Texte intégral
INTERVIEW A FRANCE INFO :
Q - Bonjour Monsieur le Ministre. La proposition de cessez-le-feu de Slobodan Milosevic hier est-elle selon vous un signe de faiblesse ou est-ce un coup desbroufe sachant que Slobodan Milosevic propose ce matin également de relâcher les trois militaires américains. Est-ce quon sent les premières faiblesses.
R - Je pense que cest un mélange de tout ça. Je pense quil y a à la fois un signe de faiblesse et puis peut-être des manoeuvres. En tout cas cette déclaration, cette annonce - parce quil faudrait savoir si cest suivi deffet - a généralement été jugée tout à fait insuffisante.
Q - Notamment par la France. La France qui aurait été à la base, me dit-on ,du rejet de lAlliance.
R - Non, ce qui sest passé, cest que dès quil y a eu cette annonce de la part des autorités de Belgrade - qui, en parlant de cessez-le-feu, reconnaissaient dailleurs quelles ont ouvert le feu qui naurait jamais dû être ouvert contre les populations du Kosovo -, nous nous sommes concertés avec les Américains, les Allemands, les Italiens, les Britanniques notamment et nous avons décidé de poser tout de suite une série de questions au président Milosevic.
Première question : M. Milosevic est-il prêt à un arrêt vérifiable de toute offensive et de toute répression ? Sil veut montrer que ce cessez-le-feu est effectif, il faut arrêter tout tout de suite, toute mesure qui vise à terroriser les populations. Or, daprès nos informations de ce matin, les réfugiés continuent à arriver. Ils continuent dêtre terrorisés.
Deuxième question : M. Milosevic accepte-t-il un retrait de ses troupes militaires, paramilitaires et de police du Kosovo ? Cela complète absolument lannonce précédente sinon elle na pas de valeur.
Ensuite M. Milosevic accepte-t-il la mise en oeuvre immédiate du droit au retour des réfugiés au Kosovo ? Sil le faisait vraiment, ce retour pourrait commencer tout de suite.
Est-ce que M. Milosevic accepte de mettre en place un cadre politique pour le Kosovo sur la base des Accords de Rambouillet ? Est-ce quil accepte le déploiement dune force de sécurité internationale dont on a vu de façon tragique ces derniers jours quelle était absolument indispensable de tout règlement ? Voilà les questions que nous posons.
Q - Alors, pour tenter de répondre à ces questions, il y a une activité diplomatique qui semble connaître un peu deffervescence ces dernières heures. William Cohen, le ministre américain de la Défense est à Bruxelles, le Groupe de contact se réunit en ce moment même. On sent une certaine fébrilité.
R - Non, il ny a aucune fébrilité. Les questions qui sont posées sont des questions posées aux autorités de Belgrade. En revanche la concertation diplomatique qui a lieu entre les pays européens, entre les pays du Groupe de contact, entre les pays du G8, entre les pays de lAlliance atlantique, vise à travailler à ce que pourrait être la solution politique quand nous serons revenus sur ce terrain. Mais pour le moment malheureusement, comme vous lindiquez, il ny a aucun signe daucune sorte de la part des autorités de Belgrade. Cest pour cela que des opérations militaires ont continué.
Q - Mais la diplomatie travaille quand même. Les Russes notamment ont indiqué quils ont adressé un message et ils vont peut-être reprendre les initiatives. Avez-vous reçu un message de Boris Eltsine et est-ce que les Russes sont encore crédibles ?
R - Il y a un contact diplomatique permanent entre la Russie et ses autres partenaires. En ce qui me concerne par exemple, jai le ministre Ivanov presque tous les jours au téléphone,. En ce moment, les ministres préparent lavenir. A un moment ou à un autre, il faudra mettre en place une solution politique, celle qui a été bloquée obstinément pendant des mois par le président Milosevic et il y a un travail sur cette solution politique à partir des Accords de Rambouillet.
