Point de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation internationale, notamment la Libye, la Syrie, le Proche-Orient et le Partenariat oriental, Sopot le 3 septembre 2011.

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Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères et européennes ("Gymnich") à Sopot le 3 septembre 2011

Texte intégral

a Conférence de Paris a été un grand succès, tout le monde s'accorde à le reconnaître. Elle a fixé la ligne : tout d'abord, nous sommes tous soucieux de garder les moyens d'agir militairement tant qu'un risque subsiste pour les populations civiles, c'est-à-dire tant que Kadhafi n'aura pas été neutralisé, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.
Ensuite, il faut permettre au CNT de vivre : vous avez vu que le processus de dégel des avoirs libyens est en cours ce qui donnera sans doute rapidement 15 milliards de dollars.
Troisièmement, il faut accompagner le CNT dans la mise en œuvre de sa feuille de route politique - le calendrier a été annoncé avec Constitution et élections - et puis dans la reconstruction économique du pays, tout en restant vigilants sur les engagements pris par le CNT, à savoir le respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme qui inspirent tout ce mouvement populaire.
Les Nations unies vont évidemment jouer un rôle prépondérant dans ce processus : une réunion est prévue à New York le 20 septembre prochain avec le Groupe des amis de la Libye. Quant à l'Union européenne, elle sera également très présente sur tous les plans : dans le domaine militaire, dans le domaine de la sécurité et dans le domaine de la construction de l'État de droit.
La Syrie n'est pas la Libye mais j'ai rappelé que nous devions être cohérents avec nous-mêmes et que la communauté internationale, l'Union européenne et la France, devaient exercer pleinement leur responsabilité de protéger les populations civiles contre la violence des dictateurs. C'est exactement ce qui se passe en Syrie : nous avons essayé à de multiples reprises - notre collègue turc a rappelé aussi les efforts de la Turquie en ce sens - de conseiller à Bachar El Assad d'engager un processus de réformes, il ne l'a pas fait. Cela montre qu'aujourd'hui il faut accélérer le changement de régime, ce qui signifie durcir les sanctions - je me réjouis que l'Union européenne ait adopté six trains de sanctions notamment un embargo sur les exportations pétrolières -, continuer à travailler aux Nations unies pour obtenir une condamnation plus explicite du régime syrien que ce qui est le cas aujourd'hui et puis enfin, travailler avec l'opposition : on dit souvent mais quelle est l'alternative ? C'est un peu la question qu'on nous avait posé en Libye lorsque nous avons reconnu le CNT. En Syrie, aussi, il faut aider l'opposition à s'organiser.
J'ai affirmé avec beaucoup de forces que l'Europe peut et doit jouer un rôle dans la recherche d'une solution. Parfois l'Europe est peut-être un peu timide, elle s'est contentée de jouer un rôle de guichet. Je pense qu'aujourd'hui, elle a un rôle particulier à occuper et que son intervention est attendue par les différents partenaires.
Quel est notre objectif ? Eviter un échec pour tout le monde en septembre à l'Assemblée générale des Nations unies.
Échec pour Israël si une résolution reconnaissant immédiatement l'État palestinien était votée à une large majorité parce qu'Israël se trouverait forcément isolé.
Échec pour les Palestiniens parce que le jour d'après ne sera sans doute pas très favorable - on connaît les menaces d'interruption de financement qui pèsent sur les Palestiniens.
Échec pour l'Amérique qui se trouvera isolée et échec pour les Européens qui risqueraient de se diviser.
Alors que faire ? Nous avons entendu le compte-rendu de Catherine Ashton qui a pris beaucoup de contacts. J'en ai pris moi-même encore hier avec le Secrétaire général de la Ligue arabe. Notre idée c'est de travailler à trouver les bases d'une résolution qui serait acceptable pour les différentes parties. Sans entrer davantage dans le détail puisque tout ceci va se dérouler dans les prochaines semaines, je pense qu'il y a une possibilité d'arriver un tel équilibre.
Enfin, nous avons parlé du Partenariat oriental. Vous savez qu'un sommet va se tenir à Varsovie fin septembre : le Premier ministre français y sera. Nous attachons beaucoup d'importance à ce partenariat.
