Texte intégral
C’est toujours avec un réel plaisir que je viens m’exprimer devant votre commission. Je serai néanmoins limité en temps, puisque je dois conclure en fin d’après-midi le colloque sur la coopération franco-québécoise, qui accueille aujourd’hui le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest.
Comme vous l’avez indiqué, Monsieur le Président, j’évoquerai la situation en Libye, en Syrie, le processus de paix au Proche-Orient et l’Afghanistan.
En Libye, où nous sommes intervenus sous mandat international pour éviter un bain de sang, la phase de transition est désormais ouverte. Face au courage de tout un peuple déterminé à mettre fin à la dictature, le régime de M. Kadhafi s’est effondré. Le Conseil national de transition (CNT), que nous avions reconnu dès le 10 mars comme le représentant légitime du peuple libyen, est désormais reconnu internationalement comme la nouvelle autorité gouvernementale. Il a été autorisé à occuper le siège de la Libye lors de la soixante-sixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, et annoncé la formation d’un nouveau conseil exécutif provisoire en attendant la libération totale du pays, laquelle le conduira alors à former un gouvernement.
Certes, la guerre n’est pas terminée. M. Kadhafi n’a pas été arrêté, nous ne savons pas où il se trouve et des combats acharnés se poursuivent dans les dernières poches de résistance, à Syrte, à Bani Walid ainsi qu’aux frontières avec le Niger et l’Algérie. Le Conseil national de transition nous a fait savoir que l’appui de l’Alliance atlantique lui était toujours nécessaire pour protéger les populations civiles des exactions commises par les forces résiduelles de M. Kadhafi, notamment à Syrte. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé, au Conseil de sécurité, pour que le dispositif mis en place par la résolution 1973 soit préservé dans le cadre de la résolution 2009, adoptée le 16 septembre dernier. C’est aussi pour cette raison que nous maintenons notre engagement au sein des forces de l’Alliance, engagement qui, en dépit des allégations des partisans de M. Kadhafi, n’a occasionné aucune perte, ni dans nos propres rangs, ni parmi les populations civiles.
La Libye est déjà entrée dans la phase de reconstruction. À Tripoli et dans les régions libérées, contrairement aux inquiétudes exprimées ici ou là, la vie reprend son cours. Les services de base se rétablissent, la sécurité est globalement assurée, les liaisons aériennes et l’activité économique reprennent. La Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle, que nous avons accueillie à Paris le 1er septembre, a marqué solennellement le passage à cette phase de reconstruction. La visite à Tripoli et à Benghazi du président de la République et du Premier ministre britannique - dont on a pu voir l’accueil qui leur a été réservé -, le 15 septembre, témoigne également du soutien sans faille de nos deux pays au peuple libyen dans la période qui s’ouvre.
Beaucoup reste à faire pour qu’un État et des institutions démocratiques puissent voir le jour dans la Libye nouvelle. La formation du gouvernement provisoire, première étape de la transition politique, prend du temps dans un pays encore en guerre, qui sort de quarante et un ans de dictature. Pour être pleinement représentatif, ce gouvernement doit tenir compte des équilibres régionaux et tribaux, mais aussi des revendications des groupes qui ont contribué à la libération du pays et souhaitent prendre part aux grandes décisions engageant son avenir. La confirmation de M. Jibril au poste de Premier ministre est par ailleurs une bonne nouvelle, car il est un interlocuteur fiable et de qualité.
D’autres défis considérables attendent les nouvelles autorités : désarmer les brigades, récupérer les armes, refonder les institutions en charge de la sécurité, lancer un processus de réconciliation nationale pour rétablir la confiance et préserver l’unité du pays, mettre en place un État de droit respectueux des libertés et des droits de chacun, y compris ceux des minorités et des étrangers.
La communauté internationale est mobilisée pour accompagner les autorités libyennes dans cette phase ; c’est tout le sens du Groupe des Amis de la Libye, qui a été créé à notre initiative lors de la Conférence de Paris. La France prendra toute sa part à la reconstruction du pays. Nous avons obtenu, cet été, le dégel de 1,7 milliard d’euros d’avoirs libyens pour financer des projets humanitaires. La Libye dispose en effet d’avoirs importants à l’étranger - de 50 à 100 milliards de dollars, selon les estimations -, qui avaient été détournés par le précédent régime. Cet argent doit être remis à la disposition des nouvelles autorités, comme le prévoit justement la résolution 2009.
