Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, sur la politique de coopération, à Paris le 19 juillet 2011.

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Circonstance : Journées du Réseau des conseillers de coopération français, à Paris les 18 et 19 juillet 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C’est avec un très grand plaisir que je vous accueille dans ce centre de conférences ministériel de la Convention pour cette journée des conseillers de coopération. Vous l’avez noté, cet exercice annuel de rencontre entre le réseau et les ministres, les grandes directions du Département, les opérateurs et les intervenants extérieurs a cette année changé à la fois de nom et de format. Nous avons souhaité avec Alain Juppé vous accueillir dans un format plus restreint, peut-être plus opérationnel aussi. Et si le public est resserré, il n’est pas de moindre qualité.
Cette rencontre recentrée sur vos métiers souligne combien votre rôle est central dans le dispositif français à l’étranger. Il est avant tout, sous l’autorité directe de l’ambassadeur, d’assurer dans vos pays de résidence la cohérence de notre action de coopération, qui est parfois menée par plusieurs entités, mais qui ne doivent former qu’une seule équipe, celle de la France.
Les bouleversements auxquels le monde actuel est confronté sont illustrés par les printemps arabes. Toutefois, ne nous y trompons pas, il ne s’agit probablement que de la partie saillante d’une vague de fond qui est à l’œuvre depuis plusieurs années. Nous sommes sans doute à l’un de ces moments de l’Histoire où se recompose la hiérarchie des rapports de force mondiaux. La caractéristique du moment présent est que cette recomposition n’épargne aucune région du monde, puisqu’elle s’inscrit dans le contexte de la mondialisation, et qu’elle met en jeu toutes les dimensions qui constituent l’essence des nations. Le moment présent renvoie à leur origine académique les distinctions théoriques entre «hard», «soft», voire «smart power».
Ce sont bien tous les leviers à leur disposition qu’utilisent les grands acteurs mondiaux pour réagir aux changements actuels. Et nous voyons que notre pays, la France, qui est une puissance globale, est mobilisée aujourd’hui sur l’ensemble des plans où s’exerce notre influence internationale : action militaire au service du droit afin de protéger les populations, négociations multilatérales pour faire valoir nos vues dans ce monde nouveau qui émerge de la recomposition des puissances économiques, engagement inlassable en faveur de l’Europe, tout en préservant nos intérêts, influence culturelle, coopération scientifique, aide au développement, notre pays fait jouer à plein tous les instruments qui sont à sa disposition. Ces instruments sont nombreux, ils peuvent être puissants s’ils sont mis en œuvre avec cohérence, et au service d’objectifs politiques bien identifiés. Dans quel but ? L’enjeu de la période actuelle est une vaste recomposition des pouvoirs à l’échelle mondiale.
La France entend certes défendre son rang et ses intérêts. Mais elle souhaite aussi promouvoir sa vision du monde et ses principes, fondés sur le respect des valeurs universelles de liberté et de démocratie. Enfin elle ne mène pas ce combat seulement pour elle-même, mais elle s’engage aussi en faveur des populations et les États les plus fragiles. C’est pourquoi elle ne renoncera jamais à l’impératif de solidarité.
La coopération est donc aujourd’hui au centre de notre politique étrangère et de notre action diplomatique. Le programme qui vous est proposé pour cette journée reflète l’importance de la dimension politique de votre métier. Un accent particulier est placé sur l’analyse de plusieurs enjeux essentiels mis en exergue par les printemps arabes, mais qui ne se limitent pas à cette région du monde. À travers trois tables rondes, des débats seront organisés sur l’éducation et l’enseignement supérieur dans le contexte de la compétition mondiale, sur la jeunesse, comme acteur du changement et enfin sur les outils numériques, dont le pouvoir a été révélé par les événements récents.
Mais si le débat d’idées a tout son prix, nous sommes aussi réunis pour parler des questions de management. Vous êtes dans chacun de vos postes des managers. Je souhaite que ces journées soient aussi l’occasion d’échanger sur les aspects opérationnels de vos fonctions, et que nous abordions ensemble les questions de la reforme en cours, des moyens, des ressources humaines. Pour que vous puissiez remplir des objectifs ambitieux, vous devez pouvoir compter sur le ministère afin de vous accompagner sur un certain nombre de sujets de gestion, qui sont votre préoccupation quotidienne et qui ne doivent pas être des motifs d’inquiétude pour les agents que vous dirigez.
