Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les défis à relever par le G20 pour corriger les déséquilibres mondiaux économiques et financiers, Paris le 4 mars 2011.

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Circonstance : Colloque international de la Banque de France, à Paris le 4 mars 2011

Texte intégral

Cher Christian NOYER, après notre marathon de février, je suis heureuse de vous retrouver dans ce magnifique établissement, que beaucoup doivent désormais considérer comme une annexe de la Banque de France. Je sais combien vous êtes attachés à la Galerie Dorée où vous étiez réunis hier soir. Mais je comprends également que vous cherchiez à vous émanciper du poids de l’histoire pour envisager sereinement l’avenir de l’économie mondiale…
Nous vivons en effet dans un monde bouleversé, où les pays émergents pèsent de plus en plus lourd dans la composition de la croissance mondial, représentant 30% en 1980 et 45% 30 ans plus tard. Ce monde est de plus en plus interconnecté –les exportations représentent une part croissante de la création de richesse dans nos économies nationales, mais aussi de plus en plus volatil. Cela s’illustre tout particulièrement par une volatilité accrue des changes, trop souvent déconnectée des fondamentaux économiques. Un exemple : entre le 1er janvier 2003 et 1er janvier 2008, le won coréen s’est apprécié d’environ 30% par rapport au dollar. En 2008, à l’inverse, le won coréen s’est déprécié de 72 % par rapport au dollar pour s’apprécier de près de 30% au court des 12 mois suivants. Cela se retrouve également dans une forte volatilité des flux de capitaux qui pénalise surtout les pays émergents. La crise de 2008-2009 a entraîné une diminution des entrées nettes de capitaux de 1150 Mds USD, se traduisant par des sorties de capitaux de l’ordre de 19% du PIB russe, soit 270 Mds USD. 26 épisodes d’arrêts brutaux de flux de capitaux ont été identifiés depuis 2008, 42 depuis 1990. Ou enfin dans une accélération des crises de liquidité ayant de répercussions sur tout le tissu économique. Pour se protéger les pays émergents sont tentés de prendre des mesures unilatérales, qu’il s’agisse de régulation des flux de capitaux, de mesures prudentielles, d’interventions de change ou de mesures monétaires.
La réalité est que nous vivons dans un monde déséquilibré où le SMI dans sa forme actuelle n’offre pas de mécanismes de régulation et de coordination appropriés. Sa réforme est l’une des priorités définies par le Président de la République pour 2011.
La première réunion du G20 Finances des 18 et 19 février nous a permis de poser les jalons des travaux qui seront menés cette année : définir nos objectifs et les écueils à éviter ; lancer les premières pistes de réflexions. C’est une première étape que je voudrais vous présenter.
Notre point de départ est de créer les conditions nécessaires à deux objectifs étroitement liés : d’une part, celui d’une croissance équilibrée, soutenable et robuste; d’autre part, celui d’une transition sans rupture vers une monde multipolaire économiquement, comme monétairement. Ces conditions ne sont pas réunies dans le « non-système monétaire international » qui caractérise le monde actuel.
A l’aune de la crise, nous savons précisément ce que nous ne voulons pas faire. Nous ne poursuivons pas de rêve cartésien d’un système monétaire parfait. Nous ne cherchons pas à rétablir un système de taux de change fixe, qui nous priverait d’une flexibilité utile aux ajustements économiques. Nous ne cherchons pas à remettre en cause le rôle de la monnaie de réserve dominante, le dollar. Ce sont les forces de marché qui déterminent avant tout le poids relatif des devises dans les échanges commerciaux et financiers, mais il est accepté par tous que nous nous dirigeons de façon inéluctable vers un monde plus multi-monétaire. Nous ne sommes pas favorables à une généralisation des mesures de contrôle des flux de capitaux, car ces flux sont globalement favorables à la croissance mondiale. Nous cherchons à nous doter de règles multilatérales communes pour être en mesure de se prémunir en cas de besoin contre les mouvements déstabilisateurs d’entrées-sorties de capitaux.
A la lumière de l’expérience acquise, nous souhaitons initier une série de mesures pragmatiques nécessaires à l’amélioration de notre coordination pour une croissance forte, durable et équilibrée, à la réduction de l’accumulation de réserves, à une meilleure régulation des capitaux internationaux, ainsi qu’à une transition sans rupture vers l’internationalisation de nouvelles monnaies.
Première piste : améliorer la coordination des politiques économiques au service de la croissance. Pour cela, il nous faut passer notamment par l’identification des déséquilibres, à travers le processus de surveillance mutuelle mis en place au sein du G20, le framework for growth.
En ce sens, nous avons fait un pas important et nécessaire au dernier G20 Finances. Nous nous sommes entendus sur une série d’indicateurs qui nous permettront de nous concentrer, à travers un processus intégré en deux étapes, sur les déséquilibres majeurs et persistants qui appellent des mesures. Ces indicateurs sont : la dette et les déficits publics, le taux d’épargne et l’endettement privé et les déséquilibres extérieurs à partir de la balance courante, en tenant pleinement compte du taux de change notamment. Nous avons également adopté un calendrier pour l’élaboration du plan d’action 2011 de mise en oeuvre de notre cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée et de suivi de la mise en oeuvre des engagements. Nous devons désormais nous mettre d’accord sur des lignes directrices indicatives pour l’évaluation de chacun de ces indicateurs, autrement dit sur l’utilisation de ces indicateurs pour agir sur la correction des déséquilibres. L’appui du FMI nous sera indispensable dans cet exercice.
