Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les grands axes de la politique de l'investissement en faveur de la recherche et de l'innovation, à Paris le 25 mars 2011.

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Circonstance : Annonce de la liste des lauréats de l'appel à projets "Laboratoires d'excellence", à Paris le 25 mars 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je demandais à l'instant à René Ricol si la liste était connue. Il me dit : "elle n'est pas connue, mais enfin ceux qui ont été invités sont ceux qui ont été sélectionnés". C'est donc plus facile de s'adresser à vous aujourd'hui, qu'à l'ensemble de ceux qui ont posé leur candidature. Mais je veux vous dire à mon tour qu'en désignant les lauréats de l'appel à projets "Laboratoires d'excellence", on va vraiment marquer une étape très importante dans la réalisation de notre programme d'investissements d'avenir.
Ce programme, je le répète après Valérie, nous l'avons décidé à un moment où la France, comme tous les grands pays développés traversait une crise économique extrêmement sévère.
Cette décision de consentir un effort considérable pour préparer l'avenir n'était pas une décision qui allait de soi dans un contexte où les impératifs de court terme auraient pu nous dicter notre politique économique.
Mais de même que la France a été l'un des premiers pays à annoncer un plan de relance et à le mettre en œuvre, nous avons voulu, très tôt, passer à une phase de renforcement de notre compétitivité, avec la conviction que notre prospérité, pour les décennies qui viennent, dépend des impulsions scientifiques et technologiques qui sont initiées aujourd'hui.
Renouer avec l'investissement dans la recherche et l'innovation, c'était une nécessité qui s'imposait à nous avant la crise. Eh bien, c'est une nécessité que la crise a rendue encore plus urgente.
Pendant trop longtemps, en France, la part de l'investissement dans la dépense publique a diminué alors même que celle des dépenses courantes augmentait.
C'est exactement le contraire que nous devons faire si on veut répondre au double défi du désendettement et de la compétitivité.
La maîtrise budgétaire et l'investissement sont, plus encore que par le passé, des efforts parallèles, des efforts convergents.
Investir dans l'avenir, c'est aussi, à terme, consolider notre budget.
C'est de la croissance, ce sont des emplois, ce sont de nouvelles recettes qui vont contribuer au redressement de nos finances publiques.
Les analystes savent d'ailleurs bien que la crise de la dette souveraine est aussi liée à une croissance insuffisante, qui compromet la capacité de certains pays à rembourser leurs emprunts et donc leur possibilité de se financer sur les marchés publics.
Rarement la France a autant investi dans l'économie de la connaissance.
C'était un engagement très fort du président de la République en 2007 et cet engagement a été tenu, malgré les difficultés budgétaires que nous avons rencontrées et malgré la crise que nous n'avions évidemment pas prévue.
Nous avons donné l'autonomie aux universités. Nous leur avons donné les moyens de cette autonomie – avec une augmentation des crédits de près de 20% depuis 2007, et qui atteindra 40 % en 2012, sans compter l'apport des investissements d'avenir, ni l'effort exceptionnel consenti dans le cadre de l'opération Campus.
Nous avons renforcé les Pôles de compétitivité.
Nous avons triplé le crédit impôt recherche pour soutenir la recherche privée qui était notoirement insuffisante dans notre pays.
Vous savez bien qu'il y avait urgence à agir, parce que en France la part des dépenses de recherche et développement dans le PIB baissait depuis plusieurs années.
En 2008, nous avons inversé cette tendance !
Pour la première fois depuis 2003, les dépenses de R&D de nos laboratoires et de nos entreprises ont augmenté en proportion du PIB, et cette dynamique s'est confirmée en 2009.
Nous sommes aujourd'hui le premier pays européen choisi par les investisseurs internationaux pour l'implantation de centres de recherche et de développement.
Nos efforts sont en train de payer.
On le voit aussi en matière de brevets.
Pour la première fois en quatre ans, le nombre de brevets déposés en France est en hausse, que ce soit du côté de la recherche publique ou du côté des entreprises, alors même - pardon de cette comparaison mais c'est une comparaison que nous faisons dans bien des domaines – alors même qu'en Allemagne, il y a une baisse aujourd'hui enregistrée du nombre des brevets. Ce n'est pas pour m'en réjouir, mais c'est pour dire pour une fois qu'on peut afficher un résultat qui est meilleur que nos amis allemands, il ne faut pas s'en priver.
Pour les entreprises, le nombre de brevets déposés en 2010 a augmenté de 4,7 % par rapport à 2009.
Pour les PME, le chiffre est de 10 %, ce qui est à mettre en relation avec le fait que nous avons divisé par deux le coût du dépôt des brevets.
Le programme d'investissements d'avenir contribue à cette dynamique de redressement de l'innovation.
