Texte intégral
M. Juppé - Un mot sur la réunion des ministres des Affaires étrangères qui a commencé ce matin à 9h30. Nous avons abordé de très nombreux sujets : la Biélorussie, la Bosnie-Herzégovine, la Somalie, la Côte d'Ivoire mais je voudrais me concentrer sur deux ou trois sujets, si vous me le permettez.
Tout d'abord, bien sûr, la discussion sur la Libye. Vous le verrez dans la déclaration finale, dans les conclusions du Conseil qui sont en cours d'approbation à l'instant même, les membres du Conseil ont exprimé leur satisfaction après l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Ils ont souligné leur détermination à contribuer à la mise en uvre de cette résolution. Ils ont également accueilli avec satisfaction le sommet de Paris comme une contribution décisive à la mise en application de la résolution du Conseil de sécurité.
Un accord très large s'est donc fait autour de la table, après une discussion où sont apparues bien sûr des sensibilités différentes, puisque tous les pays de l'Union européenne, vous le savez, ne participent pas à l'opération qui est actuellement en cours et ont donc une approche qui n'est pas toujours la même que la nôtre. J'ai fait remarquer que le premier succès de notre intervention est clair. Si nous n'avions rien fait, si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, il est probable qu'aujourd'hui Benghazi serait dans un bain de sang. Nous avons donc sauvé la population civile de Benghazi, c'est déjà un point extrêmement important à mettre à l'actif de notre intervention. Notre intervention va se poursuivre au cours des jours qui viennent de façon à neutraliser la capacité de Kadhafi d'agir contre les populations civiles puisque c'est l'objectif qui nous est assigné par la résolution du Conseil de sécurité.
J'ai également insisté, comme beaucoup de mes collègues autour de la table, sur la nécessité de garder un lien extrêmement étroit avec les pays arabes. A cet égard, au gré des dépêches ou des interprétations, on évoque une éventuelle prise de distance, j'ai lu, pour ma part, la déclaration de M. Moussa, Secrétaire général de la Ligue arabe, qui date de quelques heures, ce matin à 10h00, au Caire, dans laquelle il dit qu'il soutient la mise en uvre de la résolution du Conseil de sécurité et il n'y a aucune divergence sur ce point ; je viens de l'avoir d'ailleurs à l'instant au téléphone et nous avons décidé de continuer à nous tenir très étroitement informés en particulier dans la perspective de la réunion de la Ligue arabe qui doit avoir lieu demain matin au Caire.
Nous avons aussi discuté assez longuement du rôle spécifique de l'Union européenne pour la mise en uvre de la résolution du Conseil de sécurité. Nous nous sommes mis d'accord pour concentrer l'intervention de l'Union sur l'ensemble du volet humanitaire en utilisant le cas échéant des moyens maritimes notamment pour accueillir les réfugiés qui pourraient quitter la Libye. Tout ceci se faisant en pleine complémentarité avec l'OTAN, qui planifie par ailleurs les opérations militaires et s'impliquera également dans l'embargo maritime. De ce point de vue, je voudrais clarifier peut-être un point qui suscite des questions : aujourd'hui, la coordination des interventions se fait par les États-Unis d'Amérique en étroite coordination avec la France et le Royaume-Uni. Dans quelques jours, s'il advenait que les États-Unis d'Amérique prennent du recul par rapport à l'opération, l'OTAN est disposé à venir évidemment en soutien. Je rappelle que pour nous l'architecture est claire : c'est une opération des Nations unies consistant à mettre en uvre les résolutions des Nations unies, donc à l'initiative des Nations unies. Cette mise en uvre se fait par une coalition de pays européens, américains du Nord, arabes avec bien sûr, la participation de l'Alliance atlantique et de ses capacités de planification et de coordination des opérations.
Je vous disais que nous avions abordé d'autres sujets. Je citerai simplement deux points qui me paraissent particulièrement importants. Nous avons adopté dans son principe la stratégie de l'Union européenne pour le Sahel. Vous savez qu'à plusieurs reprises j'ai indiqué à mes collègues que la situation au Sahel n'était pas simplement un enjeu pour la France, mais que ce qui se passait dans cette vaste zone concernait l'ensemble de l'Union européenne. Il y a non seulement le terrorisme, mais aussi une véritable plaque tournante du trafic de drogue, du crime organisé, des trafics de migrants en situation irrégulière qui concernent l'ensemble de l'Union. Il est donc très important que l'Union s'investisse davantage pour aider les pays du Sahel, en particulier la Mauritanie, le Mali et le Niger, à faire face aux défis qui leur sont lancés, par une aide économique importante et aussi par une aide à la formation et à l'entraînement. Ceci figure dans la stratégie, proposée par la Haute représentante et par la Commission, que nous allons maintenant mettre en uvre avec des moyens financiers non négligeables.
Nous avons également évoqué la situation en Côte d'Ivoire qui se dégrade, hélas, gravement sur le terrain puisque le clan de Gbagbo a choisi la violence pour se maintenir au pouvoir. Les sanctions financières commencent à produire leurs effets : Gbagbo et ceux qui sont autour de lui commencent à être asséchés financièrement, ce qui peut expliquer qu'ils multiplient les exactions. Le président Ouattara a obtenu une victoire diplomatique, vous le savez, à Addis-Abeba il y a quelques jours. J'ai donc demandé à nos partenaires européens, qui sont tous d'accord, de maintenir l'unité européenne autour des sanctions appliquées à la Côte d'Ivoire, de leur mise en uvre effective et de leur durcissement éventuel pour continuer à faire basculer les choses au profit du président légitimement élu, Alassane Ouattara, et pour obtenir le départ de Gbagbo sur lequel se multiplient, vous le savez, les pressions, notamment des pays africains à la suite de la réunion d'Addis-Abeba, il y a quelques jours.
Voilà, les principaux points que je voulais évoquer avant de passer la parole à Laurent.
M. Wauquiez - Merci Alain. Très brièvement sur les sujets qui ont été évoqués au Conseil Energie et, surtout, ceux qui sont à l'ordre du jour sur le Conseil Affaires générales.