Seconde piste : réduire le besoin d’accumulation de réserves, coûteux tant pour les pays concernés que pour l’économie mondiale. Pas moins de 9247 Mds$ de réserves avaient été accumulés fin 2009, dont les trois quarts par les pays émergents, soit une variation de +162% en 5 ans. Leur usage n’a pas toujours été optimal d’un point de vue économique.
Notre objectif est d’améliorer la fourniture de liquidités pour réduire le besoin d’accumulation de réserves, à travers notamment :
- une évaluation des dispositifs de financial safety nets que nous chercherons à améliorer le cas échéant ;
- une meilleure coordination des dispositifs existants avec les arrangements régionaux et je pense notamment à l’articulation entre le FMI et les mécanismes européens de stabilisation financière ou entre le FMI et l’initiative Chiang Mai des pays de l’ASEAN ;
- un meilleur suivi des réserves sur la base d’indicateurs communs et d’une surveillance accrue du FMI.
- le développement de financement en monnaie locale devrait contribuer à réduire l’accumulation de réserves à des fins assurantielles.
Troisième piste : mieux réguler les flux de capitaux internationaux.
Pour cela nous chercherons à :
- élaborer un code de bonne conduite sur la régulation des flux de capitaux et les mesures macro-prudentielles pour faire la part des choses entre mesures nécessaires pour préserver l’équilibre macro-économique et une croissance stable d’une part, préservation de la liberté des mouvements de capitaux et du commerce d’autre part ;
- renforcer les capacités de surveillance du Fonds Monétaire International, idéalement par une réforme de son mandat.
- en parallèle, nous cherchons à promouvoir l’endettement en monnaie locale et le développement des marchés de capitaux domestiques pour limiter la vulnérabilité des pays émergents aux flux de capitaux internationaux.
Quatrième et dernière piste : assurer la transition pour que l’émergence de nouveaux pôles économiques coïncide avec l’internationalisation de nouvelles monnaies et diminue les risques de variations de change.
L’émergence de nouveaux pôles économiques et de nouvelles monnaies n’est pas sans risque. L’Histoire économique nous enseigne que les glissements économiques peuvent conduire à des ajustements brutaux en matière monétaire, avec des ruptures fortes, comme l’illustre le passage de témoin entre la livre sterling et le dollar américain, au début des années 1970s, la livre devenant en 1973 un actif de réserve de second rang, représentant moins de 7% des réserves en devises, après avoir représenté près de 60% des réserves en 1950 et encore 30% en 1970. Nous devons dès lors accompagner cette transition et réfléchir notamment au rôle des droits de tirage spéciaux (DTS), l’instrument de réserve créé par le FMI, et sur le calendrier et les modalités d’évolution du panier de devises qui composent le DTS.
Pour cela nous souhaitons planifier un élargissement du panier du DTS, en particulier au yuan dès lors que la Chine remplira les conditions requises en terme de convertibilité de sa monnaie, d’indépendance de la banque centrale et d’ouverture du compte en capital et concomitamment renforcer le rôle du DTS, notamment par un élargissement des financements offerts en cette monnaie par les institutions financières internationales. Il n’est pas satisfaisant que cet actif représente moins de 4% des réserves internationales, alors qu’il présente pourtant des atouts très forts en termes de diversification.
En février, le G20 Finances s’est doté d’une feuille de route ambitieuse, mais pragmatique, que je voudrais vous rappeler. A côté de l’accord sur les indicateurs de mesures des déséquilibres économiques, préalable indispensable à toute tentative de réduction de ces déséquilibres, nous sommes allés bien au-delà d’une simple convergence de vues sur la nécessité de la réforme.
Le G20 Finances s’est ainsi accordé sur trois objectifs : (i) la stabilité du système financier ; (ii) la transition ordonnée d’un monde où quelques économies, avec leurs devises, représentent l’essentiel des richesses et des échanges vers un monde multipolaire où les pays émergents et leurs devises représentent un part croissante, voire prépondérante ; (iii) éviter la volatilité excessive des flux de capitaux, la volatilité excessive des taux de change et des niveaux de taux de change durablement éloignés de leur équilibre.
Je voudrais souligner à quel point la simple mention de ces trois objectifs est une avancée importante. Ce n’est pas le libre-échange qui a montré ses limites pendant la crise, mais le laissez-faire.
Prochaine étape, le G20 d’avril, à Washington, où nous devrons nous accorder sur un vade-mecum de nos indicateurs de déséquilibres et sur la manière dont ils pourront nourrir des recommandations de politique économique visant à rééquilibrer la croissance mondiale et examiner de premières propositions de réforme du SMI, sur la base des travaux préliminaires du FMI mais aussi de la Banque mondiale et des banques de développement.
Vous l’avez compris, le G20 Finances de Paris a jeté les bases de la discussion en 2011. L’objectif reste le Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement à Cannes au mois de novembre. Quelques jours auparavant, avec mes homologues ministres des Finances et les Gouverneurs de Banques centrales nous finaliserons l’ensemble des propositions de réforme du SMI que nous soumettrons aux chefs d’Etat et de Gouvernement.
Avant cela, le 31 mars, à Nankin, un séminaire de haut niveau dédié à la réforme du SMI nous permettre d’échanger librement nos vues, pour sortir d’une rhétorique de « guerre des monnaies », au profit d’un dialogue franc, mais respectueux. Comme le disait Churchill, au cours d’un diner à la Maison blanche, le 26 juin 1954 : « To jaw-jaw is always better than to war-war. »
Je vous remercie.
Source http://www.banque-france.fr, le 19 avril 2011