Nous avons rouvert notre Ambassade à Tripoli et nommé un nouvel ambassadeur, M. Sivan, pour reprendre au plus vite notre coopération. Nos entreprises commencent à revenir en Libye, où elles auront toute leur place pour participer à la reconstruction. Nous nous employons enfin à favoriser la contribution de l’Union européenne, qui a une expertise à faire valoir - notamment dans le secteur de la sécurité -, l’ONU s’étant vu confier un rôle de coordination.
Comme j’ai pu le constater en accompagnant le président de la République sur place, la France dispose d’un vrai capital d’amitié en raison de son engagement auprès du peuple libyen, et ce depuis les premiers jours de la Révolution. Nous serons aux côtés de ce peuple pour l’aider à construire la Libye nouvelle, libre et démocratique à laquelle il aspire.
En Syrie, hélas, les choses se présentent très différemment. Les exactions se poursuivent et le régime ne recule devant aucune atrocité pour étouffer les aspirations de son peuple à la démocratie et à l’État de droit : arrestations massives, tortures - y compris sur des femmes et des enfants - ou interventions des services de sécurité dans les écoles. Au moment où je vous parle, ces violences ont fait plus de 3 000 morts, dont une quarantaine au cours des derniers jours dans la région de Homs et de Hama.
Face à cette fuite en avant dans la répression, la France a très tôt demandé le départ de Bachar el-Assad et appelé à une transition politique. Nous soutenons d’ailleurs les initiatives visant à unifier l’opposition et à encourager l’émergence d’une Syrie démocratique et respectueuse de tous ses citoyens. De ce point de vue, la réunion du Conseil national syrien, ce week-end, à Istanbul, constitue une étape importante. Nous continuerons par ailleurs, dans les prochains jours, d’approfondir nos contacts avec l’opposition démocratique, qui doit bien entendu pouvoir s’exprimer librement et en toute sécurité, à Paris comme ailleurs ; j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin. Nous n’admettrons pas non plus que les diplomates syriens en poste à Paris fassent des déclarations qui pourraient appeler à la violence.
Je l’ai dit très clairement : face aux crimes contre l’humanité commis dans ce pays, le silence du Conseil de sécurité est scandaleux. Celui-ci doit condamner l’usage de la violence contre la population et ouvrir la perspective de sanctions si les violations des droits de l’Homme se poursuivent. Nous étions, hier soir, à deux doigts d’un accord sur le projet de résolution ; mais, aux dernières nouvelles, la Russie menace à nouveau de faire usage de son droit de veto. Nous verrons si nous allons dès à présent au vote, mais il faudra bien que chacun prenne ses responsabilités. La France n’admettra pas que le régime et les rebelles, qui prennent des risques pour défendre leur liberté, soient mis sur le même plan.
De son côté, le 23 septembre, l’Union européenne a renforcé sa politique de sanctions, à travers des mesures visant notamment les investissements dans le secteur pétrolier et la fourniture de billets de banque à la Banque centrale syrienne - puisque ces billets sont fabriqués dans les pays européens. Ces sanctions, qui visent cinquante-six personnalités et dix-huit entités ciblées, ont un impact réel dans le temps. Leur enjeu est de limiter les ressources du régime tout en épargnant, autant que faire se peut, la population civile. Nous ne relâcherons pas nos efforts, car le peuple syrien mérite aussi la démocratie et la liberté.
À l’heure où nous soutenons les aspirations des peuples arabes à la liberté et à la démocratie, nous devons aussi redoubler nos efforts pour trouver une issue au conflit du Proche-Orient, où le statu quo n’est plus tenable : il nous faut répondre aux attentes des Palestiniens et des Israéliens, tout aussi légitimes les unes que les autres. C’est la raison pour laquelle l’initiative palestinienne a dominé la semaine d’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, il y a quinze jours. Le président de la République s’est exprimé à cette occasion, et j’ai moi-même eu, au cours de la semaine, de nombreux entretiens bilatéraux.
