Texte intégral
Je veux tout dabord vous remercier, Monsieur le président, cher Bernard Spitz, de mavoir invitée à participer à vos réflexions à loccasion de cette rencontre organisée par le Conseil dorientation et de réflexion des assurances (CORA).
Le choix du thème de cette rencontre témoigne en effet dune actualité particulièrement stimulante pour le secteur des assurances.
La rencontre daujourdhui et la qualité de vos échanges montrent surtout que le monde de lassurance prend toute sa part à la réflexion collective sur la réforme de notre système de prise en charge de la dépendance qua souhaitée le Président de la République et quil ma chargée de conduire.
Je me félicite que vous vous impliquiez avec autant de dynamisme dans ce débat national qui sest ouvert en février dernier et qui nous concerne tous.
Lengagement du monde de lassurance ne se limite évidemment pas à lorganisation de cette journée qui va donner lieu à une série de rencontres supplémentaires organisée par le CORA autour du thème de la dépendance.
Vous êtes en effet directement et pleinement associés au groupe de travail animé par Bertrand Fragonard qui réfléchit à la gouvernance et aux modes de prise en charge de la perte dautonomie. Les opérateurs de lassurance participent en outre activement aux débats régionaux, dont le premier sest tenu dans le Maine et Loire lundi dernier et qui vont séchelonner jusquà la fin du mois de juin prochain.
Plus largement, je le sais, vous avez su vous saisir à bras-le-corps de la question du vieillissement pour lenvisager sous tous ses aspects et imaginer des solutions innovantes que vous soumettrez à la concertation collective. Soyez-en tous profondément remerciés.
Alors, une fois nest pas coutume, permettez-moi, pour clôturer cette rencontre, non pas dénoncer de grandes conclusions, mais plutôt de vous livrer dabord deux remarques liminaires (I) et de poser ensuite quelques questions (II).
Première remarque : vos échanges vous ont conduits à aborder de manière approfondie la question du financement de la dépendance.
Mais, comme en témoignent dailleurs les échanges de la première table ronde, le débat sur la dépendance ne se réduit évidemment pas à ses seuls aspects financiers. Ce débat doit dabord porter sur les fins, dont nous avons collectivement à débattre, avant daborder la question des moyens.
Car ne nous y trompons pas : ce débat national sur la dépendance, cest dabord un débat de société.
La question de la perte dautonomie soulève la question de la place des personnes âgées dans notre société et celle des défis multiples liés au vieillissement.
Le groupe de travail piloté par Annick Morel est dailleurs chargé de sinterroger sur les adaptations de notre monde aux réalités de la population de demain, que ce soit en termes daménagement du territoire ou dadaptation de nos modèles sociaux.
Nous devons ainsi nous poser collectivement la question de lévolution des modèles familiaux qui aura nécessairement un impact sur les modes de prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Quelle place devons-nous laisser à la solidarité familiale ou aux liens intergénérationnels ? Quelles aides devons-nous ou pouvons-nous apporter aux aidants, qui sont dailleurs souvent des aidantes ?
Ce débat national devra également faire émerger des solutions pour garantir aux personnes un véritable choix entre le maintien à domicile ou lentrée en établissement.
Plus largement, envisager le vieillissement, cest aussi prendre en compte, grâce à une politique transversale, tout lenvironnement dans lequel les personnes âgées évoluent pour modifier notre société.
Logement, mobilier urbain, transports, commerces : tous ces aspects doivent être questionnés à laune de la place que nous voulons accorder aux personnes âgées. Ma seconde remarque concerne le choix du thème de cette rencontre en examinant comment lAllemagne finance la prise en charge des personnes dépendantes.
Ce choix de placer vos réflexions sous le signe de louverture est particulièrement pertinent.
Jai dailleurs effectué début février un déplacement à Berlin pour me rendre compte par moi-même de la manière dont nos voisins envisageaient ce sujet.
Le débat citoyen doit évidemment se nourrir des bonnes pratiques de nos voisins, notamment européens car, nous le savons bien, la réforme de la dépendance nest pas lapanage de la France.
Comme en France, nos partenaires sont confrontés, à des degrés divers, à un phénomène de transition démographique.
Et, face aux enjeux de financement de la sphère publique, tous les Etats ont engagé une réflexion pour une éventuelle remise à plat des systèmes en vigueur.
Au moment où nous prenons des décisions qui engagent notre avenir et celui de nos enfants, il est important pour nous dobserver avec attention ce qui se passe hors de nos frontières pour faire les meilleurs choix.
Comme je vous lindiquais, je me suis rendue moi-même dans plusieurs pays pour voir ce qui sy fait concrètement.
Jobserve dailleurs que les débats sont de nature identique à ceux en cours chez nous :
* quelle répartition entre le public et le privé ?
* quelle structure doit avoir la responsabilité de la prise en charge : les collectivités locales ? des caisses spécifiques ? des caisses dassurance maladie ?
* à quel niveau devrait se situer lintervention des pouvoirs publics ?
* quels modes de financement faut-il développer ?
En cela, votre souci détablir une comparaison avec lAllemagne prend tout son sens.
Mais il a également ses limites dans la mesure où lAllemagne a développé un modèle particulier de prise en charge de la dépendance.
