Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "I Télé" le 23 septembre 2011 à New York, sur la demande d'adhésion de la Palestine aux Nations unies, les "printemps arabes", et la situation en Libye et en Syrie.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Merci de répondre à nos questions. Mahmoud Abbas, devant l’ONU, va demander la reconnaissance de l’État palestinien. A-t-il raison ?
R - La France l’a dit fortement par la voix du président de la République, il faut que cela change. Tout change d’ailleurs, la situation en Égypte, la situation en Syrie, les Printemps arabes qui ont des conséquences sur la région, on en parlera. Et il faut donc sortir de cette impasse dans laquelle on se trouve depuis des décennies avec les Palestiniens et les Israéliens.
La seule façon d’en sortir, nous l’avons dit depuis des mois et des mois, nous avons pris des initiatives d’ailleurs en ce sens, c’est de se remettre autour de la table de négociations. C’est ce que nous souhaitons et nous comprenons que les Palestiniens s’impatientent et par conséquent s’adressent aux Nations unies avec cette demande de reconnaissance.
Q - Cela veut dire que l’idée française n’est pas entendue par les Palestiniens, parce que vous avez, par la voix du président de la République, déposé une autre idée qui consiste à faire à l’État palestinien un statut d’observateur, cela veut dire que si demain il demande à obtenir le statut d’un État à part entière aux Nations unies, il n’écoute pas l’idée française ?
R - Ce n’est pas exactement comme ça que cela s’est passé, parce qu’avant que l’idée française ne soit formulée, Mahmoud Abbas a annoncé son intention d’aller au Conseil de sécurité. Nous lui avons dit tout simplement que cette idée le conduisait à une impasse, parce que le Conseil de sécurité n’acceptera pas de reconnaître l’État palestinien pour la bonne raison que les Américains sont membres permanents, ont un droit de veto, et ont annoncé qu’ils opposeraient leur veto.
Donc, il a fallu chercher une autre solution et c’est là que l’idée française est apparue, et cette idée n’a pas été repoussée par les Palestiniens, loin de là, nous en avons parlé aux Américains, qui en ont pris note et nous ont dit «Approfondissez-la… », et nous allons y travailler tout au long des journées qui viennent.
Q - À ce propos, ce qu’on pourra aussi retenir de cette session de l’ONU c’est la divergence entre les Français et les Américains puisque, Nicolas Sarkozy l’a dit à la tribune, aucun pays, aussi grand soit-il, ne peut pas tout régler, donc c’était viser directement les Américains qui ont assez peu apprécié. Est-ce qu’il y a une divergence de méthode pour régler ce problème ?
R - Dire qu’un seul pays ne peut pas tout régler ce n’est pas une divergence, c’est un constat, d’ailleurs les États-Unis le reconnaissent eux-mêmes, ont essayé de le faire l’année dernière…
Q - Barack Obama n’a pas vraiment apprécié cette sortie…
R - Ce n’est pas exactement ce que j’ai ressenti lorsque nous l’avons vu hier, puisque j’ai assisté à l’entretien qu’il a eu avec le président de la République, il a cherché à mieux comprendre la proposition française et nous allons chercher à en discuter avec eux.
Q - Il y a également la notion et la dimension des Printemps arabes, ici même la Libye a rejoint le Partenariat de Deauville qui aide maintenant les jeunes démocraties, mais n’y a-t-il pas des sujets d’inquiétudes sur les nouveaux régimes ? Y a-t-il des régimes, notamment en Égypte, qui vous inquiètent dans leur manière d’évoluer ?
R - Ce serait un miracle si, dans un tel mouvement qui est une révolution fondamentale de la situation tout autour de la Méditerranée, il n’y avait pas de risques. Si c’était un processus sans risque ce serait absolument merveilleux. Nous considérons que c’est une chance et que les chances l’emportent sur les risques. Lorsque des peuples se soulèvent pour dire tout simplement : «On veut être libre, on veut pouvoir voter librement, on veut pouvoir s’exprimer librement», nous pensons que c’est une chance et qu’il faut la soutenir.
Q - Il y a, en tout cas, un pays qui vous inquiète beaucoup parce que vous avez eu des mots très durs, c’est la Syrie, vous avez parlé de crimes contre l’Humanité ; est-ce que la France peut être au fond aussi ferme avec la Syrie, voire intervenir ?
R - Nous sommes aussi fermes, depuis le début nous avons dit : «C’est inacceptable», et j’ai moi-même dit, avant d’autres, que Bachar el Assad avait perdu sa légitimité. Que se passe-t-il en Syrie dans certaines villes ? On brutalise les enfants dans les écoles. Il y a eu des mouvements dans certaines écoles où les gamins protestaient, eh bien l’armée est intervenue…dans des écoles.
Q - Mais les opinions vont dire qu’il y a deux poids et deux mesures, nous sommes intervenus en Libye et ce que vous dénoncez en Syrie est très grave et on va simplement rester sur le chapitre des sanctions ?.
R - Je vous dis tout simplement que nous n’avons pas vocation à faire la guerre partout, je vous rappelle quand même que lorsque nous sommes intervenus en Libye, jusqu’à il y a un mois, les même qui nous disent «Allez en Syrie », nous disaient «Pourquoi êtes-vous allés en Libye, et puis pourquoi êtes-vous allés en Afghanistan ?». Attention à cette surenchère, nous essayons d’agir en proportionnant à chaque fois nos moyens d’intervention à la situation. Je disais aussi que la Libye n’est pas la Syrie. En Syrie vous avez aussi des communautés qui sont peut-être en train d’entrer en antagonisme, des chrétiens d’un côté, des alaouites, des sunnites. Tout ceci risque de dégénérer en guerre civile et c’est pour cela qu’il faut agir avec détermination.
Q - Il y a un autre sujet qui est à la fois diplomatique et économique, c’est la crise en Europe, la crise de la dette ; que faut-il faire pour sauver la Grèce ? On sait qu’il n’y a plus d’État en Grèce, faut-il fournir une administration provisoire, clé en main pour aider les Grecs à gérer leur État ?
R - Je pense qu’il va falloir aider la Grèce, lui donner les moyens, pour reconstruire une administration fiscale, une administration budgétaire qui fonctionne. Il faut qu’elle remplisse les engagements qu’elle a pris. Il va falloir que les pays européens, les organisations internationales, le Fonds monétaire international, interviennent pour lui permettre de tenir ses engagements. (…).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2011