Déclaration de Mme Christine lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le rôle des institutions économiques et financières internationales dans l'aide à la résolution des crises internationales, Washington le 16 avril 2011.

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Circonstance : Comité du développement (Comité ministériel conjoint des Conseils des Gouverneurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sur le granfert de ressources réelles au pays en développement) Washington, le 16 avril 2011

Texte intégral

Plus de deux ans après la crise financière internationale, l’économie mondiale retrouve une certaine stabilité, mais elle reste exposée à des risques importants et renforcés par l’aggravation des déséquilibres mondiaux, par la volatilité des flux de capitaux ou encore par la volatilité des prix des matières premières agricoles, qui pèsent sur la croissance de nombreux pays, et affectent la sécurité alimentaire mondiale. Face à ces défis, la communauté internationale doit proposer des réponses fortes, cohérentes et coordonnées. La France, qui assume cette année une responsabilité particulière dans l’agenda international en tant que présidente du G8 et du G20, s’y emploie, et se félicite que les institutions de Bretton Woods et leurs actionnaires aient pris la mesure de ces enjeux : la communauté internationale doit savoir répondre aux situations de crise. Nous en sommes doublement témoins aujourd’hui : la hausse et la variabilité des prix agricoles font peser la menace d’une nouvelle crise alimentaire, à laquelle nous devons trouver des réponses. Les évènements récents en Méditerranée appellent une réponse solidaire de la communauté internationale. Et la Banque mondiale, modernisée, doit être un instrument de cette réponse. Elle a un rôle à jouer pour assurer la sécurité alimentaire mondiale et je me félicite que nous puissions débattre aujourd’hui de propositions concrètes. Elle peut enfin contribuer à la réforme du système monétaire international, en particulier par le développement des marchés en devise locale dans ses pays d’opération.
La volatilité excessive des prix des matières premières agricoles, comme son impact sur la sécurité alimentaire, est un enjeu fondamental qui demande une réaction concertée : la volatilité des prix affecte la croissance de nombreux pays, quel que soit leur niveau de développement. Elle est néfaste pour les pays producteurs de matières premières, parce qu’elle contrarie leurs décisions d’investissement et fragilise de ce fait le potentiel productif de leur économie. Elle 1’est bien sûr pour les pays consommateurs, en particulier les plus pauvres qui consacrent entre 50 et 70% du revenu d’un foyer à leur alimentation.
Les travaux de la Banque mondiale soulignent à juste titre les risques sur la croissance et la sécurité alimentaire des plus vulnérables. Ils nous rappellent que si la réponse au défi alimentaire nécessite des mesures de long terme, nous ne sommes pas impuissants à court terme, et des mesures concrètes doivent être envisagées dans les meilleurs délais. Certains instruments existent déjà, comme le Programme d’intervention en réponse à la crise alimentaire mondiale (GFRP) lancé en mai 2008, qui permet d’accélérer les apports d’aide aux pays qui en ont le plus besoin. Mais des mesures supplémentaires, comme proposées par la Banque mondiale, doivent être encouragées.
D’abord la constitution de réserves humanitaires d’urgence, afin de disposer de stocks à coût optimisé et situés de manière stratégique. Dans la même direction, et afin d’éviter de nouvelles crises alimentaires, l’établissement d’un code de bonne conduite pour exempter l’aide alimentaire de toute restriction aux exportations serait fortement recommandé, de même qu’il importe de renforcer la gouvernance en matière de sécurité alimentaire, afin de mieux coordonner les politiques nationales. Pour permettre aux producteurs et aux consommateurs, de mieux se couvrir face à la volatilité des prix des matières premières, j’encourage vivement les institutions financières internationales à développer les instruments adéquats, et à en favoriser l’accès, y compris aux plus pauvres.
Mais il faut aussi oeuvrer pour réduire cette volatilité. Parallèlement à la mise en place de solutions de court terme pour parer aux situations d’urgence, doivent être développés des outils destinés à remédier dans la durée aux déséquilibres. A cet égard, les travaux visant à améliorer la transparence et l’information sur les marchés physiques agricoles sont indispensables. Il existe déjà une base internationale de données sur le pétrole (JODI), qui pourrait être étendue aux matières premières agricoles : cela passe à la fois par une amélioration de la collecte, de la transmission et de l’utilisation des données, et par le renforcement des capacités des pays en voie de développement. Il convient aussi d’assurer, pour les marchés de dérivés de matières premières, une régulation aussi exigeante que pour les autres marchés financiers.
Il demeure enfin essentiel de promouvoir les gains de productivité agricole dans les pays pauvres pour répondre à la croissance de la demande mondiale, en encourageant l’investissement dans l’agriculture et les transferts de technologie, par exemple pour l’agriculture tropicale, l’utilisation efficace de la ressource hydrique ou encore l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Un code de bonne conduite pour promouvoir l’investissement responsable en matière d’acquisition de terres à grande échelle, soutenu par un grand nombre de pays investisseurs, aurait également un impact positif.
La France soutient cet effort ; elle s’est ainsi engagée à consacrer 1,5 Md€ de financements à la sécurité alimentaire sur la période 2009-2011. En outre, aux côtés de partenaires africains et européens, la France est l’un des promoteurs du Fonds pour l’Agriculture Africaine, conçu en réponse à la crise alimentaire de 2008, et dont l’objet est de soutenir des entreprises privées agricoles et alimentaires ainsi que des coopératives agricoles sur l’ensemble du continent africain.
