Entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec Canal Plus le 5 octobre 2011, sur la situation financière des banques européennes.

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Média : Canal Plus

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Q - Jean Leonetti, le ministre des Affaires européennes, vice-président du Parti radical, est l’invité de La Matinale ce matin. Il n’avait pas suivi Borloo dans son aventure présidentielle et il a bien fait. Désormais, il est chargé de faire exister le centre à l’UMP mais au passage, il a un «petit» dossier en cours : une crise majeure de la zone euro avec une première banque au tapis.
Donc il y avait eu une alerte déjà en 2008, cette fois c’est fait : Dexia, la banque Dexia, est à terre. Est-ce que c’est la première d’une longue série ?
R - Non, parce que Dexia a des problèmes depuis bien longtemps. Cela fait presque vingt ans que cette banque a des problèmes de gestion. Il y a eu une première alerte en 2008 à la suite de la première crise financière, mais elle n’a pas résisté à la deuxième.
Q - C’est un non événement ?
R - Ce n’est pas un non événement ; c’est un événement très particulier qui n’a rien à voir avec la dette grecque ou avec la situation de crise financière que l’on vit à l’heure actuelle. Ce qu’il faut bien dire, et que vous avez dit tout à l’heure, c’est que la France donne sa garantie aux créanciers et aux clients qui ont déposé leur épargne dans cette banque.
Q - À hauteur de combien la France garantit ?
R - La France garantit. Il n’y aura pas de faillite et il n’y aura pas de pertes sur ce que la France s’engage à rembourser à ceux qui ont mis leur argent en dépôt.
Q - La France peut garantir, ce n’est pas un sujet : on garantit. Allez !
On nous a expliqué qu’il y avait une crise de la dette publique mais ce n’est pas grave, allez : la France garantit ! C’est aussi simple que ça, vraiment ?
R - Il ne faut pas confondre. Quand on parle de dette, de déficit et de garantie, ce n’est pas la même chose. Quand vous avez une dette, vous devez de l’argent à quelqu’un. Quand vous donnez une garantie, il y a quelqu’un qui doit de l’argent et vous vous portez garant du remboursement de sa dette. Ce n’est pas du tout la même chose.
Q - Sauf si un jour Dexia est insolvable par exemple.
R - Oui, mais cela n’est jamais arrivé.
Q - Cela pourrait arriver ?
R - Il y a eu un très fort séisme en 2008. La France, l’État français, a prêté aux banques. Or, non seulement elle a prêté aux banques, mais elle a récupéré 2,8 milliards d’intérêts. Donc porter secours à une banque ce n’est pas forcément une mauvaise affaire.
Q - Alors ce que les gens se disent peut-être ce matin en vous écoutant : quand les banques vont bien, ce sont les actionnaires qui encaissent ; quand les banques sont à terre, ce sont les États qui garantissent. Est-ce que ça peut durer encore longtemps ?
R - Non. D’ailleurs il y a un certain nombre de mesures. J’ai vu tout à l’heure un de vos présentateurs qui tapait du poing sur la table : il a raison.
Une des mesures, Bâle III, oblige les banques à se restructurer et à avoir suffisamment des fonds propres et de liquidités. Cette mesure, c’est l’Union européenne qui la mettra en place ; elle sera mise en place à partir de 2013. Pour vous dire un chiffre…
Q - Cela n’a pas suffi. Cela ne suffit pas Bâle 3, sinon cela se verrait sur les cours des marchés de bourse.
R - Cela a suffi jusqu’à présent. Dix milliards d’euros ont servi à augmenter les réserves des banques françaises au premier semestre et à présenter une exposition à la Grèce. Cela suffit donc à l’heure actuelle pour les banques françaises.
Q - Alors le commissaire aux Affaires économiques, Olli Rehn, dans le Financial Times ce matin, dit que le capital des banques européennes doit être renforcé et il évoque la nécessité de mettre en place un plan coordonné au niveau européen. On va vers la recapitalisation des banques européennes ?
