Texte intégral
Ma femme et moi vous remercions d'être avec nous ce soir, dans ce très beau bâtiment de New York, la "Public Library", qui honore la culture, mieux encore, la culture ouverte largement au public, et qui témoigne aussi, à sa façon, de l'empreinte de l'architecture française sur New York : l'Ecole des Beaux Arts.
Ce dîner offert par le ministre des Affaires étrangères a lieu traditionnellement le vendredi, fin de la première semaine du débat général. Ce fut donc, encore l'an dernier, l'occasion de marquer une pause, de pousser un soupir de soulagement après une semaine entière de discours et de discussions. Cette année, exceptionnellement et par nécessité, nous avons dû vous convier au premier soir des débats. Donc, je présenterai les choses autrement en vous disant que ce soir il s'agit de prendre des forces et de faire provision de chaleur, d'amitié et d'optimisme avant une rude semaine. Et compte tenu de la semaine qui s'annonce justement, je serai bref.
Nous avons invité des amis, autant que cette salle magnifique pouvait en contenir. Nous aurions aimé faire plus mais la Public Library est, comme vous l'avez vu, un modeste bâtiment. Vous découvrirez, au cours du dîner, qu'on parle en fait un peu toutes les langues à toutes les tables. Cette réunion n'est donc pas celle d'une secte, d'une chapelle, refermée sur elle-même, avec un examen de passage, des épreuves de langue, d'orthographe, d'ailleurs, je ne sais pas comment je m'en sortirais moi-même dans ce cas ! Bien au contraire, il y a de la fantaisie dans la composition de cette assemblée parce que cette réunion est à l'image de ce qu'est le monde francophone aujourd'hui : un groupement d'Etats accueillant, ouvert aux discussions, comme aux critiques, aux contradictions, et donc original, varié, tolérant, fécond.
Ce n'est pas à vous, bien sûr, que je dirai que le français n'appartient à aucun pays en particulier. De Vanuatu au Canada, de Haïti au Vietnam, de la Belgique à Maurice, du Maroc, de la Pologne à la République démocratique du Congo, et tant d'autres, que tous ceux que je ne peux pas citer ne m'en veuillent pas, il y a beaucoup de points de vue, beaucoup d'idées, beaucoup d'originalité. Les Etats francophones sont tout sauf des "like-minded countries" avançant au même pas, c'est pourquoi, d'ailleurs, cette expression n'a pas d'équivalent en langue française. Mais ils ont quelque chose en commun, une volonté très forte que nous partageons : ils ne veulent pas d'un monde uniforme, dominé par les mêmes principes, les mêmes règles, les mêmes usages, les mêmes lectures, la même sous-culture qui n'appartient plus à aucun pays en particulier et qui les envahirait tous en même temps. Ils ne veulent pas, comme vous le savez, des mêmes repas, des mêmes boissons, soyons honnêtes enfin, ils ne veulent pas être assujettis à une langue unique. Ils veulent pouvoir dire ce qu'ils pensent, très librement, avec toutes les nuances de leur pensée.
Et ces Etats pensent que le premier moyen d'exprimer leur différence, et donc d'offrir quelque chose de plus, de nouveau, consiste à pratiquer leur langue tout en ayant la plus grande sympathie pour celle d'autrui. Cette volonté n'est pas propre aux Etats francophones. Nos amis hispanophones, lusophones, russophones, arabophones, d'autres encore, ont le même souci, le même intérêt. C'est pourquoi, malgré tout ce que l'on dit, sur un ton parfois sceptique, nous savons que le système des Nations unies demeure, en réalité, ouvert, flexible, et qu'il démontre que l'on peut travailler ensemble sans abdiquer son identité. Je ne doute pas, à cet égard, que le rapport que le Secrétaire général remettra sur la mise en oeuvre de la résolution votée voici deux ans sur le multilinguisme le démontrera. Le recours aux langues officielles et de travail implique les services des interprètes, des traducteurs. Ce sont là de nobles métiers, synonymes de finesse, de précision et par-dessus tout de respect d'autrui, et j'ajoute qu'il faut faire preuve d'un sacré talent pour faire ces métiers. Ce corps de fonctionnaires est indissociable de l'activité d'une organisation universelle. Parallèlement, il est légitime qu'il soit estimé. Nous en avons ici les meilleures illustrations, les hauts fonctionnaires qui parlent également - et fort bien -, selon l'expression consacrée, "l'autre langue de travail".
