoption de cette résolution est en bonne voie. Si cest le cas, je pense que ce sera un moment dune grande importance pour les populations de Libye qui, dans la vague de la révolution qui secoue lensemble de la rive Sud de la Méditerranée, essayent de se libérer de loppression.
Q - Quest ce qui fait, selon vous, que les choses saccélèrent maintenant ?
R - Il y a des semaines, en tous cas des jours et des jours, que la France et la Grande-Bretagne, pressent nos partenaires dagir, parce que nous voyons bien que la situation sest renversée depuis une semaine. Elle sest renversée, de mon point de vue, en grande partie parce que Kadhafi avait non seulement la suprématie, mais même lexclusivité des moyens aériens. Cest la raison pour laquelle nous suggérions depuis longtemps de neutraliser un certain nombre daéroports, de pistes daéroport, ou dhélicoptères et davions.
Aujourdhui lopposition libyenne est en situation difficile et cest la raison pour laquelle, comme je vous lai dit, cest une question de jours, voire dheures. Tout le monde en a bien pris conscience, et cela a permis daccélérer le processus.
Q - Cest vous qui avez convaincu les Américains ?
R - Non, je nai pas cette prétention. Cest un travail collectif. Les Britanniques, nous-mêmes bien sûr, avons eu de nombreuses discussions. Jai eu à plusieurs reprises Hillary Clinton au téléphone, et elle a été reçue par le président de la République lundi. Nous avons été en permanence en relation avec nos alliés.
Q - Si la résolution est votée, quelles seront les opérations militaires ? Qui les conduira ?
R - Tout dabord, je ne veux pas anticiper sur le vote. Attendons quil soit acquis.
Ensuite, les divers gouvernements qui sont prêts à sengager vont évidemment planifier leurs opérations. Vous comprendrez bien que je ne puisse pas vous dire quand et où. Ce serait contre-productif
Je voudrais souligner quil est absolument essentiel, et nous lavons dit depuis le départ, cétait notre position constante, que les pays arabes soient engagés, et même participent à ces opérations. La Ligue arabe a déjà pris une position très claire. Cest ce qui va permettre, dailleurs, ladoption de cette résolution.
Il faut aussi, sil y a une force aérienne qui se constitue, quil y ait des avions arabes.
Q - Cest la guerre contre Mouammar Kadhafi ?
R - Ce nest pas une guerre : cest une opération de protection des populations civiles.
Q - Cela va jusquà la chute de Mouammar Kadhafi ?
R - Sil ne se met pas en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité, cest bien sûr lobjectif. Je vous rappelle quun certain nombre de pays, dont la France, et les Etats-Unis dailleurs, considèrent quil a perdu toute légitimité en utilisant la force violente contre sa population et quil doit partir.
Q - Qui dit frappes aériennes dit risques de dommages collatéraux. Est-ce que vous avez anticipé et prévu une réponse à ce genre de situation ? Si demain on a sur les images de télévision de victimes nombreuses du fait de frappes aériennes, ou des attaques menées par Kadhafi, comment la France va se positionner ?
R - Bien entendu, les militaires qui planifient ces opérations prennent en compte cette considération. Les cibles seront des cibles militaires, pas des cibles civiles. Mais nous sommes toujours dans une démarche extraordinaire. Si nous ne faisions pas ce que nous sommes en train de faire, votre question ce serait : «Est-ce que vous navez pas honte de laisser un dictateur opprimer des populations ?» et maintenant on nous dit : «Est-ce que vous navez pas peur que ?».
Il y a des moments où il faut assumer ses responsabilités. Je pense que ne rien faire aurait des conséquences catastrophiques, dabord pour les populations de Benghazi et dautres villes de Libye et pour le peuple libyen en général, car il ne faut pas se laisser abuser par lenthousiasme apparent que certains manifestent en faveur du régime Cela aurait des conséquences aussi je pense désastreuses pour la crédibilité des Nations unies et des pays démocratiques et ce serait un formidable signal à tous les dictateurs de la terre quils peuvent continuer à faire leur travail sans courir aucun risque. Donc je crois que cette décision, qui doit être maitrisée, bien entendu, il ne sagit pas de déclencher des opérations militaires qui ne seraient pas très précisément calibrées, mais je pense que cette décision est courageuse.