Face au blocage du processus de paix, la France a pris l’initiative. Par la voix du président de la République, dont l’intervention fut entièrement consacrée à cette question, elle a été le seul pays à faire des propositions nouvelles, qui ont fait bouger les lignes et obligé les acteurs à sortir des ambiguïtés. Cette initiative repose sur deux piliers principaux.
Le premier consiste à remettre les partenaires autour de la table, afin de rependre les négociations sans pré-conditions, sur la base des paramètres bien connus du processus de paix et selon un calendrier court et précis. Tel est le message que je suis allé délivrer, au printemps, à Ramallah et à Jérusalem. Cette initiative, qui avait failli aboutir, a permis au Conseil européen de définir, fin juin, une position commune qui reste notre ligne. La paix et la sécurité d’Israël sont nos préoccupations constantes ; mais elles ne seront possibles qu’à l’issue de négociations directes, avec la conclusion d’un accord de paix.
Pour être efficace et durable, cette relance du processus politique implique un changement de méthode, et en particulier une approche plus collective : il faut associer d’autres acteurs que le Quartet, notamment les membres permanents du Conseil de sécurité, les grands pays européens et les grands acteurs de la région.
Si nous parvenons à relancer les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, l’accueil d’une conférence des donateurs, dès cet automne à Paris, serait l’occasion de renouveler l’appui de la communauté internationale à la construction du futur État palestinien - dont je rappelle que la Banque mondiale et le FMI ont reconnu les progrès significatifs -, dans la droite ligne des résultats déjà obtenus depuis la Conférence de Paris de décembre 2007.
Le second pilier est la résolution que nous défendons à l’Assemblée générale des Nations unies en vue de rehausser le statut de la Palestine, actuellement simple observatrice, à celui d’État observateur statut qui fut initialement celui de la Suisse et du Vatican. Cela permettrait aux Palestiniens de franchir une étape importante vers la création de leur État et d’éviter une démarche au Conseil de sécurité, démarche condamnée à l’impasse puisque, même si le seuil des neuf voix est atteint, les Américains opposeront leur veto. Si l’Assemblée générale des Nations unies n’est pas compétente pour reconnaître à la Palestine une qualité d’État membre de l’ONU, elle peut lui reconnaître le statut d’État observateur.
Les réactions à nos propositions ont été contrastées. Israël les a rejetées, car il demeure opposé à tout recours aux Nations unies et considère que la reconnaissance d’un statut d’État, fût-il seulement observateur, est prématurée avant la conclusion des négociations ; les États-Unis sont réservés sur le principe, mais n’ont pas complètement fermé la porte ; les Palestiniens se sont dits ouverts, mais maintiennent pour l’instant leur stratégie au Conseil de sécurité ; enfin, beaucoup d’États arabes - et la Ligue arabe elle-même - soutiennent notre projet de résolution. La procédure engagée auprès du Conseil de sécurité devant durer quelques semaines, nous avons la possibilité d’agir au cours des prochains jours.
La déclaration du Quartet adoptée vendredi 23 septembre reprend beaucoup de nos idées, qu’il s’agisse du calendrier, d’un encadrement plus serré de la négociation ou de l’organisation de conférences internationales. Ni les Palestiniens, ni les Israéliens n’ont encore répondu précisément mais, pour le dire sans langue de bois, pour l’instant, cette initiative a fait long feu. Dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le président Mahmoud Abbas a réaffirmé que l’arrêt de la colonisation restait une pré-condition à la reprise des négociations ; or les Israéliens ont aussitôt annoncé la construction de 1 100 nouvelles unités de logement dans une colonie, décision que nous avons condamnée car elle pourrait ruiner tout espoir de relance du processus de paix.
Le Conseil de sécurité a commencé l’examen préliminaire de la demande d’adhésion de la Palestine, qui a été transmise au comité d’admission selon la procédure réglementaire. Que la déclaration du Quartet ouvre ou non sur une reprise des négociations, que la procédure au Conseil de sécurité aille rapidement à son terme ou pas, la question se posera, au cours des prochains jours, d’une résolution de l’Assemblée générale susceptible de préserver les chances d’une relance du processus de paix et de rassembler les Européens. C’est dans ce sens que nous travaillerons avec tous les acteurs concernés.
