Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, à TF1 le 17 mars 2011, sur l'urgence et la portée du vote de la résolution à l'ONU pour mettre un terme à l'offensive du colonel Kadhafi contre les populations civiles en Libye.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - TF1

Texte intégral

Q - Bonsoir Monsieur Juppé. Quelles sont les chances que vous avez de réussir à convaincre les membres du Conseil de sécurité de l'ONU de prendre une décision rapide pour arrêter l'offensive de Kadhafi en Libye ?
R - Il faut réussir. Nous ne pouvons pas accepter que Kadhafi bafoue les décisions de la communauté internationale. Il faut protéger les populations civiles, en particulier celles de Benghazi. C'est la raison pour laquelle la France est fortement engagée dans ce combat politique. Je pense que nous sommes, pour répondre à votre question, très proches d'une décision positive du Conseil de sécurité qui doit se réunir à 18 heures, dans quelques heures. Les indications dont je dispose montre que nous devrions avoir une majorité pour faire passer cette résolution.
Q - Qu'est-ce que vous proposez concrètement, M. Juppé, une zone d'exclusion aérienne ? Des frappes ciblées ? Une occupation du pays ?
R - La résolution est très ambitieuse. Elle prévoit toute une série de sanctions. L'essentiel c'est la zone d'exclusion aérienne, mais surtout la possibilité, pour les Etats membres des Nations unies qui seraient prêts à le faire, d'intervenir par tous les moyens, c'est-à-dire militairement, pour stopper la progression des forces de Kadhafi et protéger les populations civiles. Il n'est pas question de débarquer au sol, naturellement. Il ne s'agit pas d'occuper quelque partie que ce soit du territoire libyen. Mais l'utilisation de la force aérienne peut permettre de stopper, je pense, cette offensive extraordinairement violente qui aboutit à de véritables massacres sur les populations civiles et qui est inacceptable. C'est l'honneur des Nations unies, de la communauté internationale, qui est en cause.
Q - Est-ce que cela veut dire que les frappes pourraient intervenir là, dans les prochaines heures, s'il y a un feu vert de l'ONU ?
R - Il faut d'abord le feu vert de l'ONU, ensuite la France est disponible. Nous sommes en lien avec nos partenaires européens, arabes - parce qu'il est très important que les pays arabes s'engagent pleinement dans cette partie du monde qui est leur terre - et nous serons prêts à ce moment-là à mettre en ?uvre la résolution des Nations unies.
Q - Cela veut dire que la France va intervenir militairement ?
R - Attendons d'avoir le feu vert des Nations unies.
Q - En tout cas, c'est une véritable course contre la montre qui est engagée. On voit que le colonel Kadhafi accélère la contre-attaque contre Benghazi. Est-ce qu'il n'est pas trop tard déjà, M. Juppé ?
R - Je souhaite de tout coeur qu'il ne soit pas trop tard. Il est vrai que la France réclame cette résolution depuis des jours et des jours parce que l'utilisation de la force aérienne, avant même que Kadhafi ne déclenche son offensive, aurait pu faciliter les choses. Ne revenons pas sur le passé récent. Aujourd'hui, il est vrai que c'est une question de jours et peut-être d'heures. Donc la résolution, je l'espère, sera votée à 18 heures, heure de New York, et ensuite nous en tirerons toutes les conséquences dans les jours qui viennent.
Q - Vous prenez les menaces de la Libye au sérieux lorsqu'elle dit que des avions, des bateaux circulant en Méditerranée seront attaqués ?
R - On connait le colonel Kadhafi et sa tendance à l'outrance et à l'esbroufe. Ne nous laissons pas impressionner par ces menaces.
Q - La France est en première ligne dans ce dossier, M. Juppé. Est-ce que vous ne craignez pas des représailles du colonel Kadhafi sur le sol français ?
R - La France, c'est vrai, a joué un rôle déterminant mais elle n'est pas seule. Nos amis britanniques nous ont totalement accompagnés dans tout cela. La Ligue arabe a pris une position d'ors et déjà très claire. Et nos amis américains sont également tout à fait en phase avec nous. Donc ce n'est pas simplement une opération française. Notre diplomatie, sous l'impulsion du président de la République, a été particulièrement active mais désormais c'est une opération conjointe, sous mandat des Nations unies, et certainement pas une opération de la France seule.
Q - Merci beaucoup, Alain Juppé, d'avoir pris du temps pour répondre à TF1 à quelques heures de cette décision très importante à l'ONU à propos de la Libye.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2011