Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France Info" le 6 avril 2011, sur l'intervention française sous mandat de l'ONU en Côte d'Ivoire et en Libye pour mettre un terme à la répression contre les populations civiles dans ces pays.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - On voit désormais qu'en Côte d'Ivoire la diplomatie est à l'oeuvre, pour tenter d'obtenir la reddition de Laurent Gbagbo. Or, lui-même, hier soir, dans un entretien à LCI, disait qu'il refusait de reconnaître, à la fois la victoire d'Alassane Ouattara mais également de quitter le pouvoir. Comment allez-vous faire ?
R - Cet entêtement est absurde, Gbagbo n'a désormais plus aucune perspective, tout le monde l'a lâché, il est bunkérisé dans sa résidence. Nous allons donc poursuivre, avec l'ONU qui est à la man?uvre, les pressions pour qu'il accepte de reconnaître la réalité. Il y a un seul président aujourd'hui, légal et légitime, qui est Alassane Ouattara. J'espère que la persuasion va finir par l'emporter et que l'on évitera de reprendre des opérations militaires.
Q - On entend parler de négociations. Qu'est-ce qui peut être encore négocié ?
R - Les conditions de son départ peuvent être négociées. La France a demandé à l'ONU de le faire, puisque c'est l'ONU qui est en première ligne. Je vous rappelle que l'on est dans le cadre d'un mandat des Nations unies, avec une force des Nations unies, l'ONUCI, qui est bien supérieure en nombre à la force française : il y a plus de 12.000 Casques bleus, alors que l'on compte à peine 1.500 Français. C'est l'ONU qui négocie et qui demande à Gbagbo de respecter les résolutions du Conseil de sécurité et d'admettre sa défaite.
Q - Faudra-t-il, à un moment, peut-être, le contraindre ?
R - Nous avons demandé à l'ONU de lui garantir son intégrité physique ainsi qu'à sa famille ; c'est un point important, et puis d'organiser les conditions de son départ. C'est la seule chose qui reste à négocier désormais.
Q - On parle d'un exil, notamment, peut-être vers la Mauritanie?
R - Je n'ai pas d'indication là-dessus et je le répète, c'est à l'ONU et aux autorités ivoiriennes légales, c'est-à-dire au gouvernement d'Alassane Ouattara de négocier ces points. La France est là pour faciliter les choses.
Q - Y a-t-il aussi dans la balance, une absence de poursuites par la Cour pénale internationale, compte tenu des massacres qui ont pu être perpétrés, notamment dans l'Ouest du pays ?
R - Sur ce point, seule la Cour pénale internationale peut prendre des décisions.
Q - L'après Gbagbo, c'est quoi ? Réussir la paix...
R - Oui, c'est le plus important désormais, parce que...
Q - C'est aussi plus dur.
R - C'est en effet le plus dur, mais il faut quand même signaler que les combats les plus intenses ont cessé. L'utilisation des armes lourdes qui ont été détruites à la fois par l'ONU et par la force Licorne, en application de la résolution 1975 du Conseil de sécurité, a cessé ; c'est un progrès je pense pour la situation dans la ville d'Abidjan. Mais, en même temps, vous avez raison, il faut passer à l'autre phase qui est la reconstruction de ce pays, qui est dévasté depuis des mois, sans parler de ce qui s'est passé depuis une dizaine d'années à cause de ces affrontements.
La première chose à faire, et nous savons que le président Ouattara est prêt à le faire, c'est le pardon pour tous ceux qui se sont fourvoyés, la réconciliation nationale, la constitution d'un gouvernement d'union nationale, dans lequel siègeront bien sûr des anciens partisans de Gbagbo ; et puis, à partir de là, la reconstruction économique.
Le pays souffre beaucoup des sanctions économiques qui ont été imposées. On ne peut plus par exemple, exporter des fèves de cacao. Il va donc falloir assouplir les sanctions, dès que les choses se seront clarifiées, pour reconstruire économiquement ce pays qui a beaucoup de potentialité mais qui malheureusement, aujourd'hui, est dans une situation très difficile.
Q - Que vont devenir les Charles Blé Goudé, les Philippe Mangou, les bras armés de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire ?
R - Vous savez, ce n'est pas la France qui va gouverner la Côte d'Ivoire, c'est le président Ouattara et son gouvernement. C'est à eux de déterminer jusqu'où ils vont dans le pardon et l'amnistie. Si des crimes ont été commis, je pense qu'ils seront bien entendu poursuivis et punis.
