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FREDERIC RIVIERE Vous allez coprésider aujourd'hui, avec le Premier ministre kenyan, un sommet sur les énergies renouvelables, auquel vont participer de nombreux pays africains. Est-ce que les pays pauvres ont les moyens de se payer de l'énergie propre ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien moi je tournerai la chose autrement, je pense que les pays pauvres n'ont pas les moyens et que ce n'est pas l'intérêt de la planète de faire le détour par notre mode de développement à nous. Il faut qu'ils aient accès tout de suite aux énergies propres, plutôt que de faire, d'une certaine manière, les erreurs, en tous cas je le redis, les détours que nous avons faits. Et je pense que c'est possible. Si vous regardez, comparaison ne vaut pas raison, mais quand même, ce qui s'est passé sur le téléphone portable. Il y a beaucoup de pays dans lesquels on est passé directement de rien au téléphone portable, sans passer par le téléphone filaire. Etre en retard ça peut être l'occasion de prendre de l'avance sur le coup d'après, et en s'organisant bien ce n'est pas plus cher.
FREDERIC RIVIERE Quelles sont les énergies adaptées, selon vous, aux pays en développement ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET C'est clairement les énergies décentralisées, ou qui peuvent l'être pour partie, qui sont adaptées aux pays en développement. On peut organiser des micro-réseaux, on a moins de problèmes de stabilité de création d'un réseau, et ça correspond aussi souvent mieux aux modes de gouvernance dans ces pays-là, on peut avoir une régulation, une organisation, un peu plus locale. Ça tombe bien, c'est des énergies renouvelables, c'est des énergies propres, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de réseau national derrière, mais il y a des interconnexions de nature différente que dans un système du genre de ceux qu'on a aujourd'hui dans la plupart des pays du Nord, très très centralisés, très très intégrés.
FREDERIC RIVIERE Concrètement, c'est quoi ? C'est le voltaïque ? C'est la géothermie ? C'est l'éolien ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Concrètement, ça dépend les circonstances locales, la géothermie en fait partie bien sûr, c'est l'éolien, c'est le photovoltaïque, c'est la biomasse, qui est peu utilisée en Afrique, pourrait l'être plus, c'est toutes ces énergies-là. C'est aussi des systèmes hybrides. Notre partenariat Paris-Nairobi, lancé avec le Premier ministre kenyan, ne vise pas seulement les énergies nouvelles, renouvelables, au sens strict, il vise les énergies propres. On peut avoir des systèmes hybrides, anciennes énergies, en quelque sorte, nouvelles énergies, intéressants du point de vie environnemental.
FREDERIC RIVIERE On peut imaginer d'électrifier, de construire un réseau électrique, pour tout un pays, essentiellement sur la base d'énergies propres ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On peut avoir un mixe très très propre. Je prends l'exemple du Kenya justement. Le Kenya est un pays dans lequel il y a des gisements, en matière de géothermie, absolument remarquables. Il y a aussi de très très belles régions pour faire le développement de l'éolien, et naturellement on peut y faire du photovoltaïque. C'est toujours compliqué en termes de stabilité du réseau d'avoir 100% d'énergies renouvelables, mais enfin dans des pays qui ont des beaux potentiels, et dans lesquels on peut mettre plusieurs types d'énergies renouvelables... . Parce que le problème, avec les énergies renouvelables, c'est le caractère temporaire, non permanent, de la production, quand il y a du soleil il n'y a pas de vent, vous voyez... . C'est quand on peut en mettre plusieurs, et à plusieurs endroits dans le pays, pour limiter les risques de chute, on s'en sort mieux. J'ajoute que, ce qu'il faut c'est avoir quelques capacités de stockage sur le réseau, quand on peut avoir un peu d'hydroélectricité, là aussi ça aide.
FREDERIC RIVIERE Est-ce que le nucléaire fait partie des énergies propres ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Le nucléaire fait partie des énergies décarbonées, on ne le propose pas dans le partenariat Paris-Nairobi, ne serait-ce que parce qu'on est sur un horizon plus court. Notre objectif c'est d'avoir des projets finançables très vite. Notre objectif c'est de pouvoir les proposer aux fonds verts et à tous les bailleurs de fonds possibles, sortir de cette espèce de cercle vicieux qu'on observe actuellement, et que j'ai vu encore la semaine dernière aux Etats-Unis, où je faisais la promotion de la taxe sur les transactions financières que souhaite le président de la République dans le cadre du G20. J'avais en face de moi des financiers qui étaient d'accord, pour l'essentiel, avec nos arguments. On a promis 100 milliards de dollars par an, en 2020, dans le cadre des négociations de Cancun et de Copenhague, cet argent ne pourra pas être essentiellement de l'argent budgétaire, il faut trouver d'autres moyens, donc allons vers les finances... ils étaient d'accord, mais ils avaient un dernier argument, qui était, oui, mais on ne sait pas ce que vous ferez avec l'argent, vous n'avez pas les projets. Et donc, je le disais, c'est le serpent qui se mord la queue. On nous dit, vous n'aurez pas les financements parce que vous n'avez pas les projets, et comme on n'a pas les financements, on ne monte pas les projets. L'initiative Paris-Nairobi elle vise à sortir de ce cercle vicieux. Voilà les projets, on s'organise pour les construire, bien les construire, de manière très professionnelle, donc très pré-finançables. Il y a déjà quelques financements disponibles, et avec ces financements-là embrayons, lançons la machine.
