Texte intégral
Q - Estimez-vous que Soyouz à Kourou soit un atout pour l’Europe spatiale ?
R - Le décollage de Soyouz depuis Kourou est un point essentiel dans la concurrence mondiale des lanceurs. Ariane 5, Soyouz et le petit lanceur Vega vont permettre à Arianespace et à l’Europe de disposer d’une gamme complète. Avec Ariane 5, l’Europe ne pouvait lancer que certaines gammes de satellites. Avec Vega et Soyouz, la base de Kourou se dote véritablement d’un jeu de cartes qui donne à l’Europe beaucoup d’atouts dans la concurrence mondiale.
Q - Faut-il aller plus loin avec les Russes en matière de coopérations spatiales, y compris dans les lanceurs ?
R - Oui. À l’occasion de ma rencontre à Kourou avec le vice-Premier ministre russe, je vais lui proposer de donner un nouvel élan à la coopération spatiale franco-russe. L’objectif est de renforcer nos partenariats, de combiner les forces de nos deux puissances spatiales. Nous pouvons ensemble franchir une étape supplémentaire dans le domaine de la science et de l’exploration. Je pense par exemple au programme Phobos-Grunt qui réunit une plate-forme russe et des instruments scientifiques français pour analyser Phobos, l’une des deux lunes de Mars. Ce sera la première mission à ramener sur Terre et à analyser des échantillons d’aussi loin dans l’espace.
Q - Et sur les lanceurs ?
R - Pas à ce stade, je ne pense pas lancer de nouveau programme de coopération. Il faut déjà digérer notre coopération sur Soyouz, s’assurer que le pas de tir fonctionne bien et que Soyouz s’acclimate bien en Guyane.
Q - Justement en matière de lanceurs, l’Europe a des choix à faire en 2012. Dans un contexte budgétaire difficile, l’Europe a-t-elle les moyens de lancer à la fois le programme de modernisation d’Ariane 5 (Ariane 5 ME) et la future Ariane 6 ?
R - La politique spatiale n’est pas une politique de luxe. L’accès autonome à l’espace est une des conditions majeures de la compétitivité de la France et de l’économie européenne. Juste pour donner un ordre d’idées, l’industrie spatiale représente 35.000 emplois en Europe. Elle est également un support essentiel pour un certain nombre de filières industrielles : télécoms, agriculture, défense, transport... Dans tous ces secteurs, l’apport des technologies spatiales est déterminant pour leur compétitivité. Enfin, l’espace est très présent dans notre vie quotidienne. L’accès autonome à l’espace n’a donc pas de prix.
Q - La France plaide donc pour un futur lanceur européen. Que préconisez-vous concrètement ?
R - 2012 sera l’année des décisions. Pour la France, le critère de choix est de savoir dans quelle mesure les programmes de développement Ariane 5 ME et/ou Ariane 6 - il faut laisser les options ouvertes - correspondent au besoin des clients institutionnels et des clients commerciaux. À ce stade, il est encore trop tôt pour se prononcer. Nous attendons les différentes options et leurs évaluations. En revanche, nous devons poursuivre l’amélioration de la compétitivité d’Ariane 5. Nous avons demandé qu’un vaste programme de réductions des coûts d’Ariane 5 soit entrepris, notamment avec le réseau de sous-traitants et sur le coût d’exploitation au sol. Ce travail a commencé à produire des résultats. Il faut le poursuivre.
Q - Vous visez quels niveaux d’économies ?
R - Je considère qu’à terme il faudra réaliser de 10 % à 15 % d’économies. 10 % ont déjà été réalisés sur les coûts de systèmes au sol. Mais il faut quand même être réaliste. Aucun lanceur ne dégage des bénéfices ni ne peut se passer du soutien des États. Le seul bénéfice que l’on en retire est le fait de pouvoir précisément maîtriser notre politique industrielle et institutionnelle. Il faut que l’on soit collectivement prêt à assumer en Europe le coût de l’indépendance d’accès à l’espace. C’est un enjeu majeur pour l’Europe : il s’agit de savoir si elle veut rester dans l’histoire ou si elle décide d’en sortir. Renoncer à une politique spatiale européenne signifie sortir de l’histoire, sortir de la compétition des nations.
Q - L’Union européenne doit-elle prendre le leadership en matière spatiale ?
R - Grâce au Traité de Lisbonne, il existe aujourd’hui une compétence de l’Union européenne en matière spatiale. Elle ne doit pas être restreinte. L’Union européenne doit avoir une vision à 360 degrés de ce qu’est la politique spatiale. En revanche, il ne s’agit pas de faire des doublons. Il y a déjà une agence qui fonctionne, c’est l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Union doit s’appuyer sur elle. Il n’est pas question que l’Union recrée un ESA bis au niveau européen, ce serait absurde.
Q - Préconisez-vous la préférence européenne ?
R - Je plaide résolument pour une préférence européenne dans le domaine spatial. Il faut que l’on arrête d’être naïf : les États-Unis ne lancent pas un seul satellite gouvernemental américain à partir d’un lanceur non américain. Pas un. C’est aussi le cas de la Chine, qui favorise systématiquement ses lanceurs. Nous devons avoir la même approche. C’est d’ailleurs le message que porte la France au sein de l’Union européenne où elle défend de façon plus globale une approche de réciprocité dans les échanges commerciaux. On a plaidé très fortement pour que Galileo soit lancé par des lanceurs européens. Personne n’aurait compris que les satellites Galileo soient mis sur orbite par un lanceur chinois ou américain.
Q - Faut-il consolider un peu plus notre industrie et faire évoluer l’actionnariat d’Arianespace ?
R - Ce sont des sujets qui ont souvent été débattus. Ne perdons quand même pas de vue l’essentiel : nous avons une industrie spatiale européenne qui est parmi les premières au monde. Entre Astrium et Thales Alenia Space, on a 40 % du marché commercial de satellites. Ce n’est pas si mal. Arianespace est le leader des lanceurs commerciaux. Ma priorité aujourd’hui n’est pas franchement la fusion des deux ou l’actionnariat d’Arianespace. Les vraies questions clés sont l’avenir du lanceur Ariane, la compétitivité de l’industrie et la préférence européenne.
Q - Le programme Galileo est-il une fois pour toutes sorti des turbulences budgétaires ?
R - Après une phase très compliquée, la Commission européenne a redressé la barre, notamment sur le calendrier. Le lancement du 20 octobre est enfin le signal d’une série de lancements à haute cadence, qui doit permettre à l’Europe de disposer de 18 satellites en orbite début 2014 et de faire fonctionner Galileo pour la mi-2014. Si on veut avoir un système complètement indépendant du système américain GPS, il faut disposer d’une constellation de 30 satellites. L’objectif est d’avoir ces 30 satellites opérationnels en 2016. Je considère que les difficultés de Galileo sont derrière nous. Mais j’ai une exigence : Galileo doit être lancé avec Ariane 5. Soyouz oui, mais Ariane 5 aussi.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 octobre 2011