Sur la situation au Japon - vous le savez et c'est un point sur lequel nous avons malheureusement trop peu insisté -, l'Europe avait depuis longtemps déjà assuré un travail, notamment lors du dernier Conseil européen, de promotion des normes nucléaires les plus exigeantes qui soient. De ce point de vue, notre objectif est bien que l'Europe ne transige pas sur ces questions : l'Europe est une terre de sûreté nucléaire et nous devons travailler à renforcer sans cesse cette dimension pour nous. Dans ce cadre-là, l'objectif de travail se réalisera sur deux niveaux plus particuliers. Le premier, c'est de faire en sorte que les États membres mettent en uvre sans délai les objectifs de sûreté nucléaire renforcée pour les nouveaux réacteurs. Nous n'avons pas à attendre pour réagir en la matière, un travail a été réalisé pour atteindre les normes WENRA. C'est dès maintenant que nous devons continuer à avancer en la matière. Deuxièmement, personne ne comprendrait que nous ayons un cadre qui ne soit pas coordonné, dans le contexte d'audit des différentes centrales nucléaires européennes. L'objectif est bien que l'on n'assiste pas à des audits dispersés des différentes centrales nucléaires, partout dans les Etats membres européens, mais bien que l'on ait un cadre commun d'exigence concerté. C'est une dimension évidemment européenne, la sûreté nucléaire est déjà traitée à ce niveau.
Par ailleurs, vous me permettrez de dire que par rapport à ces enjeux, les quelques petites polémiques auxquelles on assiste ne sont pas au niveau ; il a pu y avoir des expressions hasardeuses la semaine dernière. Maintenant, la page est tournée, l'objectif est surtout que l'on travaille ensemble dans le cadre de cet objectif et pas qu'on se livre les uns et les autres, à des polémiques qui n'ont pas de sens.
Deuxième sujet, dans le cadre de la réponse globale de l'Union européenne sur l'euro. Pour nous, le plus important maintenant est d'arriver à réussir le trilogue avec le Parlement européen en préservant les équilibres qui ont pu être acquis par le travail considérable qui a été fait, notamment par le biais des initiatives françaises. J'insiste tout particulièrement auprès de vous sur le fait que le pacte pour l'euro est un pacte équilibré, dans lequel nous avons certes des dimensions qui portent sur la réduction des déficits, mais qui portent aussi sur la recherche et l'innovation, sur la politique de l'emploi On a donc un pacte équilibré qui est une bonne garantie de réussite.
Enfin, j'ajouterais une dernière idée, dans cette période, n'hyperbolisons pas nos divisions. Il y a des différences d'approche, il y a des différences de sensibilité mais regardez l'essentiel : l'Europe a assumé et engagé, au cours des dernières semaines et des derniers mois, un énorme chemin de coordination et d'avancées communautaires unifiées. Le résultat, c'est que l'on a une Europe mobilisée sur les grands enjeux auxquels nous faisons face. Arrêtons l'autodénigrement européen, regardons plutôt l'ampleur du chemin qui a été parcouru, y compris sur des dossiers comme ceux de la Libye, grâce aux efforts d'Alain Juppé.
Q - A propos du Sahel, aujourd'hui l'Aqmi a fait savoir qu'elle réclamait une rançon d'au moins 90 millions d'euros pour libérer les quatre otages français. Quelle est la réaction de la France à ce propos ?
R - M. Juppé - Nous ne négocions pas sur ces bases.
Q - Quelle est votre réaction sur la situation au Yémen et à Bahreïn ?
R - M. Juppé - Vous connaissez la ligne qui est la nôtre et qui est cohérente sur tous les événements qui secouent aujourd'hui le sud de la Méditerranée, depuis le Maroc jusqu'au golfe persique : nous soutenons l'aspiration de tous ces peuples à la liberté et à la démocratie face à des régimes épuisés par la corruption, par des pratiques dictatoriales, par une longévité excessive du pouvoir. Il faut aujourd'hui aider tous ceux qui veulent faire avancer les droits de l'Homme, construire des démocraties qui ne soient pas forcément la copie des démocraties occidentales mais qui donnent la possibilité au peuple de choisir ses dirigeants, par des élections libres, et d'aspirer à la liberté. Ceci est valable dans tous les pays, nous le disons avec beaucoup de force. Au Yémen, la situation est en train de se dégrader, il faut que le pouvoir en place en tienne compte ; il nous semble aujourd'hui que le départ du président Saleh est incontournable. Nous apportons donc notre soutien à tous ceux qui se battent pour la démocratie en faisant appel bien sûr à la retenue, au refus de la violence, au dialogue, à la discussion et à la réconciliation nationale. De même, à Bahreïn, il faut absolument que le dialogue l'emporte sur la répression ; nous appelons là encore à la cessation des violences et au dialogue entre toutes les parties concernées.
Q - N'est-on pas en train d'assister à l'explosion en plein vol de la politique étrangère commune et des ambitions françaises en matière de politique de défense européenne ? Si je vous ai bien suivi, l'Union européenne c'est l'humanitaire, les choses sérieuses, c'est la France, le Royaume-Uni, les États-Unis ?
R - M. Juppé - «L'explosion en plein vol de la politique étrangère de l'Union européenne», moi, je vous cite le paragraphe 2 de la déclaration finale : «the Council expresses its satisfaction ( ) it also welcomes». J'interprète cela comme une cohésion de l'ensemble des 27 qui soutiennent la ligne politique qui est ressortie des résolutions du Conseil de sécurité et du Sommet de Paris. Je ne peux donc pas partager votre pessimisme et je reprendrai fort volontiers l'expression de Laurent Wauquiez : il ne faut pas «hyperboliser».
A partir de là, il y a bien évidemment des différences d'approche puisqu'il y a parmi les 27 des pays qui se sont abstenus à l'ONU, au Conseil de sécurité et qui ne participent pas à l'intervention militaire ; c'est donc un état de fait dont il faut tenir compte. Mais l'objectif est commun, c'est de soutenir ceux qui veulent se débarrasser du régime de Kadhafi pour instaurer une véritable transition démocratique en Libye et c'est cela qui est le plus important, c'est cela qui nous unit.