Q - Vous ne craignez pas un enlisement en Libye, puisque les partisans de Mouammar Kadhafi commenceront une tactique de guérillas, comme on a vu en Irak et vous ne craignez pas que cette guerre là soit un bourbier ?
R - Il ne sagit pas daller faire la guerre, je lai dit, il sagit darrêter une offensive meurtrière contre des populations civiles. La résolution prévoit aussi un appel au cessez-le-feu. On peut espérer quà un moment le sens des responsabilités lemportera et que les combats sarrêteront.
Q - Le régime de Mouammar Kadhafi a un discours très menaçant ces dernières heures à lencontre de la communauté internationale, quelle est votre réponse ?
R - Nous ne nous laisserons pas impressionner par loutrance habituelle du colonel Kadhafi.
Q - Est-ce que lOTAN participera aux opérations militaires ?
R - Nous ne pensons pas que ce soit un bon signal que lOTAN en tant que telle intervienne dans un pays arabe.
Q - Comment expliquez-vous que lon ait mis autant de temps pour arriver à cette situation aujourdhui ?
R - Vous le savez très bien ! Mais vous posez la question et je vous en remercie : parce que tout le monde nétait pas daccord, tout simplement et quil a fallu convaincre.
Cela a été beaucoup plus long que je ne laurais souhaité personnellement. Beaucoup de pays étaient, soit pour des raisons philosophico-politiques hostiles à toute intervention, soit dautres considéraient que le risque était trop élevé. Il a fallu réunir ce consensus. Cela a été le cas entre les Vingt-sept de lUnion européenne, je voudrais quand même le rappeler car la déclaration finale du Conseil européen qui sest tenu le vendredi 11 mars à Bruxelles a été très claire sur ce point. Nous avons souhaité quil y ait une possibilité dintervention sous mandat des Nations unies avec la participation des pays arabes. Ensuite, jai essayé de faire ce même travail au G8, cela a ét?? un peu plus compliqué.
Ce travail de préparation et de persuasion a pris du temps. Jaurais souhaité aller beaucoup plus vite, cest vrai, parce que comme je vous lai dit, la bascule sest faite entre lopposition qui incarne le Conseil national de transition et le régime de Kadhafi en une semaine, en dix jours.
Q - Il nest pas trop tard aujourdhui ?
R - Je pense quil nest jamais trop tard pour protéger des populations.
Q - Cest une résolution qui va être adoptée, non pas à lunanimité, avec pas mal dabstentions. Est-ce que vous navez pas peur que cela amenuise la légitimité internationale ?
R - Une résolution, quand elle est votée, est légitime.
Q - Est-ce que lon doit comprendre de votre déclaration que la France ne participera à aucune action militaire sil ny a pas une participation des pays arabes ?
R - Absolument, et nous avons dexcellentes raisons de penser quil y aura une participation des pays arabes.
Q - Qui va diriger les opérations ?
R - Il y aura une coalition et une coordination. Nous y travaillons.
Q - Comment imaginez-vous la suite ? La résolution, croiser les doigts pour quelle soit adoptée, est-ce que vous imaginez léchec dailleurs de la résolution ?
R - Je ne veux jamais «vendre la peau de lours» . Je le répète, nous avons de bonnes raisons de penser quelle sera adoptée. Je ne peux pas vous dire à cent pour cent que je suis sûr quelle le sera. Attendons le vote, on verra bien. Ensuite, il y a létape de la planification de lintervention et la conduite de lopération. Il y a plusieurs cas de figure possibles : Kadhafi persévère ou il sarrête, ce nest pas le même schéma. Nous verrons dans les jours qui viennent.
Q - Sil sarrête ?
R - Sil sarrête, la résolution appelle les autorités libyennes à cesser le feu et à se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité.
Q - Vous avez dit que ce serait mal venu pour les avions de lOTAN de bombarder dans un pays arabe. Mais est-ce que la même question ne sapplique pas aux avions français ou aux avions américains. La dynamique de cette révolution arabe était justement que cétait un mouvement des peuples arabes contre des régimes arabes. Une intervention extérieure ne risque-t-elle pas de casser cette dynamique ?
