Déclaration de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, sur les accords de partenariats de défense avec le Cameroun, le Gabon, le Togo et la République centrafricaine, à l'Assemblée nationale le 7 avril 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

J'ai l'honneur de soumettre à votre Assemblée la proposition de ratification des accords de partenariat de défense entre la France et quatre pays africains : le Togo, le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine. C'était une exigence de transparence qu'avait souhaitée le président de la République et qui constitue une avancée importante en termes de droit d'information du Parlement. Nos discussions aujourd'hui en sont l'illustration.
Par ailleurs, il est évident que la crise actuelle en Côte d'Ivoire illustre à nouveau - j'y reviendrai - cette aspiration au changement.

Jusqu'ici, les accords de défense n'étaient pas intégralement publiés, les clauses en demeuraient majoritairement secrètes. Ce qui change, c'est que nous sommes aujourd'hui dans la transparence, avec l'examen conjoint d'accords de partenariat de défense devant la représentation nationale.

Comment ne pas voir, en effet, que la donne a totalement changé ? La crise en Côte d'Ivoire en est la plus belle illustration, avec cette aspiration démocratique qui monte et les positions prises par les organisations régionales en faveur du respect de la démocratie dans ce pays.

La France, l'Europe et l'Afrique sont confrontées à des enjeux similaires : les enjeux climatiques, ceux liés aux trafics, les questions d'immigration, de développement, de coopération économique. Nos deux continents s'inscrivent donc dans un même dessein qu'il convient de construire ensemble, ce qui suppose de rénover nos liens, de refonder cette relation sur des bases plus saines, de renoncer aux vieux démons.

Les contours de cette renégociation ont été définis lors d'un discours du président de la République en Afrique du Sud il y a deux ans, le 28 février 2008. C'est ce discours fondateur qui marque la modernité et la nouveauté de nos relations transcontinentales. Il y était notamment précisé à quel point le lien entre l'Europe et l'Afrique était indissociable, à la fois pour notre prospérité et notre sécurité.

Ces accords reposent sur deux piliers. D'abord, ils ne comporteront plus de «clause de sécurité», c'est-à-dire de référence à une éventuelle intervention dans une crise intérieure. Ce type de clause ne correspond plus à la situation de l'Afrique d'aujourd'hui, où s'affirme de plus en plus la volonté de voir prédominer les systèmes de sécurité collective des Nations unies et de l'Union africaine. C'est d'ailleurs dans ce cadre que nos forces sont intervenues en Côte-d'Ivoire.

La crise en Côte d'Ivoire illustre en effet particulièrement bien ce point. Cette crise a été gérée par la CEDEAO et l'Union africaine dans le cadre des résolutions des Nations unies. Nos forces, en effet, ne sont intervenues que sur mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et à la demande de l'ONUCI. C'est seulement parce que l'ONUCI s'est tournée vers nous, en nous disant qu'elle n'était pas capable d'intervenir de façon efficace sur le terrain sans un soutien rapide des forces françaises, que nous avons décidé d'intervenir.
Nous avons décidé de le faire car les populations civiles étaient menacées par un usage inacceptable des armes lourdes, canons, mortiers tournés contre les populations et ayant déjà fait plus de 500 morts.

Notre volonté est claire. C'est ce que l'on peut appeler une «diplomatie du devoir» : assumer son devoir quand il s'agit de la protection des populations civiles ; assumer son devoir quand, dans le cadre d'une organisation régionale, il est fait appel à la France pour favoriser une transition démocratique ; assumer son devoir quand cela peut être fait dans un cadre défini par les Nations unies ; renoncer ainsi à une passivité coupable, renoncer à fermer les yeux, tentation à laquelle les diplomaties européennes ou occidentales ont trop souvent cédé par le passé.

Comme le dit le président de la République : «Je propose que la présence militaire française en Afrique serve en priorité à aider l'Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité», son propre avenir. C'est ce que fait Alain Juppé, inlassablement, dans le cadre de cette crise en Côte d'Ivoire.

La renégociation des présents accords a débuté en janvier 2009 et concerne huit pays. En l'état actuel des choses, quatre ont abouti. Permettez-moi de présenter tout d'abord les caractéristiques nouvelles.

Ces accords sont tous constitués d'un seul texte qui abroge toutes les conventions antérieures. Si plus aucune disposition pouvant conduire à une intervention dans une crise intérieure ne s'y trouve - je l'ai dit -, ils comportent des dispositions relatives au statut des membres du personnel et prévoient l'association de l'Union européenne.

L'accord conclu avec le Togo est un cas type : il correspond au dispositif de base commun à tous les pays, centré sur la coopération militaire.

L'accord signé avec le Cameroun est un peu différent de celui conclu avec le Togo, dans la mesure où la France dispose d'une mission logistique militaire à Douala.

Les accords de partenariat de défense avec le Gabon et la République centrafricaine sont spécifiques dans la mesure où ces deux pays accueillent des troupes françaises, de manière permanente pour le Gabon, dans le cadre d'une OPEX pour la République centrafricaine.
S'agissant du Gabon, le nouvel accord présente notamment deux particularités. Il contient une annexe relative aux facilités opérationnelles accordées aux forces françaises stationnées dans le pays. En outre, le préambule de l'accord fait référence aux mécanismes africains de sécurité collective. Je rappelle que la signature de cet accord ne modifie pas le dispositif des forces françaises présentes au Gabon.