Dans l’immédiat, nous restons en contact permanent avec les parties prenantes, et attendons leurs réactions officielles avant de relancer notre initiative dans les plus brefs délais. Je suis naturellement prêt à me rendre dans la région au moment opportun. S’il existe une chance, si mince soit-elle, de relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, nous sommes prêts à la saisir.
J’en viens enfin à l’Afghanistan, où nous poursuivons notre action. Nous avons tous été marqués par la recrudescence des attaques des talibans, qui ont tué vingt-trois de nos hommes depuis le début de l’année. Nous faisons face, non seulement à des attaques dans le sud de la province de Kapisa dont nous avons la charge, mais aussi à des formes d’agression nouvelles, qu’il s’agisse de l’usage d’explosifs ou de la recherche de cibles médiatiques, notamment à Kaboul. Suite à l’assassinat du Président Rabbani, le 20 septembre dernier, le président Karzaï a annoncé qu’il donnerait une nouvelle orientation à la politique de réconciliation nationale.
Dans cette délicate période de transition nous apportons, avec nos partenaires de la coalition, tout notre soutien aux autorités afghanes pour qu’elles soient en mesure d’assumer progressivement l’ensemble des responsabilités de sécurité d’ici à 2014, date à laquelle les troupes de la coalition quitteront le pays.
Notre action repose sur quatre volets. En premier lieu, nous favorisons la montée en puissance des forces afghanes, qui comptent désormais plus de 300.000 hommes, contre 200.000 il y a seulement quelques années.
Par ailleurs, nous transférons progressivement la responsabilité d’un nombre croissant de provinces. Ainsi, de nouvelles provinces rejoindront prochainement celles dont la sécurité est déjà assurée par les forces afghanes, la France, elle, ayant en charge le district de Surobi.
Le troisième volet concerne la recherche d’une approche collective régionale via des engagements réciproques et des mécanismes associant les pays voisins, afin de garantir la sécurité de l’Afghanistan après 2014. La situation intérieure du pays est liée à ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières ; à cet égard la conférence organisée par les Afghans et les Turcs à Istanbul le 2 novembre, puis la conférence de Bonn le 5 décembre, seront des occasions de faire avancer les choses. Nous ne ménageons pas nos efforts dans cette perspective.
Enfin, nous poursuivons avec détermination notre combat contre le terrorisme international. La mort de Ben Laden a porté un coup sérieux à Al-Qaïda, dont la présence en Afghanistan a fortement reculé.
Parallèlement à la montée en puissance des forces afghanes, les troupes de la coalition amorcent leur départ. Les Américains vont ainsi retirer une partie de leurs soldats d’ici à 2012, et nous avons nous-mêmes annoncé le départ d’un quart de nos troupes, soit mille personnes, d’ici à la fin de 2012, avec des premiers retours dès cette année.
Nous posons dès aujourd’hui les bases de notre action en Afghanistan après 2014, que ce soit au niveau bilatéral, au sein de l’Union européenne ou à l’OTAN. Lors de sa visite à Kaboul, le président de la République a annoncé la conclusion d’un traité d’amitié entre la France et l’Afghanistan, lequel formalisera notre engagement civil pour la reconstruction du pays et son développement. La mission de Mme Hostalier sur la dimension économique de la transition et la présence des entreprises françaises en Afghanistan y contribuera pleinement.
Comme vous le voyez, nous préparons l’après 2014, échéance réaliste pour le retrait définitif de nos troupes. Partir de façon précipitée reviendrait à laisser les Afghans et les Afghanes sans perspective d’avenir, et à s’exposer à la menace d’un retour en arrière, avec tous les risques que l’on sait, y compris pour la France. C’est tout le sens de la mission qu’accomplissent nos soldats sur place. Je veux rendre une nouvelle fois hommage à ceux qui ont perdu la vie en Afghanistan, et saluer le courage et le professionnalisme de nos troupes.
