Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à France-Inter le 2 septembre 2011, sur l'introduction de la morale à l'école et la rentrée scolaire.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
THIERRY GUERRIER Bonjour Luc CHATEL.
 
LUC CHATEL Bonjour Thierry GUERRIER.
 
THIERRY GUERRIER Avant que vous ne nous disiez ce que vous pensez de la rentrée scolaire, de votre rentrée : réussite ou hécatombe, comme dirait Jack LANG, je voudrais vous demander ce que vous pensez de ces affirmations du journal LE FIGARO ce matin, selon lesquelles l’Elysée voudrait plus d’hommes, davantage d’hommes à l’école, c’est le nouveau débat que vous voulez lancer avec Nicolas SARKOZY ; il y aurait trop de femmes dans l’enseignement ?
 
LUC CHATEL Non. Ecoutez, moi, Thierry GUERRIER, l’entourage du président de la République, je ne connais pas, voilà, je ne connais pas, et il y a une personne…
 
THIERRY GUERRIER LE FIGARO est bien renseigné en la matière…
 
LUC CHATEL Ecoutez, je n’en sais rien, mais il y a une personne qui est habilitée à s’exprimer sur les questions d’Education nationale, quand ce n’est pas le président de la République ou le Premier ministre, c’est le ministre chargé de l’Education nationale, voilà. Et si ces propos sont exacts, je suis en désaccord total avec ces propos. Car je ne considère pais qu’il y a trop de femmes dans l’enseignement. Et, je vais même vous faire une confidence, j’ai la faiblesse de penser que les femmes ont un certain sens de la pédagogie, de l’autorité, et donc je considère que cette polémique est absurde.
 
THIERRY GUERRIER Ce n’est pas une polémique, c’est un sujet lancé visiblement par des proches du…
 
LUC CHATEL Non, mais c’est un début de polémique justement…
 
THIERRY GUERRIER … Des conseillers du chef de l’Etat. C’est une idée qui semble se baser sur une réalité, puisque la féminisation est croissante dans l’enseignement, dans les années 60, sept institutrices, un peu moins, sur dix, plus de neuf, aujourd’hui, sur dix.
 
LUC CHATEL Bien sûr, mais c’est l’évolution de la société, je crois qu’on peut se réjouir de l’évolution du travail des femmes, et le métier d’enseignement, et c’est quand même un paradoxe, est régulièrement cité comme l’un des métiers qui a précisément réussi sa féminisation, et qui permet à un certain nombre de femmes de travailler en conciliant vie professionnelle et vie familiale. Donc je crois qu’il y a beaucoup d’autres sujets de débat à l’Education nationale que celui-ci.
 
THIERRY GUERRIER Oui, mais vous évacuez la question, mais les conseillers du président…
 
LUC CHATEL Ah, mais je ne fuis pas, je réponds très précisément et très clairement…
 
THIERRY GUERRIER Les conseillers du président, raisonnent sur une autre idée, notamment, un rapport qui est paru en 2008 sur la condition du métier d’enseignant, qui disait : il faudrait veiller à ce qu’il y ait davantage d’hommes chez les enseignants, parce que ça donnerait une mauvaise représentation ou une mauvaise image, une image fausse de la société, notamment aux garçons…
 
LUC CHATEL Ecoutez, est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites, est-ce que vous vous rendez compte que cette semaine, vous avez 850.000 professeurs qui accueillent douze millions d’élèves…
 
THIERRY GUERRIER Ah non, moi, je cite des éléments du rapport…
 
LUC CHATEL Et vous avez – c’est vrai – dans le premier degré une majorité de femmes qui se dévouent, qui croient à leur métier, qui le font par passion, eh bien, moi, je suis à leurs côtés, et je considère que le ministère de l’Education nationale a d’autres priorités que cette question.
 
THIERRY GUERRIER Donc il n’y a pas de débat sur l’autorité qui serait l’apanage des hommes davantage que chez des femmes…
 
LUC CHATEL Ecoutez, j’ai eu des professeurs femmes, et j’ai le souvenir d’une autorité que sans doute beaucoup d’hommes n’ont pas, j’ai eu des patrons femmes, quand j’étais dans le milieu de l’entreprise, qui avaient une autorité que certains de mes patrons hommes n’avaient pas…
 
THIERRY GUERRIER Mais alors, expliquez-nous…
 
LUC CHATEL Donc je ne suis pas sûr que ce soit un sujet…
 
THIERRY GUERRIER Expliquez-nous, qu’est-ce qui se passe dans l’entourage du président de la République, dans une partie de la majorité, la droite populaire qui lançait le débat sur le genre, et sa représentation à l’école, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qu’on cherche aujourd’hui en lançant ces débats…
 