Que faut-il adapter ? Quest-ce quil faut maintenir ? Quelle forme doit prendre la sécurité internationale au sol dont nous parlons ? Quelle est linstance à lintérieur de laquelle nous devons mettre en place ce règlement ? Vous savez quen France nous considérons que le Conseil de sécurité à ce moment-là devra jouer un rôle clé mais les autres organismes aussi. Cest là-dessus que nous travaillons et cest lobjet des différentes réunions dont vous parliez : Groupe de contact, G8, Conseil atlantique. Nous sommes en train de préparer lissue politique.
Q - Lissue politique, cest peut-être, comme lindiquait hier Lionel Jospin, cette zone humanitaire sous protection. De qui finalement : de lOTAN, des Nations unies ?
R - Non, cest autre chose. Quand nous arriverons à lissue politique, cela portera sur le problème du Kosovo dans son ensemble.
En revanche la question humanitaire se pose tout de suite. Elle se pose en Albanie, elle se pose en Macédoine. Les Albanais nous demandent daider à accueillir les réfugiés. Les Macédoniens pour dautres raisons ne peuvent pas en accueillir dans leur pays, trop fragile sur ce plan. Il y a un travail énorme, qui a été fait sur le terrain, et qui commence à être très efficace maintenant, de toutes les organisations dans ces deux pays. Nous sommes en train de coordonner toutes ces actions depuis Bruxelles et Genève. Les choses ont vraiment beaucoup changé en deux jours sur ce plan.
La plupart des réfugiés - nous en avons la confirmation - veulent rester dans la région. La plupart dentre eux ne sont pas demandeurs dêtre déplacés une deuxième fois pour aller au loin. Cela suppose un effort accru qui monte en puissance à toute vitesse en direction de lAlbanie surtout, et de la Macédoine par ailleurs.
Q - Kofi Annan parle de génocide. Cest un mot très dur, très fort. Est-ce que vous y souscrivez ?
R - Je pense quil faut réserver le mot de génocide à une définition extrêmement rigoureuse. Pour le moment ce qui sest passé au Kosovo est tout à fait atroce. Ce sont des abominations diverses, visant à terroriser la population, non pas à la supprimer à grande échelle mais à la faire partir. Cest déjà assez affreux comme ça pour quon nait pas besoin dutiliser des mots qui définissent dautres drames historiques que lon a en mémoire. Le problème nest pas dans les mots. On a de toute façon affaire à des comportements atroces qui ont fait partir ces gens terrorisés. Nous devons aujourdhui réaffirmer leur droit absolu au retour et nous devons plus que jamais régler cette question du Kosovo. Ce que nous cherchons à faire depuis des mois et ce que nous finirons par faire pour que ces personnes puissent rentrer un jour chez eux, dans un Kosovo en sécurité.
Q - La situation, vous le dites, est dramatique. La Yougoslavie ferme sa frontière avec lAlbanie. Est-ce que cela ne suscite pas des craintes sur ce que vont devenir ces gens massés à la frontière ?
R - Il y a un grand problème qui était posé depuis des années et qui navait cessé de saggraver à partir de cette politique yougoslave. Il a bien fallu donner un coup darrêt. Maintenant nous sommes engagés dans cette opération doù lon doit sortir pour revenir sur le terrain politique, ce qui aura été permis par les frappes militaire qui sont en train de modifier en profondeur le rapport de force. La solution pour le Kosovo, cest la coexistence des Kosovars et des Serbes, cest le statut du Kosovo, cest un voisinage dune nature différente avec lAlbanie et la Macédoine, un voisinage pacifique. Cest cela notre grand objectif.
Q - Sur le terrain à lheure actuelle les réfugiés qui tentaient de partir du Kosovo et daller en Albanie sont empêchés puisque ce matin Belgrade a décidé la fermeture de la principale frontière avec lAlbanie. On se pose la question de savoir pourquoi, et éventuellement que veut faire Milosevic des gens qui essaient de partir. On parle de bouclier humain. Est-ce que vous navez pas des craintes ?
