Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Radio France internationale le 25 avril 1999, sur la nécessité d'un autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU pour des opérations de maintien de la apix, le sommet de l'OTAN et la position commune sur la situation au Kosovo.

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Circonstance : Sommet de l'OTAN à Washington (Etats-Unis) du 23 au 25 avril 1999

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, la diplomatie française considère que lun des résultats marquants de ce sommet a été la référence dans les textes à une intervention des Nations unies. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cela différe du statut quo ante, puisque cette référence existait déjà ?
R - Dans le cadre de cette discussion, un des points de divergence potentielle était le fait de savoir si lOTAN pouvait intervenir librement de son propre chef, la position française étant que dès lors que lon nest pas dans la légitime défense que lon appelle larticle 5 dans le Traité de lOTAN, les membres se défendent les uns les autres, cest une alliance précisément faite pour cela. Quand on est dans les autres missions du type maintien de la paix notamment, il faut avoir une autorisation du Conseil de sécurité. Nous ne faisons que répéter ce qui est dans la charte qui a créé les Nations unies en 1945, et qui est dailleurs reconnue et saluée dans le Traité de Washington de 1949 qua créé lAlliance atlantique et lOTAN et qui fait référence à la charte des Nations unies dans son article 7. Ca, cest notre position. Mais, nous avons eu affaire pendant une période de la préparation de ce sommet à des négociateurs américains qui voulaient en quelque sorte saffranchir de ces contraintes, de cette légalité internationale en estimant que tout cela, cétait un peu des vieilles lunes et quil fallait que lOTAN ait les moyens dagir. Cette discussion a été ravivée par les questions du Kosovo, puisque nous avons eu au sujet du Kosovo trois résolutions du Conseil de sécurité notamment deux en septembre et une en octobre 98. Ces résolutions nétaient pas aussi détaillées que nous laurions souhaité sur lemploi de la force, mais elles étaient quand même très vigoureuses. Elles invoquaient le chapitre 7, lemploi de la force, elles comportaient des exigences très fortes par rapport à Belgrade, elles ne prévoyaient pas tous les détails du dispositif du recours à la force mais le président de la République et le gouvernement ont estimé à lautomne dernier que devant la gravité de la situation au Kosovo, devant lampleur du drame qui sannonçait, il fallait en quelque sorte faire avec. Cétait une attitude pragmatique de notre part, liée, je le répète, à lampleur de la tragédie, mais il était très important pour nous que cela ne devienne pas un précédent, que ce soit bien lié au caractère très spécial de cette affaire du Kosovo. Finalement, nous avons trouvé un arrangement qui est satisfaisant, qui est un bon résultat, et cette charte des Nations unies est maintenant citée de façon précise dans tous les textes issus du sommet.
Q - Vous dites quil est satisfaisant. Satisfaisant pour la France mais il a été accueilli côté américain par un silence qui, généralement, est synonyme de déplaisir.
R - Non, dans un sommet, dès lors que lon adopte un communiqué ensemble, cest que lon se reconnaît tous dans le communiqué. Par définition, cest un compromis. Il sagit de savoir si le compromis respecte les points fondamentaux. Pour nous, cest le cas. Les Etats-Unis nauraient pas souscrit à ce communiqué sils lavaient trouvé inacceptable de leur point de vue. Donc cela veut dire que la ténacité diplomatique a été payante et que ce travail a permis daboutir à une formulation qui est convenable du point de vue de tous les alliés. Il ny a pas que les Etats-Unis et la France.
Q - Est-ce que vous navez pas limpression que dune certaine façon, le fait que ce sommet se déroule en quelque sorte sur le vif, sur lillustration des travaux pratiques de la théorie, a fait avancer certaines idées ?
R - Il y a évidemment un lien entre la tragédie du Kosovo et laction que nous avons dû y mener et dautre part ce Sommet. Mais cela a joué dans deux sens. Dans un certain sens, cela a renforcé lidée que dans certains cas, il faut agir même si toutes les conditions en matière dinternationalisation ne sont pas réunies dans le plus petit détail, et en même temps, cela a renforcé de la part des Etats-Unis le désir davoir un sommet qui tienne compte de lavis de lensemble des participants puisquil fallait que la cohésion lemporte. Jajoute autre chose, à savoir que nous avons obtenu des références extrêmement précises à leffort européen en matière de défense, à lidentité européenne de défense et de sécurité, à la démarche de Saint-Malo, au Traité dAmsterdam. Et que tout cela aussi, ce nétait pas évident et que nous lavons obtenu parce quil y a eu une bonne entente et une bonne cohésion franco-britannique pour la préparation et ladoption de ces textes.