L'échange qui a eu lieu ce matin avec plusieurs membres du partenariat oriental - la Turquie, également la Croatie et la Macédoine - a été très utile. La France simplement rappelle qu'il faut être loyal avec nos partenaires et ne pas leur laisser s'imaginer que dans un délai plus ou moins proche ce partenariat pourrait déboucher sur une perspective d'entrée dans l'Union européenne. C'est la position de la France. L'état actuel de l'Union européenne, la crise financière, et d'autres difficultés auxquelles nous avons à faire face ne nous permettent pas de mener une politique d'élargissement au delà de ce que nous avons dit aux pays balkaniques, notamment à la Croatie qui est en passe d'entrer dans l'Union européenne.
Voilà les principaux sujets dont nous avons parlé.
Q - Sur Israël, vous évoquer la possibilité de trouver les bases d'une résolution acceptable : est-ce-que les Européens ont fait le premier pas ? Est-ce-que eux, à 27, se sont mis d'accord sur ces bases ?
R - Ce serait trop beau ! C'est trop tôt. Nous nous sommes mis d'accord sur l'idée que d'abord il fallait tout faire pour que les 27 gardent leur unité.
Q - C'est ce que vous avez déjà dit en juin, je me rappelle, à Bruxelles.
R - Je le redis aujourd'hui.
Q - Vous pensez que dans les 15 jours qui restent… ?
R - Ce n'est pas impossible. Il y a une volonté en tout cas d'aller dans ce sens. Il y a un mandat donné à Catherine Ashton. Je crois qu'il est prématuré de détailler les points sur lesquels cette initiative pourrait se concentrer mais on va y travailler.
Q - Une question sur la Syrie si vous permettez : est-ce qu'il n'est pas regrettable que l'embargo pétrolier ne soit mis véritablement en œuvre que le 15 septembre ?
R - Si, bien sûr. Il faudrait qu'il soit mis en œuvre le plus vite possible. Je pense qu'il y a des difficultés juridiques et techniques qui empêchent d'accélérer les choses. On va le faire aussi vite que possible. C'est déjà bien qu'on l'ait décidé vous savez ! Je constate que chaque fois qu'on fait un pas en avant on nous dit : mais pourquoi pas deux pas en avant ; le plus important est que nous allions dans la bonne direction.
Q - Vous avez dit la Syrie n'est pas la Libye. Vous avez dit, Monsieur le Ministre, qu'il faut accélérer le processus. Où va l'Union européenne par rapport aux répressions qui se passent en Syrie ? On ne peut pas mettre les mains sur les genoux et attendre.
R - La Libye n'est pas la Syrie. Je veux dire par là que d'abord le contexte régional n'est pas le même, le contexte national aussi est différent : la société syrienne n'est pas la société libyenne, on connaît le risque d'affrontements entre les communautés qui composent la Syrie - chrétiennes, sunnites, alaouites etc. Il faut tenir compte de tout cela. Le contexte régional n'est pas le même et je veux dire par là que nous n'avons jamais envisagé de déposer au Conseil de sécurité une résolution qui ressemblerait à la 1973. Les Russes nous expliquent qu'ils se méfient : ils considèrent que nous avons été au delà du mandat en Libye, ils ne le laisseront pas faire pour la Syrie. Ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. Il n'est pas question d'engager une intervention militaire.
D'un autre côté, nous avons été parfaitement clair depuis le début, la France en particulier, nous avons condamné sans aucune hésitation et sans aucune nuance, ce qui se passait en Syrie pour les raisons que j'ai dit tout à l'heure.
Alors on dit toujours : où est l'efficacité ? On nous a reproché de nous être engagés militairement en Libye en disant nous allions nous y enliser, ce qui n'a pas été le cas. Maintenant, on nous reproche de ne pas aller assez loin en Syrie. Il y a une raison à cela : outre la différence de contexte que j'ai évoquée tout à l'heure c'est que jamais nous n'interviendrons sans mandat international et sans feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies qui est la seule instance au monde à pouvoir légitimer l'utilisation de la force. Or, vous savez très bien qu'il n'y a pas aujourd'hui de possibilité, si jamais l'hypothèse était envisagée, de faire ni même d'obtenir une condamnation plus claire que celle qui a été faite par la déclaration de la Présidence il y a quelques jours. Nous y travaillerons et nous essaierons de convaincre l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud. Nous essayons de réunir une majorité de voix. Et nous essayons de convaincre les Russes de ne pas opposer leur veto mais nous n'y sommes pas encore arrivés.
Q - Est-ce que les sanctions suffisent contre la Syrie ?
R - Oui et non. Non, on le voit bien puisque les massacres continuent, puisque la répression continue, puisque la période du Ramadan a été particulièrement sanglante. Oui, parce que c'est un système qui donne des effets petit à petit et qui isole progressivement ce pays.
