Entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France 3" le 30 mars 2011, sur le sommet de Londres consacré à la Libye et la situation en Syrie.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - Bonsoir Alain Juppé, merci beaucoup d'être avec nous. Vous rentrez tout juste de Londres où s'est tenu ce Sommet sur la Libye. Faut-il s'attendre, Monsieur le Ministre, à une guerre longue ?
R - Merci d'abord de m'accueillir. J'espère de tout cœur que ce ne sera pas une intervention militaire longue, même si je ne peux pas aujourd'hui vous dire précisément combien de temps elle va durer.
Ce qui est important à Londres ou ailleurs, c'est qu'il ; y avait beaucoup de pays autour de la table, plus d'une trentaine, les Nations unies, la ligue arabe, l'Union européenne également et qu'un accord unanime s'est fait.
Un accord pour dire que cette intervention était nécessaire, qu'elle se déroulait en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité et qu'il fallait maintenir la pression, tant que les troupes de Kadhafi continueront à menacer les populations civiles comme elles sont en train de le faire aujourd'hui.
Il y a eu une forte détermination, il y a eu aussi un accord unanime pour dire qu'il fallait d'ores et déjà penser à la solution politique et aider les Libyens à bâtir eux-mêmes la Libye de demain. Et enfin, le troisième point très important a été la création d'un Groupe de contact qui va assurer le pilotage politique de l'Opération, pendant que l'OTAN en assure le commandement militaire.
Q - Monsieur le Ministre, armer les rebelles ne relève-t-il pas du vœu pieux ? Comment faire pour les désarmer ensuite et comment faire également pour éviter les vetos russes et chinois ? Je crois que le président Sarkozy en sait quelque chose aujourd'hui, après l'entretien qu'il a eu à Pékin avec le président chinois ?
R - Il n'y a aucune décision prise en ce sens, il a simplement été dit que nous respecterions à la lettre la résolution 1970 et la résolution 1973 du Conseil de sécurité qui prévoient un embargo sur les armes à destination de ce que l'on appelle la «Jamahiriya», c'est-à-dire le régime libyen.
Q - Un amiral américain a déclaré récemment que les rebelles libyens pourraient être infiltrés par Al Qaïda et par le Hezbollah. Confirmez-vous ?
R- Je ne peux pas confirmer des hypothèses. Nous travaillons avec le Conseil national de transition qui est constitué de personnalités responsables, je le crois. Ils viennent d'ailleurs de publier une «Charte pour la Libye nouvelle» qui énonce un certain nombre de principes qui nous conviennent tout à fait parce que ce sont des principes d'attachement à la démocratie qui n'ont rien à voir avec le fondamentalisme religieux.
Q - Vous avez, j'imagine, écouté le discours de Bachar el Assad aujourd'hui. Après ce discours très fermé, quel avenir voyez-vous pour la Syrie ?
R - C'est un discours très général, je ne suis pas sûr qu'il réponde véritablement aux attentes et je dirais même à la colère du peuple syrien. Il faut aujourd'hui des propositions concrètes pour répondre aux aspirations de ce peuple. Nous appelons vivement les autorités syriennes à aller dans ce sens. De même, nous avons condamné avec la plus grande vigueur l'utilisation de la violence contre les manifestations populaires.
Ceci n'est plus acceptable, où que cela se produise. Les gouvernements ne doivent plus utiliser des armes contre leurs populations lorsqu'elles s'expriment pour demander des libertés démocratiques.
Q - Bachar el Assad peut-il redouter le même traitement que celui qui est infligé à Kadhafi aujourd'hui Monsieur le Ministre ?
R - … Ne confondons pas, chaque situation est spécifique bien entendu.
Q - Ne pensez-vous pas que l'Iran tente de profiter de la situation dans la région ? N'y a-t-il pas pour vous, une politique insidieuse de l'Iran vis-à-vis de l'Arabie Saoudite et de ses voisins les Émirats ?
R - Je ne veux pas faire de suppositions, vous savez quelle est notre position par rapport au régime iranien. Nous lui demandons de se conformer strictement aux résolutions du Conseil de sécurité là encore et aux inspections de l'Agence internationale de l'Énergie atomique. Ce n'est pas le cas aujourd'hui et c'est la raison pour laquelle la France souhaite appliquer strictement, voire renforcer les sanctions qui sont prévues.
Par ailleurs, je connais les inquiétudes de beaucoup d'États de la région face au prosélytisme iranien dans un certain nombre de pays et nous sommes évidemment très préoccupés aussi par ces menées politiques, et parfois plus que politiques.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2011