Texte intégral
* M. Alain Juppé, ministre d'État -
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, ce débat, je vous le rappelle, se déroule en application de l'article 35 de notre Constitution, qu'il respecte à la lettre.
Je voudrais tout d'abord remercier les intervenants qui viennent de se succéder : MM. Ayrault, Jacob, Sauvadet, Bayrou, Muselier, Teissier, qui ont apporté leur soutien à la politique du gouvernement.
Je n'ai pas oublié M. Muzeau mais je n'ai pas observé qu'il nous ait apporté son soutien ! Je n'entrerai d'ailleurs pas dans la polémique qu'il a soulevée. Sa dénonciation de l'impérialisme colonialiste m'a semblé avoir un petit parfum des années cinquante. Il faut en tout cas beaucoup d'audace pour expliquer que nous sommes, dans cette affaire, à la remorque des États-Unis et du président Obama, quand on sait comment les choses se sont passées. Mais je clos la polémique. L'importance du débat doit nous mettre à l'abri de ce genre de joute.
Je voudrais, en second lieu, rendre hommage - le ministre de la Défense le fera sans doute beaucoup mieux que moi - aux militaires français, qui font preuve dans cette intervention de leurs qualités habituelles de professionnalisme et de courage. J'ai entendu dire que cette opération militaire était dangereuse.
Une députée - La guerre est toujours dangereuse !
R - M. Alain Juppé - C'est vrai, Madame la Députée, mais laissez-moi vous dire qu'il y a des moments, dans la vie des peuples, où il faut savoir prendre le risque d'utiliser la force pour faire céder la violence aveugle d'un dictateur. Je vous pose simplement la question : quels seraient aujourd'hui nos sentiments si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait et si nous avions vu sur les écrans de télévision les images de la population de Benghazi décimée par les troupes de Kadhafi ? Cela seul justifie le choix que nous avons fait.
Je n'entends pas reprendre l'ensemble du déroulement de cette opération, que M. le Premier ministre a parfaitement présenté. Je reviendrai simplement sur un certain nombre de points qui ont été évoqués par les orateurs successifs, et tout d'abord sur le pilotage politique et le commandement militaire de l'opération.
Certains se sont émus de l'absence de commandement ; M. Bayrou, je crois, a évoqué ce point. Ce n'est évidemment pas ainsi que se présentent les choses. Pour nous, cette opération est d'abord une opération voulue par les Nations unies. Elle est conduite par une coalition d'États dont tous ne sont pas membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord ; ce n'est donc pas une opération de l'OTAN, même si elle doit pouvoir s'appuyer sur les moyens militaires de planification et d'intervention de l'Alliance. C'est très exactement dans ce schéma que nous nous situons.
Pour bien marquer les choses, à l'initiative du président de la République, j'ai proposé à nos collègues britanniques, qui en sont d'accord, de mettre sur pied une instance de pilotage politique de l'opération qui réunira les ministres des Affaires étrangères des États intervenants ainsi que de ceux de la Ligue arabe. Nous devrions nous réunir dans les tout prochains jours à Bruxelles, Londres ou Paris, et répéter régulièrement ce genre de réunion pour bien marquer que le pilotage politique existe.
À partir de ce pilotage politique, sous la responsabilité de M. le ministre de la Défense, nous utiliserons bien sûr les capacités de planification et d'intervention de l'OTAN. Je crois que les choses sont, de ce point de vue, tout à fait claires.
Le risque d'enlisement existe, bien sûr. Ce que nous voulons, c'est une intervention militaire de courte durée. Les Américains y sont particulièrement attentifs, nous aussi. Contrairement aux inquiétudes qui se sont exprimées ici ou là, il n'y aura évidemment pas d'intervention au sol. La résolution 1973 du Conseil de sécurité nous l'interdit explicitement ; il n'en est donc pas question.
L'intervention militaire peut s'arrêter à tout moment. Il suffit que le régime de Tripoli se mette en conformité exacte et complète avec les résolutions du Conseil de sécurité, qu'il accepte notamment un cessez-le-feu authentique, qu'il retire ses troupes des endroits où elles ont pénétré et les fasse rentrer dans les casernes, et l'opération militaire s'arrêtera.
Au-delà, il nous faut d'ores et déjà penser à la suite, c'est-à-dire à la paix. La France a été à l'initiative dans l'organisation de l'intervention militaire, elle sera à l'initiative dans l'organisation de la paix. Le président de la République s'exprimera dans cet esprit dans les prochains jours.