Enfin, s'agissant de l'accord conclu avec la République centrafricaine, contrairement aux précédents accords avec ce pays, il ne comporte pas de clause d'assistance en cas d'exercice de la légitime défense, mais de simples échanges de vues sur les moyens d'y faire face.
Ces accords sont totalement transparents, publics, et tournés vers le soutien au développement des capacités militaires africaines. Il ne s'agit plus d'«accords de défense» mais d'accords de «partenariat de défense». Au-delà des mots, c'est la philosophie de notre coopération avec l'Afrique qui change. Au moment où la crise en Côte d'Ivoire s'achemine, nous l'espérons, vers son dénouement, il est particulièrement intéressant de voir à quel point cette crise est l'illustration de la nouvelle donne que souhaite mettre en place cette diplomatie française du devoir.

Je salue l'excellente qualité de l'intervention de Michel Terrot, qui a fort bien dépeint le tournant historique que représente cette succession d'accords, tout en soulignant, dans sa vision des relations étrangères et de notre politique diplomatique - et j'ai été très attentif à ce point -, la nécessaire prise en compte des dimensions régionale et multilatérale. C'est en effet l'un de ses apports importants.

S'agissant de l'intervention de Robert Lecou, que je remercie de sa précision, j'ai relevé l'attention qu'il a portée au processus de réforme de notre disposition militaire prépositionné ; les choses sont bien lancées. Il a insisté sur l'importance d'une coopération avec les pays d'Afrique qui respecte leur souveraineté et même l'encourage afin de les aider à assurer eux-mêmes leurs missions de sécurité. C'est en effet la vision d'avenir que nous devons conjointement porter.

M. Philippe Folliot a souligné, à juste titre, le rôle croissant que jouera l'Afrique dans le monde. C'est une raison supplémentaire pour que la France ne se désinvestisse pas mais accompagne cette évolution du rôle de l'Afrique.
Pour ce qui est de la composition des comités de suivi, le principe retenu à ce stade est qu'elle soit paritaire. Il serait assez légitime qu'ils comprennent notamment un ambassadeur de notre pays et un représentant du ministère des affaires étrangères des pays concernés. Le reste serait assez souple, composé vraisemblablement d'experts techniques qui permettraient de faire vivre ces comités de suivi. Nous vous tiendrons informés au fur et à mesure que cette composition sera précisée.

Je remercie M. Philippe Vittel, dont je connais la très grande attention qu'il porte à la politique de défense, globalement et pas seulement à Toulon, d'avoir décrit précisément le dispositif français au Gabon et ses missions. On y a reconnu sa parfaite connaissance du dispositif de défense français et de sa présence à l'étranger.
En ce qui concerne l'intervention de Christophe Guillauteau, dont tout le monde sait à quel point il connaît parfaitement le Togo, je le remercie d'avoir souligné le rôle positif joué par ce pays dans les événements récents en Côte d'Ivoire. Il était bon de le rappeler parce que cela a été un moment important dans notre relation bilatérale avec des actions menées conjointement.

Patrick Beaudouin, avec la précision chirurgicale qu'on lui connaît, a relevé un point sur lequel nous avons été amenés à échanger avec le Conseil d'État. En effet ce dernier a considéré qu'il était parfaitement compatible que nous nous référions aux règles du pays d'origine. Je le précise même s'il me semble que, normalement, les avis du Conseil d'État ne doivent pas être diffusés...

Madame Adam, vous me permettrez d'abord de vous remercier d'avoir souligné la dimension positive de ce qui est fait et de ce que cela représente en termes de transparence. Je veux ensuite vous donner quelques précisions sur l'organisation des élections en République centrafricaine.

La France a bien marqué ses réserves, tout spécifiquement sur le premier tour des législatives qui s'est déroulé dans des conditions contestables. C'est pour cela qu'aucun ministre français n'était présent aux cérémonies d'investiture du président.
Pour autant, vous le savez, il est fondamental que nous continuions à aider la République centrafricaine. Je livre cette information à la représentation nationale, juste en guise de réflexion : l'espérance de vie en RCA est de trente-sept ans et demi. Cela montre à quel point il reste un travail de fond à mener tous conjointement.

Monsieur Bataille, d'abord je vous remercie d'avoir souligné l'esprit positif et les avancées que représentent ces accords. Il n'y a pas d'ambiguïté sur nos positions, tant en RCA - je les ai rappelées - qu'au Gabon. Si Ali Bongo a été élu, c'est principalement parce que l'opposition était désunie. D'ailleurs, votre ami, M. Mamboundou, sauf erreur de ma part, s'est plus que rapproché de Ali Bongo, lui qui était auparavant un opposant historique.
Pour le reste, il convient de donner un tournant à notre diplomatie. Qu'il y ait des leçons à tirer de ce qui s'est passé sur la rive sud de la Méditerranée, j'en suis tout à fait d'accord, mais balayons tous devant notre porte : y compris sur vos bancs, on a entendu, parfois très tardivement, des positions sur la Côte d'Ivoire qui ne faisaient pas honneur aux valeurs de la démocratie.

Depuis trois ans, le président de la République, inlassablement, met la pression sur Laurent Gbagbo pour que des élections soient organisées. S'il existe une chance d'aboutir à une victoire de la démocratie en Côte d'Ivoire, c'est parce que la diplomatie française, celle que j'ai appelée la diplomatie de devoir, aura été à ce rendez-vous. Je crois que nous pouvons tous reconnaître collectivement qu'un tournant doit être pris. Cela est d'ailleurs en cours. La Côte d'Ivoire ou la Libye illustrent parfaitement la réaffirmation, sur des bases saines, de la diplomatie française.

Monsieur Candelier, je vous remercie de l'honnêteté qui a caractérisé votre intervention, notamment sur la nouveauté que constitue le fait que ces accords soient soumis au Parlement. Je sais à quel point vous êtes extrêmement honnête intellectuellement dans vos interventions et je tenais à le souligner.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2011