Il serait vain en effet de penser que notre action de coopération, parce qu’elle est reconnue et parce qu’elle est appréciée, doive rester immuable dans ses modalités, même si elle reste constante dans ses finalités. Les printemps arabes ont ainsi souligné combien le paradigme du développement en cours ces dernières années avait sous-estimé les aspirations réelles des populations. Ce mouvement a montré que les actions de coopération contribuant au dialogue des cultures, au débat des idées, à l’influence sur les esprits, ne devaient pas venir parachever un long processus de décollage économique mais au contraire l’accompagner dès l’origine.
C’est pourquoi nous devons plus que jamais orienter notre coopération vers les besoins qu’expriment les peuples. C’est le sens de la mobilisation exceptionnelle qui a été décidée en faveur de la Tunisie et de l’Égypte, avec des enveloppes respectivement de 350 et 650 millions d’euros, s’inscrivant dans le cadre du partenariat annoncé au G8 de Deauville. Une part importante de ces montants sera consacrée à la formation professionnelle afin de répondre aux demandes de la jeunesse de ces pays. C’est parce que nous sommes exemplaires dans la tenue de nos engagements en matière d’APD, avec près de 10 milliards d’euros, une contribution de 0,5 % du Revenu national brut et l’un des deux seuls budgets qui ont été maintenus sur le triennum 2011-2013, que notre action doit être visible, tant pour les bénéficiaires de l’aide que pour nos concitoyens.
C’est pourquoi les priorités françaises que sont notamment la santé, la sécurité alimentaire, la lutte contre la pauvreté, l’accès à l’eau, doivent être déclinées et valorisées au niveau bilatéral et au niveau local, quand bien même le financement provient d’un canal multilatéral. Cette promotion sur le terrain de nos engagements multilatéraux est de votre responsabilité. Je sais ainsi que je peux compter sur vous pour mettre en valeur les engagements renouvelés que la France a pris, par exemple, dans la lutte contre les maladies transmissibles en portant à 360 millions sa contribution annuelle au Fonds mondial ou en augmentant encore son financement en faveur de la vaccination au sein de l’Alliance GAVI.
Ce dialogue avec les autorités et les populations pour entendre leurs besoins, construire ensemble des projets et valoriser l’engagement de la France, repose naturellement sur des relations extrêmement étroites avec les opérateurs concernés, en particulier l’AFD. Je suis pour ma part très attaché, et je sais que le Directeur général de l’AFD partage cette conviction, à ce que les projets de l’AFD soient pleinement partagés par l’ensemble des équipes de coopération sur place, sous l’autorité de l’ambassadeur, qui est l’échelon indispensable pour leur donner la portée politique qui doit être la leur. J’ai pu constater il y a quelques jours, lors de la signature de la deuxième tranche du C2D au Cameroun, combien les autorités et la population étaient attachées à cette dimension politique, qui fait que, pour de nombreux pays, la coopération constitue l’épine dorsale de la relation bilatérale avec la France.
N’oublions pas que pour les populations des pays les plus pauvres, le développement ne se segmente pas. Il est ressenti dans toutes ses dimensions économique, sociale, politique et culturelle. Le point d’application de cette approche globale est la stratégie que nous mettons en œuvre avec nos partenaires européens dans le Sahel. L’action militaire peut sans doute faire reculer le terrorisme, mais c’est le développement, un développement qui englobe l’ensemble des aspirations des populations, en particulier des jeunes, qui seul pourra faire disparaître cette menace dans les régions les plus déshéritées.
Aussi devons-nous porter une attention soutenue aux instruments qui influencent durablement les esprits et contribuent à leur donner une idée que l’on peut espérer positive de notre pays. L’importance de notre réseau d’enseignement est à ce titre un atout incomparable. Nous disposons du premier réseau scolaire étranger. Pour conforter encore cet atout sans équivalent, nous avons consenti un effort particulier avec le plan de développement qui sanctuarise les moyens et lancé le label «FrancEducation», qui permettra d’associer des établissements étrangers d’excellence à notre réseau.
Il va de soi que ces efforts menés au niveau scolaire doivent être prolongés par une politique de coopération universitaire ambitieuse. Sur ce plan, la compétition est désormais mondiale et l’attractivité des universités est devenue l’un des plus clairs marqueurs d’influence entre les nations. Le rôle d’interface que jouent les conseillers scientifique et technique est en la matière irremplaçable.