R - Tout est terrible dans une guerre et notamment les guerres qui sont provoquées par la politique yougoslave depuis des années. Tout est terrible et pas depuis quinze jours. Il faut voir sur chaque point quelle est la meilleure réponse à apporter. En ce qui concerne les réfugiés qui sont en Albanie et en Macédoine, il faut les aider et aider ces pays à réagir à cette situation. En ce qui concerne le Kosovo proprement dit, il faut poursuivre nos efforts, militaires aujourdhui, militaires tant quil le faudra, politiques ensuite pour trouver une solution durable.
Toutes les questions que vous me posez sur des problèmes ponctuels aigus ramènent à cette même réponse. Il faut trouver une solution durable à ce problème du Kosovo. Cest ce à quoi semploient aujourdhui toutes les diplomaties non seulement occidentales mais aussi les Russes. puisque nous continuons à travailler avec eux à cette solution future.
Q - Hubert Védrine, merci.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, 8 avril 1999)
INTERVIEW A FRANCE 3 :
Q - Vous avez participé cet après-midi à un conseil restreint sur le Kosovo à lElysée en présence du Premier ministre, Lionel Jospin et du président de la République, Jacques Chirac, ainsi que de hauts responsables militaires, et de Charles Josselin, Alain Richard, Pierre Moscovici qui étaient à vos côtés. Disposez-vous, aujourdhui, dinformations crédibles à propos dexactions, voire de massacres qui auraient été commis par des forces serbes contre des Kosovars ?
R - Sur les faits précis dont vous parliez tout à lheure, je nai pas délément à ajouter, mais cela fait très longtemps que cela dure au Kosovo. Les affrontements entre lUCK et larmée serbe font des victimes en grand nombre de part et dautre. Cest un engrenage sans fin malheureusement dans lex-Yougoslavie. Cela fait des années que les différents procédés visant à terroriser les populations pour les déplacer quand elles sont gênantes, à tel ou tel endroit, ont été employés. Cest pour cela quau bout du compte, ayant épuisé tous les moyens politiques et diplomatiques pour régler ce problème du Kosovo, il a fallu en passer par les actions militaires qui sont en cours en ce moment et qui visent à réduire ou à casser cette capacité de répression. On le sait. Cest le fond du tableau. Ce nest pas une découverte.
Q - Mais alors si Slobodan Milosevic est un criminel, est-ce quil reste votre interlocuteur ?
R - Il faut écarter aucune possibilité daméliorer le sort des gens, de régler des solutions durgence ou de pouvoir organiser le droit au retour des réfugiés. Pour le moment, nous ne posons donc pas cette question. Aujourdhui, nous sommes concentrés dans la poursuite de cet effort militaire par lequel, malheureusement, il a fallu passer parce quil y avait un blocage obstiné, pour casser, réduire cet instrument comme cela se poursuit méthodiquement chaque jour maintenant.
Il faut dautre part réfléchir à la forme que prendra demain la solution politique. Cest ce à quoi semploient les différentes diplomaties. Il faut, par ailleurs, répondre avec lampleur nécessaire, aux besoins urgents des réfugiés, - vous en parliez il y a un instant. Ce sont les trois volets de laction.
Q - Je vous entendais parler de solution politique, est-ce encore possible ? Les frappes vont-elles continuer ou peut-on sappuyer sur une solution politique qui pourrait sinspirer des Accords de Rambouillet, parce que, finalement, le rapport de force est un peu différent aujourdhui ?
R - Oui, cest toujours possible. Cest toujours lobjectif. On reviendra forcément à un moment ou à un autre sur le terrain politique. Le recours à la force est un moyen, un moment. Lobjectif est darriver à une situation au Kosovo dans lesquelles les différentes populations puissent coexister en paix. Evidemment cest encore plus compliqué après les exactions nouvelles dont elles ont été victimes, mais cela reste lobjectif malgré tout. Il faudra donc - nous y réfléchissons à la fois entre les Occidentaux, mais aussi avec les Russes, avec lesquels nous travaillons beaucoup, je viens denvoyer le secrétaire général du Quai dOrsay pour des entretiens de ce type -, réfléchir à laccord politique. Nous verrons dans Rambouillet ce qui est encore valable, et ce quil faut adapter. Il faudra évidemment de toute façon ajouter un chapitre très important sur lorganisation du retour des réfugiés.