Q - (Sur le projet de résolution concernant le régime syrien)
R - Les arguments de la Russie, de la Chine et des BRICS contre notre projet de résolution se fondent d’abord, Monsieur Loncle, sur le refus de tout ce qui pourrait ressembler à un droit d’ingérence. Ces pays ont aussi le sentiment que l’application de la résolution 1973 est allée au-delà du mandat donné par les Nations unies en Libye. J’ai beau répéter que le projet de résolution sur la Syrie ne ressemble en rien à la résolution 1973 - laquelle autorisait, je le rappelle, «toutes les mesures nécessaires» -, une suspicion demeure, notamment chez les Russes, dont les relations avec le régime actuel sont par ailleurs anciennes. La France, néanmoins, ne cédera pas sur la demande russe de mettre sur le même plan le régime syrien et les rebelles, en d’autres termes ceux qui répriment et ceux qui sont réprimés. Ce point est à l’origine du blocage actuel.
Les États-Unis nous soutiennent, et estiment même que le texte de la résolution devrait aller plus loin ; de fait, celui-ci reste à mes yeux insuffisant, puisqu’il ne fait référence qu’à d’éventuelles sanctions, sous certaines conditions. Nous avions accepté cette rédaction minimaliste car nous pensions qu’elle pouvait faire l’objet d’un consensus ; hier soir, le projet de résolution recueillait ainsi quatorze voix sur quinze. J’espère donc que nous parviendrons à convaincre les Russes.
Q - (Sur la situation en Libye)
R - Après l’effondrement du régime de M. Kadhafi, des mercenaires se sont apparemment repliés dans le Sahel en y apportant des armes, notamment des missiles sol-air. Les services français ne confirment pas le chiffre de 10.000, mais cette situation est bien entendu source d’inquiétude.
Dans cette région où AQMI se renforce, notre ligne est d’engager les pays riverains à intensifier leur lutte contre le terrorisme. C’est déjà le cas de la Mauritanie et du Niger ; nous essayons d’encourager les autres à faire de même, en leur proposant notre aide en matière de formation ou de soutien logistique. L’Algérie, qui joue un rôle-clé, a organisé en septembre une rencontre entre ces pays pour les mobiliser davantage : c’est là un progrès significatif.
Q - (Sur la situation des otages français)
R - Nous avons, Monsieur Terrot, quatre otages détenus au Sahel, deux en Somalie, trois au Yémen, sans oublier, bien sûr, Guilad Shalit. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour obtenir leur libération, mais je n’ai pas d’information à vous communiquer sur ce point.
Q - (Sur les paradis fiscaux et l’harmonisation des régimes fiscaux)
R - Les paradis fiscaux coopératifs en matière de transparence fiscale, Madame Bourragué, peuvent sortir de la liste grise de l’OCDE qui fut décidée dans le cadre du G20. En revanche, aucune harmonisation entre les régimes fiscaux n’est envisagée, puisque ces derniers relèvent de la souveraineté des États.
Q - (À propos de la reconnaissance d’un État palestinien)
R - La France n’est pas en retrait sur la reconnaissance d’un État palestinien, Monsieur Mathus : nous avons dit et répété que la reconnaissance de ce droit était l’une des conditions à la reprise des négociations. A ce sujet, le Quartet a d’ailleurs retenu l’une de mes propositions. Cependant, puisque les États-Unis opposeraient aujourd’hui leur veto à la création d’un État palestinien, l’obtention du statut d’État observateur serait une première étape. Ce statut permettrait notamment aux Palestiniens de saisir la Cour pénale internationale ; c’est d’ailleurs l’une des principales raisons de la campagne vigoureuse des États-Unis et d’Israël contre la proposition française. Outre le succès politique que signifierait le vote d’une telle résolution pour les Palestiniens, celle-ci impliquerait aussi, de leur part, la reconnaissance explicite de l’État d’Israël et de son exigence de sécurité, et l’engagement de ne pas saisir la Cour pénale internationale tant que les négociations ne sont pas achevées.
La France a condamné la colonisation d’Israël en territoire palestinien, Monsieur de Charette. Néanmoins, nous ne pensons pas qu’un basculement en faveur de la seule défense des Palestiniens ferait avancer les choses. Au risque de vous surprendre, la politique française est marquée par une grande continuité : nous défendons l’État d’Israël et sa sécurité - le président de la République est même allé jusqu’à dire, à la tribune de l’ONU, que nous serions à ses côtés s’il était attaqué -, mais nous sommes les amis des Palestiniens et voulons la reconnaissance de leur État. Cette ligne équilibrée est la seule façon, pour la France et pour l’Europe, de participer à la recherche d’une solution.