FREDERIC RIVIERE Le nucléaire n'est pas une énergie qui vous paraît adaptée, par exemple au continent africain ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Le nucléaire n'est possible que sous certaines conditions très strictes, qui ne sont pas réunies aujourd'hui dans tous les pays d'Afrique, ça c'est sûr. Le nucléaire, d'abord, c'est un choix très engageant sur la durée, donc il faut de la stabilité, on ne choisit pas le nucléaire pour 10 ans. Il faut un pays qui soit très constitué, qui se projette dans cette configuration-là, avec ce type d'institution-là, dans l'avenir, de manière raisonnable. Par ailleurs, la sûreté nucléaire, et la France ne s'engage dans aucun contrat en matière de nucléaire si le niveau de sûreté n'est pas le même que celui en France, la sûreté nucléaire elle repose à la fois sur un concept, un réacteur qui est bien conçu, mais aussi sur la façon dont on l'opère, donc la formation, un niveau de formation dans le pays d'accueil, qui nécessite là aussi, parfois, quelques travaux.
FREDERIC RIVIERE Il y a quelques jours, après la catastrophe de Fukushima, le président de la République, Nicolas SARKOZY, a proposé que soient mises en place des normes de sûreté nucléaire internationales, est-ce que cette idée va prendre forme ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On y travaille beaucoup. Ça peut paraître étrange, mais aujourd'hui il y a quelques cadres de référence internationaux, c'est l'Agence Internationale de l'Energie atomique qui s'en occupe, mais il n'y a pas vraiment de normes. J'étais avec le Premier ministre mardi à Kiev pour faire le tour de table des financeurs du second sarcophage de Tchernobyl, le Premier ministre a proposé qu'on puisse travailler sur une certification commune pour les nouveaux réacteurs, aujourd'hui ça n'existe pas, et sur une force de déploiement commune, de gestion de crise, en cas d'accident nucléaire. Et la France lance une initiative. G8, à la fin du mois de mai, on parlera du nucléaire, le G8 en France à Deauville, le 8 juin il y aura une réunion à Paris, les Autorités de sûreté nucléaire du G20. A la fin du mois de juin une réunion de l'AIEA est prévue à Vienne. Ceci doit nous permettre d'engager une réflexion, un début d'accord, sur des normes communes en matière de sûreté. J'ajoute que pour moi la sûreté c'est aussi la transparence. En France on a une autorité indépendante de sûreté, on a beaucoup appris de Tchernobyl en matière de transparence, on voudrait pouvoir proposer le système des autorités indépendantes aux autres pays qui ont le nucléaire, ça s'impose.
FREDERIC RIVIERE Je voudrais vous poser deux petites questions très rapidement, de politique intérieure, puisque vous êtes conseiller politique de l'UMP, comme tous les ministres. Nous sommes le 21 avril, le 21 avril 2002 Jean- Marie LE PEN était au second tour, est-ce que la présence de Marine LE PEN au second tour de la présidentielle de 2012 vous paraît aujourd'hui inéluctable ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Inéluctable, non. Moi je ne fais pas de politique fiction, mais rien n'est inéluctable en politique. Surtout à 1 an d'une élection. Et ce que je crois que c'est dans l'action, dans la poursuite des réformes, dans la démonstration de cette force de la parole du président, je fais ce que je dis, je dis ce que je fais, qu'on va pouvoir répondre en partie aux interpellations qui ont été celles des Français à l'occasion des dernières élections cantonales.
FREDERIC RIVIERE Est-ce que c'est une bonne chose - très vite, en quelques secondes - qu'il y ait un candidat écologiste en 2012 ?
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi je ne crois pas aux candidatures spécialisées en matière d'écologie. Mon engagement en écologie ça a toujours été le contraire de ça, écologiser la politique, les partis existants, plutôt que politiser l'écologie et l'enfermer dans le fonds de commerce d'un parti.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 avril 2011