Le choix sest en effet porté très tôt, dès 1995, sur la création dune branche spécifique fondée sur une assurance obligatoire, financée par des cotisations sociales, et une uniformité des niveaux de cotisation et de prestations sur lensemble du territoire.
Cette cinquième branche en Allemagne est adossée à lAssurance maladie. Cest un schéma que certains souhaiteraient dailleurs transposer en France. Je note comme vous que le modèle allemand doit faire face à une situation démographique plus critique que la nôtre, qui impacte lourdement le choix qui a été fait : la cotisation en faveur de lassurance dépendance a augmenté significativement, et je note quon parle encore de laugmenter pour tenter déquilibrer le système.
Les discussions portent désormais sur la pérennité dun modèle de prise en charge par une branche financée par les actifs.
Ces évolutions du système de dépendance en Allemagne et ses caractéristiques, comme par exemple le fait que la dépendance partielle y est relativement peu couverte, devront être observées avec attention.
Ils permettront déclairer les choix que nous proposerons au regard de leurs implications sur la gouvernance de notre système de prise en charge, sur leur signification politique, mais aussi sur leurs conséquences sociales.
Il est donc indispensable de regarder ce qui se fait chez nos principaux voisins étrangers car toutes les pistes doivent nous inspirer sans parti pris, ni idéologie.
Cest ce même esprit douverture qui doit nous animer pour envisager les différentes pistes de financement.
Car, nous le savons, dans les prochaines années, ce risque va devenir un risque de masse et il est de notre responsabilité dy faire face.
Il faut donc envisager des solutions de long terme de nature à garantir la pérennité de notre système de prise en charge.
Cela conduira évidemment le débat à se pencher sur le rôle que lassurance privée pourra être appelée à jouer dans la prise en charge de la dépendance.
Il sagit effectivement de lun des modes de financement sur lequel le groupe animé par Bertrand Fragonard réfléchit.
A mi-parcours du débat national et au fil des échanges que jai eus, je note quil ressort un large consensus pour le maintien du socle actuel de prise en charge solidaire de la dépendance.
Je le dis donc très clairement devant vous : en aucun cas, il ne sagit de remettre en question ce socle solidaire, qui sélève aujourdhui à 25 milliards deuros et qui ne diminuera pas.
Vous comprendrez toutefois que je ne me prononce pas à ce stade en faveur ou non du développement dune assurance en complément dun socle solidaire, ainsi que sur son caractère obligatoire ou facultatif. Je voudrais simplement relever les questions préalables qui se posent lorsque lon examine la piste de lassurance dépendance complémentaire.
Première question préalable : comment garantir la lisibilité des contrats pour que nos concitoyens puissent comparer loffre et choisir la meilleure en toute connaissance de cause ?
Comment donc rendre clairs les contrats souscrits par les assurés, qui pourraient croire, par exemple dans le cas dun contrat annuel, quils disposent dune garantie viagère, ce qui nest pas le cas ?
Deuxième question préalable : comment assurer une articulation efficiente entre une assurance complémentaire et le système de prise en charge solidaire ?
Force est de constater aujourdhui que la définition de la dépendance nest pas harmonisée entre les différents assureurs et ne reprend pas, par exemple, les critères de lallocation personnalisée dautonomie.
Les assureurs définissent ainsi le plus souvent la dépendance à partir de plusieurs critères, tels que les actes de la vie quotidiennes (AVQ), la grille Colvez ou encore les indicateurs EHPA et Katz.
Nous devrons discuter ensemble dune harmonisation des conditions de déclenchement de la garantie des prévoyances dépendance.
Troisième question : comment assurer le transfert des droits, dans la mesure où la perspective, pour un assuré, de ne pas pouvoir changer dassureur au cours de la vie de son contrat nest pas satisfaisante ?
Quatrième question : comment permettre laccès de tous à des contrats de prévoyance dépendance, cest-à-dire quel que soit létat de santé de la personne qui le souscrit, quel que soit son âge aussi, et, surtout, quels que soient ses moyens financiers ?
Je ne prétends pas, bien sûr, être exhaustive avec ces différentes questions. Je pourrais évoquer dautres aspects tout aussi délicats, comme par exemple la nature de la prise en charge à privilégier (indemnitaire ou forfaitaire ?).
Ce quil faut retenir à ce stade de nos réflexions et de nos échanges, cest que, si la solution assurantielle devait être retenue en complément de la prise en charge publique, alors cette piste de financement devrait nous conduire à nous entourer dun certain nombre de précautions.
A cet égard, lidée dun label me semble intéressante car il pourrait définir des règles communes de déclenchement de la garantie des contrats, de gestions des droits ou encore de transférabilité ou de portabilité des garanties souscrites.
Nul doute que les prochaines rencontres que le CORA souhaite organiser sur le thème de la dépendance viendront affiner les réponses à ces différentes questions.
Mais je voudrais surtout insister sur ce que les premiers travaux des groupes de travail ont montré : pour lheure, nous ne pouvons nous prévaloir daucune certitude et la question de la dépendance ne trouvera pas de réponse unique.
Je sais pouvoir compter sur votre engagement et celui du secteur de lassurance pour imaginer ensemble un système solidaire qui permettra de répondre aux attentes.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 3 mai 2011