Pour nous, en toute hypothèse, il n'appartient pas à la coalition de décider de ce que sera le futur régime politique de la Libye. C'est aux Libyens eux-mêmes que cette responsabilité incombera. Notre intervention a uniquement pour objet de les mettre en situation de s'exprimer librement et d'accéder à la transition démocratique qui leur a été refusée jusqu'à présent.
Voilà qui m'amène à dire un mot du Conseil national de transition. «Qui sont ces gens ?» ai-je entendu dire ici ou là, notamment à Bruxelles. N'y a-t-il pas parmi eux trop d'anciens ministres du régime Kadhafi ? Cet argument, je l'avoue, me laisse perplexe. Avez-vous déjà vu une révolution dans laquelle les révolutionnaires n'ont pas, plus ou moins, fricoté dans la période précédente avec le régime en place ? Ce qui fait le sel des révolutions, c'est que précisément les gens évoluent et qu'on les retrouve parfois, après une prise de conscience salutaire, de l'autre côté de la barrière. Cela s'est passé dans bien des endroits !
Aujourd'hui, il n'y a pas d'autre interlocuteur valable que le Conseil national de transition. Nous avons eu raison de le reconnaître et, contrairement à ce qui a été dit, la France n'est pas la seule à l'avoir fait. Lors du Conseil européen exceptionnel du 11 mars, la totalité de nos partenaires ont adopté une déclaration dans laquelle il est écrit noir sur blanc que le Conseil national de transition est un interlocuteur politique valable. Nous allons donc continuer de travailler avec eux et avec d'autres qui s'y joindront le cas échéant.
Quant à l'implication du monde arabe, cela a été non seulement notre souci, mais notre exigence absolue dès le départ. C'est la raison pour laquelle j'ai dit tout à l'heure qu'il ne s'agissait pas d'une opération de l'OTAN, mais de l'ONU avec une coalition d'États membres et le soutien de l'OTAN. La différence n'est pas minime. Pourquoi ? Car vis-à-vis du monde arabe, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord n'est pas l'organisation appropriée pour monter ce type d'opération.
Nous avons obtenu le soutien du monde arabe. Je voudrais d'abord saluer le rôle du Liban. La déclaration 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies a été préparée par la France, le Royaume-Uni et le Liban. Sans le soutien actif du Liban, au nom de la Ligue arabe, nous n'y serions pas parvenus. Les Américains sont venus se joindre à nous lorsque les choses avaient suffisamment avancé pour que le succès de la résolution soit à peu près assuré.
Nous avons continué de travailler avec le monde arabe, notamment lors du Sommet de Paris. Il y avait autour de la table le secrétaire général de la Ligue arabe, le ministre des Affaires étrangères de Jordanie, du Maroc, du Qatar, des Émirats arabes unis, soit cinq participants venus du monde arabe. Ce travail s'est poursuivi avec M. Moussa, dont on a dit, ici ou là, que les déclarations étaient ambiguës. Il est vrai que certains de ses propos pouvaient prêter à confusion. Cela étant, il les a clarifiés hier. Je l'ai eu au téléphone depuis et sa d??claration a été très claire : il soutient les résolutions du Conseil de sécurité et leur mise en application ne lui pose aucun problème. Nous continuons de travailler avec lui. J'ai tout à l'heure parlé du comité de pilotage politique qui se réunira à Bruxelles ou à Londres dans les prochains jours. Le monde arabe y aura bien entendu toute sa place.
S'agissant de l'opposition de la Turquie, dont il fut question tout à l'heure, j'ai sous les yeux une dépêche toute fraîche, datée du 22 mars, dont je vous livre le contenu : le président américain et le Premier ministre turc sont tombés d'accord sur la nécessité d'une large contribution internationale, dont celle des pays arabes, aux opérations de la coalition en Libye. Il ne me semble pas que cela soit une déclaration dissidente de la Turquie !