Q - Alors, au sortir de cette rencontre à 19, quelle est la définition de la position commune sur le Kosovo ?
R - Le Sommet finalement na pas essentiellement été centré sur le Kosovo. Il y a eu une séance avant louverture officielle du Sommet et sur ce point, il y a eu un tour de table, lélément marquant de ce tour de table étant que tous les participants ont confirmé leur accord avec la stratégie qui a été menée depuis le début. Ils ont tous dit que cétait impossible de sabstenir, que ce nétait plus tolérable de voir en Europe des pratiques comme celles qui ont été mises en oeuvre par le régime de Belgrade. Ils ont donc tous justifié la stratégie menée et en même temps, ils ont estimé que cette stratégie daction aérienne méthodique, devait être poursuivie avec ténacité, quelle donné déjà des résultats et quelle donnerait de plus en plus et que ce nétait pas le moment de la remettre en cause sur la base dinterrogations exprimées, plutôt en dehors du Sommet, quà lintérieur.
Q - Il y avait un grand absent, cétait la Russie. Une grande absente. Comment envisage-t-on de la réintégrer dans le jeu diplomatique. Enfin elle est y déjà, mais quel rôle envisage-t-on pour la Russie dans une sortie de crise diplomatique ?
R - Alors on ne peut pas dire que la Russie soit absente du sommet de lOTAN en tant que telle, parce quelle nest pas membre de lOTAN, elle nest pas dans les 19 membres de lOTAN. Dans les circonstances actuelles, la Russie na pas voulu venir à ce sommet, mais je peux vous dire que cela ne suspend en rien le travail qui est fait avec elle et qui a lieu sur un plan bilatéral très actif, entre la Russie et les Etats-Unis, la Russie et la France, la Russie et lAllemagne ou la Grande-Bretagne. Nous continuons à travailler sur la solution politique vers laquelle nous voulons arriver au Kosovo. Il ne faut pas oublier que nous avons dû employer des moyens militaires pour modifier la situation et changer le rapport de force, parce quil ny avait pas dautres issues. Mais que le but est bien de revenir sur le terrain dune solution politique pour le Kosovo en attendant lavenir, qui est celui dune réintégration dune Yougoslavie devenue démocratique dans lensemble de lEurope. Et pour ce qui est de la sortie de crise au Kosovo et de la situation politique, nous avons un accord avec les Russes sur pas mal de points déjà. Sur le type de solution, une autonomie substantielle, avec une garantie internationale définie par le Conseil de sécurité. Avec une difficulté qui reste à traiter, encore maintenant, et qui est celle sur laquelle nous travaillons le plus, qui est de savoir, comment dans le Kosovo de demain, libre, nous allons combiner, à lintérieur de lindispensable force de sécurité militaire, qui va garantir cette nouvelle situation et donc la coexistence des différentes populations, combiner la présence de contingents de lOTAN, de la Russie, ce qui est extrêmement souhaitable, et dautres pays, comme par exemple des pays neutres. Cest cette combinaison qui doit être trouvée, en assurant en même temps la plus grande efficacité à cette force, qui va être le résultat de nos travaux des prochains jours.
Q - Et vous êtes allé voir M. Kofi Annan jeudi soir, est-ce que vous envisagez à un moment ou à un autre également une intervention de lONU dans le jeu diplomatique, dans un avenir proche ?
R - De toute façon, comme je le disais, il y a un instant, la solution politique à notre avis, doit être élaborée dans le cadre du Conseil de sécurité. Il y a par ailleurs laction potentielle du secrétaire général. Je lai trouvé extrêmement préoccupé, jeudi après-midi à New York, extrêmement attentif à la situation. Il va cette semaine en Allemagne, puis à Moscou. Je ne crois pas quil ait lintention de prendre une initiative immédiate, dans la mesure où il a repris à son compte les cinq conditions, qui avaient été adressées aux autorités de Belgrade il y a quelque temps et qui définissent le contour de toute solution possible. Mais il nest pas exclu quà un moment donné, ultérieurement il ait un rôle à jouer et que chacun le souhaite. Mais il est plutôt dans une phase de préparation, en relation étroite avec les membres permanents pour être disponible le moment venu.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 1999)