En matière culturelle, la France compte parmi les trois ou quatre nations dont les artistes et les biens culturels sont les plus diffusés. Nous avons à consolider cette position d’influence, notamment dans les pays prescripteurs, mais aussi, plus spécifiquement, en Europe et dans l’espace méditerranéen. Nous devons, là encore, tenir compte de ces nouveaux territoires virtuels qui émergent de la révolution numérique et qui sont de nouvelles terres de missions pour la langue et la création françaises. Le Festival du film français sur internet a été récemment un exemple d’initiative permettant de promouvoir la diversité culturelle dans ce réseau mondial où elle fait trop souvent défaut.
À l’évocation de ces activités, chacun voit combien vos missions sont riches et diversifiées. Cette richesse est aussi une contrainte. Elle rend indispensable votre rôle afin de coordonner et de donner toute sa cohérence à une action qui se déploie dans des champs aussi vastes. À l’égard des sociétés de vos pays de résidence, vous devez également jouer le rôle de capteurs, pour déceler et rendre compte des évolutions sociales et culturelles qui désormais se déploient avec une rapidité inédite, que facilitent les nouveaux médias numériques, et ce de manière décentralisée. C’est à cette condition que nous pourrons adapter en permanence notre offre de coopération afin qu’elle réponde aux besoins des peuples et aux intérêts de notre pays.
S’agissant des moyens que nous mettons en face de cette ambition, je tiens à souligner que nous sommes à un moment où la maîtrise des finances publiques n’est plus un simple élément de contexte. Elle est devenue, en particulier dans la zone euro, un critère essentiel du poids et de l’influence réelle des États. Pour autant, le gouvernement a tenu à faire un effort particulier en faveur des budgets de la coopération. Le programme 185 qui regroupe les actions relevant de la politique d’influence, y compris l’enseignement public à l’étranger, est certes soumis à la baisse programmée de 2,5 % qui s’applique à l’ensemble du budget de l’État. Mais il bénéficiera en 2012 d’une rallonge exceptionnelle de 4 millions d’euros qui seront consacrés aux politiques d’attractivité, notamment à l’augmentation de l’enveloppe dévolue aux bourses. La subvention versée à l’AEFE sera quant à elle intégralement préservée. S’agissant du programme 209 consacré à la solidarité avec les pays en développement, il est sanctuarisé sur le triennum, conformément aux engagements pris par la France en matière d’aide publique au développement. Des réallocations permettront de renforcer notre soutien à la société civile, de rehausser le niveau de nos contributions volontaires à certaines organisations internationales et de promouvoir la francophonie.
La réforme du réseau est en cours. Vous en connaissez les grands objectifs. Elle s’inscrit, en cohérence avec les orientations définies par le Livre blanc, dans le prolongement de la réforme de l’administration centrale, avec la constitution de la DGM et la création des trois nouveaux opérateurs voulue par la loi du 27 juillet 2010. Cette réforme vise à disposer d’un réseau plus visible, avec notamment la création d’une marque unique l’Institut français, en complément de la marque Alliance française, à l’instar de ce que pratiquent touts nos grands partenaires. Elle vise également rendre le réseau plus cohérent, par la fusion dans un dispositif unique des services de coopération et d’action culturelle (SCAC), des Établissements à autonomie financière (EAF), ainsi que des diverse s antennes et bureaux spécialisés. Enfin elle permet de doter l’ensemble du réseau de l’autonomie financière, dont le premier avantage consiste à pouvoir recueillir des financements non budgétaires. Cette activité de recherche de partenariats est devenue une part importante de votre métier, et je tiens à saluer vos nombreuses réussites en la matière.
Comme vous le savez, cette reforme se déploie dans le réseau selon deux modèles différents : la fusion des SCAC et des EAF dans 94 pays d’une part, et d’autre part une expérimentation de rattachement direct à l’Institut français, qui concerne 13 pays. Xavier Darcos aura l’occasion de revenir de manière plus détaillée sur la mise en œuvre de cette expérimentation. Cette réforme est mise en œuvre de manière pragmatique, avec le temps nécessaire puisque l’expérimentation durera jusqu’en 2013. Elle tient compte des réalités locales et, vous avez pu le constatez, elle est assortie d’un processus d’accompagnement que nous avons souhaité le plus complet possible avec de nombreuses missions envoyées par le Département ainsi que de multiples réunions au niveau régional. J’insiste en outre sur le fait que cette expérimentation est réversible.