Les évènements politiques récents dans la région méditerranéenne, et en particulier les transitions démocratiques en cours en Tunisie et en Egypte, appellent une réponse particulière et un soutien fort de la communauté internationale et des institutions multilatérales de développement. Les économies de ces pays sont confrontées à des problèmes structurels spécifiques, et l’établissement d’un diagnostic partagé de ces difficultés, et des actions prioritaires à entreprendre, est un préalable indispensable à une action concertée et efficace.
J’attends des institutions financières internationales une analyse économique et financière approfondie des pays de la zone, en particulier ceux qui ont engagé une transition démocratique. Sur cette base, le renforcement de la coordination des bailleurs multilatéraux et bilatéraux sur la zone pourrait passer par la mise en place d’une plateforme de coordination qui s’appuierait sur les expériences et les atouts de chacun. A ce titre, l’expérience des institutions spécialisées dans le soutien au secteur privé pourrait être précieuse pour appuyer le développement des PME et la création d’emplois.
La France poursuit son implication financière en Méditerranée. En Egypte, l’Agence Française de Développement a décidé de porter ses engagements annuels de 150 M€ à 250 M€ par an. La France interviendra notamment pour soutenir des projets d’infrastructure porteurs d’emploi, à commencer par la poursuite du chantier du métro du Caire. En Tunisie, la France, toujours mobilisée, travaille à répondre au mieux aux priorités des autorités, en coordination avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.
La Banque Mondiale a un rôle clef à jouer dans l’articulation des réponses que nous devons collectivement apporter.
Il y a un an nous dotions la Banque mondiale d’une Stratégie pour l’après-crise, qui identifiait cinq priorités pour l’action du groupe, parmi lesquelles les populations pauvres et vulnérables, la promotion d’opportunités de croissance et la préparation aux crises. La stratégie soulignait aussi l’importance d’une articulation optimale de la Banque mondiale avec le secteur privé. C’est d’ailleurs une priorité de l’agenda développement du G20, dans le domaine des infrastructures, autour d’une double mobilisation ; celle des banques de développement d’une part et la Banque mondiale doit y jouer un rôle central ; et celle du secteur privé d’autre part, notamment via le panel de haut niveau présidé par M. Tidjane Thiam.
Ces priorités devront également être approfondies pour tenir compte des enseignements essentiels du Rapport sur le développement dans le monde 2011, qui encourage l’ensemble des acteurs, à la fois bilatéraux et multilatéraux, à repenser leur action dans les zones en situation de conflit ou de fragilité. Au vu de la dynamique de développement économique mondiale, la plus grande partie de l’activité du groupe de la Banque mondiale devrait être réorientée dans un proche avenir vers les pays les plus vulnérables : c’est, en effet, le coeur de son mandat et la source première de sa légitimité. Le rapport fait le lien, et c’est indispensable, entre les enjeux de sécurité et de développement. En effet, pour privilégier une croissance inclusive et durable, les questions de justice, de sécurité et d’emploi, notamment dans le secteur privé, ne peuvent plus être traitées séparément. C’est aussi une des leçons que nous pouvons tirer de l’évolution de la situation en Afrique du nord et au Moyen-Orient.
La France prend soin de lier systématiquement les questions de sécurité et de développement dans les pays en situation de fragilité et soumis à une violence latente, dans le cadre de son aide publique au développement, estimée à 9,75 Mds€ en 2010, soit 0,50% du revenu national brut (RNB). Le niveau historique atteint par l’APD française en 2010 reflète la continuité de l’engagement de la France, en dépit d’un contexte budgétaire difficile.
Pour renforcer l’action de la Banque mondiale dans les pays les plus vulnérables, nous devons repenser le niveau de risque qu’elle est prête à y encourir ; ceci demande également à repenser la manière dont nous considérons et mesurons le succès et la performance dans les situations de fragilité. Il nous faut aussi considérer l’échelon régional comme un échelon clef et nous assurer que la Banque mondiale dispose des instruments adaptés. Cela a des conséquences sur les volumes et les modalités de l’aide financière que nous apportons aux plus démunis, en particulier par l’AID. Si nous voulons effectivement prévenir les situations de conflit et de fragilité, alors il faut mieux tenir compte des vulnérabilités dans la manière dont nous allouons l’aide. Enfin, il faut que la Banque mondiale se dote des structures et des compétences adéquates : ce sont la politique de ressources humaines de l’institution et son organisation qui doivent être adaptées.
Nous sommes aujourd’hui face à un cas d’application urgent et immédiat : la situation de la Côte d’Ivoire. Le réengagement rapide de la communauté financière internationale y est essentiel et la France y apportera son plein soutien.
Nous devons faire en sorte que les institutions financières prennent les mesures et les instruments adaptés à l’urgence et à la gravité de la situation sur les plans économique, financier et humanitaire. De son côté, la France apporte un soutien financier exceptionnel de 400 M€ pour financer les dépenses d’urgence au bénéfice des populations, assurer le redémarrage des services publics essentiels et de l’activité économique, et permettre l’apurement des arriérés multilatéraux.
C’est notre détermination et notre capacité collective à appliquer les recommandations du rapport sur le développement dans le monde qui est ainsi éprouvée, et je suis certaine que nos pays comme les institutions financières internationales sauront se montrer à la hauteur.
Source http://siteresources.worldbank.org, le 21 avril 2011