Q - Donc, si je vous entends bien, M. Milosevic est encore quelquun de fréquentable. Jentendais François Hollande, tout à lheure, dire quon pouvait encore discuter avec Milosevic.
R - On ne peut pas poser la question dans ces termes parce que si on dit, « après on regarde » et « il est fréquentable », cest évidemment bizarre. Le problème ne se pose pas en ces termes. Cela na pas de lien.
Cela ne change pas la nécessité de cette action militaire quil faut poursuivre, ne change rien à laction humanitaire de grande ampleur qui est maintenant organisée pour aider lAlbanie, la Macédoine et le Monténégro autant quon le peut. Cela ne change rien à la réflexion du type de règlement politique quil faudra avoir par la suite. On peut donc presque mettre cette question entre parenthèses aujourdhui pour travailler mieux.
Q - Pour linstant, pour trouver une solution politique. Est-il envisagée une opération terrestre ?
R - Non. Une opération terrestre, pour quoi faire dans limmédiat ? Elle serait beaucoup plus longue, beaucoup plus coûteuse en vies humaines, encore plus déstabilisante que ce qui est entrepris. Nous pensons quil y a une logique militaire. Il faut être patient. Il ne faudrait pas conclure trop vite pour affaiblir méthodiquement, systématiquement cette capacité de répression. Cela changera la question du Kosovo. La question du retour des réfugiés et la question de la sécurisation du retour des réfugiés, vont changer les données de ce problème là et on verra quil se présentera dans des conditions moins difficiles. Il faut persévérer, tout en réfléchissant à la sortie politique. Ce à quoi nous travaillons.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 1999)
Q - Bonjour Monsieur le Ministre. La proposition de cessez-le-feu de Slobodan Milosevic hier est-elle selon vous un signe de faiblesse ou est-ce un coup desbroufe sachant que Slobodan Milosevic propose ce matin également de relâcher les trois militaires américains. Est-ce quon sent les premières faiblesses.
R - Je pense que cest un mélange de tout ça. Je pense quil y a à la fois un signe de faiblesse et puis peut-être des manoeuvres. En tout cas cette déclaration, cette annonce - parce quil faudrait savoir si cest suivi deffet - a généralement été jugée tout à fait insuffisante.
Q - Notamment par la France. La France qui aurait été à la base, me dit-on ,du rejet de lAlliance.
R - Non, ce qui sest passé, cest que dès quil y a eu cette annonce de la part des autorités de Belgrade - qui, en parlant de cessez-le-feu, reconnaissaient dailleurs quelles ont ouvert le feu qui naurait jamais dû être ouvert contre les populations du Kosovo -, nous nous sommes concertés avec les Américains, les Allemands, les Italiens, les Britanniques notamment et nous avons décidé de poser tout de suite une série de questions au président Milosevic.
Première question : M. Milosevic est-il prêt à un arrêt vérifiable de toute offensive et de toute répression ? Sil veut montrer que ce cessez-le-feu est effectif, il faut arrêter tout tout de suite, toute mesure qui vise à terroriser les populations. Or, daprès nos informations de ce matin, les réfugiés continuent à arriver. Ils continuent dêtre terrorisés.
Deuxième question : M. Milosevic accepte-t-il un retrait de ses troupes militaires, paramilitaires et de police du Kosovo ? Cela complète absolument lannonce précédente sinon elle na pas de valeur.
Ensuite M. Milosevic accepte-t-il la mise en oeuvre immédiate du droit au retour des réfugiés au Kosovo ? Sil le faisait vraiment, ce retour pourrait commencer tout de suite.