R - Non, absolument pas. La Ligue arabe a fait appel aux Nations unies, nous sommes membres des Nations unies. Nous y allons en tant quEtat membre des Nations unies.
Q - Avec les pays arabes ?
R - Avec les pays arabes.
Q - Comment expliquez-vous la position américaine très en retrait sur ce dossier ?
R - Elle est maintenant très en avance.
Q - Quest-ce qui sest passé ?
R - Je ne sais pas. Il faudra leur demander.
Q - Est-ce quils ont négocié avec les pays arabes ?
R - Mme Clinton était effectivement en Egypte et en Tunisie. Nous nous sommes parlé dailleurs alors quelle était au Caire. Nous avons eu une bonne coopération avec les Américains.
Q - La France prend le «lead» dans une opération militaire. Est-ce que, à terme, on peut aussi imaginer un «lead» au niveau politique dans la transition sur le terrain ?
R - Le «lead» ? Moi, je ne bombe pas le torse. Cest une opération en coalition. Nous sommes avec dautres, nous ne sommes pas seuls. Cest vrai que nous avons été très engagés dans toute cette procédure de préparation pour convaincre nos partenaires mais ce nest pas une opération française. Cest une opération internationale.
Q - Est-ce que vous avez une garantie que les Américains participeront à cette opération ?
R - Je crois pouvoir répondre oui.
Q - Vous disiez «cest une question dheures». Mais mettre en place une coalition cest une question de jours voire de semaines.
R - Non. Certainement pas de semaines.
Q - Cela veut dire que vous avez préparé cela depuis longtemps ?
R - Je vous ai dit que les militaires ne partent pas comme ça, sans planifier les opérations. Je vous rappelle dailleurs - vous allez me dire «cest lOTAN», ce nest pas lOTAN qui le fera mais cela peut servir à tout le monde et aux pays membres de lOTAN en particulier - lOTAN a engagé depuis plusieurs jours une planification dune opération de ce type. Donc on ne part pas de zéro, on a des éléments de planification.
Q - Et le fait que vous soyez venu physiquement ? Cela veut dire que ce nétait pas gagné ? Il fallait vraiment cela pour emporter la décision ?
R - Si cela a pu aider, oui, cest dans cet esprit que je suis venu. Et puis je pense que cest un moment, je nai pas une propension particulière à utiliser des grands mots, mais cest quand même un moment important : je le qualifierais dhistorique si vous le souhaitez. Cest un moment important pour la crédibilité des Nations unies, pour le signal surtout donné aux peuples arabes dont nous saluons tous laspiration à la liberté, à la démocratie. Cest un signal important. Si nous laissions un dictateur rétablir son régime doppression en utilisant la violence et en déclenchant un bain de sang, comment ensuite pourrions-nous aller dire «allez-y, engagez-vous dans un processus de démocratie pour reconquérir vos libertés». Quelle serait notre crédibilité ?
Q - Vous disiez tout à lheure, «il y a deux options : soit il sarrête, soit il continue». Vous avez un peu répondu sur loption «il sarrête», et sil continue ?
R - Et bien nous en parlerons.
Q - Est-ce quon peut revenir sur la temporalité. Vous avez dit vous-même «cest une question dheures, ce nest pas une question de jours, ce nest pas une question de semaines».
R - Jai dit : cest une question de jours, peut-être dheures.
Q - Les risques pour la France, le risque dattentat, vous les évaluez ?
R - Ils existent sans doute, mais jai dit tout à lheure que nous ne devions pas nous laisser impressionner par les menaces souvent outrancières qui arrivent de lentourage de Kadhafi.
Q - Est-ce que cest une victoire de la France, pensez-vous, cette résolution si elle est bien adoptée ? Est-ce une victoire du président de la République ?
R - Je naime pas présenter les choses ainsi. A vous de le dire dailleurs. Vous commenterez. Je pense que la France sest fortement engagée dans lUnion européenne, jai rappelé le Conseil européen. Cétait déjà une étape importante que dobtenir un Conseil européen exceptionnel pour parler de la Libye. Ce nest pas évident. Nous lavons obtenu. Il y a eu une déclaration qui nous a donné satisfaction. Cest vrai que la France a été à la manuvre mais il ne sagit pas de victoire de tel ou tel pays. Ce que je souhaite de tout cur cest que ce soit surtout une victoire de la liberté, de la démocratie pour les Libyens.