Un vote au Conseil de sécurité serait aujourd’hui un échec pour tout le monde, Monsieur de Charette : pour les Américains, dont le veto ne redorerait assurément pas le blason ; pour les Israéliens, qui, compte tenu de l’évolution des relations avec l’Égypte, la Syrie et la Turquie, se trouveraient plus isolés que jamais ; pour les Palestiniens enfin, puisque, ne l’oublions pas, des Républicains du Congrès américain menacent de leur couper les vivres s’ils vont au bout de leur démarche au Conseil de sécurité. Nous ferons tout, par conséquent, pour éviter cette issue et défendre notre initiative.
Q - (À propos des scrutins prévus en République démocratique du Congo)
R - Différents scrutins sont prévus en République démocratique du Congo, Monsieur Christ, notamment l’élection présidentielle à un tour le 28 novembre prochain. La réunion du Groupe de contact international sur les Grands Lacs, qui s’est tenue à Paris vendredi dernier, a été largement consacrée à la préparation de cette échéance. Nous avons de bonnes raisons de penser que la vigilance s’impose ; aussi l’Union européenne a-t-elle décidé d’envoyer 128 observateurs, parmi lesquels des Français. L’Union africaine apportera elle aussi son concours. La mission des Nations unies dans ce pays compte déjà, je le rappelle, 20.000 hommes.
Q - (Sur le conflit israélo-palestinien)
R - Nous ne sommes pas mi-chèvre, mi-chou sur le conflit israélo-palestinien, Monsieur Kucheida : nous nous attachons à garder une position d’équilibre qui, en plus de faire notre originalité - notamment par rapport aux États-Unis -, fonde notre légitimité.
Le travail de Mme Ashton, Monsieur Mathus, n’est pas aisé dès lors que les Vingt-sept ne sont pas tous d’accord. Malgré nos efforts, il nous sera très difficile d’obtenir l’unanimité des États européens sur notre proposition de résolution. Quoi que nous fassions, l’Allemagne, par exemple, restera sur une position différente.
Q - (Sur le Programme européen d’aide aux plus démunis)
R - Le Programme européen d’aide aux plus démunis, mis en place par l’Union en 1987, a été censuré par la Cour de justice des communautés européennes pour des raisons de procédure. Son application en 2012 et 2013 se voit donc remise en cause. Nous nous efforçons de convaincre les six pays qui forment une minorité de blocage - l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la République tchèque et la Suède -, afin d’obtenir le déblocage des fonds, comme le souhaitent d’ailleurs la Commission et le Parlement européen. Nous espérons une issue favorable au prochain Conseil des ministres de l’Agriculture.
Q - (À propos de la Libye)
R - M. Boucheron a salué le succès des opérations menées en Libye, ce dont je le remercie ; il a par ailleurs raison de souligner que ce sont les Libyens eux-mêmes qui se sont libérés. S’agissant de l’Afghanistan, permettez-moi de rappeler que ce n’est pas l’actuelle majorité qui a décidé d’y envoyer nos troupes.
Q - Ne fallait-il pas le faire, selon vous ?
R - Je n’en sais rien ; mais je ne me sens pas responsable de la décision qui fut prise par M. Jospin. J’ai d’ailleurs souvent fait part, avant d’occuper mes actuelles fonctions, de mes préoccupations sur l’affaire afghane.
Un retrait brutal serait irresponsable et dangereux ; la seule voie possible est donc celle que nous avons choisie : étoffer l’armée afghane avant de lui transférer toutes les responsabilités.
Q - (À propos de l’Iran)
R - La fermeté de la position française à l’égard de l’Iran est connue. Le jour de l’intervention du président Ahmadinejad à la tribune de l’ONU, j’eus un entretien presque euphorique avec mon homologue iranien, qui m’assurait que, compte tenu des préceptes du Coran, l’Iran s’interdirait d’avoir jamais recours à l’arme nucléaire. Le discours de M. Ahmadinejad m’a ensuite fait comprendre que certaines déclarations de principe des autorités iraniennes devaient être considérées avec prudence. J’ajoute que, pour le coup, Mme Ashton a défendu avec beaucoup de ténacité et de courage la position européenne à Istanbul.