Il me semble qu'il existe un autre facteur de cohésion entre tous ceux présents ce soir. C'est l'idée que le monde, tel qu'il est, ne peut être laissé totalement au libre jeu des rapports de force, que celles-ci soient politiques, économiques ou, souvent, les deux en même temps. Le développement exige la justice et la justice exige, à son tout, que les gouvernements, qui ont des responsabilités, s'emploient à corriger les déséquilibres. On peut célébrer la mondialisation, considérer que c'est un fait, et c'est le cas, mais nous savons que, par certains côtés une évolution accélérée peut laisser de côté les plus pauvres. Il faut bien, dès lors que, quelque part sur terre, un groupe volontaire d'Etats réaffirme, par exemple, l'exigence d'un effort public d'aide au développement.
S'il est un mérite que les pays francophones peuvent se reconnaître, sans être pour autant prétentieux, c'est d'être conscients de ces inégalités-là et de tenter d'y remédier. Ce sera l'un des objectifs du Sommet des Etats ayant le français en partage qui se tiendra, en novembre à Hanoï : développement, progrès de l'Etat de droit, progrès de la bonne gouvernance, vieux mot français que nous sommes heureux de prêter, tel quel, à nos amis anglophones.
Mais pour atteindre ces objectifs, il ne faut pas céder aux emballements, à la griserie de succès économiques rapides mais parfois partiels. Il faut un effort continu, de la persévérance. Vous savez, Monsieur le Secrétaire général, que vous avez été élu parce que vous avez ces qualités. Nous approuvons votre sens de l'humain, votre équité, votre compréhension des complexités et des difficultés de ce monde. Vous êtes réaliste, vous savez que nous le serons, que nous resterons déterminés et que c'est parce que nous comptons sur vous que vous pouvez compter sur nous.
Je me suis demandé tout à l'heure pourquoi cette soirée était si détendue, il m'a semblé si peu diplomatique, si amicale. J'ai compris entre autres le plaisir de ces retrouvailles auxquelles j'ai eu la très grande joie, moi-même, de participer pour la première fois, alors que beaucoup d'entre vous sont des vétérans de ce rendez-vous. Mais j'ai compris que c'était parce que nous n'avions à préparer ensemble aucun communiqué commun et que nous étions assurés de ne faire à la sortie aucun point de presse. Donc nous pouvions parler avec détente et amitié.
Je vous remercie tous d'être venus. C'était vraiment un rendez-vous auquel nous avons été très heureux de vous accueillir, avant d'autres rendez-vous, d'autres années.
Je lève mon verre à vous, Monsieur le Secrétaire général, à vous Madame, à tous les pays, à toutes les organisations que vous représentez et à l'avenir et à la vitalité de ce rendez-vous./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2001)
Ce dîner offert par le ministre des Affaires étrangères a lieu traditionnellement le vendredi, fin de la première semaine du débat général. Ce fut donc, encore l'an dernier, l'occasion de marquer une pause, de pousser un soupir de soulagement après une semaine entière de discours et de discussions. Cette année, exceptionnellement et par nécessité, nous avons dû vous convier au premier soir des débats. Donc, je présenterai les choses autrement en vous disant que ce soir il s'agit de prendre des forces et de faire provision de chaleur, d'amitié et d'optimisme avant une rude semaine. Et compte tenu de la semaine qui s'annonce justement, je serai bref.
Nous avons invité des amis, autant que cette salle magnifique pouvait en contenir. Nous aurions aimé faire plus mais la Public Library est, comme vous l'avez vu, un modeste bâtiment. Vous découvrirez, au cours du dîner, qu'on parle en fait un peu toutes les langues à toutes les tables. Cette réunion n'est donc pas celle d'une secte, d'une chapelle, refermée sur elle-même, avec un examen de passage, des épreuves de langue, d'orthographe, d'ailleurs, je ne sais pas comment je m'en sortirais moi-même dans ce cas ! Bien au contraire, il y a de la fantaisie dans la composition de cette assemblée parce que cette réunion est à l'image de ce qu'est le monde francophone aujourd'hui : un groupement d'Etats accueillant, ouvert aux discussions, comme aux critiques, aux contradictions, et donc original, varié, tolérant, fécond.
Ce n'est pas à vous, bien sûr, que je dirai que le français n'appartient à aucun pays en particulier. De Vanuatu au Canada, de Haïti au Vietnam, de la Belgique à Maurice, du Maroc, de la Pologne à la République démocratique du Congo, et tant d'autres, que tous ceux que je ne peux pas citer ne m'en veuillent pas, il y a beaucoup de points de vue, beaucoup d'idées, beaucoup d'originalité. Les Etats francophones sont tout sauf des "like-minded countries" avançant au même pas, c'est pourquoi, d'ailleurs, cette expression n'a pas d'équivalent en langue française. Mais ils ont quelque chose en commun, une volonté très forte que nous partageons : ils ne veulent pas d'un monde uniforme, dominé par les mêmes principes, les mêmes règles, les mêmes usages, les mêmes lectures, la même sous-culture qui n'appartient plus à aucun pays en particulier et qui les envahirait tous en même temps. Ils ne veulent pas, comme vous le savez, des mêmes repas, des mêmes boissons, soyons honnêtes enfin, ils ne veulent pas être assujettis à une langue unique. Ils veulent pouvoir dire ce qu'ils pensent, très librement, avec toutes les nuances de leur pensée.