Q - Sauf erreur de ma part, cest la première fois que la France et lAllemagne divergent sur un point aussi important de politique étrangère. Conséquence ou pas conséquence ?
R - Dabord, il faudra faire des recherches historiques dans les dernières décennies pour être sûr que cest bien la première fois. Cest vrai que nous avons eu ce Conseil européen qui a abouti à une déclaration adoptée par consensus donc avec le soutien de lAllemagne. Jaurais aimé que lAllemagne nous accompagne.
Q - Et si la Russie et la Chine venaient à sabstenir, étant donné que ce sont quand même deux membres permanents
R - Une abstention ne fait pas obstacle à ladoption dune résolution. La majorité, cest la majorité. Il na jamais été envisagé que ni la Chine ni la Russie ne participent directement à lopération. Cela ne nous paralysera pas.
Q - A partir du moment où les frappes sont engagées vous pensez que cela peut aller vite, ou vous pensez quil y va y avoir de la résistance, comment vous limaginez ?
R - Jespère que Kadhafi ne sentêtera pas.
Q - Mais on frappe qui, on frappe quoi ? On frappe les soldats de Kadhafi ?
R Cela, c est de la planification militaire et je suis ministre des Affaires étrangères.
Q - Vous étiez ministre de la Défense
R - On navait pas encore annoncé la planification ! Il y a donc plusieurs hypothèses possibles. Je ne voudrais pas dévoiler les choses à lintention de Tripoli quand même.
Q - Mais il y a des raisons de penser quil ne sentêtera pas selon vous ?
R - Il faut espérer quil y a des moments où le sens de la responsabilité existe chez tout le monde
Q - Il y aura des frappes aériennes ?
R - Jai déjà dit que nous mettrions en uvre la résolution et la résolution prévoit la possibilité pour les Etats membres qui le souhaitent dutiliser des moyens militaires. Il nest pas question de faire quelque chose au sol. Cest très clair. On ne va pas débarquer les soldats en Libye. Et donc lalternative coule de source, cest effectivement lutilisation de la force aérienne. Ce que je voulais dire tout à lheure, - cest que ce qui a fait basculer, de mon point de vue tout le monde ne partage pas cela à 100 % - les choses en faveur de Kadhafi et en défaveur de lopposition, cest lutilisation de la force aérienne. Cest des avions ont bombardé des sites militaires, voire parfois des populations quil a repris lavantage. Donc, la neutralisation de sa force aérienne aurait été le meilleur moyen déviter tout cela. Maintenant, on est un peu au-delà, il faut donc adapter la planification militaire à la nouvelle situation.
Q - Gates avait expliqué pour expliquer sa réticence, il y a 15 jours, que la zone dexclusion aérienne supposait des actions au sol pour neutraliser par exemple les forces anti-aériennes.
R - Ce que nous envisageons, ce nest pas une zone dexclusion aérienne sur lensemble du territoire libyen : la France a toujours été sceptique sur cette idée là parce que cest très compliqué, cest très long à mettre en uvre. On peut avoir des zones de protection sur des aires plus limitées, par exemple Benghazi ou des zones humanitaires. Et puis, on peut avoir des frappes ciblées comme nous lavions souhaité. Je ne veux pas aller plus loin dans la réflexion, dans lanalyse des différents moyens possibles.
Q - Dans les perspectives, il y a la chute de Kadhafi. Est-ce que vous faites confiance aux rebelles ? Est-ce que vous avez une photo précise de qui sont ces ?
R - Il y aura un dialogue entre tous ceux qui sont capables de reprendre les choses en Libye, dans le respect des droits de lHomme et de laspiration du peuple libyen à la démocratie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2011
Cest un moment important aussi parce que ce qui est en question, cest la crédibilité, je dirais même lhonneur, de la communauté internationale. Le régime de Kadhafi a bafoué la résolution 1970. Il faut maintenant que nous fassions prévaloir la légalité internationale et que nous protégions les populations.