LUC CHATEL Ah, non, mais attendez, je sépare totalement ce que vous évoquez sur des propos qui auraient été tenus dans l’entourage du président de la République, encore une fois, je ne connais pas ça, de débats qui ont lieu au sein de la majorité, que j’assume pleinement, si vous voulez, la majorité, elle doit… d’abord, aujourd’hui, elle gouverne, elle fait face à une crise absolument sans précédent, et c’est normal que face à cette crise, on ait des débats sur les choix qui sont retenus. Ce que j’observe, c’est qu’il y a des débats, mais ensuite, la majorité, elle est unie pour soutenir le gouvernement, et c’est ce qui s’est encore passé hier soir, nous avons débattu pendant plusieurs semaines sur le degré de riposte sur les questions budgétaires, le Premier ministre a présenté le plan du gouvernement, la majorité a débattu, le Parlement s’est exprimé, et a voté, la majorité a soutenu le gouvernement hier.
 
THIERRY GUERRIER On va revenir sur les moyens et sur la rentrée, mais vous voyez bien que certains autour du président et dans la majorité, droite populaire notamment, cherchent à essayer de l’amener sur une nouvelle ambition, une nouvelle vision de l’Education pour 2012…
 
LUC CHATEL Non, je crois qu’il faut… je crois que c’est important que toutes les sensibilités s’expriment au sein de la majorité, et c’est ce qui a fait la réussite…
 
THIERRY GUERRIER Non, non, vous n’avez peut-être pas compris ma question, je me suis peut-être mal exprimé, mais certains, au sein de la majorité ou auprès du président, cherchent peut-être à essayer de peser pour que, en 2012, dans son projet de candidature, il y ait une autre vision de l’école…
 
LUC CHATEL Ecoutez, on va venir à la vision de l’école.
 
THIERRY GUERRIER Certains diront, plus réactionnaire…
 
LUC CHATEL Vous savez, vous connaissez Nicolas SARKOZY, j’ai le sentiment qu’il a de vraies convictions, et que le moment venu, bien sûr, il écoutera les uns et les autres, mais c’est lui qui présentera son projet, et qui l’affirmera devant les Français.
 
THIERRY GUERRIER Et il y aura cet aspect du débat ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, nous avons une vraie vision de l’école, oui, aujourd’hui, et je crois que c’est important, parce que ce n’était peut-être pas arrivé depuis vingt-cinq ou trente ans, où la droite était un peu complexée sur les sujets d’Education. Nous avons entamé la troisième grande révolution de l’école moderne. Nous avons eu à la fin du 19ème siècle…
 
THIERRY GUERRIER C’est quoi, c’est l’autorité ?
 
LUC CHATEL L’école gratuite, laïque, obligatoire, Jules FERRY, fin du 20ème siècle, la massification du système éducatif, c’est-à-dire la démocratisation, on a ouvert grand les portes, 100% d’élèves au collège, 70% au lycée…
 
THIERRY GUERRIER Et aujourd’hui, c’est quoi alors ?
 
LUC CHATEL Aujourd’hui, la troisième grande révolution, c’est celle de la personnalisation. Il faut une solution pour chacun en sortant de l’école, il faut sortir de l’obligation de moyens, qui n’a pas réussi, à une obligation de résultats. Il faut qu’on soit capable de dire aux parents : mettez vos enfants à l’école, ils s’inséreront dans la vie professionnelle parce qu’ils auront un diplôme, ce n’est pas le cas aujourd’hui…
 
THIERRY GUERRIER C’est le toujours mieux avec moins…
 
LUC CHATEL Le sujet est moins les moyens que l’affectation de ces moyens, et la capacité de les envoyer au bon endroit. J’étais cette semaine, dans le cadre de la rentrée, inaugurer l’internat d’excellence de Noyon, dans l’Oise, très bel exemple…
 
THIERRY GUERRIER Vous tenez à ces exemples-là…
 
LUC CHATEL Où nous avons 10.000 enfants issus des milieux défavorisés pour lesquels nous faisons plus, c’est-à-dire que nous les accueillons dans des internats avec le meilleur en matière éducative, parce que nous voulons qu’ils réussissent grâce à l’école. C’est ça la méritocratie républicaine, c’est ça l’idée de l’école telle que nos ancêtres ou nos anciens nous l’ont transmise.
 
THIERRY GUERRIER Vous connaissez l’objection des syndicats, les parents, les enseignants vont se mobiliser le 27 septembre, comment est-ce qu’on peut dire ça avec une réduction constante des moyens et des postes.
 