Autre point, le rôle de l'Union européenne. Il n'est pas exact de dire que nous n'avons pas convaincu nos partenaires de la légitimité de cette opération. Le contraire est même tout à fait avéré, puisque le Conseil européen exceptionnel obtenu par le président de la République française a, le 11 mars, adopté une déclaration qui dit explicitement que les Onze soutiennent le processus qui a été engagé. Pas plus tard qu'hier à Bruxelles, nous avons, à nouveau, adopté une déclaration qui salue la réunion de Paris et soutient la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Ce qui est vrai, c'est que ce soutien se porte essentiellement sur le volet humanitaire de la résolution. Cela m'a amené à dire - moi qui suis un très ardent partisan de la politique de sécurité et de défense commune - que je considérais qu'il y avait encore beaucoup de progrès à faire. Dans l'esprit de beaucoup de nos partenaires de l'Union européenne, l'Union a plutôt vocation à fonctionner comme une ONG humanitaire que comme une entité politique dotée d'un système de défense. Nous avons encore du travail pour faire évoluer cette situation, mais l'Union s'engagera dans tout le volet humanitaire de l'opération, y compris par des moyens maritimes si cela est nécessaire.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'implication de l'Union européenne, qui n'est pas restée en arrière de la main, même si - et il faut le dire très clairement - l'Allemagne ne partage pas notre point de vue sur cette opération et sur la partie militaire de l'intervention.
À François Bayrou qui a fait part de son très net soutien, je fais remarquer que «la juste ingérence» n'est plus à l'ordre du jour. Le concept d'ingérence a été abandonné au profit de celui de «responsabilité de protéger».
Ce concept a été adopté par les Nations unies en 2005 et la résolution 1973 est sa première mise en uvre. Il signifie que les États membres des Nations unies se sont engagés sur le principe suivant : les gouvernements ont la responsabilité de protéger leur population contre les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides. S'ils ne le font pas, la communauté internationale s'arroge le droit de se substituer aux gouvernements qui n'assurent pas cette responsabilité. C'est très exactement dans ce cadre que nous sommes aujourd'hui.
Un député - Et le Yémen ?
R - M. Alain Juppé - Un peu de cohérence, mesdames et messieurs les députés communistes ! Vous nous accusez d'intervenir militairement en Libye et vous voulez qu'on aille au Yémen, en Syrie et en Jordanie ?
En conclusion, je dirai que la diplomatie française est fière du travail qu'elle a accompli. Elle l'a fait sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, avec beaucoup de conscience professionnelle et d'enthousiasme. Je voudrais en particulier saluer le travail de notre représentation permanente à New York qui a négocié pendant des jours et des nuits pour arriver à ce résultat. C'est pour nous un sentiment de fierté ainsi que d'humilité. Car, Mesdames et Messieurs les Députés, le plus dur reste à faire. Il faut maintenant construire la paix, là comme ailleurs, tout autour de la Méditerranée pour faire en sorte que cette fantastique aspiration des peuples arabes à la liberté et à la démocratie devienne une chance et que nous évacuions les risques qu'elle comporte. C'est une chance pour eux, mais également pour nous !
* M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des Anciens Combattants -
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre d'État, ministre des Affaires étrangères et européennes, Mesdames et Messieurs les Députés, en qualité de ministre de la Défense, je voudrais exprimer la gratitude de la grande communauté des militaires de notre pays à la suite des propos de solidarité, de soutien et de reconnaissance exprimés par les différentes intervenants : Guy Teissier pour la Commission de la Défense et Renaud Muselier suppléant Axel Poniatowski pour la Commission des Affaires étrangères, ainsi que les présidents des groupes, hommes politiques exprimant des convictions différentes. Jean-Marc Ayrault, Christian Jacob, François Sauvadet et François Bayrou ont reconnu le remarquable engagement, le professionnalisme, le sérieux, le sens des responsabilités de nos militaires, principalement de l'armée de l'air.
Derrière l'image de combattants, de pilotes engagés sur le front, prenant des risques personnels considérables - hélas il n'y a pas d'opération de guerre qui n'ait son lot de victimes -, il y a une armée de l'air mobilisée, qui est profondément implantée dans nos départements. C'est vrai pour le transport sans lequel l'opération logistique n'aurait pas été possible, je pense à Évreux et Orléans, c'est-à-dire à l'Eure et au Loiret. Pensez au travail remarquable des AWACS, c'est-à-dire à la ville d'Avord dans le département du Cher. Je n'oublie pas le département des Bouches-du-Rhône avec Istres qui envoie les C135. Les avions de reconnaissance et de combat sont au contact du terrain, je pense aux unités de reconnaissance de Reims dont la base sera transférée à Mont-de-Marsan. Mais il y a aussi Saint-Dizier, avec les Rafale, Nancy avec les Mirage 2000-D et Dijon avec les Mirage 2000-5.