Un très gros travail a été fait par la Mission permanente de la France aux Nations unies, en liaison avec tous ceux qui se sont engagés à nos côtés : les Britanniques, bien sûr, les Libanais, les Américains et dautres, pour préparer ce projet de résolution. Cest un projet très ambitieux, qui prévoit des sanctions. Il prévoit la possibilité dune zone dexclusion aérienne, il prévoit surtout dautoriser les Etats membres et les organisations régionales à utiliser tous les moyens pour protéger les populations civiles, cest-à-dire la force le cas échéant.
Je pense que ladoption de cette résolution est en bonne voie. Si cest le cas, je pense que ce sera un moment dune grande importance pour les populations de Libye qui, dans la vague de la révolution qui secoue lensemble de la rive Sud de la Méditerranée, essayent de se libérer de loppression.
Q - Quest ce qui fait, selon vous, que les choses saccélèrent maintenant ?
R - Il y a des semaines, en tous cas des jours et des jours, que la France et la Grande-Bretagne, pressent nos partenaires dagir, parce que nous voyons bien que la situation sest renversée depuis une semaine. Elle sest renversée, de mon point de vue, en grande partie parce que Kadhafi avait non seulement la suprématie, mais même lexclusivité des moyens aériens. Cest la raison pour laquelle nous suggérions depuis longtemps de neutraliser un certain nombre daéroports, de pistes daéroport, ou dhélicoptères et davions.
Aujourdhui lopposition libyenne est en situation difficile et cest la raison pour laquelle, comme je vous lai dit, cest une question de jours, voire dheures. Tout le monde en a bien pris conscience, et cela a permis daccélérer le processus.
Q - Cest vous qui avez convaincu les Américains ?
R - Non, je nai pas cette prétention. Cest un travail collectif. Les Britanniques, nous-mêmes bien sûr, avons eu de nombreuses discussions. Jai eu à plusieurs reprises Hillary Clinton au téléphone, et elle a été reçue par le président de la République lundi. Nous avons été en permanence en relation avec nos alliés.
Q - Si la résolution est votée, quelles seront les opérations militaires ? Qui les conduira ?
R - Tout dabord, je ne veux pas anticiper sur le vote. Attendons quil soit acquis.
Ensuite, les divers gouvernements qui sont prêts à sengager vont évidemment planifier leurs opérations. Vous comprendrez bien que je ne puisse pas vous dire quand et où. Ce serait contre-productif
Je voudrais souligner quil est absolument essentiel, et nous lavons dit depuis le départ, cétait notre position constante, que les pays arabes soient engagés, et même participent à ces opérations. La Ligue arabe a déjà pris une position très claire. Cest ce qui va permettre, dailleurs, ladoption de cette résolution.
Il faut aussi, sil y a une force aérienne qui se constitue, quil y ait des avions arabes.
Q - Cest la guerre contre Mouammar Kadhafi ?
R - Ce nest pas une guerre : cest une opération de protection des populations civiles.
Q - Cela va jusquà la chute de Mouammar Kadhafi ?
R - Sil ne se met pas en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité, cest bien sûr lobjectif. Je vous rappelle quun certain nombre de pays, dont la France, et les Etats-Unis dailleurs, considèrent quil a perdu toute légitimité en utilisant la force violente contre sa population et quil doit partir.
Q - Qui dit frappes aériennes dit risques de dommages collatéraux. Est-ce que vous avez anticipé et prévu une réponse à ce genre de situation ? Si demain on a sur les images de télévision de victimes nombreuses du fait de frappes aériennes, ou des attaques menées par Kadhafi, comment la France va se positionner ?
R - Bien entendu, les militaires qui planifient ces opérations prennent en compte cette considération. Les cibles seront des cibles militaires, pas des cibles civiles. Mais nous sommes toujours dans une démarche extraordinaire. Si nous ne faisions pas ce que nous sommes en train de faire, votre question ce serait : «Est-ce que vous navez pas honte de laisser un dictateur opprimer des populations ?» et maintenant on nous dit : «Est-ce que vous navez pas peur que ?».
