Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, à "France 2" le 4 août 2011, sur la stratégie de la France à l'égard de la Syrie et et de la Libye.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Vous avez dit ce matin que la France n'excluait pas d'aller plus loin que la simple déclaration adoptée hier soir si rien ne change côté syrien. Manifestement, rien ne change, alors qu'attendez-vous pour aller plus loin et que signifie «aller plus loin» ?

R - Vous savez, la France a désormais une stratégie parfaitement claire. Nous ne serons plus silencieux lorsque des régimes autoritaires, dictatoriaux réprimeront dans le sang les mouvements populaires qui aspirent à la liberté. C'est ce que nous faisons en Libye ; c'est aussi ce que nous faisons en Syrie.
Ceux-là même qui nous reprochent de nous enliser en Libye nous demandent pourquoi nous n'intervenons pas militairement en Syrie. La situation est évidemment radicalement différente. Nous ne pouvons intervenir que si la communauté internationale le veut et le soutient ; cela n'a pas été le cas pour ce qui concerne la Syrie. Les pays arabes eux-mêmes ne le souhaitent pas et nous avons eu beaucoup de mal à obtenir que le Conseil de sécurité se prononce. Le silence du Conseil de sécurité était inacceptable.

Q - Alors, que va-t-il se passer maintenant ?

R - Nous avons obtenu que le Conseil de sécurité s'exprime mais comme vous le savez, les choses ne sont pas aussi simples. Il ne suffit pas de faire une déclaration au Conseil de sécurité pour que tout rentre dans l'ordre. Nous avons, face à nous, un régime répressif et nous allons donc continuer à accentuer la pression.

Q - Quelle pression ?

R - Toutes les pressions que nous avons déjà engagées depuis le début. Nous avons décidé, entre les membres de l'Union européenne, d'un certain nombre de sanctions sur les personnes, pour leur interdire par exemple de se déplacer en Europe, pour geler leurs avoirs. C'est une pression qui va s'exercer au fil du temps.
Hier, dans la déclaration officielle, le Conseil de sécurité a aussi décidé de se réunir à nouveau, dans sept jours, pour essayer de voir quelle aura été la réponse du régime syrien à ce que nous avons demandé.

Q - À quel moment allez-vous dire, vous, la France, la communauté internationale, l'ONU, qu'il y a trop de morts, que Bachar el Assad massacre son peuple ?

R - Mais Madame, je ne comprends pas bien cette question. À quel moment allons-nous dire qu'il y a trop de morts ? Nous le disons depuis trois semaines. Nous disons que cela suffit ; nous l'avons dit très clairement. Il y a trop de morts mais, cela étant, nous n'avons pas vocation à intervenir militairement partout.

Je crois que notre position dans ce domaine a été d'une très grande clarté. Nous avons condamné ces actions dès le départ. La France a été la première à le faire et nous avons eu beaucoup de mal à faire bouger les Russes, par exemple, qui pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici ne souhaitent pas que l'on condamne la Syrie. Nous avons commencé à le faire et nous allons continuer à exercer cette pression en espérant qu'elle sera plus positive. En tout cas, la réponse du régime syrien qui consiste à dire que nous allons désormais autoriser le multipartisme n'est évidemment pas à la hauteur de ce que nous demandons. Ce que nous demandons, c'est l'arrêt de la répression violente.

Q - Vous évoquiez la Libye, il y a un instant. Certains accusent la France d'enlisement ?

R - Vous voyez, lorsque l'on n'intervient pas, on nous accuse de ne pas intervenir et quand on intervient, on nous reproche de ne pas réussir assez vite.

Q - Mais la France espérait une «guerre», en tout cas une intervention assez rapide et claire. On ne peut pas, selon vous, parler d'enlisement aujourd'hui quand on voit que les troupes de Kadhafi sont toujours là, qu'elles se battent pied à pied et qu'il y a des morts, là-bas aussi, chaque jour ?

R - On ne peut pas parler d'enlisement. Il y a cinq mois que nous intervenons et personne n'a jamais parlé de guerre éclair. Sans doute avons-nous sous-estimé la résistance des forces de Kadhafi mais il n'y a pas enlisement. Et, je vous le rappelle, c'est le Conseil national de transition et ses forces qui se battent sur le terrain et elles progressent. Elles progressent dans le sud et l'ouest du pays ; le sud de la Libye est pratiquement sous le contrôle du CNT. Elles progressent à l'ouest en direction de Tripoli. Elles avancent également dans la région de Brega. Nous allons continuer à exercer cette pression militaire.

Q - Vous évoquiez le CNT à l'instant ; on a le sentiment qu'il y a des dissensions au sein même des insurgés. Cela vous inquiète-t-il ?

R - Je ne pense pas que l'on puisse parler de dissensions. Il y a eu l'assassinat du général Younes, dont les causes ne sont pas encore parfaitement connues, mais la relève a été assurée et nous faisons confiance aux dirigeants du CNT dont je vous rappelle que la quasi-totalité des grands pays ont reconnu aujourd'hui la légitimité.
Nous continuons à travailler avec eux comme nous travaillons aussi à rechercher une solution politique parce qu'il est évident que la solution ne sera pas, en définitive, militaire. Il faut tout simplement, et c'est pour nous la ligne rouge, que Kadhafi comprenne qu'il n'a plus vocation à exercer le pouvoir en Libye. Il y a là-dessus aussi, un très large consensus de la communauté internationale et nous allons y parvenir.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2011