Derrière ces quelques dizaines de pilotes, il y a des milliers de professionnels engagés pour la réussite des armes de la France et pour l'autorité, Monsieur le Premier Ministre, de la parole française.
Jean-Marc Ayrault a fait remarquer que l'on ne gagnait pas une guerre avec la seule arme aérienne. Certes, et l'on pourrait ouvrir un débat historique. Je lui indique que nos aviateurs interviennent dans le cadre de la résolution 1973 qui a pour objet - le ministre d'État le rappelait à l'instant - d'assurer la protection des habitants. Cette protection n'est pas simplement la mise en uvre d'une zone d'exclusion aérienne. Il s'agit de protéger les habitants contre toutes les formes d'agression que permettent les moyens lourds d'une armée professionnelle. La zone d'exclusion aérienne est la première étape. Nous pouvons d'ores et déjà considérer que sa mise en uvre est un succès dans la mesure où, à ce jour, aucun hélicoptère ou avion de combat sous l'autorité du gouvernement de Tripoli ne vole et n'est vraisemblablement plus en mesure de voler. Voilà pour la première étape.
Cela étant, il ne s'agit pas simplement de desserrer l'étau par des frappes aériennes sur des agresseurs aériens. La démonstration de samedi, de dimanche et de lundi réalisée à la fois par l'aviation française et celle de la coalition montre que toute forme d'agression lourde - de blindés ou d'artillerie - peut être combattue depuis les airs par nos avions, les Mirage 2000-D tout particulièrement, et les Rafale équipés à cet effet. L'objectif de protection des habitants ne sera atteint que lorsque les artilleurs et les blindés seront dans leur caserne ou hors d'état de nuire.
La présence de la marine n'a rien d'incongru, puisque 90 % de la population libyenne habite sur une bande côtière de quelques dizaines de kilomètres de profondeur sur près de 1 500 kilomètres de long. Le fait d'être, à cet instant, en mesure d'interdire toute sortie de la marine libyenne sécurise des villes assiégées comme Misrata d'une offensive maritime qui aurait pu être dangereuse pour les assiégés de cette ville.
Nous disposons de réels moyens d'intervention qui vont bien au-delà de la simple zone d'exclusion aérienne. Si, à ma connaissance, il n'y a pas eu de tirs sur des blindés ou sur de l'artillerie, c'est parce qu'il n'y avait pas de cibles, du moins identifiées par la coalition.
Vous me direz que l'intervention aérienne est certainement de moindre portée qu'une guerre traditionnelle. C'est sans doute la raison pour laquelle, même sans tenir compte du problème juridique, il était impossible d'intervenir dans le cadre de combats urbains. En revanche, l'aviation est en mesure de neutraliser tous les supports logistiques d'une troupe au sol. Même si elle n'a ni blindés, ni canons lourds, elle a besoin d'une logistique, que nous sommes en mesure de la neutraliser.
C'est la raison pour laquelle, au-delà de la simple zone d'exclusion aérienne, l'intervention extrêmement précise de l'aviation permet au «débat» libyen d'être le plus équilibré possible. C'est en tout état de cause le vu que forment les militaires.
Je voudrais traiter d'un deuxième et dernier point : l'extrême réactivité de la chaîne de commandement.
Nous aurions pu, Monsieur le Ministre d'État, intervenir quelques heures après votre projet de résolution. Le gouvernement n'a pas souhaité le faire, par respect pour les procédures et pour ne pas donner le sentiment du fait accompli.
Aujourd'hui, en revanche, nous sommes dans un état de réactivité absolue, car au-delà des préoccupations politiques parfaitement légitimes exprimées au niveau international, dont certains orateurs se sont fait l'écho et auxquelles le ministre d'État a répondu, il faut que vous sachiez que la coopération des états-majors est telle que l'information circule en temps réel. La décision de tirer ou de ne pas tirer, d'intervenir ou de ne pas intervenir - grâce, il est vrai, à des procédures de coopération anciennes et établies - relève d'une gestion en temps réel, dès lors qu'il existe une volonté politique. Or, de manière manifeste, à l'initiative du président de la République française, en solidarité avec le Premier ministre David Cameron, il existe une volonté politique relayée par la plus grande puissance du monde que sont les États-Unis, auxquels se joignent les pays de la Ligue arabe et les pays européens.
Enfin, comme vous le savez, je suis un homme de tradition et je ne peux rappeler sans émotion que c'est en Libye, avec les cailloux blancs que sont Koufra, Bir Hakeim et Tobrouk, que la France a connu les premières étapes de sa liberté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2011
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, ce débat, je vous le rappelle, se déroule en application de l'article 35 de notre Constitution, qu'il respecte à la lettre.