Il y a des moments où il faut assumer ses responsabilités. Je pense que ne rien faire aurait des conséquences catastrophiques, dabord pour les populations de Benghazi et dautres villes de Libye et pour le peuple libyen en général, car il ne faut pas se laisser abuser par lenthousiasme apparent que certains manifestent en faveur du régime Cela aurait des conséquences aussi je pense désastreuses pour la crédibilité des Nations unies et des pays démocratiques et ce serait un formidable signal à tous les dictateurs de la terre quils peuvent continuer à faire leur travail sans courir aucun risque. Donc je crois que cette décision, qui doit être maitrisée, bien entendu, il ne sagit pas de déclencher des opérations militaires qui ne seraient pas très précisément calibrées, mais je pense que cette décision est courageuse.
Q - Vous ne craignez pas un enlisement en Libye, puisque les partisans de Mouammar Kadhafi commenceront une tactique de guérillas, comme on a vu en Irak et vous ne craignez pas que cette guerre là soit un bourbier ?
R - Il ne sagit pas daller faire la guerre, je lai dit, il sagit darrêter une offensive meurtrière contre des populations civiles. La résolution prévoit aussi un appel au cessez-le-feu. On peut espérer quà un moment le sens des responsabilités lemportera et que les combats sarrêteront.
Q - Le régime de Mouammar Kadhafi a un discours très menaçant ces dernières heures à lencontre de la communauté internationale, quelle est votre réponse ?
R - Nous ne nous laisserons pas impressionner par loutrance habituelle du colonel Kadhafi.
Q - Est-ce que lOTAN participera aux opérations militaires ?
R - Nous ne pensons pas que ce soit un bon signal que lOTAN en tant que telle intervienne dans un pays arabe.
Q - Comment expliquez-vous que lon ait mis autant de temps pour arriver à cette situation aujourdhui ?
R - Vous le savez très bien ! Mais vous posez la question et je vous en remercie : parce que tout le monde nétait pas daccord, tout simplement et quil a fallu convaincre.
Cela a été beaucoup plus long que je ne laurais souhaité personnellement. Beaucoup de pays étaient, soit pour des raisons philosophico-politiques hostiles à toute intervention, soit dautres considéraient que le risque était trop élevé. Il a fallu réunir ce consensus. Cela a été le cas entre les Vingt-sept de lUnion européenne, je voudrais quand même le rappeler car la déclaration finale du Conseil européen qui sest tenu le vendredi 11 mars à Bruxelles a été très claire sur ce point. Nous avons souhaité quil y ait une possibilité dintervention sous mandat des Nations unies avec la participation des pays arabes. Ensuite, jai essayé de faire ce même travail au G8, cela a ét?? un peu plus compliqué.
Ce travail de préparation et de persuasion a pris du temps. Jaurais souhaité aller beaucoup plus vite, cest vrai, parce que comme je vous lai dit, la bascule sest faite entre lopposition qui incarne le Conseil national de transition et le régime de Kadhafi en une semaine, en dix jours.
Q - Il nest pas trop tard aujourdhui ?
R - Je pense quil nest jamais trop tard pour protéger des populations.
Q - Cest une résolution qui va être adoptée, non pas à lunanimité, avec pas mal dabstentions. Est-ce que vous navez pas peur que cela amenuise la légitimité internationale ?
R - Une résolution, quand elle est votée, est légitime.
Q - Est-ce que lon doit comprendre de votre déclaration que la France ne participera à aucune action militaire sil ny a pas une participation des pays arabes ?
R - Absolument, et nous avons dexcellentes raisons de penser quil y aura une participation des pays arabes.
Q - Qui va diriger les opérations ?
R - Il y aura une coalition et une coordination. Nous y travaillons.
Q - Comment imaginez-vous la suite ? La résolution, croiser les doigts pour quelle soit adoptée, est-ce que vous imaginez léchec dailleurs de la résolution ?
R - Je ne veux jamais «vendre la peau de lours» . Je le répète, nous avons de bonnes raisons de penser quelle sera adoptée. Je ne peux pas vous dire à cent pour cent que je suis sûr quelle le sera. Attendons le vote, on verra bien. Ensuite, il y a létape de la planification de lintervention et la conduite de lopération. Il y a plusieurs cas de figure possibles : Kadhafi persévère ou il sarrête, ce nest pas le même schéma. Nous verrons dans les jours qui viennent.
Q - Sil sarrête ?
R - Sil sarrête, la résolution appelle les autorités libyennes à cesser le feu et à se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité.