Il y a également un accord unanime sur les sanctions. Je n'en ai pas parlé tout à l'heure mais il va de soi qu'il faut renforcer les sanctions contre le régime libyen et le clan de Kadhafi ; nous y sommes pleinement favorables. J'ai fait simplement observer que le seul renforcement des sanctions n'aurait pas sauvé Benghazi. Regardez ce qui se passe en Côte d'Ivoire : les sanctions commencent à produire des effets au bout de plusieurs mois et, malheureusement, on n'évite pas les pertes humaines entretemps.
En ce qui concerne le rôle de l'Union européenne, nous nous sommes concentrés - je l'ai dit tout à l'heure -, sur l'aspect humanitaire des choses, ce qui n'impliquera pas l'absence de moyens, notamment en Méditerranée ; c'est une réflexion qu'il faut poursuivre. Vous connaissez ma conviction, c'était celle que j'avais quand j'étais ministre de la Défense et je l'ai toujours en tant que ministre des Affaires étrangères, l'Union européenne ne peut pas être une ONG humanitaire. Dans notre vision des choses, l'Union doit aussi assumer ses responsabilités au titre de la politique de sécurité et de défense commune, avec sa propre capacité d'intervention en complémentarité avec l'OTAN. Je crois que pour nous les choses sont claires, j'avais demandé qu'un Conseil européen, d'ici la fin de l'année, puisse se pencher sur ces questions. Nous avons demandé à Mme Ashton, dans le cadre d'une lettre que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense du groupe de Weimar lui avait adressée, de prendre des initiatives pour redonner des couleurs - si je puis dire - à la PSDC, et pour permettre en particulier à l'Agence européenne de la défense de jouer pleinement son rôle ; c'est toujours la position de la France et nous allons continuer à pousser en ce sens.
Q - Sans vouloir «hyperboliser» les dissensions, votre homologue allemand a quand même redit l'opposition de l'Allemagne, il l'a dit ce week-end, il l'a redit toute à l'heure. Est-ce que ce n'est pas la fin, en tout cas sur ce sujet, de l'axe franco-allemand ? Et il nous est rapporté également que les discussions entre vous deux ont été assez vives, est-ce que c'est vrai ?
R - M. Juppé - Rien de nouveau, vous n'avez pas appris aujourd'hui que l'Allemagne ne souhaitait pas s'associer à une opération militaire ? Nous avons eu cette discussion au G8, nous l'avons eue au Conseil de sécurité, ce n'est pas un drame, c'est une différence d'appréciation. Ce n'est pas cela qui remet en cause l'étroitesse du lien entre la France et l'Allemagne. Laurent Wauquiez, qui est un spécialiste de l'histoire européenne, pourrait vous égrener tout au long des décennies passées, les occasions où nous n'avons pas été d'accord, ce qui n'a jamais remis en cause notre cohésion fondamentale. Voilà, on en est là. Quant à ce qui s'est passé ce matin, je dis ce que je pense et M. Westerwelle aussi, ce qui prouve donc que l'on a des points communs.
R - M. Wauquiez - Si je peux me permettre, cet après-midi à l'inverse, vous avez un autre reflet : une très forte entente sur tous les aspects relatifs à l'euro. Que ce soit sur les six propositions de M. Van Rompuy, sur le pacte euro, l'entente franco-allemande est très forte.
R - M. Juppé - Je voulais ajouter que sur tous les autres sujets que nous avons abordés ce matin, qu'il s'agisse de la Somalie, de la Côte d'Ivoire, de la Biélorussie, de la Bosnie-Herzégovine, de l'Iran - je pense que je dois encore oublier deux ou trois sujets -, la discussion a été rapide parce que nous sommes absolument sur la même ligne. Donc, là encore, regardons l'essentiel.
Q - Justement, la coalition pense obtenir le départ du colonel Kadhafi ? Par quelle méthode ? Cela a semble-t-il été évoqué ou suggéré au cours du Conseil, est-ce qu'il pourrait être une cible des opérations ?
M. Juppé - Je n'ai rien suggéré du tout, c'est aux militaires de cibler. Ecoutez, nous sommes, je le répète, sous une résolution du Conseil de sécurité. Cette résolution nous demande de protéger les populations civiles contre les exactions du régime Kadhafi, c'est ce que nous faisons. Elle ne nous demande pas de mettre en place un autre régime à la place de celui de Kadhafi. Ce que nous voulons c'est le priver des moyens d'exercer cette répression sur sa population, l'obliger à se retirer des villes qu'il a occupées par la violence, à respecter l'aspiration à la liberté et la volonté de dialogue des Libyens. A partir de ce moment-là, c'est au Conseil national de transition et à toutes les forces libyennes qui seront prêtes au dialogue de choisir le régime dont elles veulent se doter. Ce qui ne nous empêche pas, par ailleurs, de souhaiter le départ de Kadhafi.
Q - Plusieurs ministres européens des Affaires étrangères ont demandé aujourd'hui que l'OTAN ait un rôle de coordination. Maintenant, dans cette intervention militaire en Libye, la France participe avec une coalition internationale de pays. Quel est votre point de vue : doit-on donner le commandement de l'intervention à l'OTAN ou ce n'est pas nécessaire ?
R - M. Juppé - J'ai déjà répondu à cette question mais je veux bien y revenir. D'abord, j'observe que beaucoup de pays qui nous incitent à passer l'opération sous le drapeau de l'OTAN, nous disent aussi qu'il faut tenir le plus grand compte de l'avis des pays arabes. Or, l'avis des pays arabes est clair : ils ne souhaitent pas que cette opération soit entièrement placée sous la responsabilité de l'OTAN. Ce n'est pas l'OTAN qui a pris l'initiative de ce que nous faisons aujourd'hui, c'est une résolution du Conseil de sécurité, c'est une coalition de pays qui mène l'opération. Le contrôle politique de cette opération est donc exercé par cette coalition à laquelle participe des pays arabes, des pays d'Amérique du Nord, Canada et États-Unis, des pays européens. Ensuite, dans le déroulement de l'opération, en termes de planification ou de conduite des opérations, l'OTAN peut apporter sa participation, oui, nous en sommes d'accord et nous avons d'ailleurs fait en sorte que cette planification puisse être d'ores et déjà engagée. Mais voyez-vous, ce n'est pas simplement une nuance, c'est vraiment une présentation politique différente à laquelle nous tenons et sur laquelle, je pense, tous ceux qui participent militairement à l'opération sont absolument d'accords.