LUC CHATEL Ecoutez, j’entendais parler tout à l’heure, vous citiez l’un de mes prédécesseurs, qui parlait de purge, je l’appelle à la raison et à l’objectivité, il y a aujourd’hui plus de professeurs en cette rentrée, 35.000 de plus, qu’il n’y en avait en 1990, quand monsieur JOSPIN était ministre de l’Education nationale…
 
THIERRY GUERRIER Il y a plus d’enfants…
 
LUC CHATEL Alors qu’il y a 500.000 élèves de moins…
 
THIERRY GUERRIER Non, non, à certaines parties de l’école, pas dans toute l’école…
 
LUC CHATEL Aujourd’hui – si – il y a douze millions d’élèves, c’est-à-dire 500.000 de moins qu’au début des années 90, alors qu’il y a 35.000 professeurs de plus. Donc le taux d’encadrement, l’encadrement des élèves est meilleur qu’il ne l’était il y a vingt ans. Est-ce que cette politique des moyens a obtenu les résultats escomptés ? Non…
 
THIERRY GUERRIER Est-ce que quand vous reconnaissez vous-même que 5% des enfants aujourd’hui, en cette rentrée, n’ont pas forcément eu un prof en face d’eux, vous pouvez vous satisfaire de la rentrée ?
 
LUC CHATEL Attendez, d’abord, ils n’ont pas… il y a des ajustements dans la rentrée qui sont systématiques chaque année, vous avez douze millions d’élèves, 850.000 professeurs, répartis dans 65.000 établissements scolaires. Donc la rentrée, c’est du cousu main en matière d’organisation, ce à quoi je m’engage, comme l’année dernière, c’est qu’il y aura bien une classe pour chaque élève inscrit à l’école, et il y a des sujets notamment au lycée professionnel, et les affections ont lieu progressivement dans les quinze jours qui suivent la rentrée.
 
THIERRY GUERRIER Vous avez annoncé le retour de l’enseignement de la morale à l’école. Comment ça va se dérouler concrètement, on va réapprendre des maximes : « qui vole un oeuf, vole un boeuf » ?
 
LUC CHATEL C’est très important, c’est très important parce que vous savez que la révision des programmes de 2008 prévoyait le retour aux fondamentaux, fondamentaux sur les apprentissages, il faut que les jeunes qui quittent le CM2 sachent lire, écrire, compter, les fondamentaux, c’est pour ça que nous avons mis en place un soutien personnalisé de deux heures par semaine…
 
THIERRY GUERRIER Ça, c’est les connaissances…
 
LUC CHATEL Fondamentaux dans les valeurs aussi, et c’est l’idée de cette instruction morale, quelques minutes par jour, autour d’une maxime ou d’un texte, c’est très important que l’école de la République soit capable de transmettre des valeurs qui sont si importantes, et je vois que les parents d’ailleurs adhèrent massivement à cette idée.
 
THIERRY GUERRIER C’est à l’Etat de se préoccuper de la vertu des enfants ?
 
LUC CHATEL C’est à l’Etat d’éduquer ses citoyens, le rôle de l’école, c’est d’instruire, bien sûr, de transmettre le savoir, mais c’est aussi d’éduquer et de préparer des jeunes à devenir des citoyens éclairés, qui soient capables de porter un jugement libre et autonome. Eh bien, oui, la morale, la transmission des valeurs, ça fait partie du pole de l’école.
 
THIERRY GUERRIER Je vais vous proposer un petit exercice pour finir, le ministre de l’Education, pour une fois, sera l’arroseur arrosé, trois maximes de celles qu’il y a des dizaines et des dizaines d’années, nos parents, nos grands-parents apprenaient : « dépenser chaque jour un sou de moins que ce que vous gagnez », ça, c’est pour la Grèce ?
 
LUC CHATEL Non, mais je ne suis pas sûr… vous savez, le sujet n’est pas de faire la leçon aux élèves, le sujet est de faire en sorte que grâce à ces réflexions quotidiennes, ils puissent avoir… on puisse leur transmettre ces valeurs qui sont si importantes pour eux…
 
THIERRY GUERRIER « Je me montrerai bon envers mes camarades », c’était une autre maxime, ça, c’est pour les politiques ?
 
LUC CHATEL Et pourquoi pas être bon envers ses camarades, pourquoi ne pas apprendre l’honnêteté, pourquoi ne pas apprendre le respect de l’autre…
 
 THIERRY GUERRIER Non, mais je souris, mais pourquoi pas…
 
LUC CHATEL Oui, ça fait partie des valeurs de l’école.
 
THIERRY GUERRIER Et puis « soyons toujours sincères » ça, c’est pour les interviews.
 
 LUC CHATEL Oui, eh bien, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir la langue de bois ce matin, Thierry GUERRIER.
 
THIERRY GUERRIER Non, mais ce n’était pas… c’est une maxime à apprendre. Merci Luc CHATEL.
 
LUC CHATEL Bonne journée à vous.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 12 septembre 2011