Q - Vous avez dit que ce serait mal venu pour les avions de lOTAN de bombarder dans un pays arabe. Mais est-ce que la même question ne sapplique pas aux avions français ou aux avions américains. La dynamique de cette révolution arabe était justement que cétait un mouvement des peuples arabes contre des régimes arabes. Une intervention extérieure ne risque-t-elle pas de casser cette dynamique ?
R - Non, absolument pas. La Ligue arabe a fait appel aux Nations unies, nous sommes membres des Nations unies. Nous y allons en tant quEtat membre des Nations unies.
Q - Avec les pays arabes ?
R - Avec les pays arabes.
Q - Comment expliquez-vous la position américaine très en retrait sur ce dossier ?
R - Elle est maintenant très en avance.
Q - Quest-ce qui sest passé ?
R - Je ne sais pas. Il faudra leur demander.
Q - Est-ce quils ont négocié avec les pays arabes ?
R - Mme Clinton était effectivement en Egypte et en Tunisie. Nous nous sommes parlé dailleurs alors quelle était au Caire. Nous avons eu une bonne coopération avec les Américains.
Q - La France prend le «lead» dans une opération militaire. Est-ce que, à terme, on peut aussi imaginer un «lead» au niveau politique dans la transition sur le terrain ?
R - Le «lead» ? Moi, je ne bombe pas le torse. Cest une opération en coalition. Nous sommes avec dautres, nous ne sommes pas seuls. Cest vrai que nous avons été très engagés dans toute cette procédure de préparation pour convaincre nos partenaires mais ce nest pas une opération française. Cest une opération internationale.
Q - Est-ce que vous avez une garantie que les Américains participeront à cette opération ?
R - Je crois pouvoir répondre oui.
Q - Vous disiez «cest une question dheures». Mais mettre en place une coalition cest une question de jours voire de semaines.
R - Non. Certainement pas de semaines.
Q - Cela veut dire que vous avez préparé cela depuis longtemps ?
R - Je vous ai dit que les militaires ne partent pas comme ça, sans planifier les opérations. Je vous rappelle dailleurs - vous allez me dire «cest lOTAN», ce nest pas lOTAN qui le fera mais cela peut servir à tout le monde et aux pays membres de lOTAN en particulier - lOTAN a engagé depuis plusieurs jours une planification dune opération de ce type. Donc on ne part pas de zéro, on a des éléments de planification.
Q - Et le fait que vous soyez venu physiquement ? Cela veut dire que ce nétait pas gagné ? Il fallait vraiment cela pour emporter la décision ?
R - Si cela a pu aider, oui, cest dans cet esprit que je suis venu. Et puis je pense que cest un moment, je nai pas une propension particulière à utiliser des grands mots, mais cest quand même un moment important : je le qualifierais dhistorique si vous le souhaitez. Cest un moment important pour la crédibilité des Nations unies, pour le signal surtout donné aux peuples arabes dont nous saluons tous laspiration à la liberté, à la démocratie. Cest un signal important. Si nous laissions un dictateur rétablir son régime doppression en utilisant la violence et en déclenchant un bain de sang, comment ensuite pourrions-nous aller dire «allez-y, engagez-vous dans un processus de démocratie pour reconquérir vos libertés». Quelle serait notre crédibilité ?
Q - Vous disiez tout à lheure, «il y a deux options : soit il sarrête, soit il continue». Vous avez un peu répondu sur loption «il sarrête», et sil continue ?
R - Et bien nous en parlerons.
Q - Est-ce quon peut revenir sur la temporalité. Vous avez dit vous-même «cest une question dheures, ce nest pas une question de jours, ce nest pas une question de semaines».
R - Jai dit : cest une question de jours, peut-être dheures.
Q - Les risques pour la France, le risque dattentat, vous les évaluez ?
R - Ils existent sans doute, mais jai dit tout à lheure que nous ne devions pas nous laisser impressionner par les menaces souvent outrancières qui arrivent de lentourage de Kadhafi.
Q - Est-ce que cest une victoire de la France, pensez-vous, cette résolution si elle est bien adoptée ? Est-ce une victoire du président de la République ?