Est-ce que M. Milosevic accepte de mettre en place un cadre politique pour le Kosovo sur la base des Accords de Rambouillet ? Est-ce quil accepte le déploiement dune force de sécurité internationale dont on a vu de façon tragique ces derniers jours quelle était absolument indispensable de tout règlement ? Voilà les questions que nous posons.
Q - Alors, pour tenter de répondre à ces questions, il y a une activité diplomatique qui semble connaître un peu deffervescence ces dernières heures. William Cohen, le ministre américain de la Défense est à Bruxelles, le Groupe de contact se réunit en ce moment même. On sent une certaine fébrilité.
R - Non, il ny a aucune fébrilité. Les questions qui sont posées sont des questions posées aux autorités de Belgrade. En revanche la concertation diplomatique qui a lieu entre les pays européens, entre les pays du Groupe de contact, entre les pays du G8, entre les pays de lAlliance atlantique, vise à travailler à ce que pourrait être la solution politique quand nous serons revenus sur ce terrain. Mais pour le moment malheureusement, comme vous lindiquez, il ny a aucun signe daucune sorte de la part des autorités de Belgrade. Cest pour cela que des opérations militaires ont continué.
Q - Mais la diplomatie travaille quand même. Les Russes notamment ont indiqué quils ont adressé un message et ils vont peut-être reprendre les initiatives. Avez-vous reçu un message de Boris Eltsine et est-ce que les Russes sont encore crédibles ?
R - Il y a un contact diplomatique permanent entre la Russie et ses autres partenaires. En ce qui me concerne par exemple, jai le ministre Ivanov presque tous les jours au téléphone,. En ce moment, les ministres préparent lavenir. A un moment ou à un autre, il faudra mettre en place une solution politique, celle qui a été bloquée obstinément pendant des mois par le président Milosevic et il y a un travail sur cette solution politique à partir des Accords de Rambouillet.
Que faut-il adapter ? Quest-ce quil faut maintenir ? Quelle forme doit prendre la sécurité internationale au sol dont nous parlons ? Quelle est linstance à lintérieur de laquelle nous devons mettre en place ce règlement ? Vous savez quen France nous considérons que le Conseil de sécurité à ce moment-là devra jouer un rôle clé mais les autres organismes aussi. Cest là-dessus que nous travaillons et cest lobjet des différentes réunions dont vous parliez : Groupe de contact, G8, Conseil atlantique. Nous sommes en train de préparer lissue politique.
Q - Lissue politique, cest peut-être, comme lindiquait hier Lionel Jospin, cette zone humanitaire sous protection. De qui finalement : de lOTAN, des Nations unies ?
R - Non, cest autre chose. Quand nous arriverons à lissue politique, cela portera sur le problème du Kosovo dans son ensemble.
En revanche la question humanitaire se pose tout de suite. Elle se pose en Albanie, elle se pose en Macédoine. Les Albanais nous demandent daider à accueillir les réfugiés. Les Macédoniens pour dautres raisons ne peuvent pas en accueillir dans leur pays, trop fragile sur ce plan. Il y a un travail énorme, qui a été fait sur le terrain, et qui commence à être très efficace maintenant, de toutes les organisations dans ces deux pays. Nous sommes en train de coordonner toutes ces actions depuis Bruxelles et Genève. Les choses ont vraiment beaucoup changé en deux jours sur ce plan.
La plupart des réfugiés - nous en avons la confirmation - veulent rester dans la région. La plupart dentre eux ne sont pas demandeurs dêtre déplacés une deuxième fois pour aller au loin. Cela suppose un effort accru qui monte en puissance à toute vitesse en direction de lAlbanie surtout, et de la Macédoine par ailleurs.
Q - Kofi Annan parle de génocide. Cest un mot très dur, très fort. Est-ce que vous y souscrivez ?