Je voudrais tout d'abord remercier les intervenants qui viennent de se succéder : MM. Ayrault, Jacob, Sauvadet, Bayrou, Muselier, Teissier, qui ont apporté leur soutien à la politique du gouvernement.
Je n'ai pas oublié M. Muzeau mais je n'ai pas observé qu'il nous ait apporté son soutien ! Je n'entrerai d'ailleurs pas dans la polémique qu'il a soulevée. Sa dénonciation de l'impérialisme colonialiste m'a semblé avoir un petit parfum des années cinquante. Il faut en tout cas beaucoup d'audace pour expliquer que nous sommes, dans cette affaire, à la remorque des États-Unis et du président Obama, quand on sait comment les choses se sont passées. Mais je clos la polémique. L'importance du débat doit nous mettre à l'abri de ce genre de joute.
Je voudrais, en second lieu, rendre hommage - le ministre de la Défense le fera sans doute beaucoup mieux que moi - aux militaires français, qui font preuve dans cette intervention de leurs qualités habituelles de professionnalisme et de courage. J'ai entendu dire que cette opération militaire était dangereuse.
Une députée - La guerre est toujours dangereuse !
R - M. Alain Juppé - C'est vrai, Madame la Députée, mais laissez-moi vous dire qu'il y a des moments, dans la vie des peuples, où il faut savoir prendre le risque d'utiliser la force pour faire céder la violence aveugle d'un dictateur. Je vous pose simplement la question : quels seraient aujourd'hui nos sentiments si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait et si nous avions vu sur les écrans de télévision les images de la population de Benghazi décimée par les troupes de Kadhafi ? Cela seul justifie le choix que nous avons fait.
Je n'entends pas reprendre l'ensemble du déroulement de cette opération, que M. le Premier ministre a parfaitement présenté. Je reviendrai simplement sur un certain nombre de points qui ont été évoqués par les orateurs successifs, et tout d'abord sur le pilotage politique et le commandement militaire de l'opération.
Certains se sont émus de l'absence de commandement ; M. Bayrou, je crois, a évoqué ce point. Ce n'est évidemment pas ainsi que se présentent les choses. Pour nous, cette opération est d'abord une opération voulue par les Nations unies. Elle est conduite par une coalition d'États dont tous ne sont pas membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord ; ce n'est donc pas une opération de l'OTAN, même si elle doit pouvoir s'appuyer sur les moyens militaires de planification et d'intervention de l'Alliance. C'est très exactement dans ce schéma que nous nous situons.
Pour bien marquer les choses, à l'initiative du président de la République, j'ai proposé à nos collègues britanniques, qui en sont d'accord, de mettre sur pied une instance de pilotage politique de l'opération qui réunira les ministres des Affaires étrangères des États intervenants ainsi que de ceux de la Ligue arabe. Nous devrions nous réunir dans les tout prochains jours à Bruxelles, Londres ou Paris, et répéter régulièrement ce genre de réunion pour bien marquer que le pilotage politique existe.
À partir de ce pilotage politique, sous la responsabilité de M. le ministre de la Défense, nous utiliserons bien sûr les capacités de planification et d'intervention de l'OTAN. Je crois que les choses sont, de ce point de vue, tout à fait claires.
Le risque d'enlisement existe, bien sûr. Ce que nous voulons, c'est une intervention militaire de courte durée. Les Américains y sont particulièrement attentifs, nous aussi. Contrairement aux inquiétudes qui se sont exprimées ici ou là, il n'y aura évidemment pas d'intervention au sol. La résolution 1973 du Conseil de sécurité nous l'interdit explicitement ; il n'en est donc pas question.
L'intervention militaire peut s'arrêter à tout moment. Il suffit que le régime de Tripoli se mette en conformité exacte et complète avec les résolutions du Conseil de sécurité, qu'il accepte notamment un cessez-le-feu authentique, qu'il retire ses troupes des endroits où elles ont pénétré et les fasse rentrer dans les casernes, et l'opération militaire s'arrêtera.
Au-delà, il nous faut d'ores et déjà penser à la suite, c'est-à-dire à la paix. La France a été à l'initiative dans l'organisation de l'intervention militaire, elle sera à l'initiative dans l'organisation de la paix. Le président de la République s'exprimera dans cet esprit dans les prochains jours.
