Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur l'engagement et la prise en charge des sociétés d'assurance de la dépendance et de la perte d'autonomie des personnes âgées, Paris le 21 avril 2011.

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Circonstance : Rencontre organisée par le Conseil d'orientation et de réflexion des assurances (CORA) sur la dépendance à Paris le 21 avril 2011

Texte intégral


Je veux tout d’abord vous remercier, Monsieur le président, cher Bernard Spitz, de m’avoir invitée à participer à vos réflexions à l’occasion de cette rencontre organisée par le Conseil d’orientation et de réflexion des assurances (CORA).
Le choix du thème de cette rencontre témoigne en effet d’une actualité particulièrement stimulante pour le secteur des assurances.
La rencontre d’aujourd’hui et la qualité de vos échanges montrent surtout que le monde de l’assurance prend toute sa part à la réflexion collective sur la réforme de notre système de prise en charge de la dépendance qu’a souhaitée le Président de la République et qu’il m’a chargée de conduire.
Je me félicite que vous vous impliquiez avec autant de dynamisme dans ce débat national qui s’est ouvert en février dernier et qui nous concerne tous.
L’engagement du monde de l’assurance ne se limite évidemment pas à l’organisation de cette journée qui va donner lieu à une série de rencontres supplémentaires organisée par le CORA autour du thème de la dépendance.
Vous êtes en effet directement et pleinement associés au groupe de travail animé par Bertrand Fragonard qui réfléchit à la gouvernance et aux modes de prise en charge de la perte d’autonomie. Les opérateurs de l’assurance participent en outre activement aux débats régionaux, dont le premier s’est tenu dans le Maine et Loire lundi dernier et qui vont s’échelonner jusqu’à la fin du mois de juin prochain.
Plus largement, je le sais, vous avez su vous saisir à bras-le-corps de la question du vieillissement pour l’envisager sous tous ses aspects et imaginer des solutions innovantes que vous soumettrez à la concertation collective. Soyez-en tous profondément remerciés.
Alors, une fois n’est pas coutume, permettez-moi, pour clôturer cette rencontre, non pas d’énoncer de grandes conclusions, mais plutôt de vous livrer d’abord deux remarques liminaires (I) et de poser ensuite quelques questions (II).
Première remarque : vos échanges vous ont conduits à aborder de manière approfondie la question du financement de la dépendance.
Mais, comme en témoignent d’ailleurs les échanges de la première table ronde, le débat sur la dépendance ne se réduit évidemment pas à ses seuls aspects financiers. Ce débat doit d’abord porter sur les fins, dont nous avons collectivement à débattre, avant d’aborder la question des moyens.
Car ne nous y trompons pas : ce débat national sur la dépendance, c’est d’abord un débat de société.
La question de la perte d’autonomie soulève la question de la place des personnes âgées dans notre société et celle des défis multiples liés au vieillissement.
Le groupe de travail piloté par Annick Morel est d’ailleurs chargé de s’interroger sur les adaptations de notre monde aux réalités de la population de demain, que ce soit en termes d’aménagement du territoire ou d’adaptation de nos modèles sociaux.
Nous devons ainsi nous poser collectivement la question de l’évolution des modèles familiaux qui aura nécessairement un impact sur les modes de prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Quelle place devons-nous laisser à la solidarité familiale ou aux liens intergénérationnels ? Quelles aides devons-nous ou pouvons-nous apporter aux aidants, qui sont d’ailleurs souvent des aidantes ?
Ce débat national devra également faire émerger des solutions pour garantir aux personnes un véritable choix entre le maintien à domicile ou l’entrée en établissement.
Plus largement, envisager le vieillissement, c’est aussi prendre en compte, grâce à une politique transversale, tout l’environnement dans lequel les personnes âgées évoluent pour modifier notre société.
Logement, mobilier urbain, transports, commerces… : tous ces aspects doivent être questionnés à l’aune de la place que nous voulons accorder aux personnes âgées. Ma seconde remarque concerne le choix du thème de cette rencontre en examinant comment l’Allemagne finance la prise en charge des personnes dépendantes.
Ce choix de placer vos réflexions sous le signe de l’ouverture est particulièrement pertinent.
J’ai d’ailleurs effectué début février un déplacement à Berlin pour me rendre compte par moi-même de la manière dont nos voisins envisageaient ce sujet.
Le débat citoyen doit évidemment se nourrir des bonnes pratiques de nos voisins, notamment européens car, nous le savons bien, la réforme de la dépendance n’est pas l’apanage de la France.
Comme en France, nos partenaires sont confrontés, à des degrés divers, à un phénomène de transition démographique.
Et, face aux enjeux de financement de la sphère publique, tous les Etats ont engagé une réflexion pour une éventuelle remise à plat des systèmes en vigueur.
Au moment où nous prenons des décisions qui engagent notre avenir et celui de nos enfants, il est important pour nous d’observer avec attention ce qui se passe hors de nos frontières pour faire les meilleurs choix.
Comme je vous l’indiquais, je me suis rendue moi-même dans plusieurs pays pour voir ce qui s’y fait concrètement.
J’observe d’ailleurs que les débats sont de nature identique à ceux en cours chez nous :
* quelle répartition entre le public et le privé ?
* quelle structure doit avoir la responsabilité de la prise en charge : les collectivités locales ? des caisses spécifiques ? des caisses d’assurance maladie ?
* à quel niveau devrait se situer l’intervention des pouvoirs publics ?
* quels modes de financement faut-il développer ?
En cela, votre souci d’établir une comparaison avec l’Allemagne prend tout son sens.