Q - Qui sera le leader ?
R - M. Juppé - Actuellement, ce sont les États-Unis mais, ensuite, il y aura l'ensemble des pays de la coalition. Les ministres des Affaires étrangères, notamment, piloteront l'opération sur le plan politique et délégueront aux militaires et à l'OTAN la conduite des opérations. Il est très important d'avoir un pilotage politique qui soit celui que j'ai dit.
Q - Croyez-vous que vous vous engagez pour une longue opération ?
R - M. Juppé - J'espère que non. L'objectif est de mener une opération aussi brève que possible en neutralisant les défenses anti-aériennes de Kadhafi, ce qui est apparemment largement fait, encore que nous n'ayons pas tout à fait le retour des frappes américaines dont nous disposerons, je l'espère, aussi rapidement que possible. Cela prend du temps d'interpréter les images dont on dispose. Il faut donc priver Kadhafi de ses défenses anti-aériennes, faire respecter effectivement l'exclusion aérienne non seulement au-dessus de Benghazi mais aussi au-dessus d'autres villes qui pourraient être menacées. A partir du moment où il n'y aura plus de défenses anti-aériennes, l'essentiel de la force aérienne de Kadhafi sera neutralisée et l'exclusion aérienne sera plus facile à opérer. Nous n'avons pas exclu des frappes ciblées sur des colonnes offensives qui menaceraient des villes libyennes ; c'est ce qui s'est passé, notamment à l'initiative de la France, dimanche dernier. Il y aura un embargo maritime pour éviter l'utilisation de ce qui reste de forces maritimes au régime de Kadhafi.
À quel moment ce régime s'effondrera-t-il ? Si je le savais avec certitude, je serais bien grand devin. Il est tout à fait probable, comme cela se passe au Yémen en ce moment, que devant la fragilisation de ce régime, il se fissure de l'intérieur. C'est en tout cas ce que nous espérons.
Q - Je voulais revenir à la question de mon confrère concernant notre principal partenaire qui est le partenaire allemand. Un diplomate allemand me disait tout à l'heure qu'il n'y avait donc pas un large accord autour de la table, mais un scepticisme partagé de la part de l'Allemagne, d'autres petits pays européens et de la part de la Pologne qui fait partie du triangle de Weimar. Sur quoi ont porté exactement ces divergences ? Sur les modalités de la conduite des opérations militaires ?
R - M. Juppé - Moi, je suis un esprit basique, il y a les discussions avant décision et puis il y a la décision. La décision est là ; elle est tout à fait explicite. Je le répète : «EU and its Member States are determined to act collectively and resolutely, with all international partners, particularly the Arab League and other regional stakeholders, to give full effect to these decisions», celle du Conseil de sécurité et de celle du Sommet de Paris. Je ne sais pas comment il faut dire les choses ! Les Etats membres et l'Union européenne sont déterminés pour agir collectivement et résolument avec tous leurs partenaires internationaux, en particulier les pays de la Ligue arabe et les autres acteurs régionaux pour donner leur plein effet à ces décisions. Alors, qu'avant il y ait eu des sensibilités différentes, peut-être mais moi je me réfère à cela et c'est cela qui me conduit à vous dire qu'il y a une cohésion de l'Union européenne sur ces points, avec des degrés d'enthousiasme différents peut-être, mais ce qu'il faut c'est la décision. J'observe d'ailleurs que le degré d'enthousiasme est faible chez ceux qui n'ont pas d'avions dans le ciel, c'est donc moins grave.
Q - N'y a-t-il pas un risque contenu dans les contraintes de la résolution de l'ONU, un risque de statu quo de la situation en Libye ? Le jour où le colonel Kadhafi sera privé de ses moyens d'agression mais que les insurgés n'auront pas les moyens de se débarrasser du colonel Kadhafi par exemple ?
R - M. Juppé - Je ne veux pas rentrer dans les différentes hypothèses possibles. Vous avez tout à fait raison, on va suivre l'évolution de la situation et nous envisageons, une fois que la période d'intervention militaire sera bien avancée, de réunir les différents partenaires pour maintenant promouvoir ou proposer une solution politique. Il est bien évident qu'il va falloir réunir les différents acteurs à commencer par le Conseil national de la transition, peut-être d'autres. On insiste beaucoup notamment sur la réalité tribal en Libye, il y a sans doute des choses à faire de ce côté-là pour essayer de pousser une solution alternative mais qui soit décidée par les Libyens.
Q - Pourriez-vous nous préciser l'action, l'opération militaire de l'Union européenne ? Quand démarrerait-elle ? Avec quels moyens ? Y a-t-il vraiment une unité d'engagement de moyens militaires en support ? Est-ce que concernant les réfugiés, cela consiste à les repousser ou à les accueillir ? Sur l'Union africaine, on n'en parle pas, eux, sont totalement réticents à une action militaire ?
R - M. Juppé - Pas de moyens militaires, je vous l'ai dit, a priori. Sur les détails de l'opération, la planification est en cours, je ne peux donc pas vous répondre. Sur les réfugiés, lorsqu'il y a des personnes en situation de détresse, en général, on ne les repousse pas à la mer, on ne les renvoie pas dans les bateaux, on essaye de les accueillir et de les traiter dignement. L'Union africaine, c'est vrai, n'a pas pris de position très unanime sur cette opération, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous allons poursuivre notre dialogue avec ses principaux responsables, notamment avec le président de la Commission, M. Jean Ping, et plusieurs pays africains ; nous sommes en discussion avec eux. Il est très important, effectivement, de les associer à l'opération, de les convaincre, de les entraîner puisque beaucoup d'entre eux sont des voisins de la Libye ; leur participation est évidemment essentielle.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2011
Tout d'abord, bien sûr, la discussion sur la Libye. Vous le verrez dans la déclaration finale, dans les conclusions du Conseil qui sont en cours d'approbation à l'instant même, les membres du Conseil ont exprimé leur satisfaction après l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Ils ont souligné leur détermination à contribuer à la mise en uvre de cette résolution. Ils ont également accueilli avec satisfaction le sommet de Paris comme une contribution décisive à la mise en application de la résolution du Conseil de sécurité.