On a quand même pas mal progressé : il y a encore un mois les déclarations qu'on a enregistrées de la part du président Obama, de la part de la Ligue arabe n'étaient pas faites. On voit bien que la pression s'accentue sur le régime. Ce n'est pas satisfaisant. Nous préférerions nous aussi que les massacres s'arrêtent du jour au lendemain.
Q - Vous avez rencontré le ministre turc. Est-ce qu'il y a la possibilité que la Turquie puisse joindre la position assez dure de l'Europe sur la Syrie ?
R - Le ministre turc nous a expliqué qu'il avait longuement parlé avec Bachar El-Assad lui-même pour essayer de le convaincre de s'engager dans un processus de réforme. Il a constaté que cela n'avait abouti à rien. Je pense qu'aujourd'hui la Turquie, qui a évolué sur ce dossier, est consciente qu'il faut accentuer la pression sur la Syrie.
Q - Sur le partenariat oriental : qu'attendez concrètement du sommet de fin septembre ? Est-ce-que la France ne voit pas un peu dans cette initiative une sorte de menace pour l'Union pour la Méditerranée ?
R - Non, pas du tout. Nous avons des voisins à l'Est, nous avons des voisins au Sud. Ce n'est pas parce que nous attachons beaucoup d'importance au partenariat avec le Sud que nous négligeons le partenariat avec l'Est. Nous avons simplement indiqué que dans la répartition des moyens financiers de l'Union européenne nous souhaitons que soit respecté le pourcentage deux tiers vers le Sud et un tiers vers l'Est. Pour le reste, nous sommes très favorables à ce que nous développions nos relations avec ces pays. Leur stabilité, leur progression vers la démocratie sont aussi pour nous un enjeu important et il y a fort à faire, nous avons longuement parlé de la situation en Biélorussie qui n'est pas acceptable. Nous avons là un régime qui ne respecte pas les principes fondamentaux de la démocratie, qui emprisonne ses opposants politiques, ce qui n'est pas acceptable. L'Ukraine aussi a des difficultés de ce type.
Ce partenariat doit être aussi pour nous un moyen, un levier pour dire très clairement que l'Europe est prête à aider, à coopérer pour autant que nous partagions les mêmes valeurs et les mêmes valeurs démocratiques notamment.
Q - Justement à propos de l'Ukraine, depuis l'arrestation de Yulia Timochenko les relations sont plutôt tendues. Or il y a un accord de libre échange qui se négocie avec un accord d'association également. Est-ce-que selon vous ces deux questions sont liées ? Est-ce qu'il faut que l'aboutissement de cet accord soit conditionné au dénouement de l'affaire Timochenko ?
R - Nous poursuivons les discussions mais la finalisation de l'accord ne pourra intervenir, de notre point de vue, ce qui est un point de vue majoritaire qui a été exprimé, que si le cas de Timochenko est réglé.
Q - C'est-à-dire réglé ? Vous voulez dire libérée ?
R - Si elle a un procès équitable qui doit aboutir à abandonner les poursuites injustifiées à son encontre.
Q - Un autre mot sur la Turquie : il y a eu des tensions entre la Turquie et Israël. Cela vous préoccupe-t-il ?
R - Bien entendu. Nous souhaitons, comme le Secrétaire général des Nations unies l'a dit d'ailleurs, que ce différend entre Israël et la Turquie se règle par le dialogue, par la compréhension mutuelle et non pas par d'autres moyens.
Q - Sur les Palestiniens, pour revenir sur la résolution de l'ONU ; la question d'un statut à la Vatican, par exemple, est-ce que cela fait consensus parmi les 27 ?
R - C'est une des hypothèses qui a été évoquée. Mais je vous l'ai dit nous sommes dans un processus qui s'engage et je ne souhaite pas en dire plus sur les pistes d'atterrissage éventuelles. Justement on parlait du Vatican à propos de l'Autorité palestinienne. D'autres ont préféré parler de l'ancien statut de la Suisse.
Q - Un dernier mot très bref sur le Sommet du Proche-Orient : M. Sarkozy sera-t-il présent ? On sait que récemment les tensions entre Donald Tusk et Nicolas Sarkozy se sont un peu accrues. M. Sarkozy aurait même menacé de ne pas venir à ce sommet. Est-ce-que vous confirmez cela ?
R - Jusqu'à présent, comme je vous l'ai dit, il est prévu que ce sera le Premier ministre qui sera à Varsovie. Il ne faut pas y voir un geste de défiance de la part du président de la République. Simplement, il ne peut pas être partout !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2011