R - Je naime pas présenter les choses ainsi. A vous de le dire dailleurs. Vous commenterez. Je pense que la France sest fortement engagée dans lUnion européenne, jai rappelé le Conseil européen. Cétait déjà une étape importante que dobtenir un Conseil européen exceptionnel pour parler de la Libye. Ce nest pas évident. Nous lavons obtenu. Il y a eu une déclaration qui nous a donné satisfaction. Cest vrai que la France a été à la manuvre mais il ne sagit pas de victoire de tel ou tel pays. Ce que je souhaite de tout cur cest que ce soit surtout une victoire de la liberté, de la démocratie pour les Libyens.
Q - Sauf erreur de ma part, cest la première fois que la France et lAllemagne divergent sur un point aussi important de politique étrangère. Conséquence ou pas conséquence ?
R - Dabord, il faudra faire des recherches historiques dans les dernières décennies pour être sûr que cest bien la première fois. Cest vrai que nous avons eu ce Conseil européen qui a abouti à une déclaration adoptée par consensus donc avec le soutien de lAllemagne. Jaurais aimé que lAllemagne nous accompagne.
Q - Et si la Russie et la Chine venaient à sabstenir, étant donné que ce sont quand même deux membres permanents
R - Une abstention ne fait pas obstacle à ladoption dune résolution. La majorité, cest la majorité. Il na jamais été envisagé que ni la Chine ni la Russie ne participent directement à lopération. Cela ne nous paralysera pas.
Q - A partir du moment où les frappes sont engagées vous pensez que cela peut aller vite, ou vous pensez quil y va y avoir de la résistance, comment vous limaginez ?
R - Jespère que Kadhafi ne sentêtera pas.
Q - Mais on frappe qui, on frappe quoi ? On frappe les soldats de Kadhafi ?
R Cela, c est de la planification militaire et je suis ministre des Affaires étrangères.
Q - Vous étiez ministre de la Défense
R - On navait pas encore annoncé la planification ! Il y a donc plusieurs hypothèses possibles. Je ne voudrais pas dévoiler les choses à lintention de Tripoli quand même.
Q - Mais il y a des raisons de penser quil ne sentêtera pas selon vous ?
R - Il faut espérer quil y a des moments où le sens de la responsabilité existe chez tout le monde
Q - Il y aura des frappes aériennes ?
R - Jai déjà dit que nous mettrions en uvre la résolution et la résolution prévoit la possibilité pour les Etats membres qui le souhaitent dutiliser des moyens militaires. Il nest pas question de faire quelque chose au sol. Cest très clair. On ne va pas débarquer les soldats en Libye. Et donc lalternative coule de source, cest effectivement lutilisation de la force aérienne. Ce que je voulais dire tout à lheure, - cest que ce qui a fait basculer, de mon point de vue tout le monde ne partage pas cela à 100 % - les choses en faveur de Kadhafi et en défaveur de lopposition, cest lutilisation de la force aérienne. Cest des avions ont bombardé des sites militaires, voire parfois des populations quil a repris lavantage. Donc, la neutralisation de sa force aérienne aurait été le meilleur moyen déviter tout cela. Maintenant, on est un peu au-delà, il faut donc adapter la planification militaire à la nouvelle situation.
Q - Gates avait expliqué pour expliquer sa réticence, il y a 15 jours, que la zone dexclusion aérienne supposait des actions au sol pour neutraliser par exemple les forces anti-aériennes.
R - Ce que nous envisageons, ce nest pas une zone dexclusion aérienne sur lensemble du territoire libyen : la France a toujours été sceptique sur cette idée là parce que cest très compliqué, cest très long à mettre en uvre. On peut avoir des zones de protection sur des aires plus limitées, par exemple Benghazi ou des zones humanitaires. Et puis, on peut avoir des frappes ciblées comme nous lavions souhaité. Je ne veux pas aller plus loin dans la réflexion, dans lanalyse des différents moyens possibles.
Q - Dans les perspectives, il y a la chute de Kadhafi. Est-ce que vous faites confiance aux rebelles ? Est-ce que vous avez une photo précise de qui sont ces ?
R - Il y aura un dialogue entre tous ceux qui sont capables de reprendre les choses en Libye, dans le respect des droits de lHomme et de laspiration du peuple libyen à la démocratie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2011