Un accord très large s'est donc fait autour de la table, après une discussion où sont apparues bien sûr des sensibilités différentes, puisque tous les pays de l'Union européenne, vous le savez, ne participent pas à l'opération qui est actuellement en cours et ont donc une approche qui n'est pas toujours la même que la nôtre. J'ai fait remarquer que le premier succès de notre intervention est clair. Si nous n'avions rien fait, si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, il est probable qu'aujourd'hui Benghazi serait dans un bain de sang. Nous avons donc sauvé la population civile de Benghazi, c'est déjà un point extrêmement important à mettre à l'actif de notre intervention. Notre intervention va se poursuivre au cours des jours qui viennent de façon à neutraliser la capacité de Kadhafi d'agir contre les populations civiles puisque c'est l'objectif qui nous est assigné par la résolution du Conseil de sécurité.
J'ai également insisté, comme beaucoup de mes collègues autour de la table, sur la nécessité de garder un lien extrêmement étroit avec les pays arabes. A cet égard, au gré des dépêches ou des interprétations, on évoque une éventuelle prise de distance, j'ai lu, pour ma part, la déclaration de M. Moussa, Secrétaire général de la Ligue arabe, qui date de quelques heures, ce matin à 10h00, au Caire, dans laquelle il dit qu'il soutient la mise en uvre de la résolution du Conseil de sécurité et il n'y a aucune divergence sur ce point ; je viens de l'avoir d'ailleurs à l'instant au téléphone et nous avons décidé de continuer à nous tenir très étroitement informés en particulier dans la perspective de la réunion de la Ligue arabe qui doit avoir lieu demain matin au Caire.
Nous avons aussi discuté assez longuement du rôle spécifique de l'Union européenne pour la mise en uvre de la résolution du Conseil de sécurité. Nous nous sommes mis d'accord pour concentrer l'intervention de l'Union sur l'ensemble du volet humanitaire en utilisant le cas échéant des moyens maritimes notamment pour accueillir les réfugiés qui pourraient quitter la Libye. Tout ceci se faisant en pleine complémentarité avec l'OTAN, qui planifie par ailleurs les opérations militaires et s'impliquera également dans l'embargo maritime. De ce point de vue, je voudrais clarifier peut-être un point qui suscite des questions : aujourd'hui, la coordination des interventions se fait par les États-Unis d'Amérique en étroite coordination avec la France et le Royaume-Uni. Dans quelques jours, s'il advenait que les États-Unis d'Amérique prennent du recul par rapport à l'opération, l'OTAN est disposé à venir évidemment en soutien. Je rappelle que pour nous l'architecture est claire : c'est une opération des Nations unies consistant à mettre en uvre les résolutions des Nations unies, donc à l'initiative des Nations unies. Cette mise en uvre se fait par une coalition de pays européens, américains du Nord, arabes avec bien sûr, la participation de l'Alliance atlantique et de ses capacités de planification et de coordination des opérations.
Je vous disais que nous avions abordé d'autres sujets. Je citerai simplement deux points qui me paraissent particulièrement importants. Nous avons adopté dans son principe la stratégie de l'Union européenne pour le Sahel. Vous savez qu'à plusieurs reprises j'ai indiqué à mes collègues que la situation au Sahel n'était pas simplement un enjeu pour la France, mais que ce qui se passait dans cette vaste zone concernait l'ensemble de l'Union européenne. Il y a non seulement le terrorisme, mais aussi une véritable plaque tournante du trafic de drogue, du crime organisé, des trafics de migrants en situation irrégulière qui concernent l'ensemble de l'Union. Il est donc très important que l'Union s'investisse davantage pour aider les pays du Sahel, en particulier la Mauritanie, le Mali et le Niger, à faire face aux défis qui leur sont lancés, par une aide économique importante et aussi par une aide à la formation et à l'entraînement. Ceci figure dans la stratégie, proposée par la Haute représentante et par la Commission, que nous allons maintenant mettre en uvre avec des moyens financiers non négligeables.
Nous avons également évoqué la situation en Côte d'Ivoire qui se dégrade, hélas, gravement sur le terrain puisque le clan de Gbagbo a choisi la violence pour se maintenir au pouvoir. Les sanctions financières commencent à produire leurs effets : Gbagbo et ceux qui sont autour de lui commencent à être asséchés financièrement, ce qui peut expliquer qu'ils multiplient les exactions. Le président Ouattara a obtenu une victoire diplomatique, vous le savez, à Addis-Abeba il y a quelques jours. J'ai donc demandé à nos partenaires européens, qui sont tous d'accord, de maintenir l'unité européenne autour des sanctions appliquées à la Côte d'Ivoire, de leur mise en uvre effective et de leur durcissement éventuel pour continuer à faire basculer les choses au profit du président légitimement élu, Alassane Ouattara, et pour obtenir le départ de Gbagbo sur lequel se multiplient, vous le savez, les pressions, notamment des pays africains à la suite de la réunion d'Addis-Abeba, il y a quelques jours.
Voilà, les principaux points que je voulais évoquer avant de passer la parole à Laurent.
M. Wauquiez - Merci Alain. Très brièvement sur les sujets qui ont été évoqués au Conseil Energie et, surtout, ceux qui sont à l'ordre du jour sur le Conseil Affaires générales.