La mobilisation qu'il suscite est extrêmement forte, puisque depuis l'an dernier, plus de 1200 projets nous ont été soumis. C'est évidemment plus que ce que nous pouvions attendre.
Que ces projets soient ou non sélectionnés, nonobstant les vagues évoquées tout à l'heure par René Ricol, le processus a des effets bénéfiques pour tous ceux qui s'y sont engagés. La réflexion a été stimulée. Des synergies se sont créées. Des partenariats se sont noués autour d'ambitions communes.
Tous les secteurs innovants de notre économie vont être irrigués par ce programme.
Il vaut la peine d'en donner quelques exemples qui n'épuisent évidemment pas l'ensemble des domaines concernés.
Mais on va travailler sur une nouvelle génération d'avions et d'hélicoptères, plus performants et moins polluants. Dans le secteur aéronautique certaines des technologies utilisées sont parfois vieilles de quarante ans. Il y a des pistes à explorer, comme une plus grande intégration des matériaux composites.
On va soutenir le nucléaire de 4e génération, c'est-à-dire un nucléaire plus sûr.
Je pense aussi à l'agriculture, qui doit concilier l'impératif de productivité et celui de protection de l'environnement, avec la nécessité de réduire l'utilisation des produits chimiques. On va soutenir beaucoup de projets sur ce thème.
On va soutenir aussi la mise au point de nouveaux matériaux issus de produits agricoles, qui seront meilleurs pour l'environnement et pour notre santé.
Cela va multiplier les débouchés pour les agriculteurs et susciter l'émergence en aval de nouvelles filières industrielles.
Je pense aux applications médicales des biotechnologies.
Alors que les médicaments issus du vivant sont amenés à occuper une place croissante par rapport à ceux issus de la chimie, la France doit rester en pointe.
C'est un enjeu pour les patients, évidemment parce que les "biomédicaments" permettront des thérapies plus efficaces pour traiter certaines pathologies.
Mais c'est un enjeu aussi pour un secteur d'activité qui emploie 100 000 personnes en France et qui contribue de façon très positive à notre balance commerciale à hauteur de près de 7 milliards d'euros.
Vous savez que c'est un domaine dans lequel il y a urgence à agir, puisque nous comptons 4 fois moins d'entreprises de biotechnologie cotées en Bourse que le Royaume-Uni.
Nous allons également encourager l'innovation par une politique ambitieuse de brevets.
Dans le cadre des investissements d'avenir, l'Etat, associé à la Caisse des Dépôts, a décidé de créer le dispositif France Brevets, doté de 100 millions d'euros, qui acquerra des droits sur les brevets issus de la recherche publique et privée en vue de les valoriser, et en particulier de les valoriser auprès des petites et moyennes entreprises.
Cela permettra d'offrir des ressources nouvelles aux laboratoires de recherche et de donner accès à nos entreprises à des technologies qui sinon leur seraient interdites.
Le programme d'investissements d'avenir fait une part très grande à l'enseignement supérieur et à la recherche, puisque sur les 35 milliards d'euros engagés, près de 22 milliards leur sont consacrés.
C'est d'abord une source de financements nouveaux, qui viennent s'ajouter aux financements classiques.
Nous avons choisi de les apporter en grande partie sous la forme de dotations en capital.
A cette échelle, ce dispositif est une nouveauté dans notre pays, alors que vous savez bien qu'il est courant dans la plupart des grandes universités étrangères.
Je crois que c'est un dispositif qui apporte une garantie de pérennité, de régularité, de récurrence des ressources, et qui donne tout son sens à l'autonomie des universités.
Parce que le potentiel scientifique et technologique d'un pays se construit sur le long terme, la continuité est au cœur de l'ambition qui prévaut dans les modalités de financement retenues.
Ce programme, c'est aussi une impulsion nouvelle donnée à la restructuration de notre système d'enseignement supérieur et de recherche.
Nous misons sur l'excellence, parce que nous devons faire émerger des centres de recherche qui soient capables de rayonner sur le plan international.
L'excellence n'est pas un facteur de division, ça n'est pas une menace pour la stabilité de notre système. C'est une dynamique qui bénéficie à l'ensemble des acteurs.
Ce que nous voulons, c'est que l'excellence de nos structures réponde à celle de nos chercheurs eux-mêmes.
Nos chercheurs sont reconnus, leurs réussites sont nombreuses mais on ne peut pas ignorer les défis que lance la mondialisation qui met en avant le poids et l'organisation des structures.
Comment pourrons-nous attirer les chercheurs étrangers, comment pourrons-nous garder ceux que nous avons formés, si nous ne disposons pas de centres de recherche de tout premier plan, où les conditions de travail soient à la hauteur des talents de chacun ?
Au fond, notre modèle a changé.