Pour nous, en toute hypothèse, il n'appartient pas à la coalition de décider de ce que sera le futur régime politique de la Libye. C'est aux Libyens eux-mêmes que cette responsabilité incombera. Notre intervention a uniquement pour objet de les mettre en situation de s'exprimer librement et d'accéder à la transition démocratique qui leur a été refusée jusqu'à présent.
Voilà qui m'amène à dire un mot du Conseil national de transition. «Qui sont ces gens ?» ai-je entendu dire ici ou là, notamment à Bruxelles. N'y a-t-il pas parmi eux trop d'anciens ministres du régime Kadhafi ? Cet argument, je l'avoue, me laisse perplexe. Avez-vous déjà vu une révolution dans laquelle les révolutionnaires n'ont pas, plus ou moins, fricoté dans la période précédente avec le régime en place ? Ce qui fait le sel des révolutions, c'est que précisément les gens évoluent et qu'on les retrouve parfois, après une prise de conscience salutaire, de l'autre côté de la barrière. Cela s'est passé dans bien des endroits !
Aujourd'hui, il n'y a pas d'autre interlocuteur valable que le Conseil national de transition. Nous avons eu raison de le reconnaître et, contrairement à ce qui a été dit, la France n'est pas la seule à l'avoir fait. Lors du Conseil européen exceptionnel du 11 mars, la totalité de nos partenaires ont adopté une déclaration dans laquelle il est écrit noir sur blanc que le Conseil national de transition est un interlocuteur politique valable. Nous allons donc continuer de travailler avec eux et avec d'autres qui s'y joindront le cas échéant.
Quant à l'implication du monde arabe, cela a été non seulement notre souci, mais notre exigence absolue dès le départ. C'est la raison pour laquelle j'ai dit tout à l'heure qu'il ne s'agissait pas d'une opération de l'OTAN, mais de l'ONU avec une coalition d'États membres et le soutien de l'OTAN. La différence n'est pas minime. Pourquoi ? Car vis-à-vis du monde arabe, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord n'est pas l'organisation appropriée pour monter ce type d'opération.
Nous avons obtenu le soutien du monde arabe. Je voudrais d'abord saluer le rôle du Liban. La déclaration 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies a été préparée par la France, le Royaume-Uni et le Liban. Sans le soutien actif du Liban, au nom de la Ligue arabe, nous n'y serions pas parvenus. Les Américains sont venus se joindre à nous lorsque les choses avaient suffisamment avancé pour que le succès de la résolution soit à peu près assuré.
Nous avons continué de travailler avec le monde arabe, notamment lors du Sommet de Paris. Il y avait autour de la table le secrétaire général de la Ligue arabe, le ministre des Affaires étrangères de Jordanie, du Maroc, du Qatar, des Émirats arabes unis, soit cinq participants venus du monde arabe. Ce travail s'est poursuivi avec M. Moussa, dont on a dit, ici ou là, que les déclarations étaient ambiguës. Il est vrai que certains de ses propos pouvaient prêter à confusion. Cela étant, il les a clarifiés hier. Je l'ai eu au téléphone depuis et sa d??claration a été très claire : il soutient les résolutions du Conseil de sécurité et leur mise en application ne lui pose aucun problème. Nous continuons de travailler avec lui. J'ai tout à l'heure parlé du comité de pilotage politique qui se réunira à Bruxelles ou à Londres dans les prochains jours. Le monde arabe y aura bien entendu toute sa place.
S'agissant de l'opposition de la Turquie, dont il fut question tout à l'heure, j'ai sous les yeux une dépêche toute fraîche, datée du 22 mars, dont je vous livre le contenu : le président américain et le Premier ministre turc sont tombés d'accord sur la nécessité d'une large contribution internationale, dont celle des pays arabes, aux opérations de la coalition en Libye. Il ne me semble pas que cela soit une déclaration dissidente de la Turquie !