Sur la situation au Japon - vous le savez et c'est un point sur lequel nous avons malheureusement trop peu insisté -, l'Europe avait depuis longtemps déjà assuré un travail, notamment lors du dernier Conseil européen, de promotion des normes nucléaires les plus exigeantes qui soient. De ce point de vue, notre objectif est bien que l'Europe ne transige pas sur ces questions : l'Europe est une terre de sûreté nucléaire et nous devons travailler à renforcer sans cesse cette dimension pour nous. Dans ce cadre-là, l'objectif de travail se réalisera sur deux niveaux plus particuliers. Le premier, c'est de faire en sorte que les États membres mettent en uvre sans délai les objectifs de sûreté nucléaire renforcée pour les nouveaux réacteurs. Nous n'avons pas à attendre pour réagir en la matière, un travail a été réalisé pour atteindre les normes WENRA. C'est dès maintenant que nous devons continuer à avancer en la matière. Deuxièmement, personne ne comprendrait que nous ayons un cadre qui ne soit pas coordonné, dans le contexte d'audit des différentes centrales nucléaires européennes. L'objectif est bien que l'on n'assiste pas à des audits dispersés des différentes centrales nucléaires, partout dans les Etats membres européens, mais bien que l'on ait un cadre commun d'exigence concerté. C'est une dimension évidemment européenne, la sûreté nucléaire est déjà traitée à ce niveau.
Par ailleurs, vous me permettrez de dire que par rapport à ces enjeux, les quelques petites polémiques auxquelles on assiste ne sont pas au niveau ; il a pu y avoir des expressions hasardeuses la semaine dernière. Maintenant, la page est tournée, l'objectif est surtout que l'on travaille ensemble dans le cadre de cet objectif et pas qu'on se livre les uns et les autres, à des polémiques qui n'ont pas de sens.
Deuxième sujet, dans le cadre de la réponse globale de l'Union européenne sur l'euro. Pour nous, le plus important maintenant est d'arriver à réussir le trilogue avec le Parlement européen en préservant les équilibres qui ont pu être acquis par le travail considérable qui a été fait, notamment par le biais des initiatives françaises. J'insiste tout particulièrement auprès de vous sur le fait que le pacte pour l'euro est un pacte équilibré, dans lequel nous avons certes des dimensions qui portent sur la réduction des déficits, mais qui portent aussi sur la recherche et l'innovation, sur la politique de l'emploi On a donc un pacte équilibré qui est une bonne garantie de réussite.
Enfin, j'ajouterais une dernière idée, dans cette période, n'hyperbolisons pas nos divisions. Il y a des différences d'approche, il y a des différences de sensibilité mais regardez l'essentiel : l'Europe a assumé et engagé, au cours des dernières semaines et des derniers mois, un énorme chemin de coordination et d'avancées communautaires unifiées. Le résultat, c'est que l'on a une Europe mobilisée sur les grands enjeux auxquels nous faisons face. Arrêtons l'autodénigrement européen, regardons plutôt l'ampleur du chemin qui a été parcouru, y compris sur des dossiers comme ceux de la Libye, grâce aux efforts d'Alain Juppé.
Q - A propos du Sahel, aujourd'hui l'Aqmi a fait savoir qu'elle réclamait une rançon d'au moins 90 millions d'euros pour libérer les quatre otages français. Quelle est la réaction de la France à ce propos ?
R - M. Juppé - Nous ne négocions pas sur ces bases.
Q - Quelle est votre réaction sur la situation au Yémen et à Bahreïn ?
R - M. Juppé - Vous connaissez la ligne qui est la nôtre et qui est cohérente sur tous les événements qui secouent aujourd'hui le sud de la Méditerranée, depuis le Maroc jusqu'au golfe persique : nous soutenons l'aspiration de tous ces peuples à la liberté et à la démocratie face à des régimes épuisés par la corruption, par des pratiques dictatoriales, par une longévité excessive du pouvoir. Il faut aujourd'hui aider tous ceux qui veulent faire avancer les droits de l'Homme, construire des démocraties qui ne soient pas forcément la copie des démocraties occidentales mais qui donnent la possibilité au peuple de choisir ses dirigeants, par des élections libres, et d'aspirer à la liberté. Ceci est valable dans tous les pays, nous le disons avec beaucoup de force. Au Yémen, la situation est en train de se dégrader, il faut que le pouvoir en place en tienne compte ; il nous semble aujourd'hui que le départ du président Saleh est incontournable. Nous apportons donc notre soutien à tous ceux qui se battent pour la démocratie en faisant appel bien sûr à la retenue, au refus de la violence, au dialogue, à la discussion et à la réconciliation nationale. De même, à Bahreïn, il faut absolument que le dialogue l'emporte sur la répression ; nous appelons là encore à la cessation des violences et au dialogue entre toutes les parties concernées.
Q - N'est-on pas en train d'assister à l'explosion en plein vol de la politique étrangère commune et des ambitions françaises en matière de politique de défense européenne ? Si je vous ai bien suivi, l'Union européenne c'est l'humanitaire, les choses sérieuses, c'est la France, le Royaume-Uni, les États-Unis ?
R - M. Juppé - «L'explosion en plein vol de la politique étrangère de l'Union européenne», moi, je vous cite le paragraphe 2 de la déclaration finale : «the Council expresses its satisfaction ( ) it also welcomes». J'interprète cela comme une cohésion de l'ensemble des 27 qui soutiennent la ligne politique qui est ressortie des résolutions du Conseil de sécurité et du Sommet de Paris. Je ne peux donc pas partager votre pessimisme et je reprendrai fort volontiers l'expression de Laurent Wauquiez : il ne faut pas «hyperboliser».
A partir de là, il y a bien évidemment des différences d'approche puisqu'il y a parmi les 27 des pays qui se sont abstenus à l'ONU, au Conseil de sécurité et qui ne participent pas à l'intervention militaire ; c'est donc un état de fait dont il faut tenir compte. Mais l'objectif est commun, c'est de soutenir ceux qui veulent se débarrasser du régime de Kadhafi pour instaurer une véritable transition démocratique en Libye et c'est cela qui est le plus important, c'est cela qui nous unit.