C'est vrai que ces dernières décennies, nous avons multiplié les petites universités, un peu partout en France. Pour être franc, je n'ai jamais été très favorable à ce projet. Il m'est arrivé de me battre, assez solitaire, au Sénat. Je me souviens d'un débat très très long pour essayer d'expliquer aux sénateurs que le concept d'université thématique était difficile à comprendre. J'ai été battu à 99 %, mais je m'enorgueillis de dire que je dois être un des seuls ministres de la Recherche - ancien ministre de la Recherche - qui était maire d'une ville de 15.000 habitants, qui n'a jamais cherché à installer une unité d'enseignement supérieur dans sa ville.
Alors, il ne faut pas être trop sévère envers l'idéalisme qui consistait à vouloir doter chaque parcelle du territoire de son université et à offrir à l'ensemble de nos concitoyens des formations de proximité.
Mais il faut reconnaître aussi que c'était négliger l'importance qu'il y a, pour nos structures, à être visibles sur la scène internationale.
Rechercher l'excellence, c'est reconstruire un modèle plus conforme au rayonnement de notre pays, et plus conforme aussi, je le crois profondément, aux exigences de la recherche elle-même.
Le rendez-vous qui nous réunit est donc une étape au sein d'une démarche qui prend peu à peu toute son ampleur.
Il y a eu la sélection des projets d'équipements d'excellence.
Il y a, à présent, celle des laboratoires d'excellence.
Et il y aura, prochainement, celle des initiatives d'excellence, qui va faire émerger des Pôles d'enseignement supérieur et de recherche capables de rivaliser avec les plus grandes universités du monde.
Il faut ajouter la sélection et la mise en place de nouvelles structures spécifiques – les Instituts hospitalo-universitaires, les Instituts de recherche technologique ou les Instituts d'excellence sur les énergies décarbonnées – qui vont contribuer à cette refondation du paysage de la recherche.
Je veux, Mesdames et Messieurs, saluer la grande qualité de toutes les propositions que nous avons reçues pour cet appel à projets "laboratoires d'excellence".Je veux saluer le très haut niveau des équipes qui les ont présentées.
J'y vois la marque de l'étendue et de la compétence de notre communauté scientifique.
Je note la diversité des lauréats, parmi lesquels se trouvent des grandes et des petites équipes, largement réparties sur tout le territoire, ou presque – j'ai noté que l'Ouest avait encore besoin d'être renforcé, non pas à travers l'action des choix de projets, mais à travers les investissements pour créer le terreau propre au développement de la recherche.
Qu'il s'agisse des recherches en électrochimie pour développer de nouvelles formes de stockage d'énergie, de l'analyse de l'évolution du climat, de l'étude cognitive du multilinguisme, du développement de nouvelles technologies médicales, nos chercheurs vont avoir les moyens d'être mieux reconnus, de conquérir des positions fortes et parfois de prendre de l'avance.
Nous avons choisi de faire appel à des jurys internationaux parce que notre ambition nationale doit être confrontée à l'excellence internationale.
Franchement, ce n'est pas une décision facile assumer pour les responsables politiques, je vous le dis, et le mardi et le mercredi à l'Assemblée nationale, je reçois beaucoup, beaucoup de messages émanant de tous les bancs de l'Assemblée nationale, pour me dire que c'est un système opaque, c'est un système auquel ils ne comprennent rien, c'est un système dans lequel ils n'ont pas confiance. On aurait pu rester entre nous… Mais nous nous avons voulu l'ouverture et nous avons voulu la rupture avec les procédures d'hier.
Hors de nos frontières, la communauté scientifique porte une attention de plus en plus grande à notre programme d'investissements d'avenir.
Et hors de nos frontières, il se dit, grâce à ce programme, que la France a choisi de jouer la carte de l'intelligence.
On a voulu que ce programme soit de niveau mondial.
On a voulu qu'il donne aux acteurs de la recherche la possibilité de réaliser leurs aspirations les plus hautes.
On a voulu qu'il respecte l'esprit et la logique de la recherche scientifique.
Les financements de ce programme sont garantis dans la durée, parce que la recherche a besoin de temps et elle a besoin de liberté.
Il faut ménager la part du hasard, la part de l'imprévisible, la part de la surprise – la part de ce que les Anglo-Saxons appellent du joli nom de serendipity, qui exprime le fait qu'on ne trouve pas toujours ce que l'on cherchait, mais que l'on trouve parfois ce que l'on ne cherchait pas.
Les recherches trop fléchées ne sont pas toujours les plus fécondes en résultat. Et le gaulliste que je suis a toujours regretté cette formule stupide du général de Gaulle : "on veut des chercheurs qui trouvent."
