Texte intégral
Mesdames et Messieurs les députés,
Ce soir nous évoquons un double sujet : la culture et la santé publique. Ces deux valeurs fortes de notre pays, ne doivent pas s'altérer l'une au contact de l'autre bien au contraire.
La culture appartient à tous, c'est une valeur collective dans laquelle chacun d'entre nous se retrouve, elle appartient à chacun d'entre nous et c'est pour ça que nous devons la défendre. Pour que les représentations qu'elle utilise, les réalités qu'elle représente ne soit pas travesties au motif et sous prétexte du respect stricte de la législation française. Une telle sur-interprétation du droit est dangereuse et ne doit pas être acceptée. Car elle peut rapidement conduire à de véritables falsifications de la réalité culturelle.
Je le répète, ce bien commun qu'est la culture, appartient à chacun de nous, il constitue notre identité commune et nous nous devons de le préserver.
L'objet de la PPL qui vous a été présentée partait sans aucun doute d'une bonne volonté évidente, et du souci, que je partage comme je viens de vous le dire, de défendre notre patrimoine culturel.
C'est pourtant, parfois, en affichant la volonté de le défendre qu'on peut le menacer, car les intentions les meilleures peuvent comporter des risques ! Et je crois que nous devons rester extrêmement vigilants face aux stratégies développées par l'industrie du tabac pour faire reculer le cadre législatif français de prévention du tabagisme.
Jamais la loi EVIN n'a contesté ni mis en question la préservation du patrimoine culturel. Jamais le Ministère de la Santé, ni d'ailleurs les associations qui ont le droit d'ester en justice, n'ont attaqué une œuvre culturelle véhiculant l'image du tabac. Comment peut-on envisager, au nom de la santé, censurer la cigarette d'Humphrey Bogart dans un film noir ? Que serait Serge Gainsbourg sans les volutes de fumée de sa cigarette ?
N'est-il pas proprement exagéré, voire ridicule, de remplacer la pipe de Jacques Tati par un moulin à vent ? N'est-ce pas même une sorte de provocation de remplacer sciemment la cigarette de Jacques Tati par un moulin, en attirant ainsi encore plus l'attention sur l'absence de cette pipe ?
S'il apparaît, comme à beaucoup d'entre vous, en effet très important de protéger le patrimoine culturel dans son intégrité, ce patrimoine culturel, lui, ne peut pas être pour ou contre le tabac...car il est par définition un espace de liberté que nous n'avons pas le droit de menacer.
Et pourtant, n'est-il pas légitime de veiller à ce que cet espace de libre expression ne menace pas en retour la santé publique ?
Cette PPL constitue un danger, par une manière détournée, de porter une première atteinte à la loi EVIN. Inscrire les dispositions proposées dans cette PPL dans le code de la santé publique constituerait en effet une brèche irréversible : et d'ailleurs, le Haut Conseil de la Santé Publique n'a pas manqué de nous confirmer cette position, pas plus tard qu'hier.
En effet, en dépit de toutes les précautions possibles, rien ne pourrait plus s'opposer à l'utilisation déviée, par un biais « artistique », et via des canaux difficilement identifiables, de l'imagerie du tabac, accumulée par les industriels notamment.
Et la valorisation forte qui en découlerait, en termes d'exposition médiatique, ne manquerait d'ailleurs pas de s'apparenter très fortement à de la publicité.
Après 35 ans de lutte anti-tabac, et à l'heure où le tabagisme ne baisse plus en France, le tabac reste dans notre pays la première cause de mortalité évitable. Alors que le cancer du poumon augmente chez les femmes, et que 250 000 jeunes commencent à fumer tous les ans (dont nous savons que la moitié en mourra), il serait irresponsable de donner à l'industrie du tabac la possibilité de valoriser ses produits nocifs, à travers des images ou des objets artistiques.
Vous avez, nous avons, en outre, Mesdames et Messieurs les députés, non seulement une responsabilité nationale, mais aussi une responsabilité internationale dans la lutte contre le tabagisme. Ne l'oublions pas. Avec environ 30% de fumeurs réguliers, nous sommes loin de l'objectif d'une prévalence inférieure à 20% en Europe, fixée par l'OMS. Comment laisser également supposer une seconde que la convention cadre de lutte contre le tabac de l'OMS, signée par la France, et ratifiée par ce Parlement, serait liberticide ? La Cour européenne des Droits de l'Homme, en mars 2009, a déclaré que, compte tenu de l'importance de l'objectif de protection de la Santé publique, la loi française concernant le tabac ne remet pas en cause la liberté d'expression. Prendre le risque de revenir sur ces points, ce serait un signal désastreux de notre pays, envoyé à tous les pays du monde. Car ce sont bien l'ensemble des pays qui, actuellement, peinent à mettre en place une action plus efficace contre le tabagisme, dans un contexte où celui-ci ne cesse de progresser, de même que l'industrie du tabac ?
Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le député Mathus,
Face à ces dangers, à ces risques de dérives, je crois que nous pouvons vraiment prendre en compte le souci légitime de protéger le patrimoine artistique, sans pour autant baisser la garde par rapport au tabagisme ! Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires. C'est pourquoi je vous propose, pour toutes les raisons que je viens de vous exposer concrètement, de ne pas aller jusqu'à un projet de loi, mais je m'engage au nom du gouvernement à ce qu'une circulaire ministérielle permettant de concilier nos objectifs respectifs soit publiée d'ici à 15 jours.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 29 mars 2011