R - On y va pour celles qui en ont besoin. On n’a jamais dit qu’il n’y avait pas de banque pouvant avoir des problèmes. En Espagne, par exemple, il y a des banques qui ont des problèmes. Cependant les banques françaises - les grandes banques françaises, Société générale, la BNP, etc - n’ont pas de problème de capitalisation. On ne va donc pas les recapitaliser…
Q - Leur sort était lié. Les banques françaises, les banques européennes : on a compris que c’était systémique.
R - Ce n’est pas parce qu’il y a des banques en difficultés comme Dexia ou des banques espagnoles que les banques françaises sont en difficulté.
Q - Joaquín Almunia, commissaire européen à la Concurrence, un ami à vous, a confié hier qu’il y avait à l’étude 21 projets de restructuration en Europe. Cela vous paraît sérieux ?
R - C’est tout à fait préventif et c’est très bien. Je pense qu’on a bien vu qu’il y avait un problème de solvabilité des banques en 2008 et que l’affaire Lehman Brothers a généré une forte contamination. Il n’y a pas le choix pour les banques qui n’ont pas suffisamment de fonds propres. Le fait que, désormais, cela se refasse progressivement, est plutôt rassurant.
Q - Vous nous dites : «Tout va bien» une nouvelle fois.
R - Non, je ne dis pas : «Tout va bien» ; je dis qu’il faut être très vigilant, très rigoureux et si on est très vigilant et très rigoureux, tout ira bien.
Q - Nous allons parler de la Grèce maintenant. J’allais dire : la Grèce n’y arrive pas, elle ne parvient pas à tenir les objectifs de déficit que l’Europe et le FMI lui ont fixés et on sent l’Europe complètement dépassée par les événements. On va vous dire clairement les choses ce matin : on passe de l’euphorie la semaine dernière - super ! Les Allemands ont voté le plan d’aide à la Grèce ! - à la déprime des marchés le lendemain. Est-ce que l’Europe n’est pas totalement dépassée par les événements ?
R - Absolument pas. La fébrilité que vous décrivez, c’est la fébrilité des marchés financiers. L’Europe n’est pas en difficulté du tout : elle a pris une décision le 21 juillet. Cette décision prise par tous les chefs d’État se met en place. La France l’a voté, l’Allemagne, dont on disait qu’elle ne la voterait jamais, l’a voté à 85 %. Cela veut dire que le plan qui consiste à dire «on fait un fonds monétaire européen afin de limiter la fébrilité et l’excitation des marchés dans la période actuelle», cela va stabiliser la situation.
Q - Cela ne marche pas ?
R - Ce n’est pas que cela ne marche pas : ce n’est tout simplement pas encore en place. Vous ne pouvez pas dire que cela ne marche pas alors que ce n’est pas encore en place.
Q - Oui, c’est normal que ce ne soit pas encore en place ?
R - C’est normal parce que nous vivons en démocratie. Il y a 27 démocraties dans l’Union européenne et lorsque l’on est en démocratie, le chef d’État ne décide pas tout seul : cela passe aussi par l’accord des Parlements.
Q - Pourtant, on nous explique qu’il n’y a que le couple franco-allemand qui décide. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel vont se retrouver dimanche. José Manuel Barroso dit : «Ce n’est pas comme cela que cela doit se passer». Quelle est la ligne que vous choisissez ? Il faut défendre le couple franco-allemand et les laisser à la manœuvre ou est-ce qu’il faut redonner le pouvoir à la commission ?
R - On n’a peut-être pas suffisamment entendu M. Barroso dernièrement pendant la crise ; donc ceux qui ont pris la décision et qui ont entraîné les 27 pays de l’Union européenne, c’est le couple franco-allemand. C’est donc la condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante. Il faut que le couple franco-allemand continue à fonctionner. Et vous savez pourquoi il fonctionne ? Parce qu’il symbolise à lui seul 50 % du produit intérieur brut de la zone euro.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2011