R - Je pense quil faut réserver le mot de génocide à une définition extrêmement rigoureuse. Pour le moment ce qui sest passé au Kosovo est tout à fait atroce. Ce sont des abominations diverses, visant à terroriser la population, non pas à la supprimer à grande échelle mais à la faire partir. Cest déjà assez affreux comme ça pour quon nait pas besoin dutiliser des mots qui définissent dautres drames historiques que lon a en mémoire. Le problème nest pas dans les mots. On a de toute façon affaire à des comportements atroces qui ont fait partir ces gens terrorisés. Nous devons aujourdhui réaffirmer leur droit absolu au retour et nous devons plus que jamais régler cette question du Kosovo. Ce que nous cherchons à faire depuis des mois et ce que nous finirons par faire pour que ces personnes puissent rentrer un jour chez eux, dans un Kosovo en sécurité.
Q - La situation, vous le dites, est dramatique. La Yougoslavie ferme sa frontière avec lAlbanie. Est-ce que cela ne suscite pas des craintes sur ce que vont devenir ces gens massés à la frontière ?
R - Il y a un grand problème qui était posé depuis des années et qui navait cessé de saggraver à partir de cette politique yougoslave. Il a bien fallu donner un coup darrêt. Maintenant nous sommes engagés dans cette opération doù lon doit sortir pour revenir sur le terrain politique, ce qui aura été permis par les frappes militaire qui sont en train de modifier en profondeur le rapport de force. La solution pour le Kosovo, cest la coexistence des Kosovars et des Serbes, cest le statut du Kosovo, cest un voisinage dune nature différente avec lAlbanie et la Macédoine, un voisinage pacifique. Cest cela notre grand objectif.
Q - Sur le terrain à lheure actuelle les réfugiés qui tentaient de partir du Kosovo et daller en Albanie sont empêchés puisque ce matin Belgrade a décidé la fermeture de la principale frontière avec lAlbanie. On se pose la question de savoir pourquoi, et éventuellement que veut faire Milosevic des gens qui essaient de partir. On parle de bouclier humain. Est-ce que vous navez pas des craintes ?
R - Tout est terrible dans une guerre et notamment les guerres qui sont provoquées par la politique yougoslave depuis des années. Tout est terrible et pas depuis quinze jours. Il faut voir sur chaque point quelle est la meilleure réponse à apporter. En ce qui concerne les réfugiés qui sont en Albanie et en Macédoine, il faut les aider et aider ces pays à réagir à cette situation. En ce qui concerne le Kosovo proprement dit, il faut poursuivre nos efforts, militaires aujourdhui, militaires tant quil le faudra, politiques ensuite pour trouver une solution durable.
Toutes les questions que vous me posez sur des problèmes ponctuels aigus ramènent à cette même réponse. Il faut trouver une solution durable à ce problème du Kosovo. Cest ce à quoi semploient aujourdhui toutes les diplomaties non seulement occidentales mais aussi les Russes. puisque nous continuons à travailler avec eux à cette solution future.
Q - Hubert Védrine, merci.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, 8 avril 1999)
INTERVIEW A FRANCE 3 :
Q - Vous avez participé cet après-midi à un conseil restreint sur le Kosovo à lElysée en présence du Premier ministre, Lionel Jospin et du président de la République, Jacques Chirac, ainsi que de hauts responsables militaires, et de Charles Josselin, Alain Richard, Pierre Moscovici qui étaient à vos côtés. Disposez-vous, aujourdhui, dinformations crédibles à propos dexactions, voire de massacres qui auraient été commis par des forces serbes contre des Kosovars ?
R - Sur les faits précis dont vous parliez tout à lheure, je nai pas délément à ajouter, mais cela fait très longtemps que cela dure au Kosovo. Les affrontements entre lUCK et larmée serbe font des victimes en grand nombre de part et dautre. Cest un engrenage sans fin malheureusement dans lex-Yougoslavie. Cela fait des années que les différents procédés visant à terroriser les populations pour les déplacer quand elles sont gênantes, à tel ou tel endroit, ont été employés. Cest pour cela quau bout du compte, ayant épuisé tous les moyens politiques et diplomatiques pour régler ce problème du Kosovo, il a fallu en passer par les actions militaires qui sont en cours en ce moment et qui visent à réduire ou à casser cette capacité de répression. On le sait. Cest le fond du tableau. Ce nest pas une découverte.