Il y a également un accord unanime sur les sanctions. Je n'en ai pas parlé tout à l'heure mais il va de soi qu'il faut renforcer les sanctions contre le régime libyen et le clan de Kadhafi ; nous y sommes pleinement favorables. J'ai fait simplement observer que le seul renforcement des sanctions n'aurait pas sauvé Benghazi. Regardez ce qui se passe en Côte d'Ivoire : les sanctions commencent à produire des effets au bout de plusieurs mois et, malheureusement, on n'évite pas les pertes humaines entretemps.
En ce qui concerne le rôle de l'Union européenne, nous nous sommes concentrés - je l'ai dit tout à l'heure -, sur l'aspect humanitaire des choses, ce qui n'impliquera pas l'absence de moyens, notamment en Méditerranée ; c'est une réflexion qu'il faut poursuivre. Vous connaissez ma conviction, c'était celle que j'avais quand j'étais ministre de la Défense et je l'ai toujours en tant que ministre des Affaires étrangères, l'Union européenne ne peut pas être une ONG humanitaire. Dans notre vision des choses, l'Union doit aussi assumer ses responsabilités au titre de la politique de sécurité et de défense commune, avec sa propre capacité d'intervention en complémentarité avec l'OTAN. Je crois que pour nous les choses sont claires, j'avais demandé qu'un Conseil européen, d'ici la fin de l'année, puisse se pencher sur ces questions. Nous avons demandé à Mme Ashton, dans le cadre d'une lettre que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense du groupe de Weimar lui avait adressée, de prendre des initiatives pour redonner des couleurs - si je puis dire - à la PSDC, et pour permettre en particulier à l'Agence européenne de la défense de jouer pleinement son rôle ; c'est toujours la position de la France et nous allons continuer à pousser en ce sens.
Q - Sans vouloir «hyperboliser» les dissensions, votre homologue allemand a quand même redit l'opposition de l'Allemagne, il l'a dit ce week-end, il l'a redit toute à l'heure. Est-ce que ce n'est pas la fin, en tout cas sur ce sujet, de l'axe franco-allemand ? Et il nous est rapporté également que les discussions entre vous deux ont été assez vives, est-ce que c'est vrai ?
R - M. Juppé - Rien de nouveau, vous n'avez pas appris aujourd'hui que l'Allemagne ne souhaitait pas s'associer à une opération militaire ? Nous avons eu cette discussion au G8, nous l'avons eue au Conseil de sécurité, ce n'est pas un drame, c'est une différence d'appréciation. Ce n'est pas cela qui remet en cause l'étroitesse du lien entre la France et l'Allemagne. Laurent Wauquiez, qui est un spécialiste de l'histoire européenne, pourrait vous égrener tout au long des décennies passées, les occasions où nous n'avons pas été d'accord, ce qui n'a jamais remis en cause notre cohésion fondamentale. Voilà, on en est là. Quant à ce qui s'est passé ce matin, je dis ce que je pense et M. Westerwelle aussi, ce qui prouve donc que l'on a des points communs.
R - M. Wauquiez - Si je peux me permettre, cet après-midi à l'inverse, vous avez un autre reflet : une très forte entente sur tous les aspects relatifs à l'euro. Que ce soit sur les six propositions de M. Van Rompuy, sur le pacte euro, l'entente franco-allemande est très forte.
R - M. Juppé - Je voulais ajouter que sur tous les autres sujets que nous avons abordés ce matin, qu'il s'agisse de la Somalie, de la Côte d'Ivoire, de la Biélorussie, de la Bosnie-Herzégovine, de l'Iran - je pense que je dois encore oublier deux ou trois sujets -, la discussion a été rapide parce que nous sommes absolument sur la même ligne. Donc, là encore, regardons l'essentiel.
Q - Justement, la coalition pense obtenir le départ du colonel Kadhafi ? Par quelle méthode ? Cela a semble-t-il été évoqué ou suggéré au cours du Conseil, est-ce qu'il pourrait être une cible des opérations ?
M. Juppé - Je n'ai rien suggéré du tout, c'est aux militaires de cibler. Ecoutez, nous sommes, je le répète, sous une résolution du Conseil de sécurité. Cette résolution nous demande de protéger les populations civiles contre les exactions du régime Kadhafi, c'est ce que nous faisons. Elle ne nous demande pas de mettre en place un autre régime à la place de celui de Kadhafi. Ce que nous voulons c'est le priver des moyens d'exercer cette répression sur sa population, l'obliger à se retirer des villes qu'il a occupées par la violence, à respecter l'aspiration à la liberté et la volonté de dialogue des Libyens. A partir de ce moment-là, c'est au Conseil national de transition et à toutes les forces libyennes qui seront prêtes au dialogue de choisir le régime dont elles veulent se doter. Ce qui ne nous empêche pas, par ailleurs, de souhaiter le départ de Kadhafi.
Q - Plusieurs ministres européens des Affaires étrangères ont demandé aujourd'hui que l'OTAN ait un rôle de coordination. Maintenant, dans cette intervention militaire en Libye, la France participe avec une coalition internationale de pays. Quel est votre point de vue : doit-on donner le commandement de l'intervention à l'OTAN ou ce n'est pas nécessaire ?
R - M. Juppé - J'ai déjà répondu à cette question mais je veux bien y revenir. D'abord, j'observe que beaucoup de pays qui nous incitent à passer l'opération sous le drapeau de l'OTAN, nous disent aussi qu'il faut tenir le plus grand compte de l'avis des pays arabes. Or, l'avis des pays arabes est clair : ils ne souhaitent pas que cette opération soit entièrement placée sous la responsabilité de l'OTAN. Ce n'est pas l'OTAN qui a pris l'initiative de ce que nous faisons aujourd'hui, c'est une résolution du Conseil de sécurité, c'est une coalition de pays qui mène l'opération. Le contrôle politique de cette opération est donc exercé par cette coalition à laquelle participe des pays arabes, des pays d'Amérique du Nord, Canada et États-Unis, des pays européens. Ensuite, dans le déroulement de l'opération, en termes de planification ou de conduite des opérations, l'OTAN peut apporter sa participation, oui, nous en sommes d'accord et nous avons d'ailleurs fait en sorte que cette planification puisse être d'ores et déjà engagée. Mais voyez-vous, ce n'est pas simplement une nuance, c'est vraiment une présentation politique différente à laquelle nous tenons et sur laquelle, je pense, tous ceux qui participent militairement à l'opération sont absolument d'accords.