Autre point, le rôle de l'Union européenne. Il n'est pas exact de dire que nous n'avons pas convaincu nos partenaires de la légitimité de cette opération. Le contraire est même tout à fait avéré, puisque le Conseil européen exceptionnel obtenu par le président de la République française a, le 11 mars, adopté une déclaration qui dit explicitement que les Onze soutiennent le processus qui a été engagé. Pas plus tard qu'hier à Bruxelles, nous avons, à nouveau, adopté une déclaration qui salue la réunion de Paris et soutient la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Ce qui est vrai, c'est que ce soutien se porte essentiellement sur le volet humanitaire de la résolution. Cela m'a amené à dire - moi qui suis un très ardent partisan de la politique de sécurité et de défense commune - que je considérais qu'il y avait encore beaucoup de progrès à faire. Dans l'esprit de beaucoup de nos partenaires de l'Union européenne, l'Union a plutôt vocation à fonctionner comme une ONG humanitaire que comme une entité politique dotée d'un système de défense. Nous avons encore du travail pour faire évoluer cette situation, mais l'Union s'engagera dans tout le volet humanitaire de l'opération, y compris par des moyens maritimes si cela est nécessaire.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'implication de l'Union européenne, qui n'est pas restée en arrière de la main, même si - et il faut le dire très clairement - l'Allemagne ne partage pas notre point de vue sur cette opération et sur la partie militaire de l'intervention.
À François Bayrou qui a fait part de son très net soutien, je fais remarquer que «la juste ingérence» n'est plus à l'ordre du jour. Le concept d'ingérence a été abandonné au profit de celui de «responsabilité de protéger».
Ce concept a été adopté par les Nations unies en 2005 et la résolution 1973 est sa première mise en uvre. Il signifie que les États membres des Nations unies se sont engagés sur le principe suivant : les gouvernements ont la responsabilité de protéger leur population contre les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides. S'ils ne le font pas, la communauté internationale s'arroge le droit de se substituer aux gouvernements qui n'assurent pas cette responsabilité. C'est très exactement dans ce cadre que nous sommes aujourd'hui.
Un député - Et le Yémen ?
R - M. Alain Juppé - Un peu de cohérence, mesdames et messieurs les députés communistes ! Vous nous accusez d'intervenir militairement en Libye et vous voulez qu'on aille au Yémen, en Syrie et en Jordanie ?
En conclusion, je dirai que la diplomatie française est fière du travail qu'elle a accompli. Elle l'a fait sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, avec beaucoup de conscience professionnelle et d'enthousiasme. Je voudrais en particulier saluer le travail de notre représentation permanente à New York qui a négocié pendant des jours et des nuits pour arriver à ce résultat. C'est pour nous un sentiment de fierté ainsi que d'humilité. Car, Mesdames et Messieurs les Députés, le plus dur reste à faire. Il faut maintenant construire la paix, là comme ailleurs, tout autour de la Méditerranée pour faire en sorte que cette fantastique aspiration des peuples arabes à la liberté et à la démocratie devienne une chance et que nous évacuions les risques qu'elle comporte. C'est une chance pour eux, mais également pour nous !
* M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des Anciens Combattants -
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre d'État, ministre des Affaires étrangères et européennes, Mesdames et Messieurs les Députés, en qualité de ministre de la Défense, je voudrais exprimer la gratitude de la grande communauté des militaires de notre pays à la suite des propos de solidarité, de soutien et de reconnaissance exprimés par les différentes intervenants : Guy Teissier pour la Commission de la Défense et Renaud Muselier suppléant Axel Poniatowski pour la Commission des Affaires étrangères, ainsi que les présidents des groupes, hommes politiques exprimant des convictions différentes. Jean-Marc Ayrault, Christian Jacob, François Sauvadet et François Bayrou ont reconnu le remarquable engagement, le professionnalisme, le sérieux, le sens des responsabilités de nos militaires, principalement de l'armée de l'air.
Derrière l'image de combattants, de pilotes engagés sur le front, prenant des risques personnels considérables - hélas il n'y a pas d'opération de guerre qui n'ait son lot de victimes -, il y a une armée de l'air mobilisée, qui est profondément implantée dans nos départements. C'est vrai pour le transport sans lequel l'opération logistique n'aurait pas été possible, je pense à Évreux et Orléans, c'est-à-dire à l'Eure et au Loiret. Pensez au travail remarquable des AWACS, c'est-à-dire à la ville d'Avord dans le département du Cher. Je n'oublie pas le département des Bouches-du-Rhône avec Istres qui envoie les C135. Les avions de reconnaissance et de combat sont au contact du terrain, je pense aux unités de reconnaissance de Reims dont la base sera transférée à Mont-de-Marsan. Mais il y a aussi Saint-Dizier, avec les Rafale, Nancy avec les Mirage 2000-D et Dijon avec les Mirage 2000-5.
Derrière ces quelques dizaines de pilotes, il y a des milliers de professionnels engagés pour la réussite des armes de la France et pour l'autorité, Monsieur le Premier Ministre, de la parole française.