Q - Mais alors si Slobodan Milosevic est un criminel, est-ce quil reste votre interlocuteur ?
R - Il faut écarter aucune possibilité daméliorer le sort des gens, de régler des solutions durgence ou de pouvoir organiser le droit au retour des réfugiés. Pour le moment, nous ne posons donc pas cette question. Aujourdhui, nous sommes concentrés dans la poursuite de cet effort militaire par lequel, malheureusement, il a fallu passer parce quil y avait un blocage obstiné, pour casser, réduire cet instrument comme cela se poursuit méthodiquement chaque jour maintenant.
Il faut dautre part réfléchir à la forme que prendra demain la solution politique. Cest ce à quoi semploient les différentes diplomaties. Il faut, par ailleurs, répondre avec lampleur nécessaire, aux besoins urgents des réfugiés, - vous en parliez il y a un instant. Ce sont les trois volets de laction.
Q - Je vous entendais parler de solution politique, est-ce encore possible ? Les frappes vont-elles continuer ou peut-on sappuyer sur une solution politique qui pourrait sinspirer des Accords de Rambouillet, parce que, finalement, le rapport de force est un peu différent aujourdhui ?
R - Oui, cest toujours possible. Cest toujours lobjectif. On reviendra forcément à un moment ou à un autre sur le terrain politique. Le recours à la force est un moyen, un moment. Lobjectif est darriver à une situation au Kosovo dans lesquelles les différentes populations puissent coexister en paix. Evidemment cest encore plus compliqué après les exactions nouvelles dont elles ont été victimes, mais cela reste lobjectif malgré tout. Il faudra donc - nous y réfléchissons à la fois entre les Occidentaux, mais aussi avec les Russes, avec lesquels nous travaillons beaucoup, je viens denvoyer le secrétaire général du Quai dOrsay pour des entretiens de ce type -, réfléchir à laccord politique. Nous verrons dans Rambouillet ce qui est encore valable, et ce quil faut adapter. Il faudra évidemment de toute façon ajouter un chapitre très important sur lorganisation du retour des réfugiés.
Q - Donc, si je vous entends bien, M. Milosevic est encore quelquun de fréquentable. Jentendais François Hollande, tout à lheure, dire quon pouvait encore discuter avec Milosevic.
R - On ne peut pas poser la question dans ces termes parce que si on dit, « après on regarde » et « il est fréquentable », cest évidemment bizarre. Le problème ne se pose pas en ces termes. Cela na pas de lien.
Cela ne change pas la nécessité de cette action militaire quil faut poursuivre, ne change rien à laction humanitaire de grande ampleur qui est maintenant organisée pour aider lAlbanie, la Macédoine et le Monténégro autant quon le peut. Cela ne change rien à la réflexion du type de règlement politique quil faudra avoir par la suite. On peut donc presque mettre cette question entre parenthèses aujourdhui pour travailler mieux.
Q - Pour linstant, pour trouver une solution politique. Est-il envisagée une opération terrestre ?
R - Non. Une opération terrestre, pour quoi faire dans limmédiat ? Elle serait beaucoup plus longue, beaucoup plus coûteuse en vies humaines, encore plus déstabilisante que ce qui est entrepris. Nous pensons quil y a une logique militaire. Il faut être patient. Il ne faudrait pas conclure trop vite pour affaiblir méthodiquement, systématiquement cette capacité de répression. Cela changera la question du Kosovo. La question du retour des réfugiés et la question de la sécurisation du retour des réfugiés, vont changer les données de ce problème là et on verra quil se présentera dans des conditions moins difficiles. Il faut persévérer, tout en réfléchissant à la sortie politique. Ce à quoi nous travaillons.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 1999)