Les trois nouveaux opérateurs que sont l’Institut français, Campus France et France expertise internationale (FEI) viennent donc renforcer la cohérence et la lisibilité de notre action dans des domaines essentiels. Ils complètent un dispositif au sein duquel l’AEFE, le réseau des Alliances françaises et Canal France international effectuent déjà un travail remarquable. Je n’oublie pas non plus l’action de notre partenaire France Volontaires.
S’agissant de l’AFD, le contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et l’AFD pour la période 2011-2013 a été validé par le Conseil d’orientation stratégique et a été approuvé par le conseil d’administration de l’Agence. Le Conseil d’orientation stratégique a été l’occasion pour les tutelles de réaffirmer les priorités dévolues à l’agence. L’AFD continuera d’avoir comme zone géographique privilégiée l’Afrique subsaharienne, et elle jouera un rôle de premier ordre dans la mise en œuvre du Partenariat de Deauville pour soutenir les transitions démocratiques des pays du sud de la Méditerranée. Cette réunion a permis de retenir un certains nombre de recommandations émises par le Parlement, en particulier le renforcement des partenariats avec les autres bailleurs européens, les organisations non gouvernementales et les collectivités territoriales. Je souligne à cette occasion tout l’intérêt des projets qui sont réalisés dans le cadre de la coopération décentralisée.
Toute réforme suscite des inquiétudes. Vous pourrez compter sur notre soutien et les mesures d’accompagnement qui sont prises par le ministère, notamment pour assurer que ces évolutions n’auront aucun impact défavorables sur les agents, quel que soit leur statut. Il s’agit d’une de nos priorités. Mais vous devez aussi être certains de notre détermination à mettre en œuvre ces évolutions, qui sont indispensables pour préserver l’ensemble des missions du réseau.
Dans le cadre des mesures décidées au titre de la RGPP2, un plan triennal d’évolution du réseau culturel et de coopération est en cours d’élaboration. Cet exercice nous conduit à réviser en profondeur nos choix en termes d’allocation géographique et thématique de nos ressources humaines. Il aura pour conséquence de resserrer le réseau autour des priorités politiques afin d’en établir une cartographie stable pour les années à venir.
Cette réallocation doit être achevée en 2013. L’incidence de ce plan sur notre dispositif est en cours d’élaboration. Les décisions définitives de maintien pour les agents dont le contrat arrive à échéance en 2012 ne pourront donc être prises qu’à la rentrée. Je vous demande d’expliquer aux agents qu’il s’agit là d’une situation temporaire et que la mise en œuvre de cette réforme se fera avec une grande attention portée aux personnels, notamment aux situations individuelles.
Le rôle de coordination, sous l’autorité de l’ambassadeur, que doivent jouer les conseillers de coopération et les conseillers scientifiques doit vous conduire, dans la mise en œuvre de cette réforme, à instaurer plus que jamais une polyvalence des compétences chez les agents. C’est ce qui permettra à notre réseau, dans un contexte contraint, de répondre à la nécessaire évolution permanente de ses missions, qui doivent s’adapter à un monde en perpétuelle transformation.
Pour terminer, je voudrais vous réaffirmer combien le gouvernement est conscient de l’importance stratégique pour notre pays de ce réseau de coopération qui a peu d’équivalent dans le monde, et dont l’excellence reconnue repose sur votre engagement, votre dévouement souvent, votre enthousiasme toujours, auxquels je veux rendre hommage. Le ministère s’est mobilisé pour faire réussir une réforme qui n’a d’autre ambition que de renforcer le réseau et lui permettre de mieux accomplir ses missions.
Les enjeux de vos activités dans chacun de vos pays de résidence sont variés, qu’il s’agisse d’accompagner la croissance économique et l’atteinte des objectifs du millénaire en Afrique, de faire avancer un agenda partagé sur les enjeux globaux avec les grands émergents, ou de promouvoir la diversité culturelle au sein des pays développés. Mais partout, vous contribuez de manière éminente à l’action internationale de notre pays, et vous portez les valeurs et les convictions de la France. À travers toutes les dimensions de la coopération que vous mettez en œuvre, vous servez l’ambition de la France de contribuer à un monde plus équilibré, plus juste et plus solidaire, non pas en imposant nos vues, mais en permettant aux peuples de construire leur propre avenir, dans un esprit de respect mutuel et de liberté.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2011