Mais il a également ses limites dans la mesure où l’Allemagne a développé un modèle particulier de prise en charge de la dépendance.
Le choix s’est en effet porté très tôt, dès 1995, sur la création d’une branche spécifique fondée sur une assurance obligatoire, financée par des cotisations sociales, et une uniformité des niveaux de cotisation et de prestations sur l’ensemble du territoire.
Cette cinquième branche en Allemagne est adossée à l’Assurance maladie. C’est un schéma que certains souhaiteraient d’ailleurs transposer en France. Je note comme vous que le modèle allemand doit faire face à une situation démographique plus critique que la nôtre, qui impacte lourdement le choix qui a été fait : la cotisation en faveur de l’assurance dépendance a augmenté significativement, et je note qu’on parle encore de l’augmenter pour tenter d’équilibrer le système.
Les discussions portent désormais sur la pérennité d’un modèle de prise en charge par une branche financée par les actifs.
Ces évolutions du système de dépendance en Allemagne et ses caractéristiques, comme par exemple le fait que la dépendance partielle y est relativement peu couverte, devront être observées avec attention.
Ils permettront d’éclairer les choix que nous proposerons au regard de leurs implications sur la gouvernance de notre système de prise en charge, sur leur signification politique, mais aussi sur leurs conséquences sociales.
Il est donc indispensable de regarder ce qui se fait chez nos principaux voisins étrangers car toutes les pistes doivent nous inspirer sans parti pris, ni idéologie.
C’est ce même esprit d’ouverture qui doit nous animer pour envisager les différentes pistes de financement.
Car, nous le savons, dans les prochaines années, ce risque va devenir un risque de masse et il est de notre responsabilité d’y faire face.
Il faut donc envisager des solutions de long terme de nature à garantir la pérennité de notre système de prise en charge.
Cela conduira évidemment le débat à se pencher sur le rôle que l’assurance privée pourra être appelée à jouer dans la prise en charge de la dépendance.
Il s’agit effectivement de l’un des modes de financement sur lequel le groupe animé par Bertrand Fragonard réfléchit.
A mi-parcours du débat national et au fil des échanges que j’ai eus, je note qu’il ressort un large consensus pour le maintien du socle actuel de prise en charge solidaire de la dépendance.
Je le dis donc très clairement devant vous : en aucun cas, il ne s’agit de remettre en question ce socle solidaire, qui s’élève aujourd’hui à 25 milliards d’euros et qui ne diminuera pas.
Vous comprendrez toutefois que je ne me prononce pas à ce stade en faveur ou non du développement d’une assurance en complément d’un socle solidaire, ainsi que sur son caractère obligatoire ou facultatif. Je voudrais simplement relever les questions préalables qui se posent lorsque l’on examine la piste de l’assurance dépendance complémentaire.
Première question préalable : comment garantir la lisibilité des contrats pour que nos concitoyens puissent comparer l’offre et choisir la meilleure en toute connaissance de cause ?
Comment donc rendre clairs les contrats souscrits par les assurés, qui pourraient croire, par exemple dans le cas d’un contrat annuel, qu’ils disposent d’une garantie viagère, ce qui n’est pas le cas ?
Deuxième question préalable : comment assurer une articulation efficiente entre une assurance complémentaire et le système de prise en charge solidaire ?
Force est de constater aujourd’hui que la définition de la dépendance n’est pas harmonisée entre les différents assureurs et ne reprend pas, par exemple, les critères de l’allocation personnalisée d’autonomie.
Les assureurs définissent ainsi le plus souvent la dépendance à partir de plusieurs critères, tels que les actes de la vie quotidiennes (AVQ), la grille Colvez ou encore les indicateurs EHPA et Katz.
Nous devrons discuter ensemble d’une harmonisation des conditions de déclenchement de la garantie des prévoyances dépendance.
Troisième question : comment assurer le transfert des droits, dans la mesure où la perspective, pour un assuré, de ne pas pouvoir changer d’assureur au cours de la vie de son contrat n’est pas satisfaisante ?
Quatrième question : comment permettre l’accès de tous à des contrats de prévoyance dépendance, c’est-à-dire quel que soit l’état de santé de la personne qui le souscrit, quel que soit son âge aussi, et, surtout, quels que soient ses moyens financiers ?
Je ne prétends pas, bien sûr, être exhaustive avec ces différentes questions. Je pourrais évoquer d’autres aspects tout aussi délicats, comme par exemple la nature de la prise en charge à privilégier (indemnitaire ou forfaitaire ?).
Ce qu’il faut retenir à ce stade de nos réflexions et de nos échanges, c’est que, si la solution assurantielle devait être retenue en complément de la prise en charge publique, alors cette piste de financement devrait nous conduire à nous entourer d’un certain nombre de précautions.
A cet égard, l’idée d’un label me semble intéressante car il pourrait définir des règles communes de déclenchement de la garantie des contrats, de gestions des droits ou encore de transférabilité ou de portabilité des garanties souscrites.
Nul doute que les prochaines rencontres que le CORA souhaite organiser sur le thème de la dépendance viendront affiner les réponses à ces différentes questions.
Mais je voudrais surtout insister sur ce que les premiers travaux des groupes de travail ont montré : pour l’heure, nous ne pouvons nous prévaloir d’aucune certitude et la question de la dépendance ne trouvera pas de réponse unique.
Je sais pouvoir compter sur votre engagement et celui du secteur de l’assurance pour imaginer ensemble un système solidaire qui permettra de répondre aux attentes.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 3 mai 2011