Q - Aujourd'hui, dans la classe politique française, il y a des voix qui s'élèvent pour critiquer l'intervention française, même sous bannière des Nations unies, à gauche on déplore notamment de ne pas avoir été informé à l'avance.
R - Eh bien écoutez, je n'ai pas du tout entendu cette tonalité hier, puisque j'étais avec Gérard Longuet, devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense, réunies, de l'Assemblée nationale. L'accueil qui a été fait à la présentation que nous avons donnée a été pratiquement unanime à l'exception, il faut bien le dire, des communistes. Par ailleurs, l'information a été immédiate : dès que le président de la République a répondu favorablement à la demande de l'ONU, le Premier ministre a écrit au président de l'Assemblée nationale pour l'informer et lui dire que les ministres étaient à la disposition des parlementaires. L'information s'est faite dans les 24 heures à peine, même pas.
Q - Quatre personnes ont été enlevées, dont deux Français, en Côte d'Ivoire. Avez-vous des nouvelles ? Qui les a enlevés ? A-t-on des précisions ?
R - Malheureusement, je ne peux rien vous dire sur ce point : nous n'avons aucune information précise, aucune revendication et pour l'instant pas de piste.
Q - On parlait d'une actualité chargée au niveau international. Il y a effectivement, aussi, l'intervention en Libye. C'est la France, depuis le départ, qui a plaidé pour une intervention là-bas. Aujourd'hui, c'est l'OTAN qui gère désormais les opérations. Les Etats-Unis se sont retirés lundi soir. Vous aviez dit qu'il s'agirait d'une action rapide. C'est-à-dire ? Aujourd'hui, n'est-on pas un petit peu enlisé dans cette situation ?
R - Sur le terrain la situation militaire est confuse et indécise, et le risque d'enlisement existe. J'ai entendu que l'OTAN a été mise en cause. Il faut bien voir les choses, qui ont évolué depuis le début de l'intervention. Grâce à l'intervention de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis dans un premier temps, l'essentiel des avions, des hélicoptères, des blindés de Kadhafi ont été détruits. Aujourd'hui, comment agit-il ? Avec des «pick-up», des petits camions sur lesquels il y a quelques trous, au travers desquels peuvent tirés des kalachnikov ou des mitrailleuses ; c'est beaucoup plus difficile, naturellement, à localiser.
Q - Mais il a repris du terrain.
R - Ça dépend : il y a des avancées et des reculs et surtout...
Q - Misrata, notamment.
R - Misrata est dans une situation qui ne peut pas durer. Je vais d'ailleurs m'en entretenir dans quelques heures avec le Secrétaire général de l'OTAN. Ce que je voudrais bien préciser, c'est que nous avons demandé formellement qu'il n'y ait pas de dommages collatéraux sur les populations civiles ; cela rend les interventions évidemment plus difficiles parce que les troupes de Kadhafi ont bien compris les choses et ont tendance à se rapprocher des populations civiles.
Q - Mais le chef des rebelles libyens, en personne, a dit hier soir que l'OTAN était en train de laisser mourir les habitants de Misrata. Il y a eu un appel très direct à Nicolas Sarkozy.
R - Nous l'avons entendu et je l'ai dit, nous allons en parler avec les responsables de l'OTAN. Nous soutenons de toutes nos forces le Conseil national de transition et il faut aussi qu'il s'organise ; finalement, sur le terrain, tout dépendra d'eux. Nous sommes là pour protéger les populations civiles et pas pour partir à la reconquête du territoire.
J'ajoute que, comme en Côte d'Ivoire, toutes proportions gardées, maintenant il faut passer à la phase politique ; d'où la réunion qui va se tenir la semaine prochaine à Doha de ce que l'on appelle le Groupe de contact, c'est-à-dire les pays qui apportent leur aide à l'OTAN, plus les grandes organisations : la Ligue arabe, les Nations unies, l'Union africaine. Il s'agit d'appuyer la solution politique, c'est-à-dire des discussions entre le Conseil national de transition mais aussi ceux qui à Tripoli ont bien compris qu'il n'y avait pas d'avenir pour Kadhafi, et qui sont prêts à discuter avec l'ONU.
Q - Envisagez-vous, peut-être, d'aider à l'armement des insurgés ?
R - Sur ce point, nous avons dit qu'il y avait un embargo sur les armes destinés à la Jamahiriya, c'est-à-dire aux troupes de Kadhafi. Nous ne sommes pas entrés dans un processus où nous avons livré des armes.
(?).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2011