Q - Qui sera le leader ?
R - M. Juppé - Actuellement, ce sont les États-Unis mais, ensuite, il y aura l'ensemble des pays de la coalition. Les ministres des Affaires étrangères, notamment, piloteront l'opération sur le plan politique et délégueront aux militaires et à l'OTAN la conduite des opérations. Il est très important d'avoir un pilotage politique qui soit celui que j'ai dit.
Q - Croyez-vous que vous vous engagez pour une longue opération ?
R - M. Juppé - J'espère que non. L'objectif est de mener une opération aussi brève que possible en neutralisant les défenses anti-aériennes de Kadhafi, ce qui est apparemment largement fait, encore que nous n'ayons pas tout à fait le retour des frappes américaines dont nous disposerons, je l'espère, aussi rapidement que possible. Cela prend du temps d'interpréter les images dont on dispose. Il faut donc priver Kadhafi de ses défenses anti-aériennes, faire respecter effectivement l'exclusion aérienne non seulement au-dessus de Benghazi mais aussi au-dessus d'autres villes qui pourraient être menacées. A partir du moment où il n'y aura plus de défenses anti-aériennes, l'essentiel de la force aérienne de Kadhafi sera neutralisée et l'exclusion aérienne sera plus facile à opérer. Nous n'avons pas exclu des frappes ciblées sur des colonnes offensives qui menaceraient des villes libyennes ; c'est ce qui s'est passé, notamment à l'initiative de la France, dimanche dernier. Il y aura un embargo maritime pour éviter l'utilisation de ce qui reste de forces maritimes au régime de Kadhafi.
À quel moment ce régime s'effondrera-t-il ? Si je le savais avec certitude, je serais bien grand devin. Il est tout à fait probable, comme cela se passe au Yémen en ce moment, que devant la fragilisation de ce régime, il se fissure de l'intérieur. C'est en tout cas ce que nous espérons.
Q - Je voulais revenir à la question de mon confrère concernant notre principal partenaire qui est le partenaire allemand. Un diplomate allemand me disait tout à l'heure qu'il n'y avait donc pas un large accord autour de la table, mais un scepticisme partagé de la part de l'Allemagne, d'autres petits pays européens et de la part de la Pologne qui fait partie du triangle de Weimar. Sur quoi ont porté exactement ces divergences ? Sur les modalités de la conduite des opérations militaires ?
R - M. Juppé - Moi, je suis un esprit basique, il y a les discussions avant décision et puis il y a la décision. La décision est là ; elle est tout à fait explicite. Je le répète : «EU and its Member States are determined to act collectively and resolutely, with all international partners, particularly the Arab League and other regional stakeholders, to give full effect to these decisions», celle du Conseil de sécurité et de celle du Sommet de Paris. Je ne sais pas comment il faut dire les choses ! Les Etats membres et l'Union européenne sont déterminés pour agir collectivement et résolument avec tous leurs partenaires internationaux, en particulier les pays de la Ligue arabe et les autres acteurs régionaux pour donner leur plein effet à ces décisions. Alors, qu'avant il y ait eu des sensibilités différentes, peut-être mais moi je me réfère à cela et c'est cela qui me conduit à vous dire qu'il y a une cohésion de l'Union européenne sur ces points, avec des degrés d'enthousiasme différents peut-être, mais ce qu'il faut c'est la décision. J'observe d'ailleurs que le degré d'enthousiasme est faible chez ceux qui n'ont pas d'avions dans le ciel, c'est donc moins grave.
Q - N'y a-t-il pas un risque contenu dans les contraintes de la résolution de l'ONU, un risque de statu quo de la situation en Libye ? Le jour où le colonel Kadhafi sera privé de ses moyens d'agression mais que les insurgés n'auront pas les moyens de se débarrasser du colonel Kadhafi par exemple ?
R - M. Juppé - Je ne veux pas rentrer dans les différentes hypothèses possibles. Vous avez tout à fait raison, on va suivre l'évolution de la situation et nous envisageons, une fois que la période d'intervention militaire sera bien avancée, de réunir les différents partenaires pour maintenant promouvoir ou proposer une solution politique. Il est bien évident qu'il va falloir réunir les différents acteurs à commencer par le Conseil national de la transition, peut-être d'autres. On insiste beaucoup notamment sur la réalité tribal en Libye, il y a sans doute des choses à faire de ce côté-là pour essayer de pousser une solution alternative mais qui soit décidée par les Libyens.
Q - Pourriez-vous nous préciser l'action, l'opération militaire de l'Union européenne ? Quand démarrerait-elle ? Avec quels moyens ? Y a-t-il vraiment une unité d'engagement de moyens militaires en support ? Est-ce que concernant les réfugiés, cela consiste à les repousser ou à les accueillir ? Sur l'Union africaine, on n'en parle pas, eux, sont totalement réticents à une action militaire ?
R - M. Juppé - Pas de moyens militaires, je vous l'ai dit, a priori. Sur les détails de l'opération, la planification est en cours, je ne peux donc pas vous répondre. Sur les réfugiés, lorsqu'il y a des personnes en situation de détresse, en général, on ne les repousse pas à la mer, on ne les renvoie pas dans les bateaux, on essaye de les accueillir et de les traiter dignement. L'Union africaine, c'est vrai, n'a pas pris de position très unanime sur cette opération, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous allons poursuivre notre dialogue avec ses principaux responsables, notamment avec le président de la Commission, M. Jean Ping, et plusieurs pays africains ; nous sommes en discussion avec eux. Il est très important, effectivement, de les associer à l'opération, de les convaincre, de les entraîner puisque beaucoup d'entre eux sont des voisins de la Libye ; leur participation est évidemment essentielle.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2011