Et ces Etats pensent que le premier moyen d'exprimer leur différence, et donc d'offrir quelque chose de plus, de nouveau, consiste à pratiquer leur langue tout en ayant la plus grande sympathie pour celle d'autrui. Cette volonté n'est pas propre aux Etats francophones. Nos amis hispanophones, lusophones, russophones, arabophones, d'autres encore, ont le même souci, le même intérêt. C'est pourquoi, malgré tout ce que l'on dit, sur un ton parfois sceptique, nous savons que le système des Nations unies demeure, en réalité, ouvert, flexible, et qu'il démontre que l'on peut travailler ensemble sans abdiquer son identité. Je ne doute pas, à cet égard, que le rapport que le Secrétaire général remettra sur la mise en oeuvre de la résolution votée voici deux ans sur le multilinguisme le démontrera. Le recours aux langues officielles et de travail implique les services des interprètes, des traducteurs. Ce sont là de nobles métiers, synonymes de finesse, de précision et par-dessus tout de respect d'autrui, et j'ajoute qu'il faut faire preuve d'un sacré talent pour faire ces métiers. Ce corps de fonctionnaires est indissociable de l'activité d'une organisation universelle. Parallèlement, il est légitime qu'il soit estimé. Nous en avons ici les meilleures illustrations, les hauts fonctionnaires qui parlent également - et fort bien -, selon l'expression consacrée, "l'autre langue de travail".
Il me semble qu'il existe un autre facteur de cohésion entre tous ceux présents ce soir. C'est l'idée que le monde, tel qu'il est, ne peut être laissé totalement au libre jeu des rapports de force, que celles-ci soient politiques, économiques ou, souvent, les deux en même temps. Le développement exige la justice et la justice exige, à son tout, que les gouvernements, qui ont des responsabilités, s'emploient à corriger les déséquilibres. On peut célébrer la mondialisation, considérer que c'est un fait, et c'est le cas, mais nous savons que, par certains côtés une évolution accélérée peut laisser de côté les plus pauvres. Il faut bien, dès lors que, quelque part sur terre, un groupe volontaire d'Etats réaffirme, par exemple, l'exigence d'un effort public d'aide au développement.
S'il est un mérite que les pays francophones peuvent se reconnaître, sans être pour autant prétentieux, c'est d'être conscients de ces inégalités-là et de tenter d'y remédier. Ce sera l'un des objectifs du Sommet des Etats ayant le français en partage qui se tiendra, en novembre à Hanoï : développement, progrès de l'Etat de droit, progrès de la bonne gouvernance, vieux mot français que nous sommes heureux de prêter, tel quel, à nos amis anglophones.
Mais pour atteindre ces objectifs, il ne faut pas céder aux emballements, à la griserie de succès économiques rapides mais parfois partiels. Il faut un effort continu, de la persévérance. Vous savez, Monsieur le Secrétaire général, que vous avez été élu parce que vous avez ces qualités. Nous approuvons votre sens de l'humain, votre équité, votre compréhension des complexités et des difficultés de ce monde. Vous êtes réaliste, vous savez que nous le serons, que nous resterons déterminés et que c'est parce que nous comptons sur vous que vous pouvez compter sur nous.
Je me suis demandé tout à l'heure pourquoi cette soirée était si détendue, il m'a semblé si peu diplomatique, si amicale. J'ai compris entre autres le plaisir de ces retrouvailles auxquelles j'ai eu la très grande joie, moi-même, de participer pour la première fois, alors que beaucoup d'entre vous sont des vétérans de ce rendez-vous. Mais j'ai compris que c'était parce que nous n'avions à préparer ensemble aucun communiqué commun et que nous étions assurés de ne faire à la sortie aucun point de presse. Donc nous pouvions parler avec détente et amitié.
Je vous remercie tous d'être venus. C'était vraiment un rendez-vous auquel nous avons été très heureux de vous accueillir, avant d'autres rendez-vous, d'autres années.
Je lève mon verre à vous, Monsieur le Secrétaire général, à vous Madame, à tous les pays, à toutes les organisations que vous représentez et à l'avenir et à la vitalité de ce rendez-vous./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2001)