Il faut effectivement, évidemment, soutenir les programmes – c'est la première fois que je dis du mal du général de Gaulle en public – il faut évidemment soutenir les programmes qui travaillent sur des avancées prévisibles.
Il faut aussi soutenir les recherches les plus fondamentales, parce qu'elles sont l'honneur de l'intelligence humaine, mais aussi parce qu'elles donnent parfois lieu à des applications inattendues mais particulièrement décisives.
En travaillant sur les électrons dans les années 70, Albert Fert ne soupçonnait absolument pas que les résultats de ses travaux allaient permettre de concevoir les disques durs de nos ordinateurs. Et les recherches menées par Cédric Villani, aux frontières des mathématiques et de la physique, auront peut-être des applications dans l'organisation des réseaux, et plus tard encore, dans d'autres secteurs pratiques avec lesquels des connexions feront jour alors que nous n'en avons pas encore l'idée.
Le programme d'investissements d'avenir relève d'une stratégie politique, mais il entend préserver la spécificité des démarches qui sont propres à la science et non les dénaturer en les soumettant à des visées de court terme.
Encourageons les chercheurs dans les audaces intellectuelles qui sont indispensables au libre exercice de leur vocation.
Mais ne laissons pas échapper – comme ce fut parfois et même souvent le cas en France – les applications inouïes qui peuvent naître de nos recherches les plus fondamentales.
Dans vingt ou trente ans, il y aura, dans nos maisons, dans nos voitures, dans nos existences quotidiennes, des objets nouveaux ou des manières de faire et de penser que ce programme d'investissements aura sans doute contribué à faire émerger.
Et peut-être des problèmes qui nous paraissent aujourd'hui insolubles ne se poseront-ils plus de la même façon.
D'autres seront peut-être apparus qui nécessiteront de nouveaux efforts de pensée.
En somme, on peut dire que l'Histoire n'est pas finie et que la connaissance reste le moteur du progrès.
Mesdames et Messieurs,
En l'espace de trois années, trois événements majeurs se sont enchaînés, et ils ne peuvent pas laisser insensibles les hommes et les femmes de pensée que vous êtes.
Il y a eu la crise financière et économique la plus brutale depuis un siècle, une crise qui a failli mettre à terre toute l'économie mondiale, une crise spéculative dont la nature folle replace la question de la condition humaine et de la maîtrise de nos destins au cœur de nos interrogations.
Il y a eu la révolte soudaine de plusieurs peuples arabes qui peuvent complètement redessiner les équilibres du monde méditerranéen et les relations entre l'Occident et l'Orient. Pour le meilleur, si la transition politique dans ces pays réussit; et pour le plus inquiétant si cette transition, par malheur, devait échouer.
Et puis, il y a la terrible crise nucléaire de Fukushima qui frappe le Japon, et qui, au-delà de ce pays, interpelle les opinions publiques qui oscillent entre l'aspiration au risque zéro et la fascination pour les avancées technologiques.
Eh bien, ce ces trois grands événements qui marquent le début de siècle, je veux tirer quelques leçons.
La première leçon, c'est que dans un monde aussi bousculé et agité, nos querelles intérieures apparaissent terriblement décalées.
L'unité nationale et l'ouverture internationale sont plus vitales que jamais.
La deuxième leçon, c'est que l'Union européenne et l'Europe politique sont des évidences absolues.
Face aux 7 milliards d'habitants que compte notre planète, l'isolement national n'a absolument aucun sens.
Lorsque j'entends certains responsables politiques dire qu'il faut nous dégager de l'Union européenne et refermer nos frontières, il est clair qu'ils se trompent totalement d'époque.
La troisième leçon, c'est que les épreuves du monde extérieur devraient modifier le regard que nous portons sur nous-même.
Je ne suis pas de ceux qui éludent les difficultés de notre pays, ni qui ignorent ses blessures, mais il est temps et il est juste de mesurer les chances et les atouts qui sont ceux de la France.
A force de peindre constamment notre nation sous ses aspects les plus sombres, nous étouffons les forces d'espérance qu'elle possède.
A force de scepticisme, nous sous-estimons le privilège d'être une nation libre, une nation en paix avec elle-même et ses voisins, une nation dont les richesses économiques, les protections sociales, les infrastructures, les forces agricoles et industrielles, la capacité d'innovation technologique demeurent immenses.
Il faut mesurer cette chance; il faut s'appuyer sur elle avec résolution et avec fierté. Il faut se mobiliser ensemble pour que cet héritage qui fait notre fierté, qui fait notre force nous entraîne toujours plus haut !
Aujourd'hui, parmi vous, en consacrant nos intelligences et nos efforts à la construction de l'avenir, j'ai la conviction que nous servons cette part d'idéal qui hisse la France vers le progrès.Source http://www.gouvernement.fr, le 27 mars 2011