Jean-Marc Ayrault a fait remarquer que l'on ne gagnait pas une guerre avec la seule arme aérienne. Certes, et l'on pourrait ouvrir un débat historique. Je lui indique que nos aviateurs interviennent dans le cadre de la résolution 1973 qui a pour objet - le ministre d'État le rappelait à l'instant - d'assurer la protection des habitants. Cette protection n'est pas simplement la mise en uvre d'une zone d'exclusion aérienne. Il s'agit de protéger les habitants contre toutes les formes d'agression que permettent les moyens lourds d'une armée professionnelle. La zone d'exclusion aérienne est la première étape. Nous pouvons d'ores et déjà considérer que sa mise en uvre est un succès dans la mesure où, à ce jour, aucun hélicoptère ou avion de combat sous l'autorité du gouvernement de Tripoli ne vole et n'est vraisemblablement plus en mesure de voler. Voilà pour la première étape.
Cela étant, il ne s'agit pas simplement de desserrer l'étau par des frappes aériennes sur des agresseurs aériens. La démonstration de samedi, de dimanche et de lundi réalisée à la fois par l'aviation française et celle de la coalition montre que toute forme d'agression lourde - de blindés ou d'artillerie - peut être combattue depuis les airs par nos avions, les Mirage 2000-D tout particulièrement, et les Rafale équipés à cet effet. L'objectif de protection des habitants ne sera atteint que lorsque les artilleurs et les blindés seront dans leur caserne ou hors d'état de nuire.
La présence de la marine n'a rien d'incongru, puisque 90 % de la population libyenne habite sur une bande côtière de quelques dizaines de kilomètres de profondeur sur près de 1 500 kilomètres de long. Le fait d'être, à cet instant, en mesure d'interdire toute sortie de la marine libyenne sécurise des villes assiégées comme Misrata d'une offensive maritime qui aurait pu être dangereuse pour les assiégés de cette ville.
Nous disposons de réels moyens d'intervention qui vont bien au-delà de la simple zone d'exclusion aérienne. Si, à ma connaissance, il n'y a pas eu de tirs sur des blindés ou sur de l'artillerie, c'est parce qu'il n'y avait pas de cibles, du moins identifiées par la coalition.
Vous me direz que l'intervention aérienne est certainement de moindre portée qu'une guerre traditionnelle. C'est sans doute la raison pour laquelle, même sans tenir compte du problème juridique, il était impossible d'intervenir dans le cadre de combats urbains. En revanche, l'aviation est en mesure de neutraliser tous les supports logistiques d'une troupe au sol. Même si elle n'a ni blindés, ni canons lourds, elle a besoin d'une logistique, que nous sommes en mesure de la neutraliser.
C'est la raison pour laquelle, au-delà de la simple zone d'exclusion aérienne, l'intervention extrêmement précise de l'aviation permet au «débat» libyen d'être le plus équilibré possible. C'est en tout état de cause le vu que forment les militaires.
Je voudrais traiter d'un deuxième et dernier point : l'extrême réactivité de la chaîne de commandement.
Nous aurions pu, Monsieur le Ministre d'État, intervenir quelques heures après votre projet de résolution. Le gouvernement n'a pas souhaité le faire, par respect pour les procédures et pour ne pas donner le sentiment du fait accompli.
Aujourd'hui, en revanche, nous sommes dans un état de réactivité absolue, car au-delà des préoccupations politiques parfaitement légitimes exprimées au niveau international, dont certains orateurs se sont fait l'écho et auxquelles le ministre d'État a répondu, il faut que vous sachiez que la coopération des états-majors est telle que l'information circule en temps réel. La décision de tirer ou de ne pas tirer, d'intervenir ou de ne pas intervenir - grâce, il est vrai, à des procédures de coopération anciennes et établies - relève d'une gestion en temps réel, dès lors qu'il existe une volonté politique. Or, de manière manifeste, à l'initiative du président de la République française, en solidarité avec le Premier ministre David Cameron, il existe une volonté politique relayée par la plus grande puissance du monde que sont les États-Unis, auxquels se joignent les pays de la Ligue arabe et les pays européens.
Enfin, comme vous le savez, je suis un homme de tradition et je ne peux rappeler sans émotion que c'est en Libye, avec les cailloux blancs que sont Koufra, Bir Hakeim et Tobrouk, que la France a connu les premières étapes de sa liberté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2011