Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la défense et la promotion de la langue française et la francophonie, Paris le 9 mars 2011.

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Circonstance : Lancement de la semaine de la langue française et de la francophonie à Paris le 9 mars 2011

Texte intégral


Pourquoi célébrer la langue française ? Pourquoi chaque année, au mois de mars, lui consacrer une « semaine » ? Quel besoin avons-nous de nous pencher durant ces quelques jours sur ce qui nous permet aussi naturellement et aisément d'échanger et de nous comprendre ?
Cette langue, des maîtres nous l'ont enseignée et continuent de le faire avec talent et engagement auprès des jeunes générations. Nous l'utilisons à chaque instant, sans paraître accomplir une performance telle qu'elle justifierait une célébration annuelle.
La Semaine de la langue française, c'est un arrêt sur les mots, comme on fait « un arrêt sur image ». Car le propre d'une langue, c'est de disparaître derrière les mots qui l'incarnent. Partir des mots, c'est faire entendre la langue, l'approcher dans sa matérialité singulière et sonore ; c'est permettre de mieux en appréhender la richesse, l'histoire, l'évolution.
Dans la course du quotidien, on s’arrête rarement sur les mots, à moins d’être linguiste, terminologue, lexicographe ou traducteur. Et pourtant, si l’on en prend le temps, c’est l’une des meilleures manières de parler ensemble de notre langue, d’en percevoir les enjeux, le rôle qu'elle joue dans la construction de soi, dans la vie sociale de chaque citoyen, dans l'accès aux savoirs et aux imaginaires.
S'il faut partir des mots, c'est parce que ceux-ci ne sont pas interchangeables : un mot et tout est sauvé, un mot et tout est perdu, écrivait André Breton dans « Le revolver à cheveux blancs ».
Pas davantage que les mots, les langues ne sont interchangeables : chacune est l'expression singulière d'un rapport avec le monde. Chaque langue raconte le monde à sa manière, comme dans une imperceptible histoire parallèle. Des mots du passé tentent d’appréhender de nouvelles réalités, d’autres anticipent sans le savoir sur ce qui est encore à advenir : c’est précisément ce décalage qui donne du fil à retordre au terminologue, et qui fait le bonheur de l’écrivain. Concevoir une langue comme un simple outil de communication, en oubliant qu’elle est l'expression changeante d'une culture, c'est au fond ôter à l'être humain sa capacité de douter, de rêver, de se tromper, de créer, bref n'en faire que le vecteur des transactions et des émotions formatées.
Et parmi les fonctions essentielles d'une langue, il y a également la capacité à donner une forme aux liens de solidarité.
Langue partagée, en France et plus largement dans le monde par 220 millions de locuteurs, le français est ce qui nous relie le plus spontanément, ce qui permet immédiatement de nous reconnaître dans l'appartenance à une communauté d'idées, de valeurs, de références. C'est bien la langue qui nous permet de « faire société ». Etant entendu, bien sûr, que chacun de nous est porteur d'appartenances et de solidarités multiples, qui ne peuvent qu'enrichir le lien avec la langue française.
Or si j'évoque, à propos de la langue française, la nécessité de faire un arrêt sur image, c'est bien pour en saisir le mouvement. Car le français évolue en permanence, il suffit pour s'en rendre compte de tendre l'oreille dans la rue, dans les transports, dans les cafés, dans les cours d'écoles, ou d'ouvrir son ordinateur et de se promener sur la Toile.
L'Etat, à sa manière, participe à cette évolution : il confie à d'éminents spécialistes, les membres des commissions de terminologie et de néologie, le soin de proposer des termes français précis, clairs, et définis avec soin, pour désigner les réalités et les concepts du monde contemporain. Je suis très admiratif de ce travail, j'ai eu l'occasion de le dire il y a deux mois en recevant des représentants de ce que l'on appelle le dispositif d'enrichissement de la langue française. Dans les sciences et les techniques, nous avons besoin d'un vocabulaire français qui s'adapte en permanence et avec rapidité aux évolutions technologiques et aux avancées de la pensée. Il en va de l'avenir et du rayonnement de notre langue au plan international.
J'ai souhaité cependant que l'on aille un peu plus loin dans cette démarche, en ouvrant, non pas pour le vocabulaire très spécialisé qui concerne finalement un nombre réduit de professions, mais pour des termes qui ont vocation à s'implanter dans l'usage, ce dispositif au grand public. Il s'agit de permettre aux internautes de participer à l'élaboration du vocabulaire recommandé, d'émettre un avis sur les choix effectués par les commissions de terminologie, de participer à des consultations pour chercher à obtenir le terme français le plus approprié, d'être tenu informé de la publication au Journal officiel de ce vocabulaire.
Pour cela, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France a élaboré un nouveau « wiki ». Un « wiki », vous le savez tous mieux que moi, ce n’est pas une variante dyslexique du surnom que l’on pourrait donner parfois par erreur, dans le feu de l’action des terrains de rugby, à nos amis néo-zélandais. Je vous parle bien sûr de ce merveilleux outil contributif qui est né avec l’internet. Avec « wikiLF » - (LF comme langue française) -, on disposera donc d’un outil collaboratif qui permettra à tous ceux que la langue française intéresse de pouvoir participer à son enrichissement.
Je souhaite également aller plus loin dans un autre domaine, celui de la traduction, parce que le français n'a rien à gagner s'il ne dialogue pas avec les autres langues. Traduire, c'est préserver la fonctionnalité d'une langue, en permettant aux idées et aux imaginaires qu'elle exprime d'être largement diffusés dans le monde. Le rapport de force entre les langues est tel aujourd'hui que si nous n'avons pas l'assurance, dans le domaine de la recherche notamment, d’être compris, grâce à la traduction, d’un public non francophone, nous pourrions être tentés de renoncer à nous exprimer en français, et donc à «penser » en français.
Il faut aussi, je crois, dans les différentes disciplines scientifiques, prendre en compte la réalité du système d'évaluation, qui fait que les chercheurs sont désormais jugés sur leurs taux de citation en ligne dans des publications essentiellement en anglais. C'est pourquoi, j'ai décidé, avec le concours de la DGLFLF, du CNL, du CNRS et de l'Institut français, de mettre en place un programme de soutien à la traduction et à la mise en ligne en anglais de la production scientifique française dans le champ des sciences sociales et humaines, suivant un principe simple : traduire et mettre en ligne en anglais pour pouvoir penser et produire en français – tout en garantissant au chercheur le référencement et la visibilité internationale dont il a besoin.
Pour terminer ce propos, je voudrais vous dire quelques mots sur la Semaine de la langue française elle-même. Et revenir ainsi à mon propos liminaire : pourquoi célébrer la langue française ? Je partirai d’un constat simple : l'usage d'une langue ne se décrète pas dans le marbre des textes de lois ou des académies. Les textes légaux et réglementaires ne peuvent suffire à eux seuls à garantir l'emploi de notre langue dans la société. Le français est l'affaire de tous, et son emploi dépend d'abord de l'intérêt qu'y portent les citoyens, de la curiosité, de l'appétit dont ils font preuve à son égard, de leur vigilance aussi pour relever des situations où notre langue n'a pas la place qui lui revient.
Ce que je propose, aux côtés de mes collègues de l'Education nationale et des Affaires étrangères, avec cette Semaine de la langue française, c'est donc un cadre festif et ludique qui permette à chacun d'exprimer son attachement à notre langue commune, fût-ce de la façon la plus modeste. Sur cet attachement de nos concitoyens, je n'ai d'ailleurs aucun doute : j'en veux pour preuve leur amour jamais démenti pour les dictionnaires, les dictées, les mots croisés, leur intérêt pour tout ce qui touche à l'orthographe. La France, c’est aussi un pays où l’on trouve des sages de la langue, comme Alain Rey, pour écrire un Dictionnaire amoureux des dictionnaires.
Je ne vais pas livrer devant vous un catalogue fastidieux de manifestations qui, elles, ne le sont pas du tout, mais si je pioche au hasard dans le programme de cette Semaine, j'y trouve d'innombrables manifestations qui se sont données pour mission de séduire avec les mots. Un « bal littéraire » au Dansoir Karine Saporta, une « dictée pour les nuls » au Salon du livre, une « journée des dictionnaires » à Cergy Pontoise, une « bataille d'écritures » en ligne en Bourgogne, des « caravanes des dix mots » dans plusieurs régions de France, caravanes qui se muent en « camion des mots » sur les routes d'Auvergne, un « pilou des mots » en Nouvelle Calédonie, un festival « Sidération » à Paris pour explorer les imaginaire spatiaux... Sans oublier les nombreuses manifestations qui se tiennent partout dans le monde où le français est en partage, au Québec, en Belgique, en Suisse, mais aussi en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Bref, avec 2 000 manifestations en France et dans le monde il y a de quoi satisfaire tous les amoureux ou simples curieux de notre langue, avec comme principe fédérateur le plaisir d'apprendre, de découvrir, de partager.
Ce programme ne pourrait vous être proposé sans les différents partenaires qui ont contribué à sa réalisation.
Partenaires institutionnels, d'abord, avec le Ministère des Affaires étrangères et européennes, qui coordonne le vaste programme de manifestations dans le monde, le ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, pour ses nombreuses actions éducatives en faveur de la langue française. Je rends un hommage tout particulier au Centre national de documentation pédagogique, qui a mis à disposition des enseignants de très riches ressources pédagogiques sur le site « dis-moi dix mots ».
Partenaires médias, ensuite, dont l'engagement en faveur de la langue française est fidèle et fervent : je veux parler de L'Express, Métro, TV5 Monde, France Télévisions, Radio France, evene.fr, RFI... Sans oublier les initiatives sur la Toile de Plus belle la langue française et du Slam.org.
Les éditeurs, enfin, avec Le Robert, naturellement, mais aussi Autrement, Belin, First Editions, L'Ecole des loisirs, le Livre de poche et Le Seuil.
Dans ce long propos, j'ai volontairement omis une discipline qui s'est fait une place de choix parmi les cultures urbaines. Une discipline qui fait swinguer la langue française, la rythme en beauté, lui donne puissance et éclat, une discipline ouverte à tous, jeunes et moins jeunes – je m'y suis moi-même essayé il y a un an – et qui fera l'objet durant cette Semaine d'un nombre incalculable de tournois, joutes, concours dont les maîtres mots sont l’inventivité et la générosité : c’est bien sûr le slam, dont l'un des représentants les plus talentueux nous fait le plaisir de parrainer cette Semaine de la langue française, et d'être parmi nous aujourd'hui. Je parle de Grand Corps Malade, que je suis très heureux d'accueillir.