Q (À propos de la Turquie)
R - La Turquie est un pays puissant et un partenaire incontournable. Elle entend jouer un rôle et prend donc des initiatives, même si sa diplomatie est encore en devenir ; à l’origine, elle fut ainsi d’une grande prudence en Libye ; aujourd’hui que la situation évolue favorablement, elle se montre très présente. De fait, la liste des pays qui désiraient participer à la dernière conférence des Amis de la Libye à Paris n’a cessé de s’allonger - elle était sensiblement plus courte lors de la première conférence !
En Syrie, mon homologue turc m’a expliqué qu’il s’était entretenu pendant trois heures avec Bachar el-Assad pour tenter de le convaincre d’arrêter la répression et de lancer un programme de réformes. Le lendemain, plusieurs dizaines de personnes furent tuées à Hamas et à Homs.
C’est par ailleurs sous ma présidence, je le rappelle, que l’UMP a pris position contre l’entrée de la Turquie au sein de l’Union. Il faut néanmoins continuer d’entretenir avec ce pays, qui est un partenaire incontournable, une relation étroite et constante. M. Erdogan vient enfin d’annoncer des sanctions de son pays contre la Syrie, ce dont je me réjouis.
Q - Le modèle turc exerce une grande influence sur les élections tunisiennes.
R - C’est vrai, qu’il s’agisse du mode électoral ou de la ligne idéologique de certains partis. À la question de savoir s’il faut faire confiance aux islamistes, nos partenaires du Sud répondent souvent en citant l’exemple de l’AKP. Un parti peut faire référence à l’islam tout en respectant les règles du jeu démocratique ; nous devons en tout cas en faire le pari.
Q - (À propos de l’Égypte)
R - Le processus électoral se poursuit tant bien que mal en Égypte, Monsieur Gaymard. L’Union européenne doit s’exprimer fortement sur la recrudescence des violences à l’endroit des Coptes, et plus généralement sur le respect des minorités, qu’elles soient chrétiennes ou non, partout dans le monde. Il est pour le moins surprenant, par exemple, de voir les chrétiens soutenir le régime syrien actuel parce qu’ils estiment qu’il est le meilleur rempart contre les islamistes.
La transition politique de l’Égypte ne sera un succès que si nous évitons son effondrement économique ; d’où la nécessité d’accélérer le processus d’aide, en particulier la mise en uvre du partenariat de Deauville - lequel porte sur une somme de 70 à 80 milliards de dollars -, ce qui devrait être chose faite rapidement.
Q - (À propos du Conseil de l’Europe)
R - Enfin, l’élection de Jean-Claude Mignon à la tête de l’Assemblée générale du Conseil de l’Europe est une très bonne nouvelle. Il faut effectivement, Monsieur Schneider, donner davantage de visibilité au Conseil de l’Europe, dont je recevrai prochainement le secrétaire général, M. Jagland.
Q - Quelles recommandations faites-vous aux touristes qui souhaitent se rendre en Tunisie et en Égypte ?
R - Y aller ! Mais éviter la Somalie.
(Interventions des parlementaires)
Q -(À propos des déplacements en Égypte et en Tunisie)
R - Il n’existe à l’heure actuelle aucun risque qui pourrait conduire le Quai d’Orsay à déconseiller de se rendre en Égypte et en Tunisie, Madame Fort : si nous voulons aider ces pays, il ne faut certes pas dissuader nos compatriotes de s’y rendre.
Q - (Sur le conflit israélo-palestinien et la reconnaissance d’un État palestinien)
R - Plusieurs d’entre vous ont considéré que la position de la France sur le conflit israélo-palestinien était en recul ; mais dans les pays arabes, cette position ne fait aucun doute ! Chacun a ressenti le discours du président de la République comme un pas en avant pour les Palestiniens.
Le texte du Quartet, Monsieur Garrigue, prévoit en effet que l’abandon de la colonisation est une pré-condition de la reprise des négociations. Nous avons, pour notre part, préconisé que les parties se remettent autour de la table sans pré-condition, même si l’arrêt des colonisations sera alors incontournable.
On ne pourra pas débloquer la situation en adoptant des positions maximalistes. De ce point de vue, nous avons suggéré aux Palestiniens de donner des garanties aux Israéliens en s’engageant à ne pas saisir la Cour pénale internationale pendant des négociations. Si l’on veut atteindre un objectif, il ne faut pas fixer des conditions qui le rendent inaccessible. Le statut d’État observateur est un pas en avant ; il donnera plus de poids au vote palestinien. Cette reconnaissance politique majeure implique aussi que les Palestiniens envoient un certain nombre de signaux positifs.
Dans ces conditions, Monsieur Myard, il ne servirait à rien que la France reconnaisse seule l’État palestinien : elle entrerait alors en conflit ouvert avec les États-Unis, dont le Congrès pourrait couper les vivres aux Palestiniens. Mieux vaut, dans une région aussi fragile, garder le sens du compromis et de l’équilibre.
Nous ne demandons pas à M. Abbas de revenir en arrière, Monsieur Dufau, mais d’éviter un blocage afin de permettre un pas en avant. La Ligue arabe, par exemple, soutient notre projet de résolution ; si celle-ci était soumise au vote de l’Assemblée générale des Nations unies, elle le serait par des pays arabes, la Norvège et d’autres pays européens, avec le soutien de la France.
Q - (À propos du plan européen pour le Sahel)
R - J’ai pressé les autorités bruxelloises, Monsieur Plagnol, de mettre en uvre le plan européen pour le Sahel : 150 millions d’euros sont prévus en faveur de la Mauritanie, du Niger et du Mali, notamment pour développer la formation. Comme toujours avec l’Union européenne, les décaissements sont très longs. Afin d’accélérer les choses, nous avons nommé un ambassadeur chargé du développement au Sahel.
Q - (À propos de l’Iran)
R - Le président de la République lors de la Conférence des ambassadeurs a déclaré que les ambitions militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran constituent une menace croissante ; le président de la République a indiqué qu’elles «pourraient aussi conduire à une attaque préventive contre les sites iraniens qui provoquerait une crise majeure dont la France ne veut à aucun prix». En d’autres termes, Monsieur Guillet, le président de la République n’a jamais préconisé des frappes aériennes contre l’Iran : il veut au contraire les éviter à tout prix, sachant que cette solution pourrait être envisagée par quelques-uns. Notre ligne est de poursuivre les sanctions, qui gênent le régime iranien, ainsi que le processus dit «E 3 + 3», qui rassemble l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, les États-Unis et la Russie. Nous avons toujours dit à l’Iran que la porte du dialogue restait ouverte.
Q - (À propos du Québec)
R - Notre pays entretient d’excellentes relations avec le Québec, à l’initiative duquel nous avons engagé une action visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes. Un grand nombre de conventions ont déjà été signées. Notre coopération s’inscrira également dans le cadre du plan de développement du Grand Nord, qui offrira des opportunités considérables à nos entreprises. Je rappelle par ailleurs que le prochain sommet de la francophonie doit se tenir à Kinshasa l’année prochaine.
Q - (À propos des relations entre l’Algérie et le CNT libyen)
R - L’Algérie, Monsieur Guibal, a reconnu le CNT libyen ; les relations entre les deux pays se sont donc améliorées. Nous encourageons la relance de l’Union du Maghreb arabe. Je doute que l’ouverture des marchés nord-européens, dont on parle souvent, soit la seule solution pour les pays du Sud : il faut surtout les encourager à commercer entre eux. La démocratisation de la Libye peut être utile à cet égard ; elle permettra notamment de relancer le «dialogue 5 + 5» et l’Union du Maghreb arabe.
Q - (À propos des Frères musulmans)
R - Devons-nous diaboliser les Frères musulmans ? C’est ce que M. Ben Ali, M. Moubarak et M. el-Assad nous ont toujours incité à faire ; mais rien n’a pu étouffer l’aspiration à la démocratie. Toute la question est donc de savoir si ces mouvements acceptent les règles du jeu démocratique et respectent les droits de l’Homme ; il faut assurément dialoguer avec ceux pour qui c’est le cas, et plus généralement développer le dialogue interreligieux avec les pays concernés. Les autorités de la mosquée Al-Azhar en Égypte, par exemple, y sont prêtes. Le